L'Incroyable Force de la Nature

Des Animaux qui reprennent du Poil de la Bête

M.S. et R.W. - NATIONAL GEOGRAPHIC N°241 > Octobre > 2019

En Combien de Temps la Nature efface une Ville ?

ÇA M'INTÉRESSE QUESTIONS N°13 > Février-Mars-Avril > 2016

L'Incroyable Force de la Nature face aux Agressions Humaines

Et s'il ne fallait pas "préserver" la nature ? Si tenter de la "sauvegarder" lui portait finalement préjudice ? En un mot : et si la nature n'allait pas aussi mal qu'on le dit ? Non parce que les ravages de la pollution, de l'urbanisation ou du réchauffement climatique devraient être revus à la baisse, mais parce que les écosystèmes posséderaient d'insoupçonnées ressources pour se reconstituer. Des ressources telles que, face aux méfaits de l'homme, ils font mieux que résister : ils se réinventent. Ils se vivifient même ! Dès lors, c'est toute la stratégie écologique qui paraît à revoir. Pour le bien oie la nature.

REPÈRES : Pour mesurer l'impact des activités humaines sur l'environnement, l'Union internationale pour la Conservation de la nature (UICN), créée en 1948, a déployé un réseau de quelque 1200 Organisations dans 140 pays, et plus de 10.000 scientifiques et volontaires. Sa dernière "Liste rouge des espèces menacées" recence 22.103 espèces sur les 73.686 étudiées. Mais depuis 2013, elle élabore aussi une liste des écosystèmes menacés. Une prise de conscience dont les écologues prennent tout juste la mesure.

L'étude a été publiée il y a 6 mois dans la revue Science. Elle est basée sur une analyse mathématique de séries temporalles de plus de 100 ans portant sur 35.613 espèces de plantes et d'animaux. Elle révèle que, dans la plupart des régions du monde, le nombre d'espèces s'est maintenu ou a augmenté sur les dernières décennies !
Surpris ? N'est-ce pas en contradiction avec les incessantes alertes scientifiques et médiatiques sur les disparitions d'espèces ? Si cette étude prend à revers un sentiment général, c'est d'abord parse qu'elle traduit un profond changement dans le rapport qu'entretient la science avec la nature, initié depuis une petite décennie par une communauté de plus en plus large de spécialistes des écosystèmes. Sachant, comme le souligne Maria Dornelas, écologue à l'université de Saint-Andrews, en Ecosse, et principale auteure de l'étude, que "ces résultats ne contredisent pas la menace d'une extinction de masse, qui reste attestée par beaucoup d'indices. Notre objet était d'étudier comment la composition des espèces répertoriées en tout point de la Terre avait changé au cours du dernier siècle. Et nous sommes les premiers à détecter un changement consistant : dans le même temps que nous voyons des espèces disparaître, d'autres deviennent invasives, ou changent d'habitat en réaction au réchauffement climatique". Il y a donc pas de contradiction entre la baisse globale de la biodiversité et sa hausse locale : il y a bien de moins en moins d'espèces dans le monde, mais le brassage a été tel que celles qui restent se retrouvent en beaucuup plus d'endroits. Cette étude met ainsi en valeur une catactéristique essentielle et minorée des écosystèmes : "Nous ne devons pas parler seulement de la perte de la biodiversité, tance Maria Dornelas, nous devons aussi parler de son changement".

