Symbiose Bactéries-Plantes |
Des Bactéries Alliées des Cultures |

A.A. - LA RECHERCHE N°560 > Juin > 2020 |
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Ces Bactéries qui Dopent les Plantes |
Le mécanisme de symbiose bactérienne permet à certaines plantes de croître fortement et de manière naturelle. A quand une agriculture sans engrais chimique ? Explications.
RHIZOBIUM : Bactérie vivant dans les premiers centimètres du sol, capable de fixer l'azote de l'air et de le transformer en ammoniac pour sa plante hôte. Il en existe plusieurs dizaines d'espèces vivant préférentiellement avec certaines plantes.
AZOTE : Element chimique qui compose 78 % de l'atmosphère terrestre. Les minéraux qui contiennent principalement de l'azote sont les nitrates. Le procédé Haber Bosch de synthèse chimique de l'ammoniac exige de grandes quantités d'énergie obtenue à partir de la combustion de gaz naturel.
SYMBIOSE : Association entre deux organismes vivants qui retirent de leurs échanges un bénéfice mutuel. Les deux partenaires sont appelés symbiotes.
1,7 million de tonnes d'engrais chimiques ont été épandus en France en 2011, soit 74 % des engrais utilisés cette année-là.
1 million de tonnes : La production de pois, luzerne et autres légumineuses en France (2011).
52 à 83 % des gaz à effet de serre produits par l'agriculture sont dus aux engrais azotés.
"Je suis tout simplement admiratif de personnes aussi jeunes, aussi matures, aussi intelligentes". Jean Dénarié, 74 ans, fait chapeau bas devant les 3 lycéennes irlandaises de 16 ans qui viennent de remporter l'édition 2014 du Google Science Fair, le concours scientifique du géant américain de l'Internet. Emer, Ciara et Sophie ont en effet démontré que des bactéries fixatrices de l'azote de l'air, appelées rhizobiums, vivant sur les racines des légumineuses (plantes à gousses, aussi appelées fabacées) pouvaient améliorer la germination des grains et favoriser la croissance des céréales. "J'essaie de convaincre mes collègues chercheurs de les inviter en France pour une éventuelle collaboration" poursuit le directeur de recherche émérite de l'Inra, l'Institut national de la recherche agronomique. Qu'ont donc réellement découvert ces jeunes filles pour mériter cette admiration ? La base de leur réflexion remonte à des millénaires, les Egyptiens de la fin de l'Antiquité ayant déjà remarqué qu'une récolte de riz était meilleure après que le champ eut servi à cultiver du trèfle d'Alexandrie. En Amérique centrale, les peuples précolombiens associaient le maïs et le haricot pour obtenir de meilleurs rendements. Empiriquement, les agricultures du monde entier ont donc utilisé pendant des siècles cette faculté des haricots, pois, luzerne, soja à pousser sans engrais tout en améliorant la qualité des sols.
