Élucider le Rôle du Plancton |
Découverte de plus de 100 Millions de Gènes dans l'Océan |

SCIENCE MAGAZINE N°58 > Mai-Juillet > 2018 |
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Plancton : Le plus Vaste Écosystème livre ses Secrets |

Chaîne alimentaire, climat. Alors qu'il joue un rôle vital sur Terre, le plancton restait largement méconnu. Mais après 3 ans d'expédition sur toutes les mers et un déluge d'analyses génétiques, le projet Tara Oceans lève enfin le voile sur le plus vaste et mystérieux des écosystèmes. Avec des surprises à la clé, dont Yann Chavance a sélectionné les plus décisives.
Jusqu'ici, c'était à la fois l'écosystème le plus important de notre planète. et l'un des plus méconnus. Un chiffre résume cet état de fait : le plancton représente 98 % de la biomasse des océans, alors que les scientifiques n'en connaissaient qu'une infime proportion. A la base de toute la chaîne alimentaire marine, mais aussi rouages essentiels de la grande machine climatique - la moitié de l'oxygène que nous respirons provient du plancton -, les premiers habitants du monde du silence avaient su garder leurs secrets. Mais le projet Tara Oceans est passé par là, avec sa débauche de moyens exceptionnels : 3 ans d'expédition en goélette sur tous les océans du globe, 140.000 kilomètres parcourus, pour au final relever quelque 35.000 échantillons de plancton sur plus de 200 stations de prélèvement, suivant un protocole standardisé de mesures tous azimuts (filets, pompes, bouteilles emprisonnant l'eau de mer à différentes profondeurs, instruments de mesure de l'eau de mer, etc.).

AU CRIBLE DU SÉQUENÇAGE : "Notre objectif était de corréler la structure des écosystèmes planctoniques avec les paramètres environnementaux : température, salinité, acidité ou encore concentration en oxygène, tout ce qui permet de caractériser une colonne d'eau", explique Eric Karsenti, biologiste au CNRS/Laboratoire européen de biologie moléculaire (Heidelberg, Allemagne) et directeur scientifique du projet. La plupart des échantillons ont été transportés au Genoscope d'Evry, où ils sont passés au crible des séquenceurs génétiques (des appareils permettant de lire la suite de bases qui constituent l'ADN). "Ce projet a mobilisé pendant plusieurs années près de la moitié des moyens de séquençage dont nous disposons, souligne Patrick Wincker, du Genoscope. C'est à ce jour la masse de données la plus importante jamais produite en termes de génomique environnementale, quel que soit l'environnement considéré".
La quantité de matériel génétique séquencé équivaut à environ 4000 génomes humains et correspond, au niveau bactérien, à 40 millions de gènes, dont jusqu'à 80 % peuvent être considérés comme nouveaux. Sachant que seul un tiers des échantillons récoltés a été analysé, Patrick Wincker compte mobiliser encore une cinquantaine de personnes jusqu'en 2017. "Cela dépasse largement le plancton, s'enthousiasme le biologiste marin Colomban de Vargas (CNRS/université Pierre-et-Marie-Curie), l'un des coordinateurs scientifiques du projet. Pour la première fois, nous avons décrit un écosystème mondial dans sa globalité, avec tous ses composants. Les règles que l'on commence à déchiffrer pourraient s'appliquer, plus généralement, au fonctionnement d'autres écosystèmes. Il y a un vrai espoir dans ce domaine !" D'autant que toutes les données de séquençage sont mises à la disposition de la communauté scientifique. "Des choses très originales en sortiront sûrement, car les chercheurs s'approprieront ces données avec leurs propres idées, se félicite Eric Karsenti. La beauté de ces résultats, c'est qu'ils peuvent être utilisés à différents degrés de complexité, pour mener des études à l'échelle planétaire comme pour étudier des détails de certains gènes ou organismes".

INCROYABLEMENT COMPLEXE : Cette titanesque "pêche au plancton" donne déjà un premier aperçu des règles qui régissent ce monde incroyablement vaste et complexe, dans lequel l'homme n'avait encore jamais véritablement pénétré. Diversité, composition, modes d'interaction ou encore distribution à travers la planète, la première moisson de résultats publiés par les équipes de Tara Oceans dessine un portrait inédit de ces écosystèmes errant au gré des courants. Des mondes où les protistes (des organismes unicellulaires à noyau) règnent en maîtres, où les parasites sont légion, et où la température et les courants jouent les chefs d'orchestre. Voici les premiers secrets arrachés au monde microscopique du silence.
Y.C. - SCIENCE & VIE N°1176 > Septembre > 2015 |
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Le Plancton, ce Nouvel El Dorado |
L'expédition Tara a découvert des milliers de créatures marines inconnues dans tous les océans du globe.


