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Neurotoxicité des Nanoparticules (Cerveau)

Les Nanoparticules nuisent-elles au Cerveau ?

Nous sommes de plus en plus exposés à des particules nanométriques produites par l'industrie. Or des expériences sur des animaux suggèrent que de telles nanoparticules risquent d'atteindre le cerveau et de lui être nocives.

La production mondiale de nanomatériaux - des matériaux comprenant des particules de taille nanométrique (10-9 mètre), ou nanoparticules - a été multipliée par 10 entre 2002 et 2011. En à peine une décennie, les nanomatériaux sont passés de la recherche à la commercialisation. Les propriétés obtenues sont variées : transparence, légèreté, résistance, durabilité. Dès lors, ils sont intégrés dans de nombreux produits, issus de presque tous les secteurs. On trouve par exemple des nanoparticules dans les composants électroniques des téléphones portables, les bétons, les peintures, les emballages, les catalyseurs, les agents dépolluants, les pales d'éoliennes, certaines boissons... Ces nanoparticules peuvent être libres dans des poudres, en suspension dans unfluide (par exemple dans une sauce, une crème ou une peinture), ou piégées dans une matrice (de plastique, de verre, de béton, etc.). Les nanomatériaux peuvent aider à répondre à de grands enjeux sociétaux, tels que la transition énergétique, et alimentent une industrie florissante, pourvoyeuse d'emplois. Cependant, ils sont soupçonnés de nuire à la santé, notamment au niveau cérébral ! En s'appuyant sur les publications scientifiques cumulées depuis une dizaine d'années, il est aujourd'hui possible de faire un premier état des lieux sur la neurotoxicité potentielle des nanomatériaux.
Les nanomatériaux ne sont pas toujours faciles à tracer, mais il y a eu des progrès récents (encadré ->). En France, depuis le 1er janvier 2013, les industriels sont obligés de déclarer leur présence dans les produits. Ces données facilitent l'inventaire des nanoparticules introduites sur le territoire national, même si elles comportent des faiblesses. En outre, en Europe, la présence de nanoparticules doit obligatoirement être indiquée par un étiquetage pour les cosmétiques et les biocides (pesticides, désinfectants, etc.) depuis 2013. Cette obligation devrait être étendue aux produits du secteur alimentaire (nourriture, additifs, matériaux en contact avec les denrées alimentaires) en 2015. Les études toxicologiques classiques ne semblent pas adaptées à l'évaluation de la toxicité des nanomatériaux. Il est en particulier difficile d'établir la relation entre dose et effet pour déterminer une exposition maximale autorisée, car l'effet dépend de nombreux paramètres autres quela concentration : taille des nanoparticules, morphologie, propension à s'agréger, solubilité, etc. En outre, il est trop tôt pour qu'une étude épidémiologique permette d'identifier un lien causal entre un signe de nocivité et l'exposition aux nanomatériaux, ces derniers n'étant répandus que depuis une dizaine d'années. Pour évaluer leur dangerosité, on se fonde alors plutôt sur des expériences de laboratoire, réalisées in vitro sur des cellules isolées ou sur des organesmis en culture ainsi qu'in vivo chez l'animal. Et ces expériences donnent quelques motifs d'inquiétude - même s'il faudra beaucoup d'études complémentaires pour évaluer précisément le danger pour la santé humaine.
De par leur petite taille, les nanoparticules pénètrent facilement dans l'organisme, après avoir été avalées, étalées sur la peau ou inhalées (quand elles sont mises en suspension dans l'air, par exemple par un procédé d'usinage). Plusieurs études ont révélé leur présence dans différents organes. Ces travaux soulignent l'atteinte des voies respiratoires et cardio-vasculaires, en particulier dans le cadre d'une exposition professionnelle par inhalation. Les nanoparticules peuvent alors causer des inflammations ou des infections pulmonaires graves, ainsi que des pathologies respiratoires chroniques, telles que l'asthme ; certaines passent dans le sang et atteignent divers autres organes. Très peu d'études se sont intéressées au cerveau. Pourtant, ce dernier est particulièrement sensible à des stress tels qu'une hypoxie (un manque d'oxygène), une infection, une lésion mécanique ou une inflammation. Plusieurs protections l'en prémunissent, notamment la barrière hémato-encéphalique, une couche de cellules et de protéines qui entourent les vaisseaux sanguins et les isolent du reste du cerveau, empêchant les agents pathogènes de s'y propager. En outre, les neurones se régénèrent très peu, ce qui accroît la vulnérabilité du cerveau en cas de lésion. Les études réalisées fournissent tout de même déjà des données clés. Chez l'animal, le passage de nanoparticules dans le cerveau a été mis en évidence pour des nanoparticules de types variés (argent, oxydes de fer, iridium, carbone, polystyrène, etc.) et de tailles allant de 2 à 200 nanomètres (nm). L'importance de cette pénétration est cependant très variable. Elle dépend de plusieurs paramètres, tels que la voie d'exposition (l'inhalation est la plus efficace), la taille (en mogenne, les particules les plus pénétrantes ont un diamètre moyen compris entre 30 et 60 nm) ou la forme (les nanosphères semblent plus nocives que les nanobâtons ou nanotubes, même si on ne comprend pas encore bien pourquoi). On peut aussi augmenter notablement le franchissement de la barrière hémato-encéphalique en habillant les nanoparticules avec des molécules particulières, propriété que la nanomédecine cherche à exploiter pour acheminer des médicaments au cerveau, par exemple afin de traiter des tumeurs.

