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Et si la Forme de l'ADN Venait de l'Espace ?

En simulant de minuscules grains dans des plasmas, des chercheurs ont eu la surprisede le voir s'organiser en double hélice... comme la molécule d'ADN ! Or, des plasmas poussiéreux se trouve dans l'espace....

Si l'on vous dit : une structure géométrique en forme de double hélice, capable de stocker de l'information et de se dupliquer... Vous pensez immédiatement à l'ADN bien sûr !

Eh bien, le support de l'information génétique n'est peut-être pas l'unique dépositaire de ces particularités. En simulant un banal tas de poussières dans un plasma, le physicien russe Vadim Tsytovich et ses collègues allemands et australiens ont en effet en la surprise de constater que ces poussières s'organisaient en... double hélice !

Or, des plasmas poussiéreux se retrouvent fréquemment dans l'espace, par exemple dans les nuages interstellaires, ou dans les anneaux planétaires. Est-ce à dire que la forme caractéristique de la molécule qui est le support de la vie naît dans l'espace ? Si bien peu y croit, la question se pose néanmoins aujourd'hui.

PLASMA : découvert en 1879, mais baptisé plasma en 1928, c'est le quatrième état de la matière après les liquides, les solides et les gaz. Il est aussi appelé "gaz ionisé" car il correspond à un gaz qui comporterait des électrons libres, des ions et des atomes électriquement neutres. 99 % de la matière connue dans l'Univers est sous forme de plasma. Sur Terre, les aurores boréales, les éclairs ou une simple flamme sont des plasmas naturels.

CONTEXTE : En 1924, le physicien américain lrving Langmuir observe pour la première fois en laboratoire un plasma contenant des poussières. Une découverte qui suscita peu d'intérêt pendant un demi-siècle, jusqu'a ce qu'en 1981 la sonde spatiale voyager 2 n'envoie des photos des anneaux de Saturne, révélant la présence de grains micrométriques se déplaçant dans le plasma. Depuis, de nombreux objets cosmiques (nuages interstellaires, queues de comètes...) sont décrits comme étant des plasmas poussiéreux, et les astrophysiciens comme les physiciens tentent désormais de comprendre le comportement de ces énigmatiques poussières.

INTERACTIONS ÉLECTROSTATIQUES

Mais avant de lever les yeux au ciel en quête de cette hypothétique structure, revenons sur Terre, où les plasmas sont l'objet d'une attention croissante depuis 1994, date à laquelle plusieurs équipes ont observé en laboratoire que des poussières pouvaient s'y ordonner en réseau cristallin et, dès lors, servir d'analogue macroscopique aux cristaux. Concrètement, les plasmas sont des gaz ionisés - un mélange d'ions et d'électrons libres - considérés comme le quatrième état de la matière, mais aussi le plus désordonné. Lorsque des poussières, c'est-à-dire de simples grains micrométriques, sont ajoutés à ce plasma, ils sont soumis au bombardement des particules chargées qui le constituent, et leur surface se charge électriquement en quelques secondes. Et comme les électrons (chargés négativement) ont une mobilité très supérieure à celle des ions (chargés positivement), la charge nette acquise par les grains est négative, de l'ordre de plusieurs milliers de charges élémentaires ! Si ce phénomène est à peu près bien compris à l'échelle d'un grain, étudier au sein du plasma les interactions électrostatiques entre toutes les poussières, désormais chargées, est beaucoup plus complexe. Et malheureusement, les conditions expérimentales en laboratoire sont très éloignées de celles qui règnent dans l'espace, notamment parce que la gravité s'ajoute aux forces électrostatiques qui agissent sur ces poussières, et masque partiellement leur effet. "Pour étudier ces particules sur Terre, nous devons confiner les plasmas dans des enceintes closes et soutenir les particules contre la gravité à l'aide d'un champ électrique. Ce qui engendre beaucoup de contraintes extérieures sur le système", explique Cregor Morfill, directeur du Max Planck Institut de physique extraterrestre (Garching, Allemagne), et co-auteur de l'étude. Toutefois, depuis 2001, des expériences sur les plasmas poussiéreux sont réalisées à bord de la Station spatiale internationale, ce qui a permis de réduire considérablement l'effet de la gravité. "Mais, même à bord de l'ISS, on n'a pas d'autre choix que de confiner les particules dans un espace limité", précise le physicien. Comme il est impossible d'observer directement le comportement des poussières interstellaires avec suffisamment de finesse, les chercheurs en sont réduits à se replier sur la simulation numérique pour tenter de savoir ce qu'il pourrait en être dans l'espace. C'est donc à l'aide d'un modèle de dynamique moléculaire, qui permet de simuler l'évolution d'un système de particules au cours du temps en fonction des forces auxquelles ces particules sont soumises, que Vadim Tsytovich et ses collègues ont étudié le comportement de ces plasmas poussiéreux. "L'intérêt de cette simulation numérique était de s'affranchir des contraintes propres aux expériences de laboratoire pour 'recréer' des conditions plus proches de celles qui règnent dans l'espace", justifie Gregor Morfill.

