La Mort, C'est...

Les Sciences aux Portes de l'Au-Delà (EMI)

À quoi ressemble l'ultime instant ? Faute de pouvoir faire parler les morts, les scientifiques décortiquent les récits d'expérience de mort imminente (EMI). Des témoignages troublants qui pourraient permettre de mieux comprendre les mécanismes de la conscience.

La mort est paradoxale. Personne n'y échappe mais, pour des raisons évidentes, c'est probablement l'expérience humaine la moins documentée. Certes, on a de bonnes idées de ce qui la précède. C'est tout simplement la vie ! Et chacun a son opinion, invérifiable, sur ce qu'il advient après. Mais à quoi ressemble l'ultime instant où l'on passe de vie à trépas ? Dans un corps en perdition, alors que le cerveau absorbe ses dernières bouffées d'oxygène, que ressent-on ? Perçoit-on encore quelque chose ? Quelle peut être la dernière pensée générée par des neurones moribonds ?
Une chose est certaine : plus qu'un instant, la mort est un processus qui démarre à l'arrêt du cour et, donc, de la circulation sanguine. En deux à trois minutes, le cerveau est totalement privé d'oxygène. Pour autant, toutes les zones de ce gros consommateur d'énergie n'offrent pas la même résistance. Ainsi, les premiers dysfonctionnements se font sentir dans la sphère supérieure, siège de la mémoire, de l'apprentissage et du langage. Ils se propagent ensuite vers le bas, jusqu'au tronc cérébral, responsable des fonctions réflexes, telle la respiration. Si rien n'est fait, c'est la mort cérébrale assurée, synonyme de mort tout court, en quelques minutes, ou quelques dizaines de minutes, dans des cas rares.
Certes, le schéma général du processus physiologique de la mort est relativement bien connu. Mais comment être plus précis sur les états de conscience traversés par un mourant, entre l'arrêt du cour et la mort cérébrale ? À priori, pour répondre, il faudrait faire parler les morts. Or la science est formelle : ils ne reviennent pas. Heureusement pour elles et pour notre curiosité, pourtant, certaines personnes ayant subi un arrêt cardiaque peuvent être soustraites in extremis par la médecine à un processus le plus souvent inéluctable. Et parmi ces miraculés, de 6 à 20 %, selon les rares études sur le sujet, reprennent conscience avec le souvenir de ce qu'il est convenu d'appeler une expérience de mort imminente, ou EMI.

LE PARENT PAUVRE DES NEUROSCIENCES
Les similitudes entre récits d'EMI et représentations religieuses sont troublantes : certains y voient la preuve d'une vie après la mort, d'autres l'influence de la culture. Ici, l'Assomption de la Vierge, fresque de la cathédrale de Parme
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Alors que les neurosciences sont à la mode, les articles scientifiques sur les états de mort imminente sont étonnamment rares. S'agit-il d'un tabou ? La science serait-elle mal à l'aise avec les récits déroutants de personnes ayant approché la mort ? Pourtant, d'après Steven Laureys, directeur du Groupe de sciences du coma au centre de recherche Cyclotron et chef de clinique au service de neurologie du CHU de Liège, "les EMI sont très intéressantes pour documenter les états cérébraux proches de la mort". Pour ce chercheur, le peu d'intérêt apparent manifesté par la communauté scientifique pour les EMI serait essentiellement dû à la difficulté de les étudier. Pour ce faire, il faudrait en effet pouvoir observer le cerveau de personnes en train de vivre une EMI avec les outils les plus modernes des neurosciences, tels le scanner ou l'IRM. Or ces personnes, forcément mourantes, nécessitent des soins incompatibles avec les contraintes d'une étude scientifique. Du reste, une EMI survient sans prévenir, tout comme l'arrêt cardiaque qui en est à l'origine. Et ne dure probablement qu'une poignée de secondes... Les témoignages restent donc les sources d'information les plus précieuses sur le sujet.

