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Quand la Pollution Dérègle nos Hormones

La Pollution Altère le Cycle Menstruel

C.G. - SCIENCES ET AVENIR N°876 > Février > 2020

Consommer, c'est s'Empoisonner ?

Automobiles, produits alimentaires, cosmétiques... bon nombre de produits de consommation courante nous exposent à des substances chimiques potentiellement toxiques. Les risques pourraient être d'ordre individuel, mais nous sommes aussi face à des enjeux sanitaires majeurs. L'absence de preuves irréfutables ne doit pas entraver l'action.

En France, l'espérance de vie a augmenté de plus de 20 ans depuis 1946, atteignant aujourd'hui plus de 78 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes, selon les données de l'Insee. Le développement de la chimie, avec l'émergence des vaccins et des antibiotiques en particulier, a contribué à l'allongement de la durée de la vie, en faisant reculer les maladies infectieuses et en révolutionnant l'agriculture et l'industrie alimentaire. "En toxicologie, on considère généralement que l'apport de la chimie en alimentation a été un grand bien, car cela a permis d'éliminer un certain nombre de contaminants biologiques, rapporte Alain-Claude Roudot, du laboratoire d'évaluation du risque chimique pour le consommateur, à l'Université de Bretagne occidentale à Brest. Mais aujourd'hui, dans l'alimentaire, la chimie ne sert plus uniquement la protiection sanitaire". Et le chercheur de critiquer, pêle-mêle, "la chimie ajoutée pour améliorer les rendements agronomiques, les 25 traitements chimiques dont on peut retrouver la trace sur une pomme, ou encore la multitude de composés chimiques présent dans une boîte de conserve". Plus personne ne nie le fait que certaines substances de synthèse aux mille et un usages soient potentiellement à risque. C'est pourquoi leur utilisation est réglementée de façon à ce que l'exposition ne dépasse pas un certain seuil. Reste à savoir si la situation est vraiment sous contrôle. "Nous sommes exposés à des doses relativement failes. Mais en même temps, on observe de plus en plus d'effets à faibles doses", rapporte Robert Bamuki, qui dirige une unité Inserm de toxicologie et pharmacologie à l'Université Paris-Descartes à Paris. "Je considère que la chimie actuelle nous empoisonne lentement, mais sûrement. Il y a un risque au niveau individuel", juge pour sa part Alain-Claude Roudot.

LA CHIMIE POINTÉE DU DOIGT

André Cicolella, le président du Réseau environnement santé (RES), va encore plus loin. Lui considère que notre environnement serait le principal responsable de l'explosion des maladies chroniques actuelles (cancers, diabète, maladies cardio-vasculaires et respiratoires...). Le chimiste et toxicologue défend cette thèse dans son dernier ouvrage Toxique planète (éditions du Seuil). Il incrimine l'environnement au sens large. Outre la pollution chimique généralisée, il pointe 4 autres axes : "La nourriture ultratransformée et dépendante de l'agriculture productiviste basée sur les pesticides et les engrais de synthèse qui génèrent une alimentation malsaine, la ville avec la pollution urbaine, le travail et les inégalités sociales". Sa démarche présente l'avantage d'intégrer différents facteurs de risque, qui sont trop souvent traités indépendamment les uns des autres. Par ailleurs, on sait que des produits de consommation courante contiennent ou émettent des molécules responsables de pathologies graves, puisqu'il existe des précédents. On pourra citer l'exemple de la fibre d'amiante, incorporée dans les bâtiments, qui provoque des cancers du poumon 20 à 40 ans après l'exposition, ou encore des gaz d'échappement des moteurs diésel qui viennent d'être classés "cancérogènes pour l'homme" par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). De là a considérer, comme André Cicolella, que c'est notre environnement, même pris au sens large, qui engendre les affections de longue durée les plus graves et que le vieillissement de la population ou le patrimoine génétique de chacun, ne seraient que des facteurs secondaires, il y a un pas que l'on hésite à franchir.
Car, à ce jour, les processus qui mènent à ces pathologies ne sont pas totalement élucidés. Les causes sont vraisemblablement multifactorielles, même si des indices de plus en plus concordants suggèrent que la part environnementale pourrait être plus importante que ce que l'on a longtemps envisagé. Prenons l'exemple du cancer du sein. Certains gènes qui augmentent le risque sont désormais bien identifiés. Le fait d'être une femme, l'âge, le tabagisrne, mais aussi l'exposition à des hormones et d'autres facteurs peuvent aussi influencer sur la probabilité de contracter cette maladie. Pour prévenir au mieux les maladies chroniques, il est important de ne négliger aucun facteur de risque. D'autant que le doute nourrit le progrés scientifique, martèle Robert Barouki. "Les perturbateurs endocriniens (des molécules susceptibles d'interagir sur le métabolisme de l'organisme), notamment, sont soupçonnés d'effets qui seraient différés sur le très long terme, il faudrait faire des cohortes longitudinales, c'est-à-dire, suivre une population pendant 20 ou 30 ans pour avoir des preuves irréfutables chez l'Homme. On ne peut pas attendre d'avoir des certitudes pour agir", plaide le toxicologue.

