La Rouille du Blé

On a Décodé le Génome de Parasites Agricoles
PHYTOPATHOLOGIE

Le champignon à l'origine de la rouille du blé est dévastateur. Deux des agents pathogènes les plus dévastateurs pour les cultures ont dévoilé les clés de leur succès.

Une équipe internationale menée par Sébastien Duplessis, de l'Inra, a décrypté les génomes des champignons responsables de la rouille noire du blé et de la rouille foliaire du peuplier.

Ce travail a permis d'identifier plus de 8000 nouveaux gènes, responsables de la fabrication de milliers de protéines qui neutralisent les systèmes immunitaires des plantes et permettent aux champignons de détourner une partie de leurs nutriments sans les tuer. Ces parasites sont incapables de survivre sans leur hôte, mais leur présence affaiblit la plante et réduit les rendements. Cette découverte pourrait permettre de sélectionner de nouvelles variétés de blé et de peuplier, plus résistantes.

S.F. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2011

La Rouille du Blé Menace aussi l'Asie

L'épidémie de rouille, un champignon qui décime les récoltes de blé en Afrique, a atteint le Yémen et menace de s'étendre à l'Asie.

Tel est le cri d'alarme lancé par les scientifiques de l'International Maize and Wheat lmprovement Center. Un scénario inquiétant, car si ce fléau atteint l'Asie du Sud, cela aurait un effet dévastateur sur les ressources alimentaires mondiales.

Pourquoi cette expansion rapide ? Tout d'abord, les spores de ce champignon parcourent de longues distances grace aux vents. Ensuite, la dernière épidémie de rouille date de 1950 et les barrières efficaces à l'époque ne le sont plus aujourd'hui. En effet, le pathogène a muté et plus de 85 % des espèces succombent désormais à ce parasite, rapportent les scientifiques du Njoro Agricultural Center, installés au cour de l'épidémie, au Kenya. "La bonne nouvelle, c'est que certaines espèces que nous testons résistent au champignon", souligne Ravi Singli, chercheur. Reste à espérer qu'une solution sera trouvée à temps.

E.N. - SCIENCE & VIE > Avril > 2007

Le Blé n'est plus à l'abri de la Rouille Noire

éradiqué dans les années 1990, le champignon de la rouille noire a trouvé le moye, de contourner les défenses dont les agronomes avaient doté le blé pour s'attaquer de nouveau à lui. Et cela avec une virulence accrue : inquiétude.

Une multitude de pustules de couleur rouge brique sur les tiges et les feuilles. Des grains désespérément vides. Une récolte amputée, voire annihilée. C'est par ces stigmates que Puccinia graminis signale qu'il a pris possession d'un champ de blé. Ce champignon parasite microscopique n'est autre que l'agent pathogène de la rouille noire du blé, un fléau redouté depuis des millénaires, mais que la nouvelle génération d'agriculteurs de par le monde a désappris à reconnaître. Et pour cause : la maladie a été considérée comme éradiquée dans les années 1990. Un peu prématurément... Car de graves épidémies de rouille noire sont à craindre de nouveau depuis qu'est apparue, il y a maintenant onze ans, une nouvelle race de Puccinia graminis. Identifiée dans des champs en Ouganda, et baptisée Ug99, en référence au lieu et à l'année de sa découverte, elle suscite l'émoi croissant de l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) qui a mis sur pied un système de surveillance internationale pour suivre sa progression.
Ce qui inquiète tant chez ce nouveau parasite ? Son extrême virulence : Ug99 est capable de contourner les principales défenses érigées par les agronomes en réaction aux épidémies de rouille noire ayant marqué la première moitié du XXè siècle. À partir des années 1950, sous l'impulsion de l'agronome américain Norman Borlaug (père de la "révolution verte" et prix Nobel de la paix en 1970), l'identification de variétés de blé naturellement résistantes à la rouille noire est devenue une priorité. La résistance d'autres céréales ou de graminées sauvages proches du blé a également été passée au crible. En croisant ces différentes sources, les sélectionneurs ont ainsi mis au point des variétés de blé possédant des gènes qui leur confèrent une protection contre les assauts du champignon.
Parmi eux, le gène Sr31, issu du seigle, offrait une défense totale contre les diverses lignées de P. graminis existant à l'époque. "Ce gène a donc été utilisé à grande échelle dans le monde entier, raconte Dave Hodson, coordinateur du programme de surveillance internationale de la rouille de la FAO. Il a fourni une résistance contre la rouille noire pendant trente ans, ce qui est exceptionnellement long !" Jusqu'à l'entrée en scène fracassante d'Ug99... Et ce parasite ne s'est pas contenté de faire tomber le précieux rempart Sr31. "Au total, Ug99 a la capacité de contourner 32 des 50 gènes de résistance à la rouille noire du blé identifiés à ce jour, détaille Ravi Singh, spécialiste des croisements au Centre international d'amélioration du maïs et du blé (Cymmit), une organisation à but non lucratif basée à Mexico, qui développe et distribue des semences. Résultat : on estime que 80 à 90 % des surfaces cultivées en blé dans le monde auiourd'hui sont vulnérables aux attaques d'Ug99. La menace est donc très sérieuse".

