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Catastrophe Nucléaire à Fukushima

Pourquoi les Problèmes Continuent à la Centrale de Fukushima ?

Entre pannes, fuites d'eau contaminée et avaries diverses, la situation sur le site de la centrale nippone est loin d'être sécurisée. Mais c'est que le chantier est immense et très complexe.

Vingt-sept mois après la catastrophe, on aurait été tenté d'imaginer un retour à la normale sur le site de Fukushima... Ou, du moins, à un peu de sérénité. Il n'en est rien ! Le 18 mars, une panne de courant paralysait durant 29 heures plusieurs systèmes de sécurité ; le 7 avril, l'opérateur Tepco découvrait la fuite de 120 tonnes d'eau radioactive provenant de ses réservoirs improvisés la hâte...

REPÈRES : Le 11 mars 2011, à la suite d'un séisme, puis d'un tsunami, 3 réacteurs du site nudéaire entrent en fusion ; les piscines de combustible usé ne sont plus refroidies. Le 16 décembre 2011 : "l'arrêt à froid" des réacteurs est déclaré par le Premier ministre, signe que leur température est stabilisée sous les 100°C. Or, le 7 avril 2013, face à la multiplication des incidents, Tepco met en place une cellule de crise supplémentaire.

"STABILISÉE, MAIS FRAGILE"

Et ce ne sont là que deux exemples - très médiatisés - d'une longue suite d'avaries, entre départs d'incendie, pannes de capteurs de température, problèmes de pompes de refroidissement... Au risque que l'état des trois réacteurs accidentés, et de leur piscine de combustible, ne redevienne critique ? Ces défaillances ne sont pas forcément dramatiques, tempère Thierry Charles de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire : "La température des réacteurs se situe désormais en dessous de 50°C, et celle des piscines vers 15-20°C seulement. En cas de problème, l'opérateur dispose donc de plusieurs jours pour réagir". Mais, ajoute-t-il, "si la situation est aujourd'hui stabilisée, elle demeure fragile ; songez que la dernière panne d'électricité a été provoquée par un rat !"
Face à cette litanie d'incidents, Tepco multiplie les plans d'action et les cellules de crise. L'agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) à envoyé, mi-avril, une délégation : le constat est sans appel sur l'ampleur de la tâche à accomplir. Dans un branle-bas de combat permanent, quelque 3.000 techniciens s'affairent sur le site. Car les priorités sont multiples : traiter au plus vite les immenses volumes d'eau radioactive issue du refroidissement des réacteurs ; bloquer les probables rejets radioactifs du site, en édifiant des sarcophages, en comblant les galeries souterraines, en installant une paroi souterraine entre la centrale et l'océan Pacifique ; évacuer les barres de combustible irradié des piscines endommagées... Quand ce cauchemar prendra-t-il fin ? Pas avant d'avoir récupéré le combustible fondu des réacteurs. Or, ces cours nucléaires sont très difficiles d'accès et "personne ne sait qu'elle masse de combustible a pu s'échapper des cuves, ni qu'elle forme a pris ce magma radioactif", selon Thierry Charles. Les Japonais ne comptent pas s'y attaquer avant une dizaine d'années... Le démantèlement du site devrait prendre quarante ans. Thierry Charles en convient : "Vous entendrez encore longtemps parler des péripéties de la centrale de Fukushima".

V.N. - SCIENCE & VIE > Juin > 2013

Deux Ans Après : les Blessures de Fukushima

Deux ans après la catastrophe de Fukushima, qui a fait près de 19.000 morts, le Japon panse encore ses plaies et s'interroge sur le nucléaire.

Carcaces de véhicules, meubles éparpillés, sols éventrés... Deux ans jour pour jour après la catastrophe, les alentours de Fukushima ressemblent à une immense ville fantôme, portant les stigmates du séisme de magnitude 9 qui a provoqué un tsunami et un grave accident nucléaire. Tout le pays va d'ailleurs se figer aujourd'hui à 14h46 heure locale), au son des sirènes d'alerte, pour commémorer le drame. Pour les habitants, ce sont des plaies difficiles à panser, d'autant plus que le nouveau gouvernement a l'intention de revenir sur l'abandon de l'énergie atomique annoncé après le drame.

