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La Pomme de Terre peut-elle Sauver le Monde ?

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La Pomme de Terre peut-elle Sauver le Monde ?

Alors que la crise alimentaire mondiale s'aggrave, la solution pourrait venir du plus célèbre des tubercules. Culture facile, prix stable, qualités nutritionnelles : la pomme de terre a tout pour lutter contre la faim. Reste à vaincre son ennemi mortel : le mildiou.

La bonne vieille pomme de terre cache bien son jeu. Née il y a 8.000 ans dans les Andes, elle a aujourd'hui conquis la planète, des hauts plateaux équatoriaux de Java aux plaines subtropicales de l'Inde, en passant par les steppes de l'Ukraine. Et tandis que les prix des céréales flambent sur le marché mondial, elle pourrait bien être une des solutions majeures pour pallier l'inflation des produits alimentaires et lutter contre la faim. À tel point que les Nations unies n'ont pas hésité à faire de 2008 l'année internationale de la pomme de terre ! Rien de plus normal : le tubercule, qui a d'abord débarqué en Europe au XVIè siècle grâce aux Espagnols, est désormais la 4è production agricole mondiale, derrière le maïs, le blé et le riz. Dix-neuf millions d'hectares ont été cultivés en 2007 et 321 millions de tonnes récoltées. Fait remarquable, la production des pays en développement a dépassé celle du monde développé en 2005. En vingt ans, leur part a grimpé de 20 à 52 % ! La Chine, premier producteur, totalise avec l'Inde et la Russie pas moins de 40 % du marché.

Cette formidable expansion a de multiples raisons. Facile à cultiver, la pomme de terre n'exige aucune connaissance technique. Elle ne concurrence pas cultures vivrières traditionnelles, puisqu'elle peut pousser en saison sèche avec irrigation et fournir ainsi un revenu supplémentaire.

Pour couronner le tout, 85 % de la plante est comestible (contre 50 % pour les céréales) et présente des qualités nutritionnelles indéniables (->). "C'est de loin le légume qui produit le plus de matière nutritive par jour d'occupation des sols, donc de travail, et surtout par jour de consommation d'eau", résume Bernard Jouan, de l'ONG Agro sans frontières.

Et cet engouement n'est pas prêt de s'arrêter ! La pomme de terre bénéficie en effet de prix stables, car elle est essentiellement produite localement. De quoi faire la différence à l'heure où changements climatiques, forte demande de biocarburants et spéculation alimentent une hausse vertigineuse du prix des céréales, provoquant même des émeutes de la faim dans une trentaine de pays. Le prix du blé, par exemple, a augmenté de 181 % en trois ans.

DES TENEURS EN MINÉRAUX ET EN VITAMINES INSOUPÇONNÉES
Si l'on écarte frites ou chips, la pomme de terre a plein de qualités nutritionnelles, détaille Patrick-Pierre Sabatier, nutritionniste au CHU Pitié-salpêtrière. Sa teneur énergétique est faible (85 kcal pour 100 g contre 115 pour du riz bouilli). Elle offre une bonne densité nutritionnelle alliant acides aminés, vitamine C, potassium, magnésium et fer. "On peut donc survivre en ne mangeant pratiquement que de la pomme de terre". Elle a un effet rassasiant, son potassium joue contre la décalcification, ses antioxydants contre le cholestérol. Enfin, ses glucides sont lents ou rapides selon la préparation.
En 2008, les émeutes de la faim survenues dans une trentaine de pays ont signé l'intensité de la crise alimentaire mondiale. En cause, la hausse de la consommation des pays émergents, du prix du pétrole, mais aussi l'anticipation de la demande en agrocarburants et les accidents climatiques. Le prix moyen des denrées alimentaires a connu une hausse de plus de 50 % en 2 ans, augmentant de 75 millions le nombre de sous-alimentés.

