Index SCIENCES -> MÉDECINE -> ENDOCRINOLOGIE 
   
 
Dérèglement Hormonal

Puberté Précoce : l'Enfance en Dander

H.R. - SCIENCES ET AVENIR N°850 > Décembre > 2017


La Puberté n'est plus ce qu'elle était

Des petites filles qui ont des seins dès l'âge de 7 ans : le phénomène ne cesse de prendre de l'ampleur. Pour autant, les études montrent que l'âge des premières règles varie peu, dévoilant qu'il s'agit-là d'un déréglement hormonal bien particulier. Lequel ne serait pas sans conséquence : il augmenterait le risque de cancer du sein. En cause ? Deux maux bien connus : l'obésité et les perturbéteurs endocriniens...

Appelons-la Anaïs. À l'âge de 7 ans, alors que sa mère l'aidait à s'habiller, elle a remarqué quelque chose d'étrange, quelque chose qui n'aurait dû arriver que plusieurs années plus tard : Anaïs commençait à avoir de la poitrine. À l'âge de raison ! Anaïs était-elle rattrapée par cette espèce d'épidémie de "puberté précoce" dont, ces dernières années, les médias ont rapporté tant de cas ? Pas exactement. Certes, Anaïs avait de la poitrine plus que la moyenne de ses petites camarades, mais elle a eu ses règles à 12 ans, un âge cette fois, tout à fait dans la "norme".
Le déroulement classique de la puberté, tel qu'il est enseigné en faculté de médecine, prévoit que le développement des seins n'intervient pas avant 8 ans, mais précède de 2 à 3 ans l'apparition des premières règles... contre près de 5 ans dans le cas d'Anaïs. Autrement dit, si les premiers signes de sa puberté ont effectivement été avancés, celle-ci a finalement duré plus longtemps. Or, ce bouleversement dans le déroulement de la puberté concernerait de plus en plus de jeunes filles. Même si le constat n'est pas encore admis par tous, un nombre croissant de spécialistes s'inquiètent : non pour des raisons normatives, mais parce qu'une croissance précoce de la poitrine augmente sensiblement les risques de futurs cancers du sein.

UNE ÉPIDÉMlE MÉDIATIQUE ?

Tout a commencé en 1997 aux États-Unis : les travaux de Marcia Herman-Giddens (université de Caroline du Nord) font la une des journaux. Après avoir analysé des données collectées auprès de plus de 17.000 petites Américaines, la chercheuse a découvert avec stupéfaction qu'à l'âge de 7 ans, près de 7 % des petites filles blanches avaient déjà de la poitrine et/ou des poils pubiens. Une proportion qui dépasse les 27 % chez certaines populations (souvent pauvres et noires). "Autrement dit, chez celles-ci, plus d'un quart des petites filles ont déjà entamé leur puberté à 7 ans, souligne la chercheuse. Au moins un an avant l'âge considéré comme normal".
La machine médiatique s'emballe. Un peu partout dans le monde, on se focalise sur des cas extraordinaires de puberté précoce, c'est-à-dire de jeunes filles entièrement formées ayant leurs règles à un âge très précoce. Les rares études effectuées indiquent pourtant que ces cas sont très exceptionnels. Ainsi, au Danemark, Grete Teilmann et Anders Juul (université de Copenhague) ont mené l'une des seules études épidémiologiques au monde basées sur des registres nationaux. Entre 1993 et 2001, ils n'ont pas recensé plus de 70 cas de puberté précoce par an (soit 0,2 % des petites Danoises et moins de 0,05 % des petits Danois). Jean-Claude Carel, du service d'endocrinologie pédiatrique à l'hôpital Robert-Debré, à Paris, parle "d'épidémie médiatique" : "Dans ma pratique de clinicien, je n'ai pas constaté d'épidémie de puberté précoce. Et si leur nombre paraît augmenter, c'est surtout parce que l'on a tendance à confondre la vraie puberté précoce avec un phénomène nouveau qui, lui, s'accroît : l'arrivée précoce des premiers signes pubertaires, c'est-à-dire la poussée des seins". Ainsi, alors que la crainte des pubertés dites précoces occupait tous les médias, le phénomène de puberté "allongée" était, lui, passé sous silence... Mais les choses bougent, notamment grâce aux travaux de Jean-Pierre Bourguignon.

