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Les Arbres Possèdent un vrai Sens de l'Équilibre

Le Plus Tordu ?

SCIENCE & VIE Questions-Réponses N°25 > Juillet-Août > 2017

Les Arbres Possèdent un vrai Sens de l'Équilibre

Par quel prodige chênes ou peupliers restent-ils "droits" face aux aléas du temps et de l'environnement ? En corrigeant leur posture à mesure qu'ils grandissent !

Comment les arbres font-ils pour vieillir si bien ? Les années, voire les décennies passent, et leurs branches s'élancent toujours superbement vers les cieux. Peu importent les outrages du temps qu'ils endurent : vent, glissement de terrain, surpoids dû à la neige ou aux fruits... Rien n'y fait, jamais ils ne baissent les branches ni ne s'inclinent, comme si rien n'avait prise sur eux. Ainsi, même âgé de 500 ans, le chêne pédonculé se dresse-t-il toujours fièrement, affrontant les intempéries sans coup férir. Que dire du pin aristé des montagnes californiennes : champion de longévité avec un représentant de plus de 4.700 ans, il brandit sa huppe d'épines comme un défi à l'éternité.
À quoi tient cette remarquable capacité des arbres à s'élever toujours plus haut ? Pour la première fois, une équipe de biomécaniciens de l'Institut national de recherche agronomique et de l'université Blaise-Pascal a pris le problème à bras le corps. Et vient d'y apporter une réponse surprenante. À savoir que les arbres ont l'art de corriger leur posture à mesure qu'ils grandissent. Tels des adeptes de taï-chi, ils se contorsionnent en permanence de façon à déplacer leur centre de gravité. Et ce sont ces imperceptibles mouvements qui leur permettraient de s'adapter aux contraintes mécaniques qu'ils subissent et de résister aux changements de leur milieu. De quoi écorner le symbole de l'immuabilité des arbres...
Lorsque ces recherches ont démarré en 2002, les biologistes savaient déjà que les arbres conservaient une stature imposante, non seulement à cause de leur perpétuelle croissance (durant toute leur vie, ils continuent de produire des cellules végétales), mais aussi grâce à un mystérieux mécanisme qui, agissant des racines jusqu'aux branches, leur permet de corriger leur posture. Pour comprendre, il faut se rappeler que les arbres poussent, certes par l'extrémité des branches, mais surtout par leur circonférence. Chaque année, surtout au printemps, les cellules du cambium (le tissu végétal situé entre l'aubier et l'écorce) prolifèrent et se rigidifient, ajoutant un cerne à l'aubier. Or, cette croissance par la circonférence a une conséquence : si le tronc ou les branches sont déjà inclinés par le vent ou par un déséquilibre, la nouvelle enveloppe épouse la déformation et la fige. Dès lors, si le déséquilibre persiste l'année suivante, l'arbre ploiera un peu plus, restera figé, ploiera encore, et ainsi de suite... jusqu'à ce que les branches soient si inclinées que les feuilles ne capteront plus suffisamment de lumière. La photosynthèse diminuera alors, l'arbre ne produira plus de cellules, et mourra. En clair : sans un mécanisme de correction de posture, bien des arbres seraient condamnés. Encore fallait-il élucider ce mécanisme...

ENJEUX : Avec le réchauffement climatique, les tempêtes seront plus fréquentes et plus fortes. Comment réagiront les arbres ? Les biomécaniciens cherchent à comprendre comment ils se remettent d'un déséquilibre mécanique et parviennent à corriger leur posture. Ces recherches visent également à améliorer la qualité du bois. Car, lorsqu'ils sont déséquilibrés, les arbres emmagasinent des tensions mécaniques qui se relâchent lorsque le bois est débité en planches, lesquelles se courbent. Mieux connaître ces mécanismes permettra donc de limiter les rebus de l'industrie sylvicole.

SUIVRE LE REDRESSEMENT EN 3D

Pour ce faire, l'équipe de Bruno Moulia du Laboratoire de physiologie intégrée de l'arbre fruitier et forestier de Clermont-Ferrand s'est inspirée des arbres de montagne qui croissent au départ perpendiculairement à la pente, avant de parvenir à infléchir leur croissance et, in fine, retrouver la verticale. Comment ? Grâce à des cellules situées sous l'écorce, appelées statocytes. Découvertes au XIXè siècle, ces cellules permettent aux plantes de percevoir le sens de la gravité.
Forte de ce premier indice, l'équipe de Clermont-Ferrand a eu l'idée de reproduire artificiellement la situation des arbres des sommets. Objectif : décortiquer les différentes étapes du processus. Concrètement, sur un terrain plat, les chercheurs ont d'abord incliné d'environ 40° des pots dans lesquels poussaient de jeunes peupliers. Puis ils ont observé le redressement des arbres. Observer ? Mais comment visualiser ce redressernent quand il se déroule sur plusieurs mois pour des arbres de 2 mètres de haut ? Les chercheurs ont ingénieusement placé sur la tige et les branches de petits récepteurs magnétiques et plongé les arbres équipés dans un champ magnétique oscillant. Résultat : le courant induit dans les bobines de chaque récepteur indique l'endroit exact où il se trouve dans l'espace du champ magnétique. Rien de plus simple, dès lors, que de suivre, en 3D, les déplacements, même lents et infimes, des branches et de la tige des arbres. Une méthode bien plus précise que les méthodes visuelles.

