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Le Nucléaire en 7 Questions

En France, un nouveau réacteur EPR entrera en fonction en 2013. Notre pays produit 77 % de son électricité avec l'atome. Un record qui alimente les débats entre partisans et opposants de cette énergie controversée.

Au lendemain du sommet de Copenhague et après le bon score des écologistes aux élections européennes, les énergies renouvelables ont le vent en poupe. Mais pour le chef de l'Etat français, pas question de laisser tomber le nucléaire : "Ce n'est pas l'un ou l'autre. C'est l'un et l'autre", a-t-il dit en juin 2009. Après Tchernobyl, en 1986, le nucléaire a longtemps stagné : on compte aujourd'hui 436 réacteurs dans le monde, contre 423 il y a vingt ans. Si 62 % des Français pensent que le pays doit continuer d'investir dans le nucléaire, 42 % veulent d'abord voir leurs craintes levées.

1/ Un Tchernobyl est-il possible en France ?

Les réacteurs français sont plus sûrs que celui de Tchernobyl. Mais Benjamin Dessus, ingénieur et président de Global Chance, une association de scientifiques, souligne leur parenté avec le réacteur américain de Three Mile Island, mis à l'arrêt à la suite d'un accident majeur en 1979. De plus, les trois quarts des réacteurs ont été mis en service entre 1977 et 1987 et l'Autorité de sûreté nucléaire a donné son aval pour prolonger leur durée de vie jusqu'à 40 ans (au lieu de 30). L'association met également en exergue la pénurie de main-d'œuvre ainsi que la perte de compétences dans le secteur, des facteurs de risques potentiels. En pratique, les accidents graves sont rares. Les incidents sont classés selon l'échelle internationale des événements nucléaires (Ines) de 0 à 7. En France, un seul incident de niveau 3 a été répertorié depuis 1986. Mais le nombre total d'incidents, même mineurs, a doublé entre 1998 et 2005. Selon Jean-Marc Jancovici, ingénieur et consultant dans le domaine de l'énergie et du climat, le nucléaire n'est pas plus dangereux que d'autres industries. Ainsi, l'Onu évalue le risque du charbon à 1,3 à 17 morts par gigawatt électrique, celui du pétrole à 1,5 à 11,1, contre 0,3 à 3 pour le nucléaire. Ces données incluent l'accident de Tchernobyl. En 2005, l'Organisation mondiale de la santé recensait 51 morts et en prévoyait 4000 à long terme. Les opposants au nucléaire pensent que ce bilan est sous-estimé et pointent les rapports étroits entre l'OMS et l'AIEA (Agence internationale de l'énergie atomique), deux institutions aux objectifs supposés contradictoires. D'autres études pour Tchernobyl parviennent à un chiffre de 30.000 à 60.000 décès.

2/ Le nucléaire est-il une énergie propre ?

Depuis l'extraction d'uraniumjusqu'à la production d'électricité, le nucléaire rejette 7 à 60 g de CO2 par kWh, beaucoup moins que le charbon (de 734 à 1175 g), le fioul (587 à 935 g), le gaz (362 à 751 g) et même le photovoltaïque (53 à 106 g). Un avantage à relativiser, selon Global Chance. La demande d'électricité connaît des pics le soir et en hiver. Or les réacteurs nucléaires, qui produisent 77 % de l'électricité française, ne peuvent pas beaucoup faire varier leur offre. Résultat : la France doit se procurer hors de ses frontières de l'électricité issue d'énergies fossiles. Et pendant ces périodes, le kilowatt heure rejette entre 600 et 700 g de CO2. "Ces chiffres seraient bien pires si nous n'avions pas fait le choix du nucléaire dans les années 1970", fait remarquer Sylvain David, chercheur à l'Institut de physique nucléaire d'Orsay. Au-delà de l'impact sur le CO2 "le nucléaire est source de rejets radioactifs liquides et gazeux", ajoute Corinne Lepage, avocate et ancienne ministre de l'Environnement. Dans un rapport, l'IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire) relève en effet que l'eau des nappes phréatiques est contaminée autour de la plupart des installations nucléaires. Mais ses mesures montrent que la qualité de l'eau distribuée au robinet respecte les normes fixées par l'OMS.

3/ Pourrait-on un jour s'en passer ?

En 2006, l'Agence internationale de l'énergie tablait sur une augmentation de la demande d'énergie de 53 % d'ici à 2030. Dans un contexte de réchauffement climatique et d'épuisement des ressources, le nucléaire peut apparaître comme une alternative. "Pas au niveau mondial, estime Corinne Lepage. Le nucléaire ne fournit que 15 % de l'électricité et 6 % de l'énergie. Même si on double le nombre de réacteurs, le problème ne sera pas résolu". L'ancienne ministre souligne le potentiel des énergies renouvelables qui procurent plus de 18 % de l'électricité mondiale. Avec des projets d'ampleur comme en Inde, où l'on vise l'équivalent de 14 centrales nucléaires en énergies renouvelables pour 2012. Pas si simple, rétorquent les pro-nucléaires. À court terme, les énergies renouvelables ne peuvent remplacer le nucléaire. "Comparez la France et l'Allemagne, qui a renoncé au nucléaire, estime Sylvain David. Nous rejetons 40 % de CO2 en moins par habitant. Par ailleurs, la production d'électricité émet plus de gaz à effet de serre que les transports. Et ces rejets proviennent surtout des États-Unis, de l'Europe, de la Chine ou de l'Inde, qui pourraient investir dans le nucléaire". Partisans comme opposants au nucléaire se rejoignent néanmoins sur un point impératif : l'économie d'énergie !