Fort d'autant d'atouts, nul doute que le tubercule devrait contribuer à relever le défi alimentaire qui se pose, et qu'aggrave une population mondiale gagnant plus de 100 millions d'habitants par an. Nul doute... à une condition cependant : pomme de terre doit auparavant se défaire du cortège parasitaire qu'elle traîne avec elle, et dont le mildiou est sans conteste le plus dangereux et le plus coriace. Boudée à son arrivée en Europe, la pomme de terre n'est cultivée à grande échelle qu'à partir des années 1770, quand des famines ravagent la majeure partie du continent. Mais ce succès a son revers : alors que 200 espèces sauvages ont été répertoriées sur le sol américain, une seule, Solanum tuberosum, s'est répandue sur la planète, donnant de multiples variétés (bintje, charlotte, désirée, ratte...). Une faible diversité génétique qui rend la pomme de terre vulnérable : si une maladie s'attaque à une plante, elle se propage rapidement aux autres.

PLUS D'UN SIÈCLE DE LUTTE CONTRE LE MILDIOU : C'est ce qui arriva dès 1844, lorsque le mildiou fut importé du Mexique. La maladie dévaste rapidement les champs d'Europe continentale. Entre 1845 et 1848, l'épidémie provoque même la mort d'un million d'Irlandais (dont c'est l'aliment principal) et l'exode d'un autre million vers l'Amérique. Depuis cette terrible famine, l'homme ne cesse de combattre le mildiou... sans en venir à bout. Un temps humide et doux (de 15 à 25°C), et Phytophthora infestans (P. infestans s'attaque d'abord au feuillage, en se nourrissant du contenu des cellules de la plante, puis infecte la chair du tubercule ->), l'agent pathogène responsable de la maladie, s'épanouit. Cet oomycète - un organisme ressemblant à un champignon, mais biologiquement plus proche des algues - s'attaque d'abord au feuillage, où il se nourrit du contenu des cellules de la plante. Là, il se multiplie et disperse de nouvelles spores qui, avec la pluie, tombent par terre et infectent la chair du tubercule. L'année suivante, la contamination repart de tubercules infectés utilisés comme semence, restés dans le sol ou oubliés dans un tas de déchets à proximité des champs.
Pour combattre le parasite, de premiers fongicides furent mis au point dans les années 1880. "Mais ils ont un gros défaut, souligne Didier Andrivon, spécialiste du mildiou à l'Inra. Ils sont préventifs, ils empêchent seulement les spores de germer sur les surfaces protégées. Il faut donc pulvériser toutes les nouvelles pousses, du moment où la plante lève jusqu'à la récolte !" Ce qui engendre un coût, bien sûr, élevé. "Aujourd'hui encore, on traite beaucoup, de 15 à 20 fois par an, reprend Didier Andrivon. Malgré cela, si les conditions sont favorables, le mildiou a souvent le dernier mot". En clair : impossible de miser à long terme sur une telle stratégie, d'autant que les pesticides sont désormais sur la sellette. Les scientifiques se sont par conséquent tournés vers la création de variétés hybrides, repérant l'existence de résistances "naturelles" au mildiou chez des variétés anciennes ou des espèces apparentées, puisées dans le réservoir andin. À Ploudaniel, dans le Finistère, l'Inra conserve ainsi 10 000 génotypes de 32 espèces et 1000 variétés, au champ ou in vitro. L'équipe tente d'obtenir, par hybridations successives, de nouvelles variétés intégrant les qualités d'une plante sauvage... sans hériter de ses tares.