UN RENVERSEMENT DE PERSPECTIVE

De fait, l'écologie, science des interactions entre les êtres vivants et leur milieu, a longtemps été portée par le seul élan de conservation - la principale organisation mondiale de protection de la nature ne s'appalle-t-elle pas l'Union internationale pour la conservation de la nature ? Au point que le seul destin que nous semblons pouvoir imaginer pour cette nature est de rester en l'état ou de dépérir.
Mais les écosystèmes se réservent d'autres alternatives : ils ne cessent de changer, de se transformer, de se réinventer. Comme le résume George Sugihara, spécialiste de l'écologie océanographie à l'université de San Diego, "l'idée selon laquelle la nature serait en équilibre statique est un vou pieu". Cela ressemble un peu à une lapalissade - "la vie vit". Mais ce changement de perspective va beaucoup plus loin. Face aux nombreux fléaux que l'homme inflige à la nature, il débouche même sur une sévère remise en question des stratégies de conservation mises en ouvre aujourd'hui.
C'est le cas, par exemple, pour les espèces invasives. Ces animaux ou plantes le plus souvent transportés par l'homme (par avions, bateaux...), qui colonisent de nouveaux territoires, ont longtemps été mal vus. Il y a 3 ans, lorsque S&V leur consacrait sa une, la question centrale était : comment s'en protéger ? Et notait à l'époque qu'un petit groupe d'éminents chercheurs venait de lancer un premier pavé dans la mare, sous la forme d'une tribune au titre provocateur : "Ne jugez pas une espèce à son origine". Aujourd'hui, les mentalités, sur la base d'études toujours plus fines, évoluent tellement vite que la question centrale sur les espèces invasives semble plutôt être devenue : faut-il absolument s'en protéger ? "Parfois, en s'installant dans de nouveaux endroits, une espèce considérée comme invasive aide à sa propre conservation, souligne Jacques Tassin, biologiste an Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad), et auteur d'un livre, La grande invasion, qui lutte contre les préjugés sur ces intrus. Ainsi, l'iguane commun, qui est menacé dans son territoire d'origine, en Guyane, est au contraire invasif aux Antilles, où li s'en sort très bien, alors qu'il y a été introduit.

DES ÉCOSYSTÈMES DYNAMIQUES

Plus étonnant : il arrive que les espèces invasives sauvent la mise des espèces indigènes. C'est ainsi que 3 espèces d'oiseaux des îles Rodrigues ont tiré une ressource alimentaire inespérée de nouvelles essences d'arbres, plantées par l'homme dans les années 1980 pour lutter contre l'érosion des sols, "et ce sans même l'intervention d'un programme de conservation", souligne Jacques Tassin. Un exemple qui illustre à quel point la nature, grande opportuniste, n'est pas aussi conservatrice qu'on le pense.
Et si la véritable force des écosystèmes se cachait, non dans leur capacité à résister au changement, mais dans leur capacité à se réinventer ? Et si la clé de leur longévité résidait dans la fluctuation, et non dans le statu quo ? C'est cette nouvelle perspective écologique qui est aujourd'hui en train de s'imposer parmi les spécialistes. Une perspective qui trouve son point d'origine dans les travaux fondateurs de Buzz Holling sur la "résilience" des écosystèmes. Cette notion était jusqu'alors considérée comme la capacité d'un écosystème à résister à une perturbation pour revenir à l'équilibre de départ. L'écologue américain la définit plutéôt comme sa capacité à maintenir ses fonctions essentielles malgré les chocs, quitte à changer de forme. "Buzz Holling est arrivé en 1973 avec cette proposition inédite qu'un même écosystème peut exister sous différentes formes, qu'il peut rester intègre tout en adoptant des états différents", explique Lance Gunderson, qui fut un des collaborateurs du père de la résilience des écosystèmes. Pour se figurer ces états stables alternatifs, le mieux est d'imaginer une bille au fond d'un bassin qui symbolise l'état dans lequel il se trouve. Pour passer dans le bassin qui symbolise un autre état, le système doit franchir le col entre les deux bassins. Ce qui arrive lorsque la perturbation est suffisamment forte, ou lorsque ce paysage a été remodelé par les perturbations humaines (voir schéma).

