Questions Insolites sur la Mort

En quoi se Transforme le Corps après la Mort ?

F.C. - SCIENCE & VIE N°1221 > Juin > 2019

Questions Insolites




ÇA M'INTÉRESSE QUESTIONS RÉPONSES N°24 > Novembre 2018-Janvier > 2019

Pourquoi la Mort est-elle Inéluctable ?

"La mort d'un individu est inéluctable, parce que dans notre monde, il y a toujours un pot de fleur qui tombe et crée l'accident". Thomas Lenormand, du Centre d'écologie fonctionnelle et évolutive (Cefe), à Montpellier, est clair : la mort n'est pas une "invention" de la biologie, c'est un fait physique incontournable. Le risque zéro de recevoir un pot de fleurs sur la tête n'existe pas. Et du moment que la probabilité n'est pas nulle, l'événement finit par advenir si on lui en donne le temps. C'est mathématique...

Imaginons qu'un organisme capable de rester indéfiniment jeune ait malgré tout 5 % de risques de mourir d'un accident dans l'année à venir, pour cause de cyclone, séisme, chute de matière, etc., ou plus simplement par prédation ou par tarissement des ressources alimentaires. Si ce risque ne varie pas au cours des années (l'enviromement ne change pas), ses chances d'être encore en vie dans 100 ans sont à peine de 0,6 %. Sur 1000 "immortels", seuls 6 seraient donc encore sur pied pour fêter leur centenaire.

CONSÉQUENCE DE LA REPRODUCTION : Le trépas n'est donc pas une invention du vivant, qui a dû, au contraire, faire avec. Car en soi, il n'y a pas d'obstacle biologique à l'immortalité. À preuve : on connait des pins vieux de près de 5000 ans qui semblent être aussi vigoureux que des jeunes pousses grâce à une sorte de régénération biochimique dans leurs cellules chaque printemps. Les hydres, quant à elles, sont capables de se régénérer lorsqu'on les ampute et semblent tout aussi indifférentes au temps qui passe. Seulement, à cause du pot de fleurs, leurs risques de mourir tendent toujours vers 100 % avec le temps. Les organismes sont condamnés à composer avec cette fatalité. Et ils semblent avoir fait plus que s'en accommoder. On les voit anticiper cette incontournable fin à travers une sorte de chemin bien balisé : le vieillissement. Attention à ce mot : les spécialistes de l'évolution (biologistes, généticiens, etc.) ne l'entendent pas comme tout un chacun. Pour eux, ce n'est ni une affaire d'âge ni le ressenti d'une diminution physique ; le vieillissement est un concept directement lié à la mort : un organisme vieillit s'il est le siège d'un processus actif conduisant vers sa mort naturelle, sans l'intervention d'un pot de fleur, d'un prédateur ou d'un manque de nourriture.
Comment cette autodestruction - prématurée au regard du risque d'accident - a-t-elle alors pu s'installer au sein du vivant ? "Le vieillissement est une conséquence de la reproduction", répond tout de go Hervé Le Guyader, professeur de biologie évolutive à l'université Pierre-et-Marie-Curie à Paris. Réponse de prime abord assez énigmatique : en quoi le fait d'avoir une descendance serait-il lié au fait de mourir ? C'est ici qu'entre en scène l'évolution des espèces, telle que la définit Charles Darwin. "Imaginons une population d'organismes soumise au départ à un risque de mort accidentelle relativement élevé et dont les ressources disponibles ne lui permettent pas de croitre de manière illimitée, explique Thomas Lenormand. Il y a des chances que, sur plusieurs générations, cette population évolue vers des individus qui se reproduisent tôt, puis péréclitent, c'est-à-dire vieillissent". En effet, les individus qui ont subi par hasard une mutation du génome favorisant un cycle de reproduction plus rapide et précoce engendreront un plus grand nombre de descendants avant que le fatidique pot de fleurs ne leur tombe sur la tête. Les autres mourront aussi par accident, mais sans s'être reproduits autant de fois. Comme les caractères génétiques sont transmis à la génération suivante, le gène de reproduction rapide se répand dans la population au cours des générations. Et cette vitesse de reproduction finit par rendre majoritaires les individus portant ces gènes. Or, comme les ressources sont limitées, la population ne peut croitre indéfiniment, et les représentants à reproduction lente disparaissent peu à peu. On dit que le génome de reproduction rapide a été sélectionné - même s'il s'agit d'un abus de langage, puisqu'il n'y a aucun sélectionneur dans l'affaire ; il s'agit d'un résultat statistique reposant sur les seules lois causales de la physique.
Mais le génotype se "charge" aussi en parallèle de mutations parasites, elles aussi héréditaires. Certaines dégraderont prématurément l'organisme, c'est-à-dire le feront vieillir. On en arrive ici au point essentiel... "Il y a 2 origines possibles à la sénescence, précise Thomas Lenormand. Elle est provoquée soit par un 'effet secondaire' des mutations favorables à une reproduction soit par des mutations 'annexes', ne concernant pas la reproduction".

NOTRE HÉRITAGE BIOLOGIQUE MODIFIÉ : Voilà donc le double fin mot de l'histoire... Dans le premier cas, on se trouverait en présence de gènes qui, d'abord, favoriseraient la reproduction, mais contribueraient à dégrader l'organisme par la suite, après le cycle de reproduction. Ce serait le cas du diabète, des tumeurs de la prostate, voire de la maladie d'Alzheimer. Dans le deuxième cas, on trouverait des mutations qui ne concernent pas la reproduction et qui ne la compromettent pas, mais qui provoquent la mort de l'individu, une fois le cycle de reproduction passé. Ce serait le cas des mutations provoquant la maladie d'Huntington, qui ne se manifeste que tardivement.
Reste une chose curieuse : dans les sociétés industrielles, de la reproduction de l'homme moderne coincide, voire dépasse le début de son vieillissement biologique, qui se manifeste dès 25 ans... C'est que les caractéristiques essentielles de notre génome se sont fixées il y a quelque 200.000 ans, époque où les probabilités de survie au-delà de 20 ou 25 ans étaient très faibles. Mais notre développement culturel et technologique a modifié profondément nos comportements par rapport à notre héritage génétique, et a allongé la qualité et le temps de vie. Homo sapiens va-t-il se mettre à vieillir plus tard ? Difficile de le prévoir, car la vie moderne est trop récente à l'échelle du temps de la sélection naturelle... Si des modifications génétiques du vieillissement devaient se manifester, elles ne le feraient que dans des dizaines de milliers d'années.

R.I. - SCIENCE & VIE QUESTIONS RÉPONSES N°6 > Janvier > 2011
 

   
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