DEUX SIÈCLES D'ÉVOLUTION

Ce pédiatre endocrinologue au CHU de Liège (Belgique) est l'un des spécialistes mondiaux du sujet. "Si on regarde les choses plus globalement, on se rend compte que c'est tout le timing de la puberté qui est en réalité modifié, affirme-t-il. L'âge moyen de développement mammaire survient plus tôt, mais la même tendance n'est pas observée pour les règles". Quant aux cycles ovulatoires, c'est-à-dire le moment où la jeune fille a des cycles fertiles, ils semblent paradoxalement apparaître de plus en plus tard. En 2002, le suivi de plusieurs cohortes de femmes a ainsi montré que plus de 20 % d'entre elles, nées dans les années 1946-1950, avaient des cycles réguliers cinq ans après leurs premières règles, contre moins de 10 % chez celles nées entre 1925 et 1930. Même s'il est de dire si cette tendance s'est confirmée par la suite en raison de l'utilisation de la contraception hormonale, il est probable que ce soit le cas.
Dans les faits, ce bouleversement s'est produit en deux temps. D'abord un abaissement généralisé de moyen de la puberté entre le milieu du XIXè siècle et le milieu du XXè. Ainsi, en un siècle, l'âge moyen de la ménarche (les premières règles) chez les Européennes du Nord est passé de 16-17 ans à environ 13 ans. Curieusement, depuis les années 1950, ce seuil s'est ensuite stabilisé dans la plupart des pays occidentaux. En revanche, l'âge moyen auquel les petites filles commencent à avoir de la poitrine a, lui, continué de baisser. Aux États-Unis, l'étude de Marcia Herman-Giddens montre qu'en 1997 cet âge moyen était légèrement en dessous de 10 ans, contre 11 ans au début des années 1970. Entre 1991 et 2006, des études danoises ont également révélé un même avancement de plus d'un an, alors que, dans le même temps, des premières règles ne perdait que 4 mois environ.

LA PUBERTÉ, UNE HISTOIRE FAMILIALE
De nombreuses études épidémiologiques le suggèrent : le déroulement de la puberté est aussi influencé par le contexte psychosocial
. Stress, faibles revenus, conflits familiaux et absence du père biologique sont ainsi associés à une avance de la puberté. Une étude menée en 2005 aux États-Unis a ainsi montré que les fillettes grandissant dans un foyer sans père ont deux fois plus de chance d'être réglées avant 12 ans que celles dont le père est présent. Les mécanismes physiologiques impliqués sont encore inconnus, mais une hypothèse existe : celle qu'ils résulteraient d'un processus évolutif d'évitement de la consanguinité.