LES PAYS-BAS MISENT SUR LA CISGENÈSE : Or, rien n'est simple avec le tubercule ! Le légume est tétraploïde (il possède quatre jeux de chromosomes), là où nombre d'espèces sauvages sont diploïdes (deux jeux). En plus, une variété refuse d'être croisée avec elle-même. Surtout, au rythme d'un croisement par an, l'entreprise est de longue haleine. Malgré cela, depuis 1949, de nombreux gènes de résistance sont transmis aux pommes de terre cultivées. Sauf qu'une fois sur le terrain, catastrophe : chaque résistance est rapidement contournée. "Le parasite s'adapte au bout de trois à cinq ans", précise Didier Andrivon. Comble de malchance, en 1976, une sécheresse oblige l'Europe à importer des tubercules pour nourrir ses usines de transformation (fabrication de frites, chips). Parmi eux, un lot mexicain est contaminé. Jusqu'alors, les populations européennes de Phytophthora infestans ne renfermaient que des souches appartenant à un seul type sexuel, dit A1. C'en est fini : le second type sexuel, A2, se répand à cette occasion sur le vieux continent. Le mildiou, qui ne pouvait se multiplier que par reproduction clonale, peut désormais s'adonner à la reproduction sexuée. Sa diversité génétique va donc augmenter, voire favoriser l'apparition de nouvelles souches mieux adaptées. Des oospores sont désormais capables de survivre plusieurs hivers dans le sol. Loin de faiblir, le mildiou se montre de plus en plus agressif.
Face à de tels échecs, les Pays-Bas ont opté pour la manière forte. L'idée : accumuler les résistances dans une même pomme de terre ("gene stacking"), et varier ces résistances au sein d'une même parcelle, c'est-à-dire d'une même variété, pour retarder au maximum l'adaptation du mildiou. Un projet impossible à réaliser via l'hybridation : il serait trop gourmand en temps, mais surtout le croisement implique la création d'une variété nouvelle. Les Néerlandais se sont donc tournés vers les biotechnologies. Connaissant les réticences européennes aux OGM, ils jouent sur les mots et parlent non pas de transgenèse mais de "cisgenèse". Leur alibi : il ne s'agit pas d'implanter un gène de saumon dans une tomate, le gène de résistance transféré à la pomme de terre provenant d'une espèce proche. Pourtant, la technique reste la même. Le programme Durph (Résistance durable contre Phytophthora) est financé par le gouvernement à hauteur d'un million d'euros par an sur dix ans. Une goutte d'eau au regard des dégâts causés par le mildiou dans le pays : "120 millions d'euros par an en temps, en pesticides et en machines, et 25 millions de pertes", estime Anton haverkort, chercheur de l'Institut de recherche des plantes de l'université Wageningen et coordinateur du projet. En France, les chercheurs de l'Inra n'ont nullement les moyens de se lancer dans une telle aventure, et ils privilégient une autre voie.

LA "COQUINE" DE L'INRA SERA-T-ELLE RÉSISTANTE ? "Les résistances de la pomme de terre sont de deux types, détaille Jean-Eric Chauvin, responsable de la station de Ploudaniel. Il y a des résistances totales, qui bloquent complètement l'infection, et des résistances partielles, qui ralentissent seulement sa progression." Si les résistances totales sont liées à un gène unique (11 ont déjà été contournés par le parasite), les résistances partielles, elles, mobilisent plusieurs gènes et sont plus difficiles à contourner... mais aussi plus complexes à transférer ! L'Inra y est toutefois parvenu, comme en témoigne l'arrivée sur le marché en 2008 d'une nouvelle pomme de terre baptisée "coquine". L'institut a d'abord cédé un "géniteur" doté d'une résistance partielle à l'Association des créateurs de variétés nouvelles de pomme de terre, qui élabore des variétés commerciales. Car la résistance au mildiou ne suffit pas pour l'emporter auprès de l'agriculteur, l'hybride doit également avoir de bonnes qualités agronomiques et culinaires ! À force d'hybridations, "coquine" a-t-elle bien hérité intégralement de la résistance de son géniteur ? Personne ne le sait encore, les gènes impliqués n'ont pas été identifiés. À elle de faire ses preuves sur le terrain ! Seule certitude : la génétique ne résoudra pas tout ; il faudra combiner plusieurs méthodes de lutte contre le mildiou. Un combat désicif pour la crise alimentaire.

R.B. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2008
 

   
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