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Nano-Aliments

Mangerons-nous Bientôt des Nano-Aliments ?

Aux dires des industriels du secteur, aucun nano-aliment n'est commercialisé. Pour l'instant...

La question reste entière. Pour l'heure, les nano-ingrédients jouent à cache-cache : impossible d'en trouver la moindre mention dans les rayons des supermarchés. Pourtant, au début des années 2000, les aliments aux composants lilliputiens suscitaient un véritable engouement de la part des producteurs. Les industries agroalimentaires rivalisaient alors d'annonces sur leurs futurs aliments aux propriétés inédites apportées par les nanotechnologies. Des glaces et de la mayonnaise qui ne feraient pas grossir tout en gardant leur onctuosité, des barres chocolatées toujours brillantes et bien croquantes, de l'eau ou de l'huile contenant des vitamines ou des oméga 3 bénéfiques pour la santé... C'était la course à la meilleure utilisation des nanotechnologies pour améliorer leurs produits : changement du goût, de la texture, de la valeur nutritionnelle ou encore allongement de la durée de conservation.

DISCRÉTION DES INDUSTRIELS

Il y a dix ans, l'exemple le plus souvent donné était une boisson mise au point par la société Kraft. Dans leur laboratoire, les scientifiques du numéro deux mondial de l'agroalimentaire mettaient au point une eau sans goût contenant des nanocapsules d'arômes différents. Le consommateur aurait réchauffé la boisson au micro-ondes et ainsi obtenu la couleur et l'arôme de son choix selon la durée d'exposition aux ondes. Aujourd'hui, Kraft et les autres entreprises brillent par leur silence et démentent avoir seulement songé à fabriquer de tels nano-aliments. "Il n'y a aucun programme de recherche sur les nanotechnologies dans les industries agroalimentaires françaises. D'ailleurs, je n'ai pas connaissance qu'il y ait le moindre intérêt pour les nanos", martèle Camille Helmer, chargée de mission à l'Association nationale des industries agroalimentaires (ANIA). Pourtant, à en croire le cabinet de conseil allemand Helmut Kaiser, expert dans le domaine, le marché des nanotechnologies dans l'alimentation s'élèvera à 20,4 milliards de dollars en 2010, avec deux applications majeures : les agents de conservation et les additifs. Un indice qui pousse à penser que les recherches se poursuivent en toute discrétion dans les laboratoires des industriels. Comment expliquer cette retenue ? Qu'ils soient favorables ou farouchement opposés à l'introduction des nanotechnologies dans l'alimentation, les spécialistes s'accordent sur un point : le silence des industriels témoigne de la crainte d'une nouvelle polémique. Les producteurs et importateurs appréhendent en effet une réaction de rejet de la part des consommateurs, similaire à ce qu'il s'est passé pour les OGM.
"Les annonces de l'arrivée de nano-aliments sur le marché ont déclenché des réactions vives de la part d'associations. En 2002, l'organisation écologiste canadienne ETC (Action Croup on Erosion, Technology and Concentration) a été la première à signaler le risque potentiel de mettre sur le marché des produits dont on ne connaît pas la toxicité", rappelle Eric Gaffet, directeur au CNRS et membre du Comité d'experts spécialisés sur les risques liés aux agents physiques, nouvelles technologies et grands aménagements de l'Afsset (Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail). Pourtant, les nanostructures dans l'alimentation sont loin d'être une nouveauté. Pour preuve, le lait maternel est composé d'émulsions de protéines de lait de taille nanométrique. De même, les fabricants rendent la mayonnaise plus légère en incorporant de l'eau sous forme de gouttelettes nanométriques. (Les nanoparticules naturelles ne sont pas en cause. Ainsi, la mayonnaise est rendue plus légère grâce à des nanogouttes d'eau (ici, vue au microscope électronique à balayage) ->). Quelle est la différence avec les nano-aliments que certains redoutent ? Ces nanostructures sont naturelles ou obtenues grâce à la seule action du fouet pour les émulsions, alors que les nanomatériaux manufacturés sont élaborés artificiellement par des procédés de laboratoire ou industriels. Or, c'est le caractère artificiel des nano-aliments qui est aujourd'hui en cause.