DES EXPÉRIENCES EN APESANTEUR À BORD DE L'ISS
Les plasmas poussiéreux ont fait l'objet de la première expérience scientifique à bord de la Station spatiale internationale (ISS) en février 2001, durant la mission Andromède. Le but ? Profiter des conditions de microgravité à bord pour observer le comportement de ces étranges objets lorsque l'apesanteur ne fait pas sédimenter les grains. Les chercheurs ont pu ainsi mieux étudier les caractéristiques des arrangements de grains en cristaux qui s'opèrent spontanément lorsque les grains sont introduits dans le dispositif contenant le plasma. De part leur taille micrométrique, chaque grain peut en effet être suivi individuellement. Ceci permet d'étudier à l'échelle macroscopique des phénomènes difficilement accessibles dans les cristaux formés d'atomes : transition entre la phase liquide et le cristal, propagation d'une onde dans un cristal...
Le succès de la mission a été tel qu'une deuxième série d'expérience a été menée en janvier 2006, et qu'une troisième est programmée pour 2010, pour étudier plus spécifiquement la dynamique des fluides.

LES POUSSIÈRES S'ORDONNENT

De fait, seule la simulation permet d'annuler toutes forces extérieures pour étudier "l'état naturel" du système. Concrètement, les chercheurs ont simulé le comportement d'un millier de sphères identiques de taille micrométrique baignant dans un plasma froid virtuel. Et le résultat obtenu s'est révélé particulièrement surprenant : "Comme les particules sont tontes chargées négativement, elles devraient, en vertu de la loi de Coulomb, se repousser à l'infini en l'absence de force de confinement. Or, notre simulation montre au contraire que le système n'est pas en expansion, mais bien plutôt autoconfiné, c'est-à-dire que les poussières restent dans un volume fixe." Comment expliquer un comportement si étrange ? "Une des possibilités est qu'il y ait des recombinaisons à la surface des grains", explique Gregor Morfill. Mettons qu'un ion atteigne la surface du grain : il va se combiner avec un des très nombreux électrons présents, et le grain perdra donc une charge négative, mais un autre électron issu du plasma environnant le remplacera. "Le nuage de poussière est ainsi soumis à un flux continu de plasma, qui exerce une pression de confinement sur les poussières et les empêche de s'étendre", conclut Gregor Morfill.
Autre surprise de taille : d'après la simulation, les grains initialement distribués de façon aléatoire s'ordonnent, et de telle sorte qu'ils forment une double hélice lorsque le système atteint son niveau fondamental. Dans leur simulation, les auteurs prennent en effet en compte les phénomènes de frictions entre les grains et le plasma qui sont tels que "le système dissipe de l'énergie et évolue spontanément d'un état initial de plus haute énergie vers un état, stable, de plus basse énergie".