DES PISTES QUI SE CONFIRMENT

Pour expliquer les premières modifications au cours du XIXè siècle, il suffit d'invoquer l'amélioration des conditions socio-économiques, et plus particulièrement celle du régime alimentaire. Pour preuve : dans les pays pauvres ou en voie de développement, les jeunes filles issues de milieux aisés ont leurs règles à peu près au même âge que dans les pays occidentaux. Mais leurs compatriotes issues de milieux défavorisés, souvent victimes de carences alimentaires, les ont elles, plus d'un an après. En cause, les tissus adipeux qui transforment les hormones androgènes en ostrogènes et sécrètent également de la leptine. La leptine est une hormone qui agit comme un facteur permissif de la puberté : en son absence (chez des souris génétiquement modifiées on chez les rares patients déficients), la maturation sexuelle ne se fait pas. On sait même depuis peu que le taux de leptine et le taux de masse grasse sont fortement corrélés : chaque augmentation de 1 ng/ml de leptine serait même associée à un déclin de l'âge des premières règles d'un mois. Ainsi donc, pour certains scientifiques, les bouleversements récents de la puberté seraient le résultat de l'épidémie d'obésité qui frappe les pays occidentaux depuis plusieurs dizaines d'années. Ce qui expliquerait pourquoi le phénomène touche, aux États-Unis, davantage les enfants pauvres et noirs, plus exposés au surpoids.
Pourtant, cette explication ne suffit pas. Car il existe des exceptions troublantes. Comme ces jeunes Américaines d'origine hispanique, elles aussi bien plus souvent touchées par l'obésité que les Américaines d'origine caucasienne, mais qui ne souffrent pourtant pas plus souvent de signes de puberté avancée. Mettant donc a mal le lien direct entre masse adipeuse et puberté. Mais plus généralement, comment expliquer une action sur les tissus mammaires quand les tissus ovariens semblent épalgnés ? C'est la qu'intervient l'épouvantail auquel tout le monde pense dès qu'il s'agit d'hormones : les fameux perturbateurs endocriniens. Pesticides, phtalates, bisphénol A, PCB, parabens... Ces substances chimiques ont envahi notre quotidien, depuis le biberon et l'emballage alimentaire jusqu'à nos meubles et nos jouets... Or, nombre d'entre elles sont connues pour mimer l'action des ostrogènes, ces hormones femelles déterminantes dans le déclenchement de la puberté.

UN VRAI RISQUE SANITAIRE

Pis, des études ont montré, chez l'animal, que les perturbateurs endocriniens pouvaient entrainer un développement mammaire prématuré, voire pré-cancéreux. Par quel mécanisme biologique ? "La croissance des tissus mammaines est stimulée par les ostrogènes, et donc par les substances capables de mimer leur action", explique Jean-Pierre Bourguignon. Avant de préciser : "Si les ostrogènes semblent avoir peu d'effets sur l'apparition des règles, c'est parce que celles-ci relèvent d'un mécanisme physiologique plus complexe. Alors que les tissus mammaires sont soumis à l'influence unique des hormones produites par les organes sexuels, les cycles ovariens sont régulés par le système nerveux, plus précisément par l'axe hypothalamo-hypophysaire". Résultat : la maturation des seins serait donc plus facilement perturbable par l'environnement que celle des cycles ovariens.
Autre explication possible : les perturbateurs endocriniens auraient des effets différents selon les tissus : "Une même substance pourrait avoir un effet stimulant sur les tissus mammaires et inhibiteur sur l'hypophyse, et donc sur le cycle ovarien", propose jean-Pierre Bourguignon. En janvier 2013, une étude américaine a même permis de faire le lien entre ces perturbateurs et les phénomènes épigénétiques, des processus qui influencent l'expression des gènes sans altérer le code génétique. Des chercheurs de l'université de l'Oregon (États-Unis) ont montré que certaines substances, chez le rat, peuvent inhiber ou activer le fonctionnement du gène Kiss1, considéré comme l'un des maitres de la chronologie de la puberté.
Qu'en est-il chez l'homme ? "Alors que des effets concrets ont été démontrés chez l'animal, ils sont encore discutés chez l'homme en raison du trop petit nombre d'études", note Gérard Lasfargues, directeur scientifique de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), qui a rendu en mars dernier un rapport sur le bisphénol A. Parmi les rares études menées sur l'homme, celle réalisée à Porto Rico est assez parlante, même si elle n'implique qu'un petit nombre de jeunes filles. Dans ce pays où la proportion de jeunes filles touohées par le développement précoce de la poitrine est la plus élevée au monde, l'équipe d'Osvaldo Rosario, chimiste à l'université de Porto Rico, a montré que 68 % des petites filles concernées avaient dans leur sang des traces de phtalates. Tandis que chez les petites filles "normales" qui servent de contrôles, seule 1 sur 35 montrait un taux élevé de ces substances. Autre exemple, au Danemark : l'exposition fotale de petites filles, nées de mères ayant travaillé dans des serres inondées d'un cocktail d'une centaine de pesticides, a été corrélée en 2012 à un avancement de près d'un an et demi de l'âge d'apparition des seins.
Mais il y a pire : l'action de l'obésité et celle des perturbateurs endocriniens pourraient s'additionner ! D'abord parce que les tissus adipeux ont davantage tendance à stocker les substances toxiques : une sorte de double peine pour les petites filles en surpoids, qui subiraient une plus forte concentration de perturbateurs endocriniens dans leur organisme riche en tissus adipeux. Ensuite parce que, comme le souligne Jean-Pierre Bourguignon, "les perturbateurs endocriniens sont eux-mêmes soupçonnés de favoriser l'obésité". En effet, le tissu adipeux est aussi un "organe" placé sous le contrôle de nombreuses hormones, comme l'insuline bien sûr, mais aussi des hormones du stress. Et c'est en modifiant les différents mécanismes de régulation du métabolisme contrôlés par ces hormones que les perturbateurs endocriniens augmenteraient notre propension au surpoids. Ainsi, victimes d'un effet boule de neige catastrophique, les nouvelles générations connaîtraient une puberté différente de celle de leurs mères. Et affronteraient un risque accru de cancer, comme l'a montré en novembre 2012, l'analyse des données réunies sur 118.000 femmes occidentales : chaque année d'exposition supplémentaire aux hormones féminines induit une augmentation de 5 % du risque. L'inquiétude est donc légitime. Mais le constat est encore trop récent pour que la science puisse apporter des réponses satisfaisantes. Jusqu'où cette puberté peut-elle encore être perturbée et avec quelles conséquences ? Mystère. D'autant qu'en France, les autorités sanitaires accusent un train de retard. Si, au début de l'année, l'Institut national de veille sanitaire a bien lancé une vaste étude auprès des jeunes Françaises, et si les scientifiques se penchent sur les cas de puberté précoce... Il n'en va pas encore de même pour la puberté allongée.