CONVAINCRE DE PRODUIRE AUTREMENT

Le bisphénol A, qui sera interdit dans tous les conditionnements à usage alimentaire au 1er janvier 2015, est un cas d'école. Son exemple démontre que les pouvoirs publics peuvent agir à partir d'un certain niveau de preuve chez l'animal et de fortes présomptions chez l'homme. Pour toutes les autres substances à risque sérieux, il reste à convaincre les industriels de produire autrement. Au besoin, cela s'opérera sous la contrainte de l'Etat, comme pour le bisphénol A. La pression du grand public peut également porter ses fruits. On l'a constaté pour les parabènes, qui tendent à disparaitre des formulations de cosmétiques depuis qu'ils sont décriés. Les industriels peuvent aussi considérer que produire autrement est un formidable défi technologique, avec de réels débouchés économiques à la clé. Car il ne s'agit pas de renoncer aux avancées de la chimie, mais de les mettre à profit en considérant, que le volet sécurité doit être prioritaire.

VICTOIRE N'SONDE - 60 MILLIONS DE CONSOMMATEURS N°491 > Mars > 2014


32,2 % de Spermatozoïdes Perdus en 17 Ans

C'est la proportion de spermatozoïdes perdus sur une période de 17 ans, soit une diminution de près de 2 % chaque années.

À 35 ans, un Français est en moyenne passé de 73,6 millions de spermatozoïdes par millilitre en 1989 à 49,9 millions en 2005. Si la limite d'infertilité (15 millions) n'est pas atteinte, les spermatozoïdes sont en outre moins bien formés.

E.D. - SCIENCE & VIE > Février > 2013

Des Polluants en Accusation dans les cas de Puberté Précoce

Les produits chimiques environnementaux sont suspectés de provoquer des perturbations hormonales chez les fillettes.

La puberté des jeunes filles pourrait être accélérée lorsqu'elles sont très exposées aux phtalates, des molécules chimiques présentes dans des médicaments, des matières plastiques ou des cosmétiques. Une équipe de chercheurs américains a retrouvé phtalates, phénols et phytocestrogènes, suspectés de provoquer des perturbations hormonales, dans les échantillons d'urine des 1150 fillettes âgées de 6 à 9 ans incluses dans l'étude. Or, les cas de puberté précoce - développement des seins et de la pilosité pubienne - étaient associés à des concentrations élevées de certains phtalates. Depuis plusieurs décennies, le corps médical constate une puberté qui se manifeste de plus en plus tôt et s'en inquiète, compte tenu du sur-risque associé de cancer du sein. Mais la plupart des experts estiment qu'il n'y aurait pas une, mais plutôt des causes à cette précocité. L'alimentation riche en graisses, l'obésité ou encore la sédentarité seraient autant de facteurs importants.