LES CHEMINS VERS LE CERVEAU : Comment les nanoparticules arrivent-elles au cerveau ? Elles passent à la fois par la voie nerveuse et la voie sanguine. En 2004, l'équipe de Günter Oberdörster, à l'Université de Rochester aux États-Unis, a reconstitué le chemin emprunté lors d'une inhalation : dans son expérience, des nanoparticules de carbone 13 d'environ 35 nm pénétraient dans les terminaisons nerveuses tapissant l'épithélium olfactif (dans les fosses nasales), puis remontaient le long des prolongements neuronaux et entraient dans le cerveau via le bulbe olfactif. Des nanoparticules passent aussi par les poumons, en se répandant d'abord dans le sang puis en franchissant la barrière hémato-encéphalique. Certaines pourraient aussi se propager directement par les terminaisons nerveuses sensorielles présentes au niveau des bronches, des bronchioles et des alvéoles pulmonaires, mais cela reste à prouver. Dans le cas d'une ingestion, les études suggèrent que les nanoparticules pénètrent dans le cerveau après un passage préalable dans la circulation sanguine. Mais il est aussi possible qu'elles y entrent via les nombreuses terminaisons nerveuses qui tapissent l'appareil digestif. Quant à la voie cutanée, c'est la moins favorable à une pénétration dans le cerveau.
Examinons plus en détail comment les nanoparticules percent les barrières entre la circulation sanguine et le reste de l'organisme. Le franchissement des cellules dites endothéliales, qui isolent les vaisseaux sanguins de l'intestin, de la peau ou des poumons, met en ouvre un processus nommé transcytose : les nanoparticules traversent ces cellules à bord de petites vésicules, puis sont relâchées de l'autre côté. Ce même processus serait utilisé pour franchir la barrière hémato-encéphalique et passer dans le cerveau. On l'a montré in vitro et in vivo chez la souris. En 2009, Anja Zensi, de l'Université Goethe à Francfort, et ses collègues ont ainsi injecté des nanoparticules fonctionnalisées (c'est-à-dire habillées de molécules particulières, qui facilitent leur pénétration) par voie intraveineuse à des rongeurs ; certaines de ces nanoparticules ont été détectées dans les cellules endothéliales de la barrière hémato-encéphalique et dans les neurones respectivement 15 et 30 minutes après l'injection. En outre, si les nanoparticules se contentaient de se glisser entre les cellules endothéliales, seules celles de taille inférieure à 4-6 nm pourraient atteindre le cerveau ; or on y a détecté des particules plus grosses. Dans le cerveau, les nanoparticules peuvent pénétrer dans les cellules de tout types : on en a mis en évidence dans les neurones, les astrocytes (qui assurent diverses fonctions, fournissant par exemple des nutriments aux neurones) et les cellules microgliales (des cellules immunitaires qui protègent le système nerveux des pathogènes). À l'intérieur de la cellule, les analyses au microscope électronique suggèrent que la capacité de pénétration des nanoparticules dépend principalement de leur taille et de leur habillage de surface, et que certaines s'insèrent dans tous les compartiments cellulaires. On entrouve par exemple dans le cytoplasme et dans le noyau. Les nanoparticules peuvent alors avoir des effets sur la morphologie, le fonctionnement et la viabilité des cellules nerveuses. Par exemple, certaines expériences ont mis en évidence une détérioration du cytosquelette cellulaire par les nanoparticules. De même, plusieurs études ont montré que les nanoparticules peuvent entraîner une augmentation du stress oxydatif (une fabrication par la cellule de molécules très réactives, qui oxydent et dégradent d'autres molécules) et des inflammations cérébrales. Ces deux phénomènes sont susceptibles d'endommager les neurones et d'accélérer les maladies neurodégénératives, telles que les maladies d'Alzheimer ou de Parkinson. Les nanoparticules paraissent même capables d'entraîner l'apoptose (le suicide cellulaire) des neurones.
Des perturbations de l'activité électrique des neurones ont aussi été relevées, notamment à partir d'études sur des cultures d'hippocampe (une structure cérébrale) ou de neurones du cortex frontal de souris. L'activation de réseaux entier s'était parfois inhibée. Or les fonctions de traitement et de transfert de l'information des neurones reposent sur leur activité électrique... Les nanoparticules sont également susceptibles de perturber la synthèse de neurotransmetteurs (les molécules qui assurent la communication entre neurones). Seraient notamment affectées la dopamine et la sérotonine, deux neurotransmetteurs clefs dans la régulation du sommeil et de l'humeur, et qui ont de nombreuses autres fonctions. En 2013, notre équipe a montré chez la souris que cela peut se traduire par une baisse des capacités locomotrices.