DES MILLIERS DE TÉMOIGNAGES

Impression de sortie du corps ou "décorporation", sensation d'extase, intégration de détails ahurissants de l'environnement par des personnes censément inconscientes... Disons-le sans détour, les EMI mettent au défi les neurologues. Mais elles apportent des informations précieuses pour élucider la manière dont sont ressentis les derniers instants. Et qui sait si leur analyse précise ne débouchera pas, in fine, sur une conception radicalement nouvelle des mécanismes de la conscience et de l'esprit ?
Qu'on en juge à travers le témoignage suivant, recueilli par Jean-Pierre Jourdan, un médecin généraliste qui, depuis vingt ans, consacre une journée par semaine à l'étude des témoignages d'EMI : "Je roulais en voiture derrière un camion quand une pierre a été projetée à travers le pare-brise et m'a atteint au front. Au moment du choc, j'ai vu une lumière violente, et j'ai eu l'impression de me trouver dans de la ouate, avec un mouvement en spirale qui allait en s'accélérant. Il n'y avait pas de son, mais je percevais une sorte de rythme, un peu comme une locomotive. Puis une lumière laiteuse, dorée, douce, chaude, tendre, rassurante, accompagnée de la disparition de toute sensation désagréable. J'avais une impression de paix indestructible. Je me suis ensuite retrouvé au plafond d'une chambre. J'ai vu un pauvre type avec des tubes et des fils. C'est en reconnaissant un grain de beauté que je me suis dit : "Mais c'est toi !" J'ai vu le personnel changer les perfusions, nettoyer la chambre. Puis j'ai éprouvé le besoin de sortir de cette pièce. Je me souviens avoir visité l'hôpital, en m'amusant à voler dans les escaliers ! J'ai pu vérifier après coup que ces endroits existaient bien et j'ai reconnu les gens qui s'étaient occupés de moi quand j'étais dans le coma".
Difficile à admettre ! Pourtant, depuis la publication en 1975 du best-seller Life After Life (La Vie après la vie), où Raymond Moody, médecin et docteur en philosophie, livrait pour la première fois les récits de personnes ayant vécu une EMI, des milliers de témoignages similaires ont été recueillis à travers le monde. Et une chose frappe : les "symptômes" sont toujours à peu près les mêmes, au point que l'on peut dresser un schéma type de l'EMI.
Tout commence par une subite "reprise de conscience" accompagnée de l'impression de percevoir depuis l'extérieur son corps et l'environnement. La perception de l'environnement est d'ailleurs démultipliée, atteignant des intensités bien plus élevées que chez une personne consciente. Les individus qui ont vécu une EMI parlent aussi de tunnels obscurs au bout desquels ils ont aperçu une intense lumière, celle-ci se confondant avec la sensation d'un amour bien plus fort que tout ce qu'elles avaient pu ressentir au cours de leur vie. Une vie qui est d'ailleurs revisitée, soit dans son entier, soit dans ses moments clés, mais souvent en adoptant des points de vue nouveaux. Pour beaucoup, cette partie de l'expérience se fait en compagnie d'un guide bienveillant ou d'un être de lumière dont la description peut dépendre de la religion ou, plus généralement, du contexte culturel. C'est, enfin, l'impression d'avoir accédé à un savoir absolu mais dont on ne conserve aucun souvenir une fois redevenu conscient.

UN SIMPLE CHAMBOULEMENT NEURONAL ?

Relevant les similitudes entre ces manifestations et certaines représentations religieuses du passage de vie à trépas, certains ont interprété les EMI comme la preuve de l'existence d'une vie après la mort. Bien évidemment, la science est incompétente sur cette question. Mais de toute façon, comme le souligne Steven Laureys, à la tête du Groupe de sciences du coma au centre de recherche Cyclotron, et chef de clinique au service neurologie du CHU de Liège, "si un patient reprend conscience après un arrêt cardiaque, c'est qu'il n'était pas mort. Car personne ne revient de la mort". Façon de préciser que les sujets d'une EMI sont bien vivants et que leurs souvenirs renvoient à une activité cérébrale qu'il reste à élucider.
Pionnière dans le domaine, Susan Blackmore, au département psychologie du Collège Saint-Matthias (Bristol) observe en 1996 que l'arrêt de l'oxygénation du cerveau peut entraîner une désinhibition du cortex visuel. Normalement chargé de former des images à partir des informations transmises par la rétine, celui-ci fonctionne alors en roue libre : les neurones transmettent des messages électriques de manière anarchique. La moitié de ces neurones étant dédiés à la vision centrale, il n'est pas absurde d'imaginer que cette désinhibition se manifeste d'abord par un point lumineux centré sur un fond sombre. Ensuite, l'activité de plus en plus intense du reste du cortex générerait d'autres points lumineux en périphérie, d'où l'impression d'avancer dans un tunnel.
Comme l'indique Catherine Fischer, au service de neurologie fonctionnelle et d'épileptologie du CHU de Lyon, "en cas de mort, cet effet de désinhibition touche également les structures de l'audition. Alors que le patient se rapproche de la fin, on voit donc paradoxalement l'activité des voies auditives multipliée par deux ou trois. Il est donc tout à fait envisageable qu'une partie des manifestations des EMI soit liée à une libération des fonctions sensorielles".
Par ailleurs, toujours en 1996, Susan Blackmore note que le système limbique, une région cérébrale liée aux émotions et aux souvenirs, est particulièrement sensible au manque d'oxygène. D'où, peut-être, un phénomène de désinhibition neuronale entraînant une sensation de voir défiler sa vie et une décharge émotionnelle exceptionnelle. Celle-ci baignant dans un flot d'endorphine, une substance naturelle proche de la morphine. Cette molécule sécrétée par le cerveau en cas de choc est connue pour bloquer les mécanismes de la douleur et provoquer une intense sensation de bien-être.
Quant à la sensation de décorporation, il semble qu'elle ait trouvé un début d'explication en 2001. Olaf Blanke, au département de neurologie du CHU de Genève, prépare alors une femme épileptique de 43 ans pour une opération en stimulant différentes parties de son cerveau par de faibles décharges électriques. Or, au moment où le chirurgien atteint le gyrus angulaire droit (une zone cérébrale séparant le lobe temporal et le lobe pariétal), la patiente aurait eu l'impression de s'élever horizontalement à deux mètres au-dessus de son lit et d'observer ses jambes et son buste. Elle se serait alors écriée : "Je me vois d'en haut !"
Pour autant, les EMI, et donc la façon dont le cerveau vit ses derniers instants, sont encore loin d'avoir livré tous leurs secrets. C'est en tout cas l'avis de Jean-Pierre Jourdan, pour qui "des explications parcellaires juxtaposées concernant diverses caractéristiques ne peuvent en aucun cas rendre compte de la totalité de l'expérience". Comme il le précise, "dans les expériences de Blanke, il y a perception d'une partie de son corps par le patient. Alors que dans le cas d'une EMI, les témoins se voient en entier. Par ailleurs, ils perçoivent depuis cette position des éléments objectifs de la scènce où ils sont plongés. On sait que l'on peut provoquer n'importe quelle illusion en stimulant la bonne zone cérébrale, mais il y a dans certaines EMI une perception objective et vérifiée par la suite qui pose de réelles questions".
Et d'ajouter : "Je peux vous citer le cas d'un homme hospitalisé à Montpellier dans un état critique, au point que l'on a demandé à sa femme où elle voulait qu'il soit inhumé. Or à son réveil, l'homme a non seulement décrit comment sa femme était habillée lorsqu'il était inconscient, mais aussi le neurologue, qu'il n'avait jamais vu. Il a de plus rapporté des conversations qui ont eu lieu alors qu'il était notablement sourd !"