M.L. - SCIENCE & VIE > Juin > 2010

Pollution Chimique : ce qui Dérègle nos Hormones

Chute de la fertilité, cancers... les pathologies touchant notre système reproducteur ne cessent de croître. Face à ce péril, les scientifiques pointent du doigt la pollution chimique, via une multitude de produits peuplant notre quotidien. Reste à le prouver... En attendant, doit-on imposer un principe de précaution ? Enquête.

L'appareil reproducteur humain est-il en train de devenir fou ? Les indices le suggérant sont en tout cas de plus en plus nombreux, qui s'allument comme autant de signaux d'alarme. Du côté masculin, la qualité du sperme, par exemple, est en chute libre dans les pays développés, notamment en Europe du Nord, depuis un demi-siècle. Alors que l'on trouvait plus de 150 millions de spermatozoïdes dans un millilitre de sperme en 1950, nous ensommes aujourd'hui à environ 60, voire 40 dans certaines régions de l'Allemagne récemment étudiées. Autant dire que l'on se rapproche dangereusement du seuil de 20 millions à partir duquel le recours à la fécondation in vitro devient nécessaire... Du reste, 7 % des nouveau-nés sont d'ores et déjà issus de fécondations artificielles au Danemark, épicentre de cette épidémie... En parallèle, l'incidence du cancer du testicule a en moyenne doublé en Europe au cours des trois dernières décennies. Sans parler des malformations génitales masculines qui sont en augmentation régulière.
Côté féminin, la situation n'est guère plus brillante. Non seulement le cancer du sein atteint désormais des sommets, puisqu'il frappe une femme sur huit dans un pays comme la France, mais son incidence semble continuer à augmenter. Et tandis que les autres cancers de l'appareil reproducteur (ovaires, endomètre) sont eux aussi à la hausse, une notable précocité de la puberté est en train de s'installer : selon une étude américaine parue l'an dernier, l'âge moyen des premières règles a reculé de plusieurs mois en quarante ans et, surtout, la pousse des seins démarre entre un et deux ans plus tôt. Ce qui accroît le risque de diverses pathologies de l'appareil reproducteur.

C'est donc un fait aussi établi qu'inquiétant : quelque chose sème le chaos dans notre système reproducteur. Une "main invisible" qui, première certitude, n'est pas celle de la génétique. Parce que tous ces dérèglements se sont produits en l'espace de deux ou trois générations, ce qui est bien trop court pour une dérive aussi radicale. Par ailleurs, les études épidémiologiques des populations migrantes sont formelles : les immigrés - à quelques exceptions près - se mettent en très peu de temps à présenter les pathologies de leur pays d'accueil. Autrement dit, les causes sont à chercher dans le mode de vie et dans l'environnement.
Mais encore ? Eh bien, s'il n'y a pas d'absolues certitudes, il existe "une suspicion extraordinairement forte", selon les termes du docteur Annie Sasco, épidémiologiste à l'Inserm, que le responsable de tous ces troubles soit la pollution chimique. Car celle-ci déréglerait nos hormones. Les hormones ? Dans le langage commun, le mot évoque surtout des athlètes à la musculature suspecte, les troubles de la ménopause, voire certains comportements agressifs. Comme si elles étaient un élément marginal de notre physiologie. Erreur ! Les hormones sont en réalité une vaste famille de substances par lesquelles un grand nombre d'organes et de cellules se synchronisent et se "parlent".