DES CONSÉQUENCES DURABLES

Le bilan officiel fait état de 15.881 morts et 2.676 disparus. Mais le nombre de personnes touchées par la catastrophe est bien plus élevé : 320.000 réfugiés attendent toujours d'être relogés. Séparés de leurs amis, de leur famille, ils vivent dans des conditions de stress incessant. Si bien que 2.300 décès ont été recensés parmi eux, notamment des suicides (en augmentation de 20 % sur tout le territoire après la catastrophe). Les quelques médecins qui continuent d'exercer dans la zone s'inquiètent ainsi d'une hausse des troubles psychiques.
Les conséquences à long terme de l'accident nucléaire constituent une autre, source de préoccupation. Car la radioactivité enregistrée dans la zone de fukushima reste des dizaines de fois supérieure au taux naturel (plus de 70 microsieverts contre 0,5). Un poisson pêché en janvier présentait même un taux plus de 2500 fois supérieur à la limite autorisée. Des éléments qui font craindre une explosion des cancers de la thyroïde dans les prochaines années. Pour Sophia Majnoni, en charge des questions nucléaires pour Greenpeace France, "l'accident n'est pas encore terminé. En raison des fuites dans le sol et le sous-sol, explique-t-elle, les conséquences sanitaires ne seront mesurables que dans plusieurs dizaines d'années".

Aujoiurd'hui encore, seuls 2 sur les 50 réacteurs ont repris leur activité, mais le gouvernement envisage des réouvertures et même de nouvelles constructions. Une décision avant tout économique...
Le coût en France, d'un accident similaire à Fukushima, atteindrait les 1000 milliards d'euros. Un coût de base commencerait à 760 milliards pour un accident de type Tchernobyl, et pourrait aller jusqu'à 5800 milliards pour une situation extrême. Le facteur le plus important est la météo, puisqu'un vent défavorable peut multiplier l'ampleur de la zone contaminée par 17. L'indemnisation des habitants et des travailleurs, les coûts environnementaux et les dépenses de santé feraient exploser la facture...

DIRECTMATIN.FR > Mars > 2013

Deux Ans Après : les Blessures de Fukushima

Plus d'un an après la catastrophe, le niveau de contamination des poissons pêchés au large de la centrale de Fukushima ne faiblit pas.

Pas moins de 40 % des spécimens prélevés dans la zone affichent une teneur en césium radioactif supérieure aux normes nippones - ramenées à 100 becquerels par kilogramme depuis avril, soit la plus basse du monde. En août, une prise a même atteint 25.000 bq/kg ! Si toutes les espèces sont concernées, les concentrations les plus fortes sont mesurées sur les poissons vivant près du fond : rascasses, raies, congres, flétans, soles... Ce sombre tableau a été dressé par Ken Buesseler, de l'Institut océanographique de Woods Hole (États-Unis), après l'analyse de 8.500 mesures effectuées par les autorités japonaises.
Trois hypothèses pourraient expliquer la persistance de taux si élevés : soit la centrale fuit toujours ; soit les rivières, en lessivant les sols, rejettent quantité de radionucléides ; soit les fonds marins sont pollués. Dans ce dernier cas, "la demi-vie du césium étant de trente ans, les sédiments resteraient contaminés pendant plusieurs décennies encore", souligne Ken Buesseler. Non sans contaminer à leur tour les poissons.

R.B. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2013

Fukushima : Un An Après

Le monde entier a suivi sidéré l'accident en direct. Un enchaînement de catastrophes inédit... et surtout imprévu.

Aujourd'hui, le site est stabilisé mais il reste encore beaucoup à faire. D'autant que des zones d'ombres subsistent. Qui remettent en question le nucléaire ? Premier bilan...

          

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012

Explosions : des Zones d'Ombre Subsistent

Que s'est-il vraiment passé ce jour-là ? Quelle est la part du séisme ou du tsunami dans l'inccident ? Des réponses dépend la sûreté de nos centrales.

Filmé en direct, analysé sous tous les angles, débattu dans de multiples colloques... L'accident de Fukushima garde encore des zones d'ombre et trois grandes incertitudes divisent les experts. L'enjeu ? Ni plus ni moins que la sécurité de tous les réacteurs du monde.

Première question sans réponse claire : quelle est la cause première de l'accident ? Le séisme ou le tsunami ? Tepco met l'accent sur le bon fonctionnement du système automatique d'arrêt d'urgence des réacteurs dès les premières secousses : la réaction de fission a été stoppée, les réacteurs isolés et un circuit de refroidissement des cours nucléaires s'est mis en route. Selon l'exploitant, le tsunami qui a frappé la centrale une demi-heure après est le grand responsable de la mise hors d'état des multiples fonctions de sûreté des réacteurs, conduisant à la fusion partielle du combustible et aux explosions.
Des experts indépendants mettent pourtant en doute cette version. Ainsi Hitoshi Yoshioka, de l'université de Kyushu, estimait que "même si la protection contre les séismes avait été au niveau, rien ne prouve qu'il n'y aurait pas en de problèmes". La puissance et la durée de la secousse pourraient avoir causé des dégâts au niveau de la tuyauterie ou des soudures au sein des réacteurs. Un chercheur norvégien estime ainsi que les premiers rejets radioactifs auraient eu lieu avant même le tsunami... "Personne n'a jamais dit que le séisme n'a rien fait", rétablit Thierry Charles, de l'lnstitut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Mais quoi exactement ? Nul ne le sait. Or, si le rôle du séisme devait s'avérer crucial, les normes antisismiques des centrales pourraient être revues A la hausse.