UNE NOUVELLE ÉCOLOGIE 2.0

"L'exemple type est la pollution au phosphore d'un écosystème comme un lac, avec une eau claire, beaucoup de poissons et très peu d'algues", explique François Bousquet, chercheur au Cirad. Une fois que les sédiments ne peuvent plus absorber le phosphore, les eaux se chargent de cet élément chimique, ce qui profite aux algues et nuit aux poissons. La bille tombe alors dans un nouveau bassin : "Le lac devient un écosystème à eaux turbides, avec plein d'algues et peu de poissons. Cet état, encore plus stable que le précédent, sera difficile à faire rebasculer. Le problème, bien sûr, est que si la nature est indifférente aux changements, ce n'est pas le cas des hommes. Un lac a eaux turbides plein d'algues attirera évidemment moins les vacanciers...
Comment consolider les écosystèmes dans leur état désirable ? Comment anticiper les perturbations que nous lui imposons ? Est-il possible d'en faire basculer certains dans un état plus souhaitable ? Cette nouvelle perception dynamique des écosystèmes - devenus des "systèmes complexes adaptatifs" - promet une révolution des politiques écologiques. Dans les laboratoires, les spécialistes de cette écologie 2.0 sont à pied d'ouvre, à la recherche de cette nouvelle théorie de l'évolution - évolution des écosystèmes, et non plus des espèces. Une conférence sur le sujet rassemblant plus de 900 scientifiques s'est tenue à Montpellier en mai dernier. Mais la meilleure façon de saisir ce renversement paradigmatique est d'aller sur le terrain et d'observer les incroyables mutations de la nature face aux perturbations humaines (voir ci-dessous). Mal maitrisées, ces dynamiques réservent bien des surprises. Le cas des roselières l'illustre mieux que tout autre. "Ces étendues d'eau dominées par le roseau sont le théâtre de nombreuses activités humaines, chasse, pêche, pâturage, exploitation du roseau, mais aussi le repère de nichage privilégié de certains oiseaux rares ou menacés, comme le butor, détaille Raphael Mathevet, du Centre d'écologie fonctionnelle et évolutjve (CNRS). Si on décide de protéger ces oiseaux, une mesure radicale et instinctive serait d'interdire toute activité humaine dans le milieu. Le problème, c'est que la roselière est un écosystème dynamique qui à tendance à évoluer vers un autre état ! En l'absence d'exploitation, elle se développe, la matière organique s'accumule. L'écosystème peut alors devenir une tourbière, et ne plus convenir aux oiseaux que l'on voulait précisément préserver"...

L'AVÈNEMENT DES SOCIO-ÉCOSYSTÈMES

Autrement dit, c'est l'activité humaine qui maintient les roselières dans l'état de roselière. Plutôt qu'un écosystème, elles sont ce que ces nouveaux écologues appellent un "socio-écosystème". De quoi réfléchir à ce qui est naturel et ce qui ne l'est pas... "Avec l'empreinte humaine croissante sur la planète, nous trouverons de nombreux 'nouveaux écosystèmes' remarquablement résilients qui ont appris à vivre sous les perturbations, prédit Shonil Bhagwat, du laboratoire d'écologie à long terme de l'université d'Oxford, en Angleterre. Ils présenteront un assemblage d'espèces que nous n'avions jamais vu auparavant, et ils continueront d'interroger notre perception de ce qui est naturel". Loin d'en faire un droit à détruire, les spécialistes de cette écologie dynamique y voit la promesse d'une nouvelle alliance. "L'homme et la nature ne sont pas séparés, ils ont une trajectoire commune, ils subissent ensemble les chocs, note François Bousquet, chercheur au Cirad. La vision Homme versus Nature est aujourd'hui très minoritaire dans le milieu scientifique". Et cette alliance repose sur un nouveau credo : la clé de la preservation de la nature réside moins dans notre capacité à la conserver que dans son incroyable capacité à se réinventer. La preuve en 6 exemples.

C.L. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014

Face au Réchauffement la Toundra Arctique se Transforme en Paysage Verdoyant

C'est la région du globe où le réchauffement climatique est le plus violent : depuis les années 1970, l'Alaska arctique a vu sa température augmenter de 0,5°C par décennie, soit 5 fois plus que la moyenne mondiale.

