Détruire des cellules tumorales par l'électricité tout en préservant les tissus environnants, c'est possible, et c'est ce qu'on appelle "l'électroporation irréversible". Il s'agit d'appliquer de très courtes décharges électriques successivement à différents endroits de la tumeur grâce à des électrodes. La structure de la paroi des cellules se désorganise. Conséquence, des trous se forment par lesquels les cellules se vident de leur contenu, puis meurent. Depuis les années 60, l'électroporation est utilisée régulièrement pour faire pénétrer de l'ADN dans des bactéries. Mais, dans ce cas, les bactéries survivent car les trous sont transitoires. L'équipe de Rafael Davalos (université Virginia Tech), associée à Lluis Mir (Institut Gustave-Roussy de Villejuif), a eu l'idée de détourner la technique en augmentant l'intensité du traitement électrique. Ainsi, les trous pratiqués dans la membrane ne se referment plus.
A-t-on retrouvé l'onde qui soigne le cancer ? Dans les années 70, l'affaire fit grand bruit : Antoine Priore, un simple électronicien, expérimentait chez lui une onde mystérieuse qui guérissait le cancer ! Son secret vient d'être redécouvert par un médecin français. La légende n'a pas dit son dernier mot...
UN EFFET INCONTESTABLE Il faut dire que l'affaire Priore, le Dr Murzeau la connaît bien, lui qui fut l'élève du Pr Raymond Pautrizel, professeur réputé à la Faculté de médecine de Bordeaux qui, entre autres, ouvrit la voie à l'immunologie parasitaire, dont il dirigea la première unité à l'Inserm. Or, Pautrizel fut l'un des plus ardents défenseurs d'Antoine Priore et de ses mystérieuses machines après avoir constaté lui-même les stupéfiants résultats qu'elles donnaient dans le traitement de souris cancéreuses. Il ne fut pas le seul, puisque de très hautes autorités scientifiques cautionnèrent à l'époque les études du génial bricoleur de Floirac. En particulier le Pr André Lwoff, prix Nobel de médecine, le Pr Robert Courrier, secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, Marcel-René Rivière, de l'institut de recherches sur le cancer de Villejuif... Pour eux, les résultats étaient patents, même si le fonctionnement de la machine demeurait un mystère. D'ailleurs, plusieurs communications à l'Académie des sciences feront état de l'avancement des travaux dans le petit pavillon de la banlieue bordelaise. Et pourtant, les recherches d'Antoine Priore ne furent jamais reconnues officiellement. Cela à cause d'un vice de forme. Tout chercheur est, en effet, tenu d'indiquer la méthode qui lui a permis d'arriver à ses résultats ; or, Antoine Priore, qui craignait de se voir voler sa découverte a, jusqu'à sa mort, refusé de livrer son "truc", comme il l'appelait lui-même. UN DÉFI POUR SCIENTIFIQUES Il n'en fallait pas davantage pour que le récalcitrant inventeur passe aux yeux de beaucoup pour un charlatan, surtout à une époque où ne pas donner de faux espoirs aux malades du cancer était une priorité. Pour d'autres, il devint rapidement un martyr de l'institution, le génial David en butte aux Goliath de la cancérologie officielle. Une chose est sûre : sans son extravagante obstination à taire son secret, l'Italien de Floirac serait aujourd'hui une gloire nationale... ou l'onde Priore un frisson girondin oublié depuis longtemps. LE SECRET DE LA SIMPLICITÉ ? Pourquoi tant de mystères ? Quête de la vérité, ou chercheurs vexés qu'un simple bricoleur leur dame le pion ? Un peu des deux sans doute. "Nous sommes assis sur une bombe. Cette affaire Priore rend tous les gens fous. Comme les chercheurs jouent leur réputation, ils ne cessent de s'entre-déchirer. Dès que l'un d'eux croit avoir trouvé quelque chose, il tire aussitôt la couverture à lui", fulmine le Pr Pierre-Alain Bernard, professeur de physique à l'université Bordeaux 1. Reste que cette structure, souterraine ou pas, n'a toujours rien trouvé... De fait, la célèbre entreprise d'Angoulème participa au financement de la dernière machine que Priore fit construire, en 1975, dans son pavillon de Floirac. Objectif : expérimenter dans de bonnes conditions le fameux rayonnement sur des cancers humains, une opération à laquelle les précédents appareils se prêtaient mal. Conçus pour les rats et les souris, ceux-ci souffraient en effet d'un manque de puissance et, faute d'un rayon d'action suffisant, le corps d'un homme ne pouvait être exposé que très partiellement au cocktail d'ondes et de champs magnétiques qui sortait de la machine. Des limitations qui n'empêchaient pas l'efficacité d'être au rendez-vous : des rémissions spectaculaires de cancers du poumon en phase terminale furent obtenues par le Pr Gilbert Courty, à l'époque chef du service de pneumologie à l'hôpital Xavier Arnozan de Bordeaux. L'appareil est mis en route en février 1975. Pour rendre l'âme une semaine plus tard ! Impatient d'obtenir des résultats, Antoine Priore a trop poussé la machine et l'émetteur principal a sauté, entraînant un gigantesque flash dans la lampe à plasma. Les dégâts sont estimés à une dizaine de millions de francs et une année est jugée nécessaire pour remettre la machine en état. Fin de l'histoire ? Pas tout à fait. Car, en une semaine, la machine a démontré la formidable efficacité du rayonnement Priore. Sur la quarantaine d'expériences menées sur 280 souris infectées par le trypanosome, le parasite à l'origine de la maladie du sommeil, le taux de réussite affiche... 