ON NE SAURA PAS AVANT DES ANNÉES

Deuxième zone d'ombre : le réacteur n°2, Tepco y avait annoncé, le mardi 15 mars à 6 h du matin, une explosion. Le bâtiment était intact, mais les capteurs avaient enregistré une perte d'étanchéité de l'enceinte. L'exploitant s'est pourtant rétracté en novembre dernier : ce réacteur n'aurait jamais explosé ! Le bruit enregistré serait dû à la déflagration du réacteur n°4. Une bonne nouvelle... Sauf que l'enceinte du réacteur n°2 a bien été endommagée, laissant échapper des éléments radioactifs. Et là, Tepco n'a pas d'explication. La thèse selon laquelle le séisme aurait provoqué plus de dégâts que prévu pourrait donc étre avancée ici. Autre possibilité : l'explosion du réacteur n°4 aurait pu l'endommager. Sachant que celle-ci reste aussi mystérieuse...

Car, troisième incertitude, on ne sait pas bien pourquoi le bâtiment du réacteur n°4 a été soufflé. Le cour étant vide, le danger venait ici des piscines de combustible usé. Faute de refroidissement, l'eau s'est évaporée, les crayons de combustible et leurs gaines ont fondu, libérant de l'hydrogène explosif et... boum ! Sauf qu'une caméra introduite le 8 mai 2011 dans la piscine n'a révélé aucune dégradation. Thierry Charles avance alors une autre hypothèse : "Les radiafions émises par les barres nucléaires peuvent dissocier les molécules d'eau de la piscine, formant un peu d'hydrogène... Mais, pour Tepco, l'hydrogène viendrait du réacteur n°3 voisin, et aurait été acheminé par une tuyauterie commune. À moins qu'il s'agisse d'une combinaison des deux phénomènes...
Aujourd'hui, les Japonais ignorent où se trouve le combustible fondu des réacteurs : après simulations numériques, Tepco imagine qu'il a simplement traversé les cuves et peut-être rongé, dans le cas du premier réacteur, 60 cm du plancher en béton. Mais il faut s'en tenir à des conjectures faute de pouvoir accéder à ces zones mortellement radioactives. Dans le cas de Three Mile Island (États-Unis), il avait fallu attendre 6 ans avant qu'une caméra révèle que la moitié du combustible avait fondu, alors que le scénario d'une fusion d'un réacteur était, à l'époque, à peine envisagé. Des surprises pourraient donc surgir à Fukushima et remettre en question notre compréhension de l'accident...

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012

Centrale : il a Fallu 9 mois pour Sécuriser le Site

Le 17 avril, passé quatre semaines de chaos absolu, Tepco a présenté un plan d'intervention raisonné. Objectif : refroidir les réacteurs et limiter leurs rejets radioactifs. Retour en images sur des mois de combat acharné.

Affronter l'impensable dans l'urgence. Voilà le double défi auquel ont été confrontés les dirigeants et les employés de la société Tepco après la perte de contrôle de la centrale nucléaire de Fukushima le 11 mars 2011. Un défi qu'ils ont largement perdu. Cinq jours de lutte aussi désespérée que vaine pour maîtriser une situation de crise jamais envisagée par l'exploitant n'ont pas permis d'empêcher la fusion partielle de trois des réacteurs. Mais, passé ce catastrophique échec, il restait encore tout à faire pour reprendre le contrôle de ces monstres et les empêcher de cracher de nouveaux panaches de matières radioactives dans l'atmosphère.
Pour cela, deux priorités : refroidir les réacteurs endommagés et rétablir l'alimentation électrique de la centrale. Dans une impréparation totale, et pénalisées par les dégâts infligés aux infrastructures régionales, les premières tentatives se sont d'abord révélées infructueuses. Pour ne pas dire dérisoires... avant que la chaotique gestion d'urgence cède la place à une gestion plus raisonnée, s'inscrivant dans la durée. Le 17 avril 2011, soit plus d'un mais après l'accident, Tepco divulguait ainsi une feuille de route détaillant les étapes à franchir à court et à moyen termes. À l'horizon de la fin 2011, deux objectifs étaient affichés : limiter les nouvelles émissions radioactives dans l'atmosphère aux abords du site à moins de 1 millisievert/an (soit moins que la radioactivité naturelle), et maintenir la température des réacteurs sous 100°C, seuil au-dessus duquel l'eau se vaporise, pouvant transporter des éléments radioactifs. Paris tenus cette fois. Retour sur neuf mois de gestion post-accidentelle.