Un tel choc thermique aurait de quoi saccager la toundra arctique, transformant cette vaste étendue de lichens et d'herbacées basses en un grand chaos boueux. Or, les scientifiques assistent à tout autre chose. "Les images satellites montrent que l'ensemble de l'Arctique est en train de verdir, signale Josh Schimel, spécialiste de la toundra à l'université de Californie. Sur le terrain, nous voyons apparaître des plantes ligneuses (arbustes et buissons)".
Que se passe-t-il ? En réalité, la toundra est en train de se réinventer en un écosystème spécifique, un type de végétation appelé fruticée. Les ressorts de cette transformation ont été découverts en 2005, par Josh Schimel et des experts du Laboratoire de recherche et d'ingénierie des régions froides (États-Unis). Tout se joue en hiver. La douceur inhabituelle (sous l'effet du réchauffement) permet aux microbes des couches superficielles du sol de conserver une activité plus longtemps pendant la saison, produisant des nutriments qui restent piégés sous terre. Dès lors, une spirale s'enclenche dans le réseau écologique. L'été suivant, ces nutriments favorisent la pousse d'arbustes, lesquels profitent de températures estivales elles aussi plus clémentes. Puis, un autre hiver commence... Les branches des buissons naissants piègent les flocons de neige qui déferlent dans le blizzard, si bien que l'épaisseur du manteau neigeux gagne jusqu'à 50 % sous les arbustes par rapport au reste de la toundra. Préservé par cette couche isolante, le sol affiche une température supérieure à la normale. D'autant que les feuilles mortes de ces nouveaux arbustes tombées à l'automne participent à cette isolation. Du coup, l'activité microbienne hivernale se fait encore plus intense ; cette fruticée sera de nouveau stimulée l'été suivant, assurant une isolation du sol encore meilleure l'hiver d'après. Et ainsi de suite. Grâce aux échanges permanents entre les microbes du sol et les arbustes, ce nouvel équilibre semble particulièrement stable. "L'ampleur et la vitesse de cette mutation sont encore mal connues", estime Josh Schimel. Mais si les températures continuent sur cette lancée - ce qui semble bien être le cas -, il est possible que ce paysage prenne définitivement le pas sur la toundra. "Ces espaces en cours de formation vont héberger dans les années ou décennies à venir de nouvelles associations d'animaux et de plantes, poursuit le chercheur américain. Comme dans tout changement, il y aura des gagnants et des perdants : à mon avis, le caribou ne trouvera plus son compte en Arctique, car cet animal a besoin des espaces ouverts de la toundra pour migrer et se nourrit de lichens à la mauvaise saison ; or, la fruticée dense rend toute traversée difficile, et ce milieu est pauvre en lichens. Les gagnants seront peut-être les espèces habituées à évoluer en forêt boréale, comme l'orignal". Sous l'assaut du réchauffement climatique, un écosystème connu de tous est en train de se réinventer.

C.L. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014

Face à la Surexploitation la Morue reprend ses droits dans l'Atlantique Nord

Un océan vide de poissons ? La perspective fait frémir... En 1991, au large de la Nouvelle-Ecosse (Canada), les scientifiques constataient l'effondrement de la population de morues, exterminée par plusieurs décennies de pêche industrielle débridée.

Cette année-là, les chalutiers avaient encore remonté 105.000 t de ces poissons, ne laissant que de rares survivants, désormais incapables d'assumer leur rôle de prédateurs dominant l'écosystème. Dans un milieu aussi vaste et stable que cette partie de l'Atlantique, les chercheurs ne s'attendaient pas à un gros bouleversement - la vie s'écoulerait juste sans morues. D'où leur surprise en constatant que cet écosystème a trouvé le moyen de se réinventer... presque à l'identique. "Nous avons d'abord assisté à un complet renversement de situation, décrit Kenneth Frank, du Bedford Institute of Oceanography (Canada). Les prédateurs sont devenus des proies, et les proies des prédateurs".
Dès 1992, la chaîne alimentaire est bouleversée. Jusqu'alors pourchassés par les morues, les petits poissons fourrages (hareng, lançon...), mais aussi des invertébrés (crevette nordique, crabe des neiges), s'emparent du statut de chasseur. Et dévorent les alevins de morue qui ont encore l'audace d'éclore ! La morue semble alors condamnée, en dépit d'un moratoire sur la pêche en 1993. Dans le même temps, la biomasse des invertébrés double, celle des poissons fourrages est multipliée par 9... Un tout nouvel écosystème émerge. Mais au fil des années, cet équilibre se révèle précaire : les harengs en surnombre épuisent les stocks de zoo-plancton (animal) ; s'ensuit une famine, qui décime une partie des effectifs de harengs ; en parallèle, profitant du déficit de zoo-plancton, le phytoplancton (végétal) se multiplie par 6. Autant d'événements qui favorisent... le retour de la morue. Car ses alevins se nourrissent de phytoplancton, tandis que les harengs, moins nombreux, sont moins menaçants. Leur taux de survie s'en trouve multiplié par 70. Ainsi, depuis 2005, les populations de morues se reconstituent, reprenant leur rôle de prédateur. "On observe de grands bancs au large de Saint-Pierre-et-Miquelon, visiblement en bonne santé et retrouvant une migration normale", s'enthousiasme Kenneth Frank. Et voilà la chaîne alimentaire de nouveau fonctionnelle ! "L'écosystème est à peu près revenu è son état antérieur, même si le haddock semble y jouer un rôle plus important", précise le chercheur. Reste à savoir si cette stupéfiante réversibilité s'applique à d'autres écosystèmes malmenés : en mer Noire, en mer du Japon ou au large de la Namibie, la morue se fait encore attendre.

