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Un Débat entre Bohr et Einstein enfin Tranché

Une expérience de pensée d'Albert Einstein est devenue réalité au synchrotron Soleil. Le père de la relativité voulait défier la mécanique quantique, mais le résultat lui donne tort...

Albert Einstein pensait que la mécanique quantique allait à l'encontre des principes de la physique. À partir de 1927, et durant plusieurs années, il a confronté son point de vue à celui du physicien danois Niels Bohr dans des discussions restées célèbres. Einstein a imaginé diverses expériences de pensée pour tenter de mettre en évidence des failles dans l'édifice de la physique quantique. L'un de ces tests imaginaires est une version améliorée de l'expérience classique de Young. À l'époque, les limitations tehniques ne permettaient pas de la réaliser. C'est aujourd'hui chose faite ! Catalin Mirron, physicien au synchrotron Soleil près de Paris, et son équipe ont réalisé une expérience analogue à celle imaginée par Einstein. Et le résultat lui donne tort !
L'une des notions les plus déroutantes de la mécanique quantique est la dualité onde-corpuscule. Chaque objet quantique peut se comporter comme une onde et comme une particule. La lumière, par exemple, peut être vue comme une onde électromagnétique ou comme un flux de particules individualisées, les photons. En 1927, le physicien allemand Werner Heisenberg a proposé son principe d'incertitude, qui stipule qu'on ne peut connaître simultanément la position et la vitesse d'une particule avec une précision supérieure à un seuil limite. Pour Bohr, ce principe d'incertitude est la manifestation d'un principe plus fondamental, celui de complémentarité : un objet quantiquene peut se comporter simultanément comme une onde et comme un corpuscule.
Dans la version initiale de l'expérience de Young, on éclaire une plaque percée de deux fentes parallèles et proches. Une onde lumineuse passe simultanément par les deux fentes et crée une figure d'interférence (une alternance de bandes claires et sombres) sur un écran placé derrière la plaque. Mais si on envoie les photons un par un, que se passe-t-il ? Sait-on par quelle fente passe chaque photon ? Si cette information n'est pas connue (en l'absence de détecteur sur les fentes), on observe que l'accumulation des photons sur l'écran crée aussi une figure d'interférence. En revanche, suivant le principe de complémentarité, si l'on place un détecteur sur une fente, ce qui permet de savoir par quel chemin le photon est passé, on n'obtient plus de figure d'interférence. Einstein, qui n'était pas convaincu par la validité du principe de complémentarité, a essayé de le mettre en défaut en reprenant l'idée de l'expérience de Young. Quand une particule passe par une fente, elle la touche et change de direction avant d'atteindre l'écran, transmettant aux bords de la fente un peu de sa quantité de mouvement. Einstein proposa que l'une des fentes soit mobile et rattachée à un ressort. Ce dispositif ne mesure que la quantité de mouvement transférée. Cette mesure, selon Einstein, ne perturbe pas la particule lors de son assage, comme si le détecteur était absent. Einstein avança donc que la figure d'interférence serait toujours présente. Une telle mesure était cependant irréalisable avec les moyens techniques de l'époque.
Depuis, plusieurs équipes ont monté des expériences essayant de mettre en ouvre l'idée d'Einstein. En particulier, en 2001, l'équipe française de Serge Haroche a montré qu'il est possible de manipuler des systèmes à l'échelle de l'atome. Cela a ouvert la voie à une mesure analogue à celle requise dans l'expérience d'Einstein. C. Miron et ses collègues ont étudié un système qui est une réalisation fidèle, à l'échelle atomique, de l'idée de transfert de quantité de mouvement entre la particule et la fente suggérée par Einstein : des molécules de dioxygène (O2) bombardées par des rayons X du synchrotron Soleil. Quand un photon X frappe une molécule de dioxygène avec une énergie de 541,8 électronvolts, la molécule absorbe le photon et est excitée. En se désexcitant, elle émet un électron. Il est alors impossible de savoir lequel des deux atomes de la molécule a émis l'électron. La mesure de l'énergie de l'électron éjecté en fonction de l'angle d'émission présente des motifs d'interférence similaires à ceux de l'expérience des fentes de Young. A contrario, lorsque l'énergie du photon X est de 539 électronvolts, la molécule se dissocie et l'un de ses deux atomes émet un électron, mais la mesure du recul de l'atome permet de déterminer duquel il s'agit. Cela revient à savoir par quelle fente la particule est passée dans l'expérience de Young. Or en faisant les mêmes mesures, on n'obtient plus d'interférences. Ainsi, dans le cas où il est possible de déterminer la «voie de passage» par la mesure du recul (c'est-à-dire du transfert de quantité de mouvement), la figure d'interférence n'est plus visible, contrairement à ce que pensait Einstein. Le principe de complémentarité de Bohr est donc vérifié - une confirmation de plus de notre compréhension du monde quantique.

Sean Baill - POUR LA SCIENCE N°448 > Février > 2015
 

   
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