17 MARS 2011 : Les réacteurs doivent être refroidis avec de l'eau de mer.

Dès les prermiers jours, Tepco tente à tout prix de refroidir les réacteurs et de maintenir en eau les piscines de combustible usagé. Mais les hélicoptères des forces d'autodéfense ne transportent que quelques tonnes d'eau de mer et les radiations les empêchent de rester à l'aplomb des réacteurs.

Des camions-citernes vont alors arroser réacteurs et piscines pendant des jours... Le système d'injection d'eau douce sera rétabli fin mars, et le circuit fermé sera opérationnel en juin.

18 MARS 2011 : L'électricité est progressivement rétablie.

Autre priorité absolue : mettre fin au black-out total dans lequel est plongée la centrale après la perte de l'alimentation électrique principale et des générateurs de secours.

Des câbles haute tension sont tirés et les salles de contrôes raccordées. Mais la présence de grandes quantités d'eau radioactive complique la remise en service de l'installatinn électrique. Le 24 mars, deux techniciens reçoivent ainsi de fortes doses quand de l'eau s'infiltre dans leurs bottes.

2 AVRIL 2011 : Les matières radioactives sont fixées sur le site.

Lors de l'explosion des réacteurs, de grandes quantités de particules et de débris hautement radioactifs ont été expulsés dans l'atmosphère et sont retombés, pour partie, sur le site de la centrale.

Pour limiter leur dispersion par le vent et réduire le risque pour les ouvriers sur le chantier, une résine synthétique collante est projetée sur les sols et les parois des bâtiments. Près de 600.000 m² ont ainsi été traités, initialement à la main, puis ensuite à l'aide de camions dotés de lance.

9 JUIN 2011 : L'eau contaminée commence à être retraitée.

Entre le tsunami et les aspersions destinées à refroidir les réacteurs, plus de 130.000 tonnes d'eau radioactive se sont accumulées dans les soubassements des bâtiments. Une partie a fini dans la mer à cause de fuites et de rejets intentionnels (10.000 tonnes le 4 avril).

Afin de réduire cette pollution et stabiliser les réacteurs, des centaines de containers sont acheminés pour stocker l'eau contaminée. Un dispositif de décontamination et de dessalement a permis de réutiliser cette eau dans les circuits de refroidissement.

28 OCTOBRE 2011 : Une enceinte est bâtie autour du réacteur n°1.

Pour limiter plus efficacement les émissions radioactives vers l'atmosphère, les ingénieurs ont décidé de recouvrir les bâtiments des réacteurs endommagés. Une première structure en acier de 55 m de hauteur couverte de panneaux en polyester est édifiée autour du réacteur n°1. L'enceinte est équipée d'un système de filtration de l'air pour permettre aux ouvriers d'y ouvrer. Une solution temporaire selon Tepco, en attendant un sarcophage de béton semblable à celui mis en place à la centrale de Tchernobyl.

16 DéCEMBRE 2011 : L'état d'arrêt à froid est enfin déclaré.

Un peu plus de neuf mois aprés la catastrophe, Yoshihiko Noda, nommé Premier ministre en septembre 2011, annonce officiellement que les réacteurs sont dans un état d'arrêt à froid. Les objectifs de la feuille de route ont été atteints : la température à l'intérieur des réacteurs est stabilisée sous les 100°C (37°C dans le réacteur n°1, 69°C dans les 2 et 3), et le débit de dose aux limites de la centrale est, selon Tepco, de 0,1 mSv/an. Une étape majeure a été franchie... mais le chantier est loin d'être terminé.

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012

Réacteurs : il Reste 7 Problèmes à Régler

Le démantèlement des réacteurs prendra plusieurs dizaines d'années. Et devrait encore réserver quelques sueurs froides...

