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Il a réalisé le Clonage d'une Souris Congelée

Volonté et habileté ont permis à un biologiste nippon et à son équipe d'obtenir des clones d'une souris congelée depuis seize ans ! Une première scientifique qui repousse les limites de l'extrême. Le généticien japonais Teruhiko Wakayama est décidément un pionnier : il était déjà le premier à avoir cloné une souris grâce à la méthode Dolly.

La souris C3H/He ne pourra jamais contempler son clone qui trottine sur la paillasse d'un laboratoire du Centre de biologie du développement Riken à Kobe (Japon). Pour une bonne raison : elle est morte voilà seize ans ! Morte, puis congelée... Ces seize années, sa dépouille les a passées à -20°C dans une boîte en carton rangée au fond d'un frigo universitaire ! D'où Teruhiko Wakayama l'a exhumée. Le biologiste nippon avait le projet de réaliser une première scientifique : faire naître un clone à partir d'un corps congelé. Déjà mondialement connu depuis son clonage réussi en 1998 d'une souris grâce à la méthode ayant donné naissance à la brebis Dolly, Teruhiko Wakayama est aujourd'hui assuré de rester dans l'histoire comme un "cloneur de l'extrême". D'autant que son exploit met à mal certaines certitudes bien établies, dont la plus inébranlable était l'impossibilité de cloner un corps congelé sans aucune précaution pour préserver la qualité de ses cellules. Et qu'il ravive, sans le vouloir, plusieurs fantasmes. Va-t-on assister au retour des grandes espèces disparues, mammouth en tête ? Ceux qui ont dépensé des fortunes auprès des firmes spécialisées dans la conservation des corps par cryogénie ont-ils eu raison ? Même si ces fantasmes restent techniquement ou éthiquement irréalistes, ce clonage venu du froid ouvre des perspectives scientifiques inédites.

AUCUNE CELLULE INTACTE NE SUBSISTAIT

Jusqu'à présent, il était acquis que les cristaux de glace formés lors de la congélation des cellules déchiquetaient les membranes de celles-ci et leur délicate machinerie interne. Avec le dégel, tout explose, rendant le matériel biologique inutilisable. Or, si le clonage est simple dans son principe - on introduit le noyau de la cellule donneuse dans un ovocyte sans noyau -, il exige un matériel en parfait état... Des agents cryoprotecteurs, empêchant la formation des cristaux, sont utilisés couramment dans les laboratoires de fécondation in vitro pour protéger sperme et embryons congelés. Mais le chercheur japonais ne s'est pas contenté de cloner une souris congelée protégée par de tels agents, il a cloné une souris "nature" !
Pour tester la faisabilité de son défi, le généticien a utilisé des cellules issues de souris C3H/He, une lignée consanguine classique, entreposées pendant seize ans dans un frigo. Comme prévu, les tissus récoltés étaient désorganisés, sans aucune cellule vivante, ni même intacte. "Lors des techniques classiques de clonage, on fait fusionner les membranes d'un ovocyte énucléé et de la cellule donneuse grâce à un léger courant électrique ; c'est impossible ici. J'ai donc adapté une méthode alternative où l'on injecte directement le noyau de la cellule donneuse dans l'ovocyte", rapporte Teruhiko Wakayama. Pour augmenter ses chances de réussite, le milieu dans lequel les cellules sont manipulées est moins agressif que d'ordinaire et la pipette de prélèvement plus large, afin d'éviter d'abîmer davantage le matériel subsistant. Et c'est dans plusieurs tissus (cérébral, sanguin, etc.) que des prélèvements de cellules sont réalisés, histoire de ménager davantage de possibilités.
Premier suspense : des embryons allaient-ils se développer ? Oui, et mieux encore lorsque le noyau cloné était issu du tissu cérébral. C'est le tissu cérébral qui s'est avéré le meilleur fournisseur de cellules pour le clonage. "C'est une des grosses surprises, car le cerveau est considéré comme le tissu le plus difficile à cloner", s'étonne encore Teruhiko Wakayama. Seul indice : les cellules du cerveau sont souvent riches en glucose ; or, les glucides sont des cryoprotecteurs naturels. Pourtant, malgré ce début prometteur, aucun embryon ne va aller jusqu'à terme. L'équipe du Riken se lance alors dans un clonage "indirect": les chercheurs prélèvent des cellules de ces embryons inaboutis, les mettent en culture et obtiennent ainsi des cellules souches embryonnaires, qu'ils tentent alors de cloner. Cette fois, le succès est au rendez-vous : 13 souriceaux voient le jour ! La qualité de ces résultats retient l'attention d'Alice Jouneau, de l'Unité de biologie du développement et de reproduction de l'Inra, qui avait réussi en 1998 le premier clonage de vache : "Ce qui m'étonne surtout, c'est la robustesse du génome ! Car ni la cellule ni le noyau n'ont apparemment besoin d'être intacts : ce qui compte, c'est la molécule d'ADN... Et elle a résisté à une mise au congélateur, sans aucune protection !" Pas étonnant que l'idée de cloner les mammouths figés dans le permafrost sibérien semble du coup si proche... Mais avant de tenter une telle opération, il faudrait déjà trouver de l'ADN intact.
Or, si le génome du mammouth est quasiment séquencé, les chercheurs n'ont pas travaillé à partir d'une molécule entière, mais d'échantillons. Certes, le permafrost réserve peut-être une bonne surprise... Mais quand bien même une molécule d'ADN y serait retrouvée, "il faudrait encore utiliser des ovocytes compatibles avec le développement embryonnaire d'un mammouth", rappelle Alice Jouneau. Or, les ovocytes d'éléphants, qui sont a priori les plus adaptés, sont difficiles à obtenir en milliers d'exemplaires, minimum nécessaire pour réussir cette manipulation complexe.

ET LE CLONAGE HUMAIN ?

Et pour nos concitoyens qui ont misé sur la cryogénisation dans l'espoir d'être un jour réanimés, l'alternative du clonage serait-elle satisfaisante ? Difficile à dire : le clonage humain n'a jamais été réussi, même à partir de cellules "fraîches". Et un enfant cloné, dont la naissance est interdite par les lois éthiques internationales, ne serait pas la copie parfaite de son ancêtre. Car nous sommes plus que notre information génétique.
Ce qui ne veut pas dire que les travaux nippons sont sans application : "Certaines souris mutantes, conservées dans de simples congélateurs, sont malheureusement mortes avant d'avoir pu se reproduire. Notre réussite leur offre une seconde chance", note le généticien japonais. De son côté, Alice Jouneau évoque l'intérêt dans la préservation d'espèces en danger : "En milieu naturel, si vous tombez sur le corps d'un animal en voie d'extinction, vous pouvez faire un prélèvement de tissus, mais vous n'avez pas forcément des agents cryoprotecteurs"... La réussite de Teruhiko Wakayama permet désormais de leur imaginer une descendance !

Emilie Rauscher - SCIENCE & VIE > Janvier > 2009
 

   
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