COMMUNICATION HORMONALE BROUILLÉE

Le système hormonal (on dit aussi endocrinien) est, avec le système nerveux, un des deux mécanismes de communication de l'organisme - une communication qui semble désormais brouillée par les milliers de produits chimiques apparus dans notre environnement au cours des cinquante dernières années. Depuis les plastiques jusqu'aux pesticides et autres molécules avec lesquelles nous sommes, d'une façon ou d'une autre, en contact.
Brouillée comment ? Tout simplement par la ressemblance entre les composés chimiques créés par l'homme et les hormones. Pour comprendre, on peut comparer les hormones à des clés, dont le rôle est de déverrouiller des serrures situées dans nos cellules. Une fois la "serrure" ouverte, la cellule effectue une action particulière : elle grandit, meurt, se contracte, sécrète, entre en sommeil, etc. Or, ces "serrures" - de leur vrai nom des récepteurs - semblent être insuffisamment sélectives : depuis une vingtaine d'années, on découvre que de nombreuses "clés" qui ne leur sont pas destinées parviennent à s'y introduire, les ouvrant ou les bloquant, selon les cas.
C'est au niveau des troubles de la reproduction masculine que les preuves incriminant la perturbation endocrinienne sont le plus incontestables. Avec, notamment, la publication en septembre 2008 d'une première mondiale, signée d'une équipe mixte de l'université Paris-VII, du CEA et de l'Inserm. Le groupe de Virginie Rouiller-Fabre, dirigé par le professeur René Habert, a développé un système original de culture de testicules fotaux humains qui reproduit dans une boîte de culture le développement normal. Ils ont ainsi exposé pendant trois jours seulement des testicules fotaux humains à un phtalate, un plastifiant largement produit par l'industrie et désormais omniprésent dans le sang humain (mort de 42 % des cellules germinales). Certains composés des objets en plastique se retrouvent dans le sang de leurs utilisateurs...

LES CELLULES SONT PERTURBÉES DÈS LA VIE FOTALE

Résultat : la mort de 42 % des cellules germinales, c'est-à-dire les cellules qui donneront plus tard les spermatozoïdes. "Nos résultats, indique René Habert, démontrent expérimentalement pour la première fois que l'un des très nombreux perturbateurs endocriniens incriminés dans les troubles de la reproduction masculine est effectivement délétère pour cette fonction dans l'espèce humaine". De fait, l'un des problèmes récurrents de la perturbation endocrinienne est que l'on ne peut évidemment pas expérimenter in vivo chez l'humain. Il faut donc recourir à des modèles animaux... ce qui ouvre ensuite la porte à la contestation de la validité des résultats pour l'homme. "Avec notre système de culture de testicules fotaux humains, nous avons maintenant un outil qui est d'autant plus pertinent que c'est pendant le développement fotal que le testicule est le plus sensible aux agressions de l'environnement", ajoute le professeur Habert.
Mais quel serait le lien entre la baisse de la production en spermatozoïdes, les cancers du testicule et les anomalies génitales masculines ? Selon le professeur danois Niels Skakkebaek, il s'agirait en réalité d'une même pathologie, baptisée TDS (Testicular Disgenesy Syndrome). Son mécanisme ? "Très tôt dans la vie d'un fotus sain, le testicule commence à produire des hormones androgènes (masculines), qui vont piloter la construction du Pénis et la maturation des cellules fotales. Si ces hormones sont en quantité insuffisante, ou sont contrecarrées par d'autres molécules, le pénis tend à être inachevé, et le testicule adulte fonctionnera mal." À l'appui de cette explication, Niels Skakkebaek note qu'il existe des maladies génétiques rares qui empêchent le développement du testicule, donc la production d'androgènes, et induisant chez les patients des organes reproducteurs intersexués, voire morphologiquement féminins. René Habert complète l'explication pour le cancer : "Il semblerait que le cancer testiculaire, qui est maintenant le cancer le plus fréquent chez l'homme jeune, provient de cellules germinales dont l'évolution a été perturbée pendant la vie fotale. Les conséquences sont très tardives, car c'est après la puberté que ces cellules fotales dérégulées ont tendance à proliférer, provoquant l'apparition du cancer".