UNE RÉGULATION TRÈS PRÉCISE

Une fois développé, le film du redressement a alors révélé un phénomène inattendu : au lieu de tendre immédiatement vers la verticale en redressant leur base comme on pouvait le supposer, les peupliers sont passés par une série d'états intermédiaires, où la totalité de leur tige était courbée à la façon d'un arc et où l'extrémité de leur tige semblait chercher à revenir en arrière, à l'aplomb des racines (photos). Ce n'est qu'une fois leur centre de gravité placé à la verticale des racines qu'ils reprennent une croissance vers le haut, conservant, à la base du tronc, la courbure qui leur a permis de se redresser. Autrement dit, la verticalité n'est pas l'unique critère des arbres, qui semblent dotés d'un "sens de l'équilibre" capable, à mesure qu'ils poussent, de calculer une posture minimisant les efforts mécaniques.

UNE GYMNASTIQUE SUR SOL HUMIDE

En analysant des coupes d'arbres de la forêt guyanaise et leur géométrie, des équipes de l'lnra et du Cirad ont évalué que 90 % d'entre eux étaient en train de se redresser. Une gymnastique qui s'impose étant donnée la nature instable du sol gorgé d'humidité qui obligerait les arbres à corriger sans cesse leur posture. Correction aux allures spectaculaires chez les arbres à contreforts, habitants des mangroves. En effet, contrairement à ce que pensaient les spécialistes, ces contreforts ne soutiennent pas l'arbre comme les arcs-boutants des églises. Ils sont constitués de bois produit à la seule fin du redressement, un bois dit de tension, qui fait apparaître les contreforts comme des sortes de haubans qui tireraient l'arbre pour le maintenir vertical. Alors que la plupart des arbres conservent ce bois de tension à l'intérieur de leur tronc, les arbres à contreforts le font pousser à l'extérieur du tronc, ce qui leur permet de pousser dans des milieux très humides.

Comment le peuplier régule-t-il ce sens de l'équilibre ? Recourt-il à d'autres capteurs que ses statocytes, ses cellules sensibles à la gravité ? Pour en avoir le cour net, les chercheurs ont inséré sous l'écorce des peupliers des capteurs comparables à ceux utilisés pour connaître l'état de tension de bâtiments, soit de simples fils électriques dont la résistance électrique varie à la moindre déformation. Ils ont ainsi obtenu des données sur les contraintes mécaniques dle l'intérieur des arbres en cours de redressement. Ces données ont ensuite permis d'édifier sur ordinateur un arbre virtuel, qu'ils ont tenté de faire croître en lui donnant pour seule information l'état de sa position par rapport au sens de la gravité. Ce fut un échec. Il manquait manifestement des informations indispensables à l'arbre virtuel pour se redresser.
Après plusieurs tentatives, les chercheurs ont finalement trouvé : ce n'est qu'une fois informé à la fois sur son inclinaison et sur sa courbure que l'arbre virtuel reproduit exactement le comportement de l'arbre réel. "Cela signifie que l'arbre se ressent lui-même explique Bruno Moulia. Tout comme notre squelette et nos muscles s'adaptent en permanence selon la sollicitation mécanique subie, les plantes qui font face à un vent puissant sont ainsi moins hautes, plus trapues et s'enracinent plus fortement." L'aspect entier des arbres serait donc sous le contrôle de leur sens de l'équilibre. "C'est grâce à la combinaison de ces deux fonctions (correction de la posture et adaptation de la corpulence) que les arbres tiennent si longtemps debout", résume Bruno Moulia. Reste aujourd'hui à déchiffrer cet étonnant sens de l'équilibre au niveau moléculaire : identifier les étapes qui mènent de la sollicitation mécanique à la correction de posture et à l'adaptation de la corpulence.L'équipe a ainsi procédé à des analyses moléculaires sur des échantillons de bois prélevés sur des peupliers courbés et réalisé un premier constat : à la suite d'une agression mécanique, les plantes expriment certains gènes plus que d'autres. En particulier, des gènes de facteurs de transcription, molécules qui régulent l'expression d'autres gènes. Le rôle de ces derniers reste à préciser, mais une chose est sûre : à un moment ou à un autre, ils donnent l'ordre aux cellules du cambium, le tissu de croissance, de s'allonger ou de se rétracter. Alors, par simple effet de levier, les cellules allongées ou rétractées inclinent dans un sens ou dans un autre le tronc ou la branche, participant à son redressement.
Cela étant, la manière dont l'arbre harmonise ses mouvements et décide du redressement optimal reste encore un mystère. Il s'agirait d'une "intelligence" distribuée dans l'ensemble des cellules vivantes de l'arbre. De prochains travaux devraient permettre d'en savoir plus. En attendant, on se rappellera que dans Le Seigneur des anneaux, J.R.R. Tolkien imaginait les "Ents", ces arbres anthropomorphes capables de se mouvoir par eux-mêmes. Une intuition pas si éloignée de la réalité...

<- En réponse à un déséquilibre, ce mélèze d'Europe a créé du bois spécial pour se redresser ; d'où les cernes élliptiques.

Dans les statocytes, cellules situées sous l'écorce, des grains d'amidon (violet) se sédimentent sous l'action de la gravité. Un mouvement qui informe les cellules sur l'inclinaison et la gravité de l'arbre. ->

X.M. - SCIENCE & VIE > Juin > 2007
 

   
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