C'est le problème qui divise depuis des années les spécialistes du Néolithique, cette période s'étendant de -10.000 à -3000 ans et au cours de laquelle sont apparus les premiers agriculteurs européens. Ce qui est sûr, en tout cas, c'est que, il y a 12.000 ans, en Anatolie, dans le Sud-Est de la Turquie, des hommes ont délaissé pour la première fois chasse et cueillette et se sont consacrés à l'exploitation agricole des terres où ils s'étaient sédentarisés. Ils se mettent, dans le même temps, à pratiquer l'élevage bovin et à fabriquer des céramiques ornementées. Longtemps confinée dans cette zone proche-orientale, dite du "Croissant fertile", cette néolithisation arrive aux portes de l'Europe 3000 ans plus tard et mettra encore deux millénaires pom conquérir tout le continent. Comment ? C'est sur ce point que les spécialistes sont divisés. Les uns défendent l'idée d'une collonisation de l'Europe par des agriculteurs originaires du Proche-Orient, qui auraient progressivement réduit, sous leur pression démographique, les territoires des derniers chasseurs-cueilleurs installés depuis 40.000 ans en Europe. Un autre camp plaide en faveur d'une diffusion culturelle : les chasseurs-cueilleurs auraient adopté des idées et des techniques importées d'ailleurs. Et si ce débat perdure depuis tant d'années, c'est pour une bonne raison : aucune des céramiques retrouvées ici et là en Europe ne permet de reveler quelles mains les ont façonnées. C'est dans ce contexte que l'équipe de l'anthropologue allemand Wolfgang Haak est partie en 2005 étudier en Europe centrale les restes de fermiers européens, vieux de 7500 ans. Avec, en tête, l'idée que la génétique des populations pourrait trancher la question. Concrètement, 24 squelettes parmi les plus anciens découverts jusqu'alors ont été mis au jour sur 16 sites (répartis entre l'Allemagne, l'Autriche et la Hongrie). Des os et des dents de ces reliques, l'équipe est parvenue à extraire l'ADN, grâce auquel il est possible de comparer le profil génétique de ces premiers agriculteurs avec celui d'un Européen actuel. Le résultat de cette comparaison permet de déduir s'il y a eu croisement entre deux populations suffisamment importantes en nombre pour que chacune ait laissé son empreinte génétique jusqu'aux populations actuelles. Si l'on ne décèle aucune trace de mélange génétique, cela signifie qu'il n'y a pas eu colonisation. Le verdict ? Sur les 24 squelettes, les trois quarts ont révélé une signature génétique largement répandue chez les Européens modernes. Mais le dernier quart possède un profil différent, à savoir un ADN renfermant une séquence génétique, appelée Nla, que Wolfgang Haak considère comme la signature d'une population originaire du Proche-Orient. En extrapolant à l'ensemble des sites d'où proviennent les ossements, le chercheur estime que de 8 à 42 % de ces premiers fermiers appartenaient à cette lignée Nla. Serait-ce la preuve validant la thèse d'une expansion démographique ? Non, répondent ceux qui écartent l'idée d'une diaspora néolithique. Car la séquence Nla est très rare dans la population mondiale d'aujourd'hui : seuls 0,2 % des individus actuels appartiendraient à cette lignée. Ce qui tendrait plutôt à plaider pour une diffusion culturelle : de petits groupes de pionniers originaires du Croissant fertile auraient transmis leurs savoirs techniques aux chasseurs-cueilleurs locaux. Et leur petit nombre n'aurait justement pas permis de marquer de leur empreinte génétique les descendants autochtones, diluant la fréquence de Nla jusqu'au taux actuel.
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