F.G. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014

Face à la Pollution Chimique la Vie renaît dans une portion du Canal de la Deûle

Voilà bien un écosystème que l'on croyait condamné à la stérilité. Dans le Nord-Pas-de-Calais, le canal de la Deûle ne donnait plus signe de vie depuis plus d'un siècle.

Ses sédiments sont en effet gorgés de produits chimiques et de métaux lourds depuis le XIXe siècle. Et pourtant... Une portion d'environ un kilomètre de longueur offre depuis une dizaine d'années une biomasse et une diversité exceptionnelles ! "Sandres, brochets, carpes, brèmes, gardons, perches... tous ces poissons d'eau douce repeuplent les eaux polluées", s'étonne Florent Lamiot, écologue à la Région Nord-Pas-de-Calais. Comment cette partie du canal a-t-elle pu se transformer en un véritable aquarium géant ? "Grâce à l'apport d'eau pompée dans les nappes de Lille, puis au rôle décisif d'une espèce invasive, les moules zébrées, qui filtrent les particules en suspension, stockant plomb et cobalt dans leurs coquilles", répond l'écologue.
Autre point clé de ce nouvel écosystème : l'installation, depuis environ 6 ans, d'éponges d'eau douce, familières des pays scandinaves. Qui non seulement filtrent l'eau, mais dont le mode de vie (en symbiose avec des micro-algues vertes qui leur fournissent de l'oxygène) participe aussi à l'oxygénation de la zone et donc au développement des plantes aquatiques, escargots, coquillages et alevins. Ce nouvel écosystème sera-t-il stable ? "C'est la grande question, admet Florent Lamiot. Il faudrait qu'il soft assez robuste pour perdurer sans apport d'eau et dans le cas ou les métaux lourds emprisonnés dans les sédiments remonteraient à la surface". L'observation récente d'éponges d'eau douce dans le canal de Roubaix est toutefois un point positif : "Cela laisse entrevoir un début de colonie possible à pertir de cette petite réserve naturelle".

A.P. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014

Face à l'Urbanisation la Faune et la Flore changent de Nature

Pur produit de l'homme pour l'homme, la ville est un environnement majoritairement bétonné, sec, piétiné, pollué. Un milieu où il est difficile d'imaginer que certaines espèces puissent se développer sereinement.