Un impact sur les maladies d'Alzheimer et de Parkinson ?
Enfin, plusieurs expériences en tube à essai ont montré que les nanoparticules peuvent accélérer l'agrégation de certaines protéines formant des fibres dans les neurones ou autour. Ce serait e nparticulier le cas des protéines bêta-amyloide et alpha-synucléine, qui s'agrègent respectivement dans les maladies d'Alzheimer et de Parkinson. Les nanoparticules pourraient alors entraîner ou accélérer ces maladies, ainsi que d'autres pathologies neurodégénératives. L'effet dépendrait de leur taille et de leur concentration. À une concentration aussi faible que 20 nanomoles par litre, des nanoparticules d'or de 10 nm de diamètre multiplient par trois la vitesse d'agrégation de l'alpha-synucléine dans un tube à essai. Un manque toutefois de données pour déterminer si cette concentration est représentative de celles qu'on pourrait trouver dans le cerveau humain. Chez l'animal, les quantités détectées dans le cerveau sont généralement très faibles par rapport aux autres organes, preuve de l'efficacité des barrières physiologiques qui le protègent. Cependant, les observations in vivo restent peu nombreuses et ne couvrent qu'une courte période. Or quelques études suggèrent que les nanoparticules s'accumulent avec le temps, en particulier les nanoparticules métalliques. Celles-ci pourraient alors se révéler les plus délétères - et ce d'autant plus que des taux anormaux de métaux sont associés aux maladies neurodégénératives. Le déclenchement de stress oxydant et d'inflammations cérébrales, ainsi que l'accélération de l'agrégation de protéines fibrillaires, suggèrent un impact potentiel sur les maladies neurodégénératives. Les travaux de l'équipe de Lilian Calderón-Garcidueñas, de l'Institut national de pédiatrie à Mexico, soutiennent cette hypothèse : des cas de maladies d'Alzheimer et de Parkinson chez des individus jeunes semblent liés à la présence de nanoparticules dans les polluants atmosphériques. Au moment où l'usage des nanoparticules se généralise, les travailleurs comme les consommateurs se trouvent de plus en plus exposés. Dès lors, il convient d'évaluer de façon spécifique l'impact potentiel des nanoparticules sur le cerveau, en y mettant les moyens nécessaires. Sans attendre des études épidémiologiques, on devrait recourir à des modèles animaux reproduisant des scénarios d'exposition chronique prolongée, pour lesquels les données manquent. Aujourd'hui, de nombreux points restent à confirmer et à préciser, mais on sait déjà que les nanoparticules peuvent avoir divers effets nocifs, même en assez faible quantité. De multiples informations pourraient aussi venir de la nanomédecine, qui a notamment identifié les voies d'entrée des nanomatériaux dans le cerveau et les paramètres physico-chimiques optimisant cette entrée. Plus généralement, tous les acteurs publics et privés liés au domaine des nanosciences doivent s'unir pour équilibrer au mieux le rapport bénéfices/risques inhérent à tout nouveau domaine.
Anna BENCSIK est directrice de recherche au Laboratoire de Lyon de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses).

A.B. - POUR LA SCIENCE N°448 > Février > 2015
 

   
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