L'opérateur japonais Tepco entend bien démanteler sa centrale de Fukushima. En l'état, douze mois après l'accident, on en est loin... Car les r éacteurs doivent encore faire l'objet de mille attentions pour empécher tout nouveau rejet radioactif vers l'extérieur. Si le gouvernement japonais a cru bon de déclarer mi-décembre leur "arrêt à froid", tel un banal réacteur en arrêt pour maintenance, "le terme est impropre pour des unités accidentées dont le combustible a quitté la cuve, souligne Thierry Charles, directeur de la sûreté à l'IRSN. La gestion d'un accident nucléaire est un long processus, et reste encore beaucoup de choses à régler". En clair : les réacteurs n°1, 2 et 3 sont désormais dans un état stable, certes, mais toujours grave. Chaque jour, quelque 3000 ouvriers s'activent à leur chevet dans des conditions hostiles. Bien des zones restent inaccessibles, tandis que la centrale réserve encore des sueurs froides : ainsi, la découverte, en septembre dernier, de poches d'hydrogène explosif dans le réacteur n°2, et autres fuites à colmater avec des sacs de sable. Sans parler du fardeau des quelque 80.000 m³ d'eau hautement radioactive issus des opérations de refroidissement. Quand prendra fin ce cauchemar ? Nous n'en sommes qu'au début : Tepco estime qu'il lui faudra quarante ans pour faire disparaitre la centrale de Fukushima.

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012

Radioactivité : un Pays Durablement Contaminé

Si des mois d'analyses ont établi une contamination moindre que celle de Tchernobyl, le vrai bilan sanitaire restera longtemps impossible.

Un an aprés Fukushima, les Japonais commencent seulement à avoir une image précise de l'étendue de la pollution radioactive engendrée par l'accident. Certes, en l'absence de mesures directes, l'incertitude demeure quant à la quantité exacts d'éléments radioactifs projetés dans l'atmosphère après les explosions. "On peut dire que l'accident de Fukushima a libéré dans l'atmosphère dix fois moins d'iode radioactif et trois fois moins de césium radioactif que celui de Tchernobyl", détaille Didier Champion, directeur de l'environnement à L'IRSN. Contrairement aux rejets de la centrale ukrainienne qui se sont déposés sur une grande partie de la Russie et de l'Europe, ceux de Fukushima sont essentiellement retombés dans l'océan Pacifique sous l'effet des vents d'ouest dominants. Au point que si l'on ajoute à ces dépots atmosphériques les fuites et les rejets en mer des tonnes d'eau ayant servi à refroidir les réacteurs endommagés (et chargées en radionucléides peu volatils comme le strontium 90 ou le plutonium), Fukushima a engendré une pollution sans précédent du milieu marin.
Mais l'archipel nippon n'a pas été épargné pour autant. Des épisodes de vents vers le nord-ouest auraient rabattu environ 20 % des poussières radioactives sur le Japon. Après des mois de mesures aéroportées et l'analyses de milliers d'échantillons de sols, la contamination du territoire japonais est désormais clairement établie. Elle est essentiellement le fait de dépôts de césium radioactif, toute trace d'iode-131 ayant aujourd'hui disparu car celui-ci se désintègre rapidement. Une langue d'une cinquantaine de kilomètres de longueur au nord-ouest de la centrale a été la plus contaminée.

DES OPÉRATIONS DE "NETTOYAGE"

À l'intérieur de la zone interdite des 20 km, évacuée en urgence au moment de l'accident, la contamination de surface en césium 137 atteint 15 millions de Bq/m², comme celle mesurée a quelques kilomètres de la centrale de Tchernobyl. En s'éloignant, la radioactivité décroit, mais des dépôts atteignant 100.000 Bq/m² (50 fois plus qu'avant l'accident) ont été trouvés au nord et à l'ouest de Tokyo, à plus de 200 km de la centrale. "C'est le phénomène dit de 'taches de léopard', décrypte Didier Champion. Des zones où les retombées ont été plus importantes du fait de précipitations lorsque le panache radioactif se déplaçait au-dessus du Japon". Mais c'est à partir de 1 million de Bq/m² de césium que le maintien de la population se pose. Cette contamination ne va décroître que lentement : dans cent ans, les quantités de césium 137 dans les sols auront été divisées par dix. Ce qui représentera toujours une contamination importante pour les dépôts les plus concentrés aujourd'hui. La présence de césium 137 conduit donc à une exposition durable de la population au rayonnement gamma, mais aussi à un risque de contamination chronique de la production alimentaire. Pour y remédier, des opérations de "nettoyage" ont été lancées : toitures, routes, murs seront décapés et la surface des sols contaminés enlevée et entreposée dans des zones dédiées. Les terrains les plus touchés seront abandonnés.
Si l'on peut ainsi espérer minimiser l'exposition future de la population, la question des doses réellement perçues par celle-ci dans les toutes premières semaines après l'accident demeure. Notamment l'absorption d'iode 131, qui a pu être reliée, après Tchernobyl, à une augmentation des cas de cancer de la thyroïde chez les enfants. Au Japon, ce sont ainsi 360.000 enfants âgés de moins de 18 ans lors de l'accident qui seront suivis toute leur vie. Du fait des moindres rejets d'éléments radioactifs et des mesures prises pour évacuer les populations, les experts estiment les conséquences sanitaires moins graves qu'à Tchernobyl. Pour autant, le véritable bilan de Fukushima risque, tout comme celui de Tchernobyl, de rester longtemps impossible.