S.R. - SCIENCES ET AVENIR N°821 > Juillet > 2015 |
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Son Infini Diversité se Révèle |


La goélette Tara est revenue de son tour du monde en mars dernier avec, dans ses cales 27.882 échantillons constituant le premier recensement global du plancton.
Les premiers résultats dessinent déjà de grandes tendances. Côté quantitatif, "les analyses ADN laissent deviner une diversite énorme : plus d'un million d'espèces, indique Chris Bowler, coordinateur scientifique et biologiste à l'ENS-CNRS. On parlait jusque-là d'une centaine de milliers. Voilà qui souligne notre ignorance de ces écosystèmes".
Côtê qualitatif, ce portrait rapide fait ressortir certaines espèces se distinguant par leur originalité (morphologie, mode de vie, etc.) ou par leur omniprésence. Il permet aussi "d'identifier les zones pauvres et riches en diversité, note Cbris Bowler, et les populations présentes. Ce qui est important pour évaluer la sensibilité des écosystèmes à la pollution et au changement climatique"... Rencontre avec quelques représentants de ce monde méconnu.
E.R. - SCIENCE & VIE > Décembre > 2012 |
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"Tara" : la Fin du Voyage |

L'expédition Tara-Océans partie en 2009 explorer les écosystème marins se termine.
Le tour du monde de Tara lui a fait visiter 4 océans et 42 pays en deux ans et demi. Tara rejoint le Gulf Stream pour son retour, sorte d'énorme fleuve en pleine mer, dont le débit moyen équivaux à 300 fois celui de l'Amazone. La puissance du Gulf Stream fonctionne comme un tapis roulant sur lequel les navires s'engagent pour gagner de la vitesse.
Le voilier d'aluminium a ainsi parcouru quelque 115.000 km pour explorer ce monde invisible, presque totalement inconnu à ce jour. Pourtant, phytoplancton et zooplancton représentent 98 % de la biomasse marine. Le phytoplancton constitue même le deuxième poumon de la planète, à l'égal des forêts tropicales, en produisant la moitié de notre oxygène.
Il faut dire qu'il y a du monde dans 1 mililitre d'eau de mer : 1000 à 100.000 eucaryotes, 1 à 10 millions de bactéries, 100 millions de virus géants, etc ; soit autant d'êtres minuscules aux effets majeurs. Le plancton c'est aussi le premier maillon de la chaîne alimentaire des océans. A l'heure du changement climatique, comment va-t-il s'adapter ? La disparition d'espèces va-t-elle entraîner un bouleversement au sein des écosystèmes marins et plus largement dérégler la machine climatique ?
L'expédition Tara-Océans avait pour deuxième objectif d'inspecter l'état de santé des coraux sur 102 sites de l'océan Indien (Djibouti, Maurice, Mayotte) et du Pacifique (Gambier). Quelque 1500 échantillons en ont été rapportés. Les plongées in situ ont permis de prendre le pouls.
Aux îles Gambier, par exemple, l'optimisme est de mise, puisque toutes les espèces enregistrées en 1974 ont été à nouveau recensées, à l'exception de Stylophora pistillata, un corail branchu sensible aux variations de température. Mieux, les plongeurs ont découvert 10 nouvelles espèces dans cette zone. La situation est bien plus inquiétante autour de Mayotte, dont les coraux présentaient en 2010 le niveau de blanchiment et la mortalité les plus aigus de l'océan Indien, avec plus de 50 % des coraux blanchis et 30 % de mortalité pour les sites les plus touchés. Ce sont les coraux des eaux intérieures et troubles des lagons qui ont le mieux résisté au stress thermique, par opposition à ceux des eaux claires de l'extérieur des lagons.
SCIENCE ET AVENIR N°781 > Mars > 2012 |
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Au mois de mars 2012 prendra fin l'une des campagnes d'exploration océanique les plus originales jamais entreprises, avec le retour à Lorient de la goélette Tara. Baptisée "Tara Oceans", l'expédition s'est consacrée pendant trois ans à l'étude du plancton dans le monde entier.
Le plancton ? Il ne s'agit pas seulement des petites algues marines dont se nourrissent les poissons, mais de l'ensemble des organismes en suspension dans les mers du globe. Un véritable écosystème, à la fois gigantesque et méconnu, qui se trouve depuis une dizaine d'années dans le collimateur de la science. Et pour cause. Les chercheurs ont découvert que cet écosystème s'avère être un élément clé de la biosphère, et même du système Terre dans son ensemble ! Qu'on en juge : il représenterait, selon les dernières estimations, 80 % de la vie du globe ; il effectuerait la moitié de la photosynthèse terrestre ; il joue un rôle décisif dans ce qu'on appelle la pompe biologique à carbone, un mécanisme qui élimine naturellement une partie du CO2 émis par l'homme ; et il est le support biologique des populations de poissons - d'où son importance pour l'alimentation humaine.