UN PROBLÈME DE TAILLE

Pour ajouter à la confusion, il n'existe à ce jour aucune définition de ce qu'est un nano-aliment. Les débats à la Commission européenne de Bruxelles en sont encore à la taille : est-on nano à moins de 300 ou de 100 nm ? Il n'existe donc aucune liste officielle d'aliments composés de nano-ingrédients. Un étiquetage "nano" est ainsi difficile à mettre en ouvre. Que devrait indiquer l'étiquette quand il y a ajout de silice, un anti-agglomérant, qui se présente sous forme de petits grains nanométriques, eux-mêmes agrégés en amas micrométriques ?
Pas de définition officielle, pas d'obligation d'étiquetage et donc pas de recensement possible : il est difficile de savoir s'il y a d'ores et déjà des nanos dans l'alimentation en France. Certains affirment qu'aucun aliment sur le marché européen ne présente des textures, des arômes ou encore des couleurs liées à l'introduction de nanostructures manufacturées. D'autres, comme l'association Les Amis de la Terre, qui recensent plus d'une centaine de nano-aliments, estiment que du jus de fruit "fortifié" aux compléments alimentaires vitaminés, en passant par un "nanothé", la nano-alimentation arrivera, si ce n'est déjà fait, prochainement dans nos assiettes par le biais des importations et des commandes par Internet. En Australie, un pain enrichi en huile de poisson incorporée dans des nanocapsules offre aux consommateurs des acides gras présumés bons pour la santé. Masquant le goût amer de l'huile de foie de morue, les nanocapsules protégeraient également leur contenu de la dégradation pendant la digestion... En Israël, une huile contient des nanocapsules avec des phytostérols qui, d'après le fabricant, empêcheraient le transport du cholestérol du système digestif au réseau sanguin. Aux États-Unis, déferlent sur Internet des compléments alimentaires (qui ne sont pas soumis aux contrôles des autorités de santé) vantant l'utilisation des nanotechnologies. SuperNanogreens 10 se targue par exemple d'apporter l'équivalent de dix fruits et légumes, quand Nutri-Nano annonce que, grâce aux nanotechnologies, il apporte le co-enzyme Q10, supposé lutter contre le vieillissement, de manière la plus efficace possible. Toutes ces allégations ne sont évidemment pas vérifiées scientifiquement.

UNE INNOCUITÉ À PROUVER

Mais si des exemples étrangers peuvent être cités, on est toujours bien loin de la déferlante annoncée il y a une décennie : le coup de frein est global et la réticence des producteurs à révéler l'utilisation ou non de nano-ingrédients touche le monde entier. Seule certitude pour le marché français : le dioxyde de silicium (E551), ou silice, et le dioxyde de titane sont couramment utilisés. La silice, introduite depuis plusieurs décennies dans les poudres, permet d'éviter l'agglomération des grains grâce à ses propriétés hydrophobes : on en trouve notamment dans le sel ou le sucre en poudre. Également utilisé en cosmétique, le dioxyde de titane, lui, donne un blanc éclatant au glaçage des biscuits.
Mais tous ces nano-aliments présentent le même défaut : ne pas avoir démontré leur innocuité sur l'organisme, les scientifiques manquant d'outils adaptés pour étudier leur éventuelle toxicité. "Faute de publications scientifiques, on ne sait rien du comportement des nanoparticules dans l'organisme. Elles pourraient pénétrer dans des cellules et s'y accumuler. Personne n'est aujourd'hui capable de dire combien de temps elles restent dans le corps", déplore Rose Frayssinet, ingénieur et spécialiste des nanotechnologies au sein des Amis de la Terre, une association qui milite contre leur utilisation. L'Afsset, seule organisation officielle au monde à ce jour à avoir réalisé une expertise sur les nanotechnologies et ses risques potentiels, a confirmé en mars 2010 le manque de données scientifiques et la nécessité d'entreprendre des études à ce sujet, et préconise d'appliquer le principe de précaution. "Les nanomatériaux posent un problème inédit : comment les quantifier, mesurer leurs effets, quand on ne possède pas les outils pour les détecter ?" explique Eric Gaffet.
Au-delà des questions de toxicité, une autre inconnue demeure : l'avantage des nano-aliments est-il supposé ou avéré ? Ainsi, l'une des grandes applications des nanotechnologies, consistant à inclure dans des nanocapsules des éléments nutritifs (arômes, vitamines, fer...) pour les protéger de la dégradation pendant la digestion, n'a pas démontré scientifiquement son intérêt. "Les connaissances scientifiques sur la digestion de particules si petites sont nulles, même si beaucoup de recherches sont en cours", explique Monique Axelos, directrice de recherche à l'Inra.

LEUR UTILITÉ MISE EN DOUTE

"Rien n'est moins sûr qu'une nanoparticule arrive à sa cible sous forme nano car, lors de la digestion, il existe des remaniements : l'aliment est déstructuré, puis restructuré", ajoute-t-elle. La levée de bouclier des associations contre la nano-alimentation a fait émerger un débat sur l'utilité même de ces aliments d'un type tout à fait nouveau. Pour le moment, ces derniers font peur au grand public, d'autant qu'en l'absence de définition officielle et de réglementation spécifique, il est impossible de savoir si les ingrédients sont parvenus dans nos assiettes. Pour lever ces craintes, les industriels devront prouver à la fois l'innocuité des aliments nanomanufacturés, et les bénéfices qu'ils apportent pour la santé ou pour la vie quotidienne via, par exemple, une augmentation de la durée de conservation.

M.Cy. - SCIENCE & VIE Hors Série > Décembre > 2010
 

   
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