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012

Nucléaire : Fukushima Ne Va Presque Rien Changer

Même Fukushima ne ralentira pas l'essor d'une énergie devenue incontournable. Mais la filière doit accepter l'idée qu'elle n'est pas infaillible.

Au mois de mars 2011, l'affaire semblait entendue : alors que défilent sur les écrans du monde entier les images chocs de Fukushima, c'est l'énergie nucléaire tout entière que l'on enterre en grande pompe. Cachant à peine leur jubilation, ses opposants annoncent un coup de grâce asséné à l'atome après le "simple" coup d'arrêt qui avait suivi la catastrophe de Tchernobyl en 1986. De fait, même les plus hauts responsables politiques commencent à faire part publiquement de leurs doutes, et regardent soudain leurs centrales atomiques d'un autre oil... Dès le lendemain de l'explosion du réacteur n°3, mardi 15 mars, la chancelière Angela Merkel déclarait l'arrêt immédiat pour trois mois des sept plus anciens réacteurs du parc allemand... Avant d'annoncer ensuite un abandon pur et simple de cette énergie d'ici à 2022, sans fleurs ni couronne. Aucun doute, la sortie du nucléaire est plus proche que jamais ! Qu'on se le dise, l'avenir est promis au gaz, au charbon, à l'éolien ou encore au solaire.
Seulement voilà : un an plus tard, en mars 2012, l'atome respire toujours. L'effet domino attendu n'est pas allé beaucoup plus loin que quelques défections symboliques de pays de la vieille Europe : la Suisse a décidé de fermer ses 5 réacteurs avant 2034 ; la coalition au pouvoir en Belgique a décidé un retrait à partir de 2015 ; l'Italie a renoncé en juin 2011 par référendum au retour à l'énergie nucléaire qu'elle avait abandonnée aprés Tchernobyl, et... c'est à peu près tout, hormis le cas particulier du Japon (encadré).

LE JAPON S'ADAPTE BIEN À L'ARRÊT DE SES CENTRALES
Entre les 3 réacteurs détruits le 11 mars, ceux en maintenance programmée et ceux que les autorités locales refusent de remettre en service, il ne reste, au Japon, que... 4 réacteurs sur les 54 en activité avant la catastrophe
. Si l'atome assurait alors près de 30 % de l'électricité, sa capacité de production a été divisée par 10 ! Et pourtant, les trains circulent, les chauffages fonctionnent et les usines tournent. Comme avant ? Pas tout à fait. Il a fallu augmenter le niveau d'activité des centrales thermiques (charbon, gaz, fioul), qui assuraient déjà 68 % de la production. Tepco a aussi remis en service deux centrales thermiques déclassées. Et les importations de pétrole (+ 47 % entre avril et septembre) et de gaz naturel liquéfié (+ 21 %) ont augmenté. Pour limiter le risque de pénurie, le gouvernement a également imposé des réductions de la consommation. Pendant l'été, les grandes entreprises ont dû réduire leur consommation de 15 % sous peine de sanctions financières. L'appel a été bien suivi et tout s'est passé sans perturbations majeures. Cet hiver, il n'y a pas eu de restrictions, mais les incitations se sont multipliées. Le secteur de la construction promeut désormais des systèmes d'isolation et conçoit des bâtiments avec panneaux solaires, et les Japonais ont changé leurs comportements (usage de ventilateurs l'été, par exemple). Confronté à une réduction non programmée et soudaine de ses capacités de production d'électricité, le Japon s'adapte donc, même si l'impact économique pourrait être lourd. L'arrêt de l'ensemble du parc pourrait augmenter sa facture énergétique de 30 milliards d'euros par an. Mais cette expérience unique de dénucléarisation à marche forcée devrait être suivie de près par certains pays. P.MESMER