100 %. Pourquoi le trypanosome ? Parce que cette spécialité de Pautrizel était moins sujette à polémique que le cancer... D'ailleurs, les résultats feront l'objet d'une communication à l'Académie des sciences, présentée le 10 mars 1975 sous le titre : "Stimulation des défenses de la souris trypanosomée par l'action d'un rayonnement associant champ magnétique et ondes électromagnétiques". Les choses qui avaient si bien commencé n'iront pourtant pas plus loin. C'est que l'époque a changé. Chaban Delmas n'est plus à Matignon et, surtout, la crise pétrolière de 1974 change la donne. Leroy-Somer refuse ainsi de débourser un sou pour réparer la machine, à moins que Priore ne lui révèle son secret. Celui-ci refuse, fidèle à lui-même. Quant aux autres firmes sollicitées, toutes reculent, jugeant trop risqué de réparer une machine au fonctionnement aussi aléatoire. Si près du but, l'inventeur de Floirac voit son rêve s'éloigner. Il ne le rattrapera pas. Cinq ans plus tard, il est victime d'une crise d'hémiplégie, puis meurt subitement en 1983. CONFIRMATION D'UN GÉNIE ? Pour l'heure, les résultats de l'expérience n'ont pas été publiés. Prudent, le Dr Murzeau veut qu'elles soient d'abord confirmées... Ce qui ne l'empêche pas d'être sûr de son fait. "Il ne fait aucun doute que je viens de redécouvrir l'effet Priore", jubile-t-il. Un optimisme que tempère William Ellison, directeur de recherche au CNRS et membre du Piom : "J'admire le Dr Murzeau, mais il faut savoir raison garder. D'autres expériences seront nécessaires pour juger de l'efficacité de l'onde qu'il a trouvée. Si c'était le cas, le vice de forme que l'on reprochait, à juste titre, à Priore, tomberait de lui-même. Preuve serait alors faite que le bricoleur de Floirac était un génie. Et pas seulement du bricolage : un génie tout court." Entre erreur scientifique et vérité scientifique, ce n'est qu'une question de date, affirmait Marcel-René Rivière. On saura bientôt si l'effet Priore vérifie cette assertion. Auquel cas, la légende de l'onde mystérieuse fera encore des vagues. L'HYPOTHÉSE DES ULTRASONS Le rôle de la gigantesque ampoule à plasma pourrait éclairer d'un nouveau jour le mystère des fameuses machines Priore. De quoi relancer le débat. Tous les experts que nous avons retrouvés et rencontrés sont formels : il sortait "quelque chose" de la machine de Priore, et ce "quelque chose" réduisait ou guérissait les tumeurs. Mais nul ne veut s'exprimer sur la nature de ce qui fut vite baptisé "onde Priore". Au mieux, on nous répond que des études approfondies sont en cours. Sur quelles bases ces recherches se fondent-elles, puisque Antoine Priore a emporté son secret avec lui ? En fait, l'essentiel des données techniques dont on dispose sur son rayonnement se trouve rassemblé dans un dossier de mesure des radiations émises par le prototype P2 de Priore. Deux ingénieurs du CNRS, André-Jean Berteaud et André-Marie Bottereau, eurent pour mission d'analyser le rayonnement Priore. Ils établirent un important rapport en juin 1971 (référence CNRS : 659-0438). À noter que les ingénieurs ne se sont toutefois intéressés qu'aux rayonnements électromagnétiques issus de la machine. Dans leur analyse extrémement complète et détaillée des fréquences détectées, on retrouve bien les champs magnétiques pulsés à très basses fréquences, les basses fréquences, les hautes fréquences et les hyper-fréquences. Pourtant, rien ou presque sur l'ampoule à plasma de l'appareil. Pour eux, elle se contentait d'émettre de la lumière. La monstrueuse M 600. Pesant 50 tonnes et haute de trois étages, la dernière machine que construisit Priore en 1975 mobilisait des émetteurs de plusieurs dizaines de kilowatts, une bobine délivrant un champ de 1000 gauss et une immense lampe à plasma... qui ne résista pas à une semaine d'utilisation. (->) Ils réalisèrent néanmoins une analyse spectrographique de celle-ci pour trouver, ce qui n'a rien de surprenant, une répartition des raies correspondant au cumul des spectres du néon et du mercure. L'ampoule à plasma contenait effectivement du néon sous basse pression, ainsi