Et pourtant ! Depuis quelques années, les scientifiques constatent l'incroyable capacité de certaines espèces à s'approprier peu à peu ce nouvel univers de vie - en particulier les espèces opportunistes aux dynamiques rapides de colonisation. Par exemple, les corneilles. Absentes des villes jusqu'au début des années 1990, voici qu'elles les envahissent en masse, au point de poser aujourd'hui problème : à Paris, elles dégradent les poubelles et malmènent les promeneurs. Eux aussi attirés par la nourriture facile, de nombreux autres oiseaux s'adaptent à la ville : moineaux, étourneaux, pies, grives litornes, colombes à collier....
Les mammifères ne font pas exception, des blaireaux aux rats musqués en passant par les écureuils et même les renards roux. Laura Fortel, à l'Institut national de la recherche agronomique, a quant à elle montré cet été que les milieux périurbain et urbain de Lyon regroupaient dorénavant près du tiers de la diversité des abeilles françaises. Côté flore, c'est tout aussi impressionnant. Les experts de l'écologie urbaine recensent dores et déjà plus de 1000 espèces de plantes sauvages à Paris (consoude, roquette, orchidée, pissenlit, ortie...). Inévitablement, avec le temps, une nouvelle vie s'invente autour du béton. L'ornithologue Bernard Cadiou laisse aux goélands quelques décennies pour former une espèce urbaine à part entière : "Alors que les colonies naturelles perdent la moitié de leurs effectifs tous les 10 ans depuis 1990, la population de goélands continue de croître dans les villes, de plus en plus loin des côtes. A Paris, ils évoluent dans un archipel urbain où chaque pâté de maisons représente un flot de vie. En ville, tout est mieux : poubelles, déchets ménagers ou encore vers de terreau au hasard d'un rond point, d'un jardin public. On leur a mis le gîte et le couvert". Les communautés animales et végétales s'installent donc durablement en ville. Mieux, elles y déploient de nouvelles stratégies d'organisation. Romain Juliard, biologiste de la conservation au Muséum national d'histoire naturelle (MNHN), souligne que "la plasticité des espèces animales leur permet de profiter des ressources présentes". Une plasticité qui amène la flore et la faune à modifier leurs modes de vie. Par exemple, plus besoin de construire un nid ! Une machinerie d'ascenseur, un conduit d'aération ou tout simplement un toit fournissent des habitats idéaux pour nombre d'animaux. "Le colvert, qui niche habituellement sur le sol en campagne, investit les hauteurs en ville", décrit le chercheur. Un accès facilité à la nourriture, associé à une diversité moindre des espèces, restreint les interactions agressives entre espèces et limite les prédateurs. Résultat de cette pacification, des populations qui augmentent rapidement, à la longévité accrue : "En ville, les merles vivent jusqu'à 2 ans de plus que leurs homologues campagnards. Autre phénomène notable : les animaux se sédentarisent, réduisant leurs comportements migratoires. Le microclimat urbain, bénéficiant de quelques degrés de plus qu'en campagne, facilite en effet les hivernages. Le "cocooning urbain" se généralise également. La saison de reproduction est prolongée, et les liens familiaux renforcés : "La période de reproduction des merles urbains commence 1 à 4 semaines plus tôt que celle des merles de la campagne, et le dernier né quitte le nid 1 mois plus tard l'été". Philippe Clergeau, écologue au MNHN, confirme : "La faune suit les modifications urbaines. Nous avons même vu des grillons se nourrir de tabac et de filtres de cigarettes dans le métro parisien". Tandis que le faucon crécerelle ne chasse plus de la même façon et se nourrit de moineaux et de gros insectes en lieu et place des musaraignes et campagnols. Nathalie Machon, écologue au MNHN, a étudié la même dynamique pour le monde végétal, qui, contre toute attente, se réinvente plus qu'il ne s'adapte : "Toute activité anthropique a une contrepartie sur l'organisation des plantes. Elles adoptent des comportements spécifiques à leur environnement urbain". En ville, la pâquerette sera plus résistante au piétinement et le pissenlit aura tendance à disséminer ses graines à proximité afin de leur permettre de bénéficier de la terre, rare, à disposition. "Une barrière culturelle est en train de se créer entre les espèces, estime Romain Julliard. Qui précise : Il faudra observer les évolutions sur des dizaines ou des centaines d'années, mais les conditions sont réunies pour engendrer des populations urbaines génétiquement différentes". En clair, une nature des villes, inédite jusqu'ici, est en train de naître.

A.P. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014

Face à l'Invasion d'Espèces les Forêts Hawaïennes trouvent un nouvel Essor

A priori, tous les ingrédients du drame écologique sont réunis à Hawaï : voici une île isolée au milieu du Pacifique, couverte d'une flore totalement spécifique et préservée jusqu'à ce que l'homme apporte dans le sillage de ses bateaux, et désormais de ses avions, plus d'un millier d'espèces végétales invasives.