ET CHEZ LES GARÇONS ?
Chez les garçons, la puberté démarre avec l'augmentation du volume testiculaire. Elle est considérée comme précoce quand ce premier signe apparaît avant 9 ans et demi
. Si l'incidence de la puberté précoce n'a été que peu chiffrée, chez les garçons encore moins que chez les filles, les spécialistes s'accordent à dire qu'elle est dix fois moins fréquente chez les premiers. Surtout, dans 50 % des cas (contre seulement 10 % chez les filles), une lésion de la région hypothalamo-hypophysaire (tumeur, traumatisme crânien...) a été identifiée comme la cause de la puberté précoce. Sans parler de ce phénomène rare, la puberté des garçons a-t-elle, comme celle des filles, connu des modifications ? Oui, semblait dire fin 2012 Marcia Herman-Giddens. Son étude menée sur plus de 4000 petits Américains montrait que la puberté a avancé de 6 mois à 2 ans par rapport aux années 1970. Sceptique, Jean-Claude Carel (hôpital Robert-Debré) souligne "la piètre qualité des normes précédemment établies et la difficulté des études chez les garçons, l'augmentation du volume testiculaire n'étant pas un signe qu'on repère facilement en dehors d'un examen orienté". Néanmoins, si avance il y a, l'obésité et les perturbateurs endocriniens sont-ils aussi responsables ? "Le lien entre obésité et puberté n'est pas aussi clair chez les garçons : il y a peu d'études et leurs résultats sont contradictoires", note Marcia Herman-Giddens. Ainsi, quand, en 2002, Youfa Wang (université de l'Illinois, États-Unis) relève un retard de puberté chez les garçons obèses, une étude danoise constate en 2007 chez 500 choristes que les plus corpulents sont les premiers à muer. Quant aux perturbateurs endocriniens, "à cause de leurs effets ostrogéniques ou anti-androgéniques, ils devraient au contraire retarder l'âge de la puberté chez les garçons", remarque Charles Sultan, pédiatre endocrinologue au CHU de Montpellier. En revanche, leur implication dans la forte augmentation des malformations de l'appareil génital masculin et la baisse de la fertilité masculine semble de plus en plus certaine.

C.H. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2013

 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net