APPROCHER LA MORT CHANGE LA VIE
La plupart des scientifiques en sont persuadés, les expériences de mort imminente trouvent leur origine dans le substrat neuronal. Pour autant, elles laissent les personnes qui les ont subies avec la sensation d'avoir vécu une expérience transcendante, voire mystique. L'ensemble des témoignages d'EMI sont d'une cohérence remarquable. Il y est question d'un amour qui dépasse tout ce que l'on a pu connaître avant, d'êtres de lumière ou d'une compréhension globale et totale de l'Univers. Au point que les personnes qui les rapportent se taisent souvent longtemps avant d'oser parler - parfois des années. Et lorsqu'elles se décident à enfin partager leur expérience, c'est avec des sanglots dans la voix qu'elles voient leurs souvenirs refaire surface. L'expérience est si bouleversante qu'elle a même d'étonnantes implications sur le plan éthique. "Les gens en ressortent souvent plus altruistes, détachés des valeurs de pouvoir. Des gens qui étaient des "pourris" se mettent à faire le bien", explique, avec son franc-parler, Jean-Pierre Jourdan, qui a passé ces vingt demières années à recueillir et analyser des témoignages d'EMI (1). Mais les personnes qui ont approché la mort au plus près deviennent souvent aussi plus fragiles, en perte de repéres, et éprouvent des difficultés à "se retrouver". Le plus souvent, elles restent obsédées par le besoin de comprendre ce qui leur est arrivé. Sans y parvenir. (1) Voir le site www.iands-france.org.

CERTAINES VISIONS RESTENT INEXPLICABLES

Spécialiste des expériences de mort imminente, Sam Parnia, au département de médecine pulmonaire et de réanimation de l'université Cornell, à New York, abonde dans ce sens : "Certaines personnes ont raconté au médecin qui les avait sauvées exactement ce qu'il leur avait fait. D'après les données neurologiques dont nous disposons, nous sommes incapables d'expliquer comment une personne dont le cerveau est, a minima, sérieusement désordonné et dans un état de choc sévère, peut se souvenir de détails objectifs précis mieux que ne le pourrait une personne consciente. Il y a paradoxe".
Au point que ce chercheur iconoclaste n'hésite pas à battre en brèche les connaissances des neuroscientifiques sur le fonctionnement du cerveau : "Il est possible que les témoignages d'EMI indiquent que des états de conscience peuvent perdurer alors que le cerveau ne fonctionne plus. Qui sait si cela n'implique pas de repenser la question du corps et de l'esprit dans un cadre totalement différent, celui de la mécanique quantique par exemple ? Ce qui pourrait expliquer comment la conscience peut perdurer de façon délocalisée par rapport au cerveau".
Steven Laureys préfère couper court à toute interprétation qui sortirait du cadre de ce qui est scientifiquement démontré. Comme il le précise, "il n'y a aucun doute que les témoignages d'EMI renvoient à une réalité sous-jacente. Laquelle ? On sait encore trop peu de chose sur le fonctionnement du cerveau lors des EMI pour répondre. Pour autant, jusqu'à preuve du contraire, il n 'y a pas d'exemple d'état de conscience sans activité cérébrale. Et un électroencéphalogramme plat ne signifie pas absence d'activité : cet examen enregistre les ondes électriques engendrées par le cerveau, mais dont l'intensité est réduite de 70 % par la traversée de la boîte crânienne". Et d'ajouter : "En science, on ne peut faire qu'une chose : proposer des hypothèses et les tester". De ce point de vue, Sam Parnia a proposé une expérience originale pour déterminer si, oui ou non, une EMI permet à un mourant de voir des choses qu'il ne verrait pas normalement.