D'autant que les tests de résistance des 143 réacteurs européens, que l'on annonçait impitoyables, n'ont donné lieu pour l'instant à aucune fermeture. Après analyse, l'autorité de sûreté française déclarait le 3 janvier dernier que le "niveau de sûreté des installations est suffisant pour ne pas exiger l'arrêt immédiat d'aucune d'entre elles", pas même la doyenne de Fessenheim (Haut-Rhin) qui cristallise en France les passions.
L'atome fait même mieux que survivre. Passé le choc émotionnel, et tout compte fait, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) persiste dans ses prévisions : selon son rapport de novembre dernier, la planète verra sa capacité nucléaire grimper d'environ 60 % d'ici à 2035, pour atteindre 630 gigawatts de puissance. Une très légère inflexion par rapport aux 650 GW prévus avant Fukushima. Si la catastrophe japonaise n'a pas laissé indifférent le public, ni les experts en sûreté, les motivations qui sous-tendent l'exploitation de l'énergie nucléaire n'ont pas varié d'un iota. Les arguments ? Cela va de l'indépendance énergétique face aux hydrocarbures à la "neutralité environnementale" en termes de pollution, en passant par la grande qualité de l'électricité fournie - sans l'intermittence de l'éolien ou du solaire.
Certes, ces atouts n'avaient pas évité au secteur un véritable hiver nucléaire aprés Tchernobyl, qui s'est traduit par la baisse de nouvelles constructions (<- graphique)... Mais le contexte post-Fukushima est très différent. À l'époque, les prix de l'énergie fossile étaient très attractifs : le baril de brut était à moins de 20 dollars contre plus de 100 aujourd'hui. En outre, depuis les années 1980, l'argument climatique a fait son entrée dans les politiques d'énergie ; or, clament ses partisans, le nucléaire n'est-il pas l'une des seules technologies sobres en CO2 arrivées à maturité ?
Et puis, surtout, il faut désormais compter sur l'émergence de la Chine et de l'Inde, à l'insatiable appétit énergétique. Les réacteurs s'y construisent là-bas par dizaines. "Ces géants, très équipés en hydroélectricité et en charbon, n'ont plus d'autre choix que d'utiliser toutes les options possibles, dont le nucléaire, justifie Christian Mollard, du bureau d'études énergétiques Enerdata. Fukushima n'a rien révolutionné pour eux". La Chine, l'Inde, mais pas seulement (carte ->) : la Corée du Sud et la Russie construisent de nouvelles unités ; les appels d'offres de pays novices comme la Pologne ou la Turquie courent toujours ; et les pays du Golfe n'ont pas non plus renoncé à leurs ambitions...
Bref : si certains pays occidentaux rechignent bruyamment, le nucléaire conserve toutes ses chances de s'épanouir à l'Est. D'ores et déjà, 55 des 67 réacteurs actuellement en construction dans le monde le sont dans des pays n'appartenant pas à l'OCDE. Tandis que des nations très équipées comme la France ou les États-Unis s'étaient déjà lancées, bien avant le funeste 11 mars 2011, dans de lourds et onéreux programmes d'allongement de la durée de vie de leurs réacteurs de quarante à soixante ans... Des engagements difficiles à remettre en question. Sans parler de la résistance des lobbies et des industrielles solidement implantées (environ 400.000 emplois directs et indirects en France). "Si on raisonne à plus long terme, avance le député Claude Birraux, président de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques, nos stocks de plutonium issus de l'industrie de retraitement, qui pourront alimenter les réacteurs nucléaires de la prochaine génération, valent bien les 350 ans de ressources charbonnières dont dispose le sous-sol de l'Allemagne !" Le nucléaire aurait donc un avenir.