UN POSTULAT TRÈS DISCUTÉ

Les poussières seraient donc non seulement autoconfinées, mais aussi auto-organisées en double hélice. De la même manière, les paires de bases qui constituent l'ADN s'apparient via des liaisons hydrogène - libérant du même coup de l'énergie -, et leur conformation géométrique individuelle est telle que leur assemblage aboutit au final à une macromolécule en forme de double hélice. Une structure compacte qui favorise une densite élevée d'information et facilite la replication. Dans le cas des plasmas poussiéreux, les physiciens parlent de double hélice dans leur simulation, dans la mesure où les grains se retrouvent associés par paires dans des plans superposés équidistants, et leur position change d'un angle de rotation constant d'un plan sur l'autre. Reste à savoir comment cette forme si particulière peut naître. Ici, les auteurs envisagent que l'interaction entre les grains, pourtant tous deux chargés négativement, puisse donner lieu, à une distance précise, à une attraction mutuelle. En cause selon eux, l'accumulation en excès de charges positives du plasma entre les grains chargés négativement, qui permettrait de lier entre eux des poussières qui devraient uniquement se repousser. Mais ce postulat de départ est loin de faire l'unanimité. "Ces dernières années, de nombreux théoriciens ont suggéré l'existence d'un tel phénomène d'attraction entre deux grains de même charge dans un plasma, mais à ce jour, aucune expérience n'a jamais permis de la détecter, prévient John Goree, physicien des plasmas de l'université d'lowa. Si cette force existe, elle doit être extrêmement faible pour qu'une autre force comme la gravité dissimule son existence lors d'expérience en laboratoire sur Terre ou à bord de l'ISS." Et c'est bien là toute la puissance mais aussi la limite de la simulation...
Pour autant Gregor Morfill considère que les résultats sont solides : "Ce que notre simulation montre c'est que l'hélice, si importante dans le cas de l'ADN, semble donc être une structure générique stable qui se forme spontanément dans un système contrôlé par des forces électrostatiques." Loin d'être d'informes tas de poussières asservies au chaos, les grains baignant dans les nuages interstellaires pourraient donc être, bien au contraire, hautement organisés. Un résultat d'autant plus troublant que la structure typique de l'ADN avait déjà été détectée dans l'espace, mais à une échelle astronomique cette fois. En mars 2006, des astronomes de l'université de Californie ont en effet mis au jour à l'aide du télescope spatial Spitzer, une nébuleuse en double hélice, NGC 1499, s'étalant sur 80 années-lumière !
Et la simulation n'a pas seulement révélé ces doubles hélices de poussière, mais aussi leurs étonnants comportements, qui sont autant d'analogies avec l'ADN : ces hélices seraient en effet "capables" de croître en attirant d'autres grains, voire de se dupliquer en deux hélices identiques. De plus, le rayon de l'hélice pouvant varier d'un segment à un autre, ces structures pourraient même coder de l'information ! "Ceci distingue ces plasmas poussiéreux d'autres systèmes auto-organisés plus classiques, comme les cristaux ou les cyclones, qui sont capables de croître aussi, mais n'ont pas la capacité de stocker et de transmettre de l'information", fait remarquer Gregor Morfill. De là à dire que ces poussières sont vivantes, il n'y a qu'un pas, que Vadim Tsytovich n'hésite pas à franchir, allant même jusqu'à qualifier ces plasmas poussiéreux de "matière inorganique vivante". Une vision que ne partage pas du tout Gregor Morfill, pourtant co-auteur de l'étude avec le chercheur russe. "Dire qu'ils sont vivants me pose problème. Pour autant, ils semblent satisfaire les prérequis minimums que les experts mettent en
avant lorsqu'il s'agit de définir la vie. Mais peut-être faut-il revoir ces prérequis ? Je souhaite plutôt susciter une discussion sur ce que c'est que la vie."

RESTE À L'OBSERVER EN LABO

Un débat qu'il ne sera véritablement nécessaire d'avoir que si les incroyables caractéristiques décrites par la simulation numérique de l'équipe de Vadim Tsytovich sont vérifiées par des expériences. Or, "jusqu'a présent, aucune expérience de laboratoire n'a jamais démontré l'existence d'une structure en hélice dans des plasmas poussiéreux", constate Laifa Boufendi, spécialiste des plasmas au sein du Groupe de recherches sur l'énergétique des milieux ionisés (Gremi), à l'université d'Orléans. "En jouant sur les forces de confinement, il a été possible de voir des sphères de poussières se former en laboratoire. Mais rien de plus !, précise le physicien. Il est donc assez gênant que tout le propos de cette étude dépende de l'organisation des poussières selon une structure hélicoïdale qui n'a jamais été observée : mais si l'on admet l'existence de telles hélices, après on peut effectivement aller très loin." Or, on l'a vu, tout le problème est justement de s'affranchir en laboratoire de tout confinement et de toute force autre que les forces électrostatiques qui, dans l'espace, régissent les interactions entre le plasma et les grains, et entre les différents grains. Peut-on alors imaginer traquer la présence de ces hypothétiques doubles hélices de poussières directement dans les nuages interstellaires ? "Si ces hélices existent et si elles sont assez grandes, on pourra peut-être les détecter en mesurant la lumière émise par ces nuages dans l'infrarouge et en cherchant un motif périodique, imagine Gregor Morfill, mais pour le moment, personne ne sait quelle pourrait être la signature en infrarouge de telles structures."
Reste donc aux physiciens un défi de taille : imaginer et réaliser les expériences ou les observations qui permettront de tester cette simulation, afin que cette intrigante double hélice de poussières ne relève pas seulement de la pure spéculation théorique.

Boris Bellanger - SCIENCE & VIE > Février > 2008
 

   
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