4/ Assure-t-il notre indépendance énergétique ?

"Non", répond Mycle Schneider, consultant spécialisé dans l'énergie et auteur d'un rapport pour la Commission européenne. Le nucléaire ne produit que de l'électricité et seulement 16 % de l'énergie finale, celle effectivement utilisée. La France reste dépendante du pétrole pour les transports. Les Français consomment d'ailleurs plus de pétrole que les Italiens ou les Allemands. Avec différents modes de calcul (par exemple, en incluant ou non nos exportations d'électricité), Mycle Schneider et Global Chance arrivent ainsi à un taux d'indépendance énergétique de 8,5 à 14 %, bien en dessous du taux officiel de 50 %.

5/ Les pays dotés de réacteurs peuvent-ils fabriquer des bombes ?

Les bombes atomiques sont fabriquées à partir de l'uranium et du plutonium utilisés dans les centrales. Mais les deux technologies n'ont rien à voir. "Le nucléaire civil a bénéficié des technologies militaires, constate Sylvain David. L'inverse n'est pas vrai. Le nucléaire civil peut même servir à lutter contre la prolifération". 189 États ont signé le traité de non-prolifération. Seuls les 5 d'entre eux dotés de l'arme nucléaire avant l'entrée en vigueur du pacte sont autorisés à la posséder. Les autres ne devraient en principe bénéficier que des technologies du civil. Certes, l'Iran a signé le traité, mais le régime est soupçonné par l'AIEA de se doter d'un volet militaire. Des installations clandestines ont d'ailleurs été découvertes. Par ailleurs, des pays non signataires (Inde, Israël...) ont réussi à mettre au point l'arme nucléaire. Pour Corinne Lepage, "les pactes n'ont qu'une valeur de chiffons de papier dans nombre de pays qui ne respectent pas les règles de droit international". Enfin, quand du plutonium circule sur les routes, un risque existe, souligne Global Chance. En effet, la fabrication de bombes exige la maîtrise de technologies avancées, mais des terroristes pourraient fabriquer des bombes rudimentaires en associant des explosifs avec du plutonium volé.

6/ Que va-t-on faire des déchets ?

Chaque année, en France, le nucléaire engendre environ 1 kg de déchets radioactifs par habitant. Tous les déchets ne se valent pas : par exemple, les déchets à haute activité ne représentent que 0,2 % de la quantité mais concentrent 95 % de la radioactivité. "Toute activité humaine engendre des déchets", relativise Jean-Marc Jancovici. Ainsi, chaque année, 18 millions de tonnes de déchets industriels spéciaux, incluant solvants, hydrocarbures et produits chimiques toxiques sont produits. La plupart des déchets nucléaires sont entreposés en surface. Pour le combustible irradié (1150 t), la France est l'un des rares pays à avoir choisi le retraitement. En pratique, une faible partie est recyclée car il faut au préalable réenrichir l'uranium, opération menée en Russie. Le recyclage du plutonium reste également limité. Pour que le retraitement soit plus poussé, il faudrait passer à des réacteurs de quatrième génération. Un progrès non envisageable avant 30 à 40 ans. Quant aux déchets ultimes - non retraitables -, ils sont vitrifiés. A partir de 2025, il est prévu de les enfouir à 500 m de profondeur près de Bure (Meuse). Un choix qui ne fait pas l'unanimité chez les géologues, car les risques ne sont pas très bien connus.

7/ Cette énergie est-elle la plus économique ?

L'énergie la moins chère et la plus polluante dérive du charbon : 39 € le mégawattheure avec un charbon à 105 € la tonne. Le nucléaire est facturé au même tarif, mais, selon EDF, le prix du mégawattheure s'élève à 46 €. L'entreprise a annoncé son intention d'augmenter ses tarifs de 20 % pour se rapprocher de ce chiffre. Cette hausse serait motivée par ses investissements dans les nouvelles centrales EPR où le mégawattheure atteint 55 à 60 €, soit un peu plus que l'électricité produite à partir du gaz mais moins que celle issue de l'éolien. Pour calculer le vrai prix du nucléaire, il faudrait tenir compte des coûts à long terme. Ainsi, le démantèlement de la centrale de Brennilis va coûter 482 millions d'euros, bien plus que le budget initial.

NOS RÉFÉRENCES
- Le dossier nucléaire du CEA.
- Le tour de la question par Jean-Marc Jancovici.
- Le dossier de l'Association Global Chance.

Anne Balleydier - ÇA M'INTÉRESSE > Janvier > 2010
 

   
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