Ici plus qu'ailleurs, ces spécimens d'origine étrangère étaient susceptibles de faire disparaître sur leur passage toute végétation indigène, déstabilisant les équilibres locaux et les menant vers un effondrement catastrophique. C'était sans compter sur les formidables capacités de réorganisation des écosystèmes.
Les chercheurs du Smithsonian Tropical Research Institute (installé au Panama) ont en effet comparé les forêts natives des basses terres, gorgées de typiques arbustes à fleurs (Metrosideros polymorpha), avec les forêts dominées à environ 90 % par des espèces introduites (comme Albizia falcataria, venue de Bornéo et Java en 1917). Ils ont ainsi constaté que ces nouvelles communautés végétales assurent toutes les fonctions biogéochimiques (stockage du carbone, cycle des nutriments) que l'on est en droit d'attendre d'une forêt. Mieux : cette alliance composite entre espèces invasives et natives se révèle plus efficace que les forêts typiquement hawaïennes en termes de production de biomasse, de stockage du carbone et de cycle du phosphore et de l'azote. "Dans certaines îles, des espèces invasives apportent des fonctionnalités qui manquaient aux communautés locales de plantes ou d'animaux, souligne le botaniste Stefan Schnitzer, l'un des auteurs de cette étude. En outre, dans beaucoup d'îles, ces envahisseurs permettent aussi d'augmenter le nombre d'espèces disponibles - en dépit de la disparition d'espèces natives". Depuis 1700 ans et l'arrivée de l'homme à Hawaï, au moins 1090 espèces de plantes d'origine étrangère se sont installées, quand seulement 71 cas d'extinction de flore native ont été repérés. Résultat : les forêts présentent une biodiversité 2 fois plus riche et sont significativement plus productives... même si certaines espèces endémiques d'oiseaux et d'insectes n'y trouvent plus forcément leur place. Cas d'école, l'archipel d'Hawaï démontre que l'arrivée d'espèces invasives peut aussi donner un nouvel essor aux écosystèmes.

C.L. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014

Face aux Déchets un Écosystème Marin émerge du Plastique

"Seuls nous, les hommes, sommes capables de produire des déchets que la nature ne peut pas digérer". Ainsi s'exprimait Charles Moore, navigateur océanographe, lorsqu'il découvrit en 1997 une gigantesque étendue de débris plastiques flottant dans le Pacifique Nord. Une infime partie de ce qu'on appelle aujourd'hui le 7ème continent.

Ce continent a priori stérile regroupe, à raison de 200.000 morceaux de plastique par km², les déchets concentrés dans 5 tourbillons géants des océans Pacifique, Atlantique et Indien. Stérile, vraiment ? En 2013, les analyses, à l'lnstitut océanographique de Woods Hole (États-Unis), de ces débris de plastique ont révélé... une vie foisonnante à leur surface ! Chacun de ces fragments perdus dans l'océan est en effet colonisé par d'innombrables organismes vivants : bactéries, algues brunes unicellulaires...
Ainsi est née la "plastisphère", stupéfiant écosystème autonome né quasiment centre-nature au cour des océans. La nature déjoue décidément toutes les prévisions. Tracy Mincer, biochimiste à Woods Hole, précise que "la diversité bactérienne retrouvée sur le plasfique induit un véritable cycle de vie : toute une communauté de plantes unicellulaires, de microbes prédateurs et de bactéries vivent en symbiose entre eux et avec leurs homologues non organiques". D'ailleurs, la nouvelle communauté, dont la longévité surpasse celle de la plupart des débris naturels, a des propriétés qui lui sont propres : on y trouve des bactéries absentes de l'eau de mer ! En effet, la surface du plastique est hydrophobe, ce qui engendre la formation d'un biofilm à l'origine de bactéries aux propriétés particulières. Avec sa croissance microbienne rapide, la "plastisphère" serait même capable de modifier l'équilibre des couches superficielles de l'océan. Plus encore, Erik Zettler, auteur principal de l'étude, a souligné l'existence de bactéries susceptibles de dégrader les hydrocarbures... et donc le plastique : "Des observations au microscope électronique montrent des cellules microbiennes incorporées dans des trous à la surface du plastique". Quoiqu'il en soit, la "plastisphère", problème écologique majeur, en apporte une nouvelle fois la demonstration : non seulement la nature est capable de se réinventer, mais elle est même en mesure de s'inventer.

A.P. - SCIENCE & VIE N°1165 > Octobre > 2014
 

   
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