Un rôle clé pour la planète... qui contraste avec sa méconnaissance. Ainsi, jusqu'aux années 1990, c'était principalement les plus gros spécimens du zooplancton qui étaient à portée des filets et des loupes binoculaires des chercheurs. Mais les progrès de la génomique et des moyens d'observation ont contraint les biologistes à remodeler entièrement leur vision du plancton. "D'abord, on a longtemps pensé qu'il se limitait protiquement à la couche de surface, rappelle Purification Lopez-Garcia, du CNRS d'Orsay, une des principales spécialistes du domaine. Or, plusieurs campagnes ont révélé qu'il y en avait à toutes les profondeurs." Ensuite, il s'est avéré que la composante la plus petite du plancton était très importante, par sa masse (80 % du plancton est constitué de microbes, dont la plupart font moins de 2 µm de diamètre) et surtout par ses fonctions écologiques. "On a découvert quantité de métabolismes très originaux, dont des êtres dits mixotrophes, qui utilisent à la fois l'énergie de la lumière et celle contenue dans leurs aliments, s'enthousiasme la chercheuse. Mais aussi des mécanismes extraordinaires, comme ces virus qui 'forcent' les cellules qu'ils parositent à faire de la photosynthèse en leur injectant les gènes ad hoc, afin d'optimiser leur propre multiplication".
Le problème est que cette moisson de découvertes récentes s'est faite de manière dispersée, en ciblant telle ou telle fraction du plancton selon les centres d'intérêt des investigateurs... D'où la démarche "globale" de Tara Oceans, visant à faire émerger une vue d'ensemble de l'écosystème planctonique. "Notre objectif est de répondre à deux questions, résume Colomban de Vargas, de la Station biologique de Roscoff, l'un des coordinateurs scientifiques du projet. Primo : qui est là ? Autrement dit, accumuler le plus d'informations possible sur l'identité biologique des organismes présents. Et secundo : quelles sont les grondes règles qui gouvernent la répartition et l'organisation de ces communautés ?" Deux questions qui nécessitent de disposer de données. En trois ans, la mission aura donc collecté, sur près de 200 stations de mesures judicieusement réparties sur la planète, pas moins de 50.000 échantillons !
L'URGENCE D'EN SAVOIR PLUS
L'idée est de prélever en même temps à trois profondeurs et onze niveaux de taille différents, depuis la fraction virale, inférieure à 0,2 µm, jusqu'aux "gros" organismes millimétriques du zooplancton, en passant par les bactéries et les protistes. À chaque fraction de taille correspondent des techniques de collecte et d'analyse dernier cri : filtres successifs, imagerie en flux, comptages automatiques, etc. Suivies, bien sûr, des analyses génétiques et métagénomiques (l'étude collective des gènes) en laboratoire. De plus, une batterie de données physiques (température, salinité, lumière, concentration en nutriments, acidité...) complète ces "instantanés" descriptifs du plancton.
Car, à terme, l'objectif est bien d'aller vers une modélisation : quels organismes sont présents, en quelles quantités, en fonction de quelles conditions environnementales ? "Par exemple, nous avons des stations de prélèvements dans différents océans, où l'acidité est supérieure à la moyenne, explique Colomban de Vargas. Si les communautés vivantes présentes se ressemblent, cela nous donnera des indications sur les conséquences biologiques de l'acidité". Et justement, à l'ère de l'acidification et du réchauffement global, disposer de modèles permettant d'anticiper l'évolution de l'océan est un objectif pressant. Un objectif pour lequel les données de Tara s'avéreront particulièrement précieuses.
SCIENCE & VIE > Janvier > 2012 |
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