UNE SÉRIEUSE REMISE EN QUESTION

Reste à savoir quel nucléaire... Peut-on continuer comme si de rien n'était ? La catastrophe japonaise n'aurait-elle rien changé, ni dans les mentalités ni dans les mesures de précaution entourant les réacteurs ? Qu'il s'agisse d'ailleurs des modèles les plus récents, comme l'EPR français amené à conquérir les nouveaux marchés, ou des unités en place depuis des décennies... Difficile à croire quand on songe aux protestations qui émergent en Inde autour des projets d'EPR à Jaitapur, en zone sismique. Ou plus frappant, au Japon, le veto des autorités locales qui interdit aux électriciens de redémarrer leurs unités après maintenance : si ce mouvement se poursuit, le pays ne comptera plus un seul réacteur nucléaire en marche cet été ! Une situation qui interroge la France, dépendante à 75 % du nucléaire, et dont les réacteurs sont moulés peu ou prou sur le même modèle, et donc à la merci d'un même défaut. Au vrai, dans l'Hexagone, Fukushima va laisser des traces. Cet événement improbable, imprévu, sidérant est l'occasion d'une profonde introspection : au bout de quelques semaines, l'opérateur EDF avait publié 7000 pages de rapport sur ses 19 sites, et l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), l'organe de contrôle, en avait tiré deux épais volumes remplis d'enseignements techniques. Autant d'enseignements que d'autres pays ne manqueront pas de retenir. La poursuite du nucléaire est à ce prix.
Même s'il faudra peut-être dix ans pour saisir toutes les subtilités ayant mené à la fusion des trois réacteurs japonais, les premières leçons de cette catastrophe s'annoncent cinglantes et très coûteuses. C'est que l'opérateur EDF, référence mondiale dans le nucléaire, a vu quelques-unes de ses certitudes sévèrement ébranlées. Et pour cause : dans aucun de ses travaux, le crack tricolore n'avait envisagé la perte totale et durable d'électricité ou des systèmes de refroidissement sur plusieurs réacteurs à la fois. Pis, la conception de tous les réacteurs actuels postule qu'aucun phénomène naturel (séisme, inondation, etc.) ne peut entraîner d'accident grave. Ainsi, nombre de mécanismes intervenant lors de la fusion du cour nucléaire ne sont pas censés résister à un séisme ! Au cas ou les indispensables systèmes de ventilation des générateurs de secours succomberaient à un tremblement de terre, tout juste EDF prévoyait-il d'ouvrir à toute vitesse la porte des locaux pour évacuer la chaleur. Fukushima est donc l'occasion de dépoussiérer certaines procédures exotiques : "Lors de notre inspection inopinée à la centrale de Paluel, en Seine-Maritime, le 30 novembre dernier, alors que nous simulions le cas rarissime d'une perte totale d'électricité d'un réacteur, nous nous sommes rendu compte que plusieurs consignes du manuel ne correspondaient plus au matériel utilisé, voire étaient inutiles", raconte Claude Birraux. Il va pourtant falloir imaginer l'inimaginable. Et donc envisager sérieusement ce qui était autrefois savamment éludé.

DE COÛTEUSES ADAPTATIONS

L'IRSN entend prendre en compte toutes sortes de situations extrèmes : un séisme surpassant les calculs des physiciens, l'explosion d'une usine chimique voisine, la rupture d'un canal de refroidissement, comme le Grand Canal d'Alsace, ou encore la combinaison de deux évènements, à l'image d'un séisme entrainant un incendie au sein du réacteur... Certains de ces scénarios pouvant mener à un début de fusion du cour d'une de nos centrales en quelques heures, d'aprés les analyses post-Fukushima. Selon Thierry Charles, directeur de la sûreté des réacteurs à L'IRSN, "cela ne remet pas en question notre démarche de base, fondée sur la défense en profondeur, mais les leçons de cette catastrophe vont nous mener à ajouter une strate de sécurité supplémentaire, une sorte de 'noyau dur'". Un "noyau dur" encore à définir dans le détail avant cet été pour chaque site. L'idée étant de surprotéger l'approvisionnement des deux fluides essentiels que sont l'eau et l'électricité. Pour l'heure, l'autorité française a imposé dans les plus brefs délais l'installation sur les 58 réacteurs du territoire d'un générateur Diesel "d'ultime secours" capable de résister à ce qui ressemble à l'apocalypse, ainsi qu'une salle de contrôle de repli logée dans un immense bunker à l'écart. En attendant, au mois de juin, les résultats des tests menés dans toute l'Europe.
D'aussi massifs investissements pourraient-ils dissuader de poursuivre sur la voie du nucléaire ? Visiblement pas. Dans ses projections très positives pour l'atome, l'AIE a tenu compte à l'échelle mondiale de coûts de construction de réacteurs augmentés de 5 à 10 %. De son côté, EDF se dit prêt à ajouter les 10 ou peut-être 15 milliards d'euros de dispositifs liés à la catastrophe de Fukushima - soit a priori une augmentation de 2 % de la facture des particuliers. Quitte à entamer des travaux aussi sophistiqués et inédits que le renforcement du plancher de la vieille centrale de Fessenheim.
Si ce n'est pas un tour de force, ça y ressemble : contestée, contraignante, coûteuse, l'énergie nucléaire se rend pourtant encore indispensable. Malgré Three Mile Island, malgré Tchernebyl... et malgré Fukushima.

B.B. et V.N. - SCIENCE & VIE > Mars > 2012
 

   
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