qu'un bain de mercure qui assurait le contact de l'anode tournante de la machine. Des vapeurs de ce métal existaient donc au sein de l'ampoule. Dans leur esprit, le rayonnement Priore se résumait donc à une combinaison de radiofréquences et de champs magnétiques. Un cocktail certes subtil, mais parfaitement reproductible sans avoir recours à la coûteuse lampe à plasma. Pour vérifier leur théorie, les deux chercheurs proposèrent la réalisation d'un appareil simplifié, relativement peu onéreux puisque dépourvu d'ampoule à plasma, basé uniquement sur les radiofréquences et les champs magnétiques. Le projet fut accepté et l'appareil construit par le CNRS, dans le laboratoire parisien de Berteaud et Bottereau. Or, dès sa mise en service, la déception fut totale. Les chercheurs avaient réalisé un superbe four à micro-ondes. Les spécimens "traités" mouraient tous : la machine les cuisait... Le rayonnement Priore conserva donc tout son mystère. LE PLASMA SERAIT-IL INDISPENSABLE ? "En mesure physique, il faut savoir ce que l'on cherche à mesurer afin d'utiliser un détecteur adapté à cette mesure. Tout porte à penser que les ingénieurs du CNRS ont raté quelque chose parce qu'ils n'avaient pas envisagé sa présence et donc avaient omis d'employer un détecteur adapté", explique le Pr Bernard. Avec le recul des années, en réexaminant les dossiers et en analysant les indices que nous ont confiés le Dr Murzeau et le Pr Bernard, il n'est pas aberrant d'envisager que la composante essentielle du rayonnement Priore soit... des ultrasons. DES TATOUAGES POUR SIGNES DISTINCTIFS Mais comment ces ultrasons interviendraient-ils au niveau cellulaire ? Pour cela, il ne faut pas perdre de vue le champ magnétique intense que Priore associait à son ampoule. On sait, en effet, que lorsque l'on déplace un conducteur dans un champ magnétique, des tensions électriques apparaissent à ses bornes. C'est le principe de base de tous les alternateurs et autres dynamos. Il en est de même pour les cellules. Leurs vibrations, dues aux ultrasons, associées au champ magnétique créé par l'imposante bobine de la machine de Priore, provoqueraient une forte modification de leur potentiel électrique membranaire... ce qui serait le but recherché. Car il faut savoir que les cellules tumorales présentent sur leur membrane des antigènes (protéines), sorte de tatouage, qui les distingue des autres cellules. Ainsi sont-elles reconnues et détruites par le système immunitaire. Or, pour échapper à l'attaque du système immunitaire, les cellules cancéreuses disposent d'un stratagème, appelé phénomène de modulation, qui leur permet de dissimuler dans les replis de leur membrane leurs antigènes de surface", explique le Pr Wolf-Herman Fridman, immunologiste et cancérologue au Centre de recherches biomédicales des Cordeliers, à Paris. Et d'ajouter : "Un des traitements immunologiques consiste à faire réapparaître ces antigènes, avec de l'interféron, par exemple, pour que les cellules soient de nouveau une cible pour le système immunitaire." LA MEMBRANE DÉPLISSÉE DÉVOILE LES ANTIGÈNES Une hypothèse émise par le Dr Murzeau est que l'onde Priore aurait le même effet que l'interféron, mais sans ses effets secondaires et avec une plus grande efficacité. Elle déplisserait la membrane en modifiant ses charges électriques et découvrirait ainsi les antigènes des cellules cancéreuses, qui seraient alors détruites par le système immunitaire. COMME SE BRISE UNE COUPE DE CRISTAL... Pour que les cellules entrent en vibration, il faut que la fréquence des ultrasons corresponde exactement à leur fréquence de résonance. Un phénoméne comparable à celui de la chanteuse qui brise une coupe en cristal en soutenant une note précise. Pour obtenir un résultat, il fallait donc que Priore recherche et fixe cette fréquenoe par tâtonnements en jouant sur ses réglages. De même, il serait parfaitement compréhensible que chaque fréquence ne s'adresse qu'à un seul type de cellule et, par voie de conséquence, qu'à une pathologie. De fait, les dimensions des cellules cancéreuses et celles des trypanosomes diffèrent et, donc, leur fréquenoe de résonance aussi. Ces hypothèses, car il ne s'agit encore que d'hypothèses, ne sont en tout cas pas aberrantes. Aucun de nos interlocuteurs ne les a démenties. "Il faut pourtant répertorier de manière très précise l'ensemble des réactions moléculaires et ioniques qui pourraient survenir au sein du plasma avant d'échafauder une théorie complète sur la composition et l'action exactes du rayonnement de Priore", précise le Pr Bernard. C'est aussi la seule solution pour que les expériences deviennent reproductibles et soient alors scientifiquement valides", ajoute-t-il.
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