REVOIT-ON DÉFILER SA VIE AVANT DE MOURIR ?
Une émotion forte viendrait réactiver les neurones liés à la mémoire, et faire ressurgir des souvenirs que l'on croyait enfouis...

Pour le savoir avec certitude, il faudrait faire parler les morts ! En tout cas, c'est ce que racontent certaines personnes, qui ont bien cru leur demière heure arrivée. Au moment de leur mort supposée, elles ont vu toute leur vie défiler dans leur tête, parfois avec un luxe de détails. Comment expliquer une telle rétrospective ? Les mécanismes cérébraux de la mémoire sont encore loin d'avoir été élucidés. Mais les spécialistes du cerveau ont constaté que certains stimuli, telles une peur extrême et, plus généralement, une décharge émotionnelle particulièrement intense, avaient le pouvoir de faire ressurgir des souvenirs que l'on croyait enfouis. Plus précisément, ces émotions auraient la propriété de "réveiller" les neurones associés aux structures mémorielles, les faisant libérer l'information qu'ils contiennent. Il n'est donc pas impossible qu'en cas de mort violente, toute notre vie resurgisse dans le dernier instant.

DES EXPÉRIENCES INÉDITES IN SITU

Le chercheur a ainsi disposé des chiffres dans les salles de réanimation de plusieurs hôpitaux afin qu'ils soient visibles uniquement par quelqu'un qui regarderait du plafond. Des patients sujets à une EMI ont ensuite été interrogés. Verdict : personne jusqu'à aujourd'hui n'a manifestement prêté attention à ces chiffres...
Des expériences similaires ont récemment débuté dans le service de Jean-Pierre Postel, anesthésiste-réanimateur à l'hôpital de Sarlat. "Nous espérons que cette étude pilote permettra d'affiner un protocole définitif d'ici le début de l'année prochaine. Protocole qui, selon nos objectifs, pourra être étendu à une dizaine d'établissements en France", indique Jean-Pierre Jourdan, à l'origine du projet.
En l'état actuel des connaissances, une seule chose est sûre : chacun d'entre nous sera un jour confronté à cette expérience ultime. Et ne pourra certainement pas la partager... Mais en confrontant récits d'EMI et neurosciences, les chercheurs arriveront peut-être bientôt à toucher du doigt les derniers instants.

MATHIEU GROUSSON - SCIENCE & VIE HS > Septembre > 2009

Un Excès de CO2 dans le Corps pourrait Expliquer les EMI

Un taux élevé de dioxyde de carbone dans l'air expiré et dans le sang a été observé chez des patients ayant vécu une EMI.

Visions, sensation de sortir de son corps, lumière au bout d'un tunnel... les patients qui viennent de vivre une expérience de mort imminente (EMI) ont une quantité de dioxyde de carbone (C02) dans l'air expiré et dans le sang au-dessus de la normale. Telles sont les conclusions d'une étude menée par Zalika Klemenc-Ketis, de l'université de Maribor (Slovénie), sur 52 patients ayant survécu à un arrêt cardiaque.

Parmi ceux-ci, 21 % ont connu une expérience de mort imminente et avaient un taux significativement plus élevé de C02 dans l'air qu'ils expiraient et dans leur sang. "L'augmentation de la quantité de CO2 modifie l'équilibre acide-base du cerveau, ce qui peut entraîner des visions. D'ailleurs, des études ont déjà montré que l'utilisation de C02 comme agent psychothérapeutique peut provoquer des expériences similaires à celles d'une EMI", explique la chercheuse. En revanche, celle-ci n'a trouvé aucun lien entre la survenue d'une EMI et l'âge, le sexe, le niveau d'éducation ou les croyances religieuses des patients.

C.H. - SCIENCE & VIE > Juin > 2010

 

   
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