FAITS & CHIFFRES : 690 millions de tonnes de blé ont été récoltées dans le monde en 2008 et 223 millions d'hectares consacrés à cette culture, selon la FAO. Les trois principaux producteurs sont la Chine (112 millions de tonnes), l'Inde (78 millions de tonnes) et les États-Unis (68 millions de tonnes). Le blé représente 44 % des céréales consommées par l'homme dans le monde et 20 % de la ration alimentaire mondiale.

DES CULTURES MONDIALES SANS DÉFENSE

Sans compter qu'en une décennie, le champignon a muté à plusieurs reprises, s'équipant au passage de nouvelles armes. "Le pathogène évolue très rapidement, s'inquiète Dave Hodson. On compte désormais sept variantes dans la lignée d'Ug99, et avec elles d'autres gènes de résistance importants, employés en Amérique du Nord et en Australie, sont tombés". La quasi-totalité des cultures de blé se retrouvent donc aujourd'hui sans défense face au parasite.
Les déplacements d'Ug99 sont donc scrutés de près. Heureusement, ceux-ci sont relativement prévisibles car ils se font... au gré des vents ! Chaque hectare de blé infecté par le champignon produit des milliards de spores très légères. Le parasite franchit ainsi les frontières, passant de l'Ouganda au Kenya, puis à l'Ethiopie, au Soudan, au Yémen et jusqu'en Iran. "Jusqu'à présent, nous n'avons pas eu de grosses surprises, les mouvements du parasite sont très bien reliés aux vents dominants, et globalement en accord avec ce que les modèles prévoyaient", estime Dave Hodson, qui en 2005 avait prédit la sortie d'Afrique du parasite, confirmée en 2006.
Ensuite ? La crainte, c'est que le parasite n'atteigne les grandes zones de production du blé. "Si la maladie s'installe en Iran, où Ug99 a pour l'instant été détecté en faibles quantités, plusieurs mouvements sont possibles : vers l'Asie du Sud, l'Asie centrale, ou le Caucase", détaille Dave Hodson. L'apparition d'Ug99 en Inde, deuxième producteur mondial, est donc une hypothèse très plausible. "La zone à risque sur le traiet naturel de migration du parasite en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie représente plus de 50 millions d'hectares de blé, juge Ravi Singh. Soit un quart des surfaces cultivées en blé dans le monde, et 20 % de la production totale". De quoi peser sur la sécurité alimentaire de ces pays. Et au-delà...
Pour étayer leurs sombres prévisions, les chercheurs disposent de précédents. "Une souche virulente d'une autre maladie du blé, la rouille iaune, a suivi le même chemin, révèle Ivan Sache, épidémiologiste à l'lnra de Grignon. Partie d'Afrique de l'Est en 1986, elle est arrivée une décennie plus tard en Inde". Outre ces déplacements de proche en proche, le parasite peut sillonner la planète, porté par les courants d'altitude. "Le transport atmosphérique de l'agent pathogène sur des milliers de kilomètres est tout à fait possible, confirme Ivan Sache. D'autant qu'il résiste bien au trajet car il possède un pigment coloré qui limite l'action délétère des radiations UV. Mais de tels événements sont rares et imprévisibles". Là aussi, des précédents existent : en 1969, deux souches de rouille noire du blé auraient ainsi été introduites en Australie en provenance du sud du continent africain, peut-être d'Afrique du Sud !