LEURS EFFETS S'ADDITIONNENT OU SE MULTIPLIENT

Le fait que les troubles se manifestent des décennies après la contamination responsable (cancer chez l'adulte à la suite d'une exposition fotale, par exemple) fait de l'étude des perturbateurs endocriniens un véritable casse-tête. En effet, au cours de ces décennies, l'individu a absorbé d'innombrables substances. Pollution urbaine, intérieure, cigarette, alcool, pesticides... pour ne rien dire des différents rayonnements ! Il y a dans tout cela des milliers d'agents potentiellement dangereux. Ce qui signifie que démontrer la responsabilité d'une substance donnée dans un tel capharnaüm n'est pas une mince affaire. Sans compter que deux autres spécificités des hormones compliquent la tâche des chercheurs.
Tout d'abord, explique Alfred Spira, directeur de l'Institut de recherche en santé publique (IRSP), "ces produits ont parfois des effets seulement lors de "fenêtres temporelles étroites". Le même composé, à la même concentration, peut semer le chaos s'il est administré durant la vie fotale ou à la puberté, mais s'avérer sans effet le reste du temps. En second lieu, et c'est sans doute ici le plus grand casse-tête posé par la perturbation endocrinienne, il existe un effet "mélange". Certains produits présentent des synergies avec d'autres, et leurs effets s'additionnent ou se multiplient ! Ainsi, diverses études ont montré qu'en mélangeant plusieurs composés à des concentrations où aucun d'entre eux n'a d'effet, on obtient une mixture puissamment féminisante ! Pour être rigoureux, il ne faudrait donc pas tester les produits un par un, mais de façon combinée. Or, dans la vie réelle, le nombre de ces combinaisons est quasi infini : en 2004, le WWF a financé la recherche de cent composés toxiques dans le sang de parlementaires européens volontaires. Résultat ? En moyenne, 41 produits ont été trouvés dans chaque sujet à des concentrations détectables. "C'est pourquoi, résume le professeur Alfred Spira, alors qu'il y a des présomptions fortes et concordantes pour le cancer du testicule, par exemple, il y a encore débat sur l'importance du rôle de la perturbation endocrinienne sur le cancer du sein ou d'autres troubles de la reproduction féminine."
Reste que l'accroissement du risque de cancer du sein lié aux ostrogènes synthétiques tels que certains traitements hormonaux de substitution est désormais très généralement admis. De même, par exemple, qu'une association entre cancer du sein et l'exposition à certains pesticides. "Il en résulte, note Andreas Kortenkamp, un des spécialistes européens de la perturbation endocrinienne, que l'on ne peut que s'inquiéter du rôle de l'ensemble des produits chimiques et des pesticides présentant une activité hormonale." Une étude menée l'année dernière par l'université de Grenade confirme cette inquiétude : les chercheurs espagnols ont étudié divers échantillons tissulaires de femmes atteintes de cancer du sein, et ont trouvé que leur charge ostrogénique totale (c'est-à-dire la somme des composés "féminisants" qu'ils contenaient) était bien supérieure à celle de la population générale. "La puberté précoce contribue également à la multiplication des cancers du sein, car elle rend le corps féminin sensible beaucoup plus tôt à l'activité des composés à effet ostrogène de l'environnement, notamment les pesticides et les plastifiants", note Annie Sasco.
L'inquiétude est si grande dans la communauté scientifique que quelque 200 chercheurs et professeurs issus d'institutions aussi réputées que Cambridge, Berkeley ou l'Inserm français ont signé en 2006 une "Déclaration de Prague sur la perturbation endocrinienne", appellant les autorités à commencer dès à présent à reduire l'exposition aux produits chimiques de la population générale.