UNE CHOSE EST SÛRE : LE PARASITE VA SE DÉPLACER

Afrique du Sud où, justement, deux nouvelles lignées affiliées à Ug99 ont été observées l'hiver dernier par Zak Pretorius, de la Free State University à Bloemfontein, qui dirige un des quatre laboratoires dans le monde habilités à travailler sur le dangereux parasite. "Le champignon dispose désormais d'un nouveau 'hub' pour migrer, indique le phytopathologiste. Il peut aller au Nord, vers la Zambie ou le Zimbabwe, ou encore effectuer un trajet intercontinental via le jet stream. Sans parler de la possibilité offerte aux spores de voyager en avion, sur les vêtements de passagers"... Selon Ronnie Coffman, vice-président de la Borlaug Global Rust Initiative, qui fédère des équipes de recherches autour de la lutte contre la rouille, "on peut dire avec certitude que le parasite va se déplacer, car on ne peut pas arrêter les vents... Une fois le parasite établi en Asie, c'est l'Amérique du Nord qui sera en danger. L'Europe sera ensuite à sa portée. Mais, il est impossible de dire quand le parasite parviendra à destination".
Ni quelles en seront les conséquences. "Il est très difficile de prédire quand, et même si Ug99 entraînera une épidémie dans un pays, rappelle Zak Pretorius. Outre la présence d'un hôte sensible, c'est-à-dire le blé ou encore l'épine-vinette, et un environnement plutôt chaud et humide, la quantité de parasite qui survit en dehors de la saison des cultures ainsi que le moment où la maladie s'installe sont des facteurs importants". Ainsi, au Kenya, où du blé pousse toute l'année, il a suffi d'un an entre la détection de traces du parasite et l'apparition d'une épidémie, détruisant par endroits jusqu'à 80 % des récoltes. A contrario, en Éthiopie, Ug99 a été repéré en 2003 et n'a causé jusqu'ici que des infections sporadiques.
Mais, compte tenu de la vulnérabilité des cultures de blé à travers le monde, attendre d'être surpris par une épidémie pour agir n'était pas une option viable. Depuis 2005, mobilisés par Norman Borlaug, des dizaines de chercheurs s'activent pour développer de nouvelles variétés de blé résistantes au champignon mutant. Car, pour des raisons économiques, environnementales et de santé humaine, le recours massif aux fongicides, tel que pratiqué en Europe, n'est pas une solution à long terme. "Au départ, nous avons donc cherché dans le matériel génétique existant, sachant que 10 à 15 % des blés sont encore résistants à Ug99, explique Ravi Singh. Mais ces résistances reposent sur un gène majeur, et il suffira de quelques années au pathogène pour muter et le contourner". Une nouvelle approche est donc nécessaire, qui tire les leçons du passé. "On a misé aveuglément sur un seul type de résistance, miraculeuse, critique Ivan Sache. Il faut au contraire diversifier les résistances pour compliquer la vie du parasite !"

La rouille noire du blé hante les cultivateurs depuis des millénaires
C'est probablement l'un des combats les plus longs qu'aient eu à mener les agriculteurs. La présence de la rouille noire du blé remonte au moins à l'âge de bronze : des traces de Puccinia graminis, le champignon à l'origine de cette maladie, ont en effet été retrouvées dans une jarre ayant contenu du blé il y a plus de 3300 ans ! La rouille du blé serait aussi la cause des famines en égypte et en Israël relatées dans la Bible. "Je vous ai frappés par la rouille", peut-on ainsi lire dans le livre du prophète Aggée, un des textes de l'Ancien Testament. Pendant des siècles, les Roumains ont, chaque 25 avril, sacrifier un chien à Robigus, Dieu de la rouille, pour qu'il épargne les cultures. Il faut attendre les observations et les expérimentations des botanistes du XVIIIe siècle pour découvrir que ce fléau est en fait l'oeuvre d'un champignon parasite microscopique. On s'aperçoit au passage que celui-ci trouve refuge l'hiver dans l'épine-vinette (Berberis vulgaris), en arbrisseaux utilisés dans les clôtures. Des campagnes de destruction à grande échelle de cet hôte alternatif du parasite permettent donc de réduire la fréquence des épidémies de rouille aux États-Unis et en Europe. Parallèlement, les premières variétés de blé résistant à cette maladie sont mises sur le marché dès la fin du XIXè siècle. Les grandes épidémies de rouille qui touche les États-Unis dans la première moitié du XXè siècle (en 1935, la rouille détruite un quart de la production du pays) accélèrent le processus de sélection variétale. Avec succès ! La rouille noire du blé tendre quasiment dans l'oubli après les années 1990. Mais elle revient aujourd'hui menacer les cultures du monde entier.

COMBINER PLUSIEURS GÈNES PROTECTEURS

La nouvelle piste de travail ? Les gènes dits mineurs, qui n'empêchent pas le parasite de s'implanter dans les cellules du blé, mais ralentissent sa croissance. "Individuellement, ils n'offrent qu'une protection partielle, mais en combinant 4 ou 5 d'entre eux, on obtient un haut degré de résistance, explique Ravi Singh. Résistance théoriquement plus durable. Car la probabilité que le champignon contourne l'ensemble des gènes mineurs à la suite de mutations naturelles est bien plus faible que la probabilité qu'il contourne un seul gène majeur". Mais la parade ne sera que temporaire, et tôt ou tard, elle cédera inévitablement... "L'éradication est un mythe, martèle Ivan Sache. Il faut se faire à l'idée de vivre avec ce parasite".
Cinq ans après le lancement de la mobilisation générale, de nouvelles variétés de blé résistant à Ug99 sont testées dans des champs au Kenya. La difficulté désormais pour la FAO est de parvenir à convaincre les paysans des pays les plus à risque de se détourner des semences auxquelles ils sont accoutumés pour adopter ces nouvelles variétés. Et ce, alors même que la maladie leur est inconnue. Jusqu'ici...

B.B. - SCIENCE & VIE > Octobre > 2010
 

   
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