APPLIQUER LE PRINCIPE DE PRÉCAUTION

Alfred Spira, par ailleurs organisateur d'un colloque intitulé "Environnement chimique, reproduction et développement de l'enfant", programmé en novembre 2008 à Paris en présence des ministres français de la Santé et de l'Ecologie, préconise lui aussi "une saine application du principe de précaution", qui commencerait par s'efforcer dès à présent de substituer les produits les plus suspects. Pour lui, le règlement européen Reach, en vigueur depuis un an, qui impose aux industriels d'apporter la preuve de l'innocuité des produits qu'ils mettent sur le marché, "est un premier pas dans la bonne direction". Mais il estime - comme la plupart des spécialistes du problème - que c'est un texte de compromis qu'il importe de renforcer et de faire évoluer.
Ce qui est sûr, c'est qu'il n'est pas facile de dresser une liste fiable de produits dangereux. D'autant que de leur côté, les industriels se battent pied à pied pour défendre leurs composés, attaquant la moindre faille des études à charge et, surtout, la moindre généralisation hâtive d'un résultat partiel. Ils font notamment valoir qu'une démonstration sur un rongeur ou une culture cellulaire ne prouve pas un effet sur l'homme ; de même, ils soulignent que trouver des effets hormonaux à une substance ne démontre pas qu'elle est nocive : tout dépend de la durée et de l'ampleur de l'exposition dans la vie réelle...

UN NOUVEAU SCANDALE SANITAIRE ?

Il n'empêche, un certain nombre de composés sont d'ores et déjà sur la sellette : les études attestant des effets délétères des phtalates se multiplient, par exemple. Ou du bisphénol A, lui aussi courant dans les plastiques et même dans certains biberons.
Et puis, il ya certains pesticides, les PCB, les dioxines... Toutefois, se focaliser sur une poignée de composés emblématiques serait trompeur : le problème de la perturbation endocrinienne concerne potentiellement des centaines de substances et il ne peut donc être traité que globalement. "La solution, estime Alfred Spira, consisterait à concevoir des modèles moléculaires qui permettraient de tester in vitro les effets de tel ou tel produit sortant des laboratoires. Mais pour cela il nous faut connaître beaucoup mieux les mécanismes à l'ouvre, et nous n'en sommes qu'au tout début."
Quoi qu'il en soit, malgré de multiples programmes de recherche et une relative mobilisation des autorités, en Europe comme aux États-Unis et au Japon, tout indique que les preuves formelles risquent d'être longues à venir... tandis qu'autour de nous les contaminants s'accumulent de plus en plus vite. Le scénario parfait pour un nouveau scandale sanitaire ! Pour éviter que le piège ne se referme, agir rapidement en assumant les lacunes de nos connaissances semble bien être la seule voie.

DE LOURDS IMPACTS SUR L'ENVIRONNEMENT
C'est via ses effets sur l'environnement que le mécanisme de la perturbation endocrinienne a été découvert.La quasi disparition de certains oiseaux, en particulier des rapaces, situés en sommet de chaîne alimentaire, et concentrant donc les toxines, a joué un rôle de signal d'alarme : incapables de se reproduire à la suite d'une exposition aux pesticides (DDT...), ils ont contribués à faire émerger la problématique des polluants hormonaux. Depuis, la faune sauvage est souvent considérée comme une sentinelle, permettant de détecter les dangers.
Et la sentinelle est mal en point. Les milieux aquatiques, qui collectent de fait les résidus des activités humaines, sontparticulièrement touchés. Selon Jorg Oehlmann, écotoxicologue à l'université se Francfort, quelque 25 % des espèces qui y vivent sont affectés de troubles hormrnaux. On trouve beaucoup de cas de feminisation des mâles - avec présence d'ovules dans les testicules - aussi bien chez les poissons que chez les amphibiens. Une chercheuse Canadienne, Karen Kidd, a travaillé plusieurs années sur un petit lac dans lequelle elle a introduit des ostrogènes jusqu'à atteindre la concentration couramment obtenue en sortie de station d'épuration. Cela a suffi à porter au bord de l'extinction la population de vairons. "Mais les milieux naturels ne sont pas que des indicateurs pour la santé humaine, souligne Jorg. Ils ont aussi une valeur en soi et nous avons le devoir de les protéger". Le chercheur précise que les stations d'épuration actuelles sont inadaptées à l'élimination de ces composés. Une élimination techniquement possible, mais qui coûterait quelques centaines d'euros par mètre cube.

Yves Sciama - SCIENCE & VIE > Décembre > 2008

 

   
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