Mais ce n'est qu'à la fin du XIXe siècle que l'explication a été trouvée : c'est en s'associant à des bactéries spécifiques que les légumineuses ont obtenu ces propriétés étonnantes. Il y a environ 60 millions d'années, lorsque cette nouvelle famille de plantes est apparue, elles se sont en effet liées à des bactéries capables de capter le diazote de l'air - que les végétaux ne peuvent exploiter - pour le transformer en ammoniac, qu'ils peuvent assimiler (infographie ->). Ces plantes ont ainsi acquis un avantage adaptatif certain puisque leur croissance n'est pas limitée par la disponibilité en nitrate des sols. Elles disposent au contraire d'un énorme garde-manger : les 78 % de diazote qui composent l'atmosphère terrestre. C'est pourquoi les légumineuses forment de grosses graines car elles ont de quoi fabriquer beaucoup de protéines. "Dans cette association à bénéfice mutuel, la plante fournit une niche protectrice et de l'énergie aux bactéries qui, en échange, synthétisent de l'ammoniac pour leur hôte", résume Jean Dénarié. Les 3 lycéennes irlandaises, dotées d'une solide fibre scientifique, ont eu l'idée de s'intéresser à ce sujet très ardu lors d'une séance de jardinage. "La maman d'Emer cultivait son potager, racontent-elles aujourd'hui. Elle a trouvé des nodules sur les racines de ses plants de petits pois. Emer a trouvé ça intéressant et les a apportés à notre prof de sciences". La simple curiosité se mue alors en expérience. Les jeunes filles font une recherche bibliographique et remarquent que si les vertus des rhizobiums
sur les légumineuses sont bien décrites, peu d'expériences ont été menées sur leur adaptation aux céréales. L'idée germe : vérifier si cela marche aussi avec le blé. Avec deux buts bien en phase avec leurs préoccupations d'adolescentes : "faire reculer la faim dans le monde et réduire l'utilisation des engrais chimiques". Pour leur experience, les 3 amies ont utilisé une découverte faite... à Toulouse, précisément par le Laboratoire des interactions plantes-micro-organismes (LIMP), cofondé en 1981 par Jean Dénarié : il existe des gènes spécifiques aussi bien chez les bactéries que chez les plantes à l'élaboration de la symbiose. Le laboratoire a d'abord développé des outils génétiques capables de déterminer ces zones de l'ADN.
Un mini-chromosome pour contrôler la symbiose. Choisie pour son petit génome, Medicago truncatula (luzerne tronquée) est devenue un modèle de laboratoire ainsi que sa bactérie associée Sinorhizobium meliloti. "Nous avons ainsi montré que chez les rhizobiums, le gène contrôlant la symbiose sont situés sur un mini-chromosome spécifique, à partir duquel les gènes nod qui contrôlent la spécificité d'hôte, l'infection et la formation des nodosités ont pu être clonés et caractérisés", explique Jean Dénarié. Puis, les équipes toulousaines ont montré que ces gènes nod contrôlent également la synthèse et la sécrétion de signaux de reconnaissance entre plante et bactéries, appelés facteurs nod, qui sont des lipochito-oligosaccharides (LCO), des molécules composées de chaines de lipides et de sucres. Qu'ont fait les jeunes Irlandaises ? Chez elles, elles ont construit des incubateurs à température contrôlée et une chambre aseptisée, où des graines de blé et d'orge ont été mises à germer dans de petits pots. Ces pots ont été inoculés avec des
extraits infimes de LCO issus de deux bactéries tests R. leguminosarum et R. japonicum. Les chercheuses en herbe n'ont pas oublié de créer un groupe témoin sans inoculation et mené la culture de 2 groupes de plantes, l'un à petite échelle sous serre, l'autre dans le jardin de la maman d'Emer en plein air dans des bacs.
En 11 mois, les jeunes Irlandaises ont mené 125 expériences sur 9500 exemplaires de graines demandant 120 000 mesures manuelles. Elles ont ainsi noté une augmentation de la vitesse de germination des graines de 40 % tandis que l'orge inoculée présente une production majorée de 70 % de matière sèche. "Ces résultats montrent un potentiel significatif d'augmentation des rendements des cultures et une diminution des pertes dues à de mauvaises conditions météo", concluent, enthousiastes, les lauréates. Mais sans doute un peu vite... Car, si l'initiative est remarquable, les resultats, eux, doivent être tempérés. "Nous constatons presque toujours que les résultats en condition de laboratoire ne se confirment pas en pleine nature", prévient Guillaume Bécard, directeur du Laboratoire de recherche en sciences végétales (LRSV) de l'université Paul-Sabatier de Toulouse. Il faudrait donc pouvoir mener de longs essais en conditions réelles pour s'en assurer. En outre, les chercheurs doutent que les 2 souches bactériennes choisies puissent s'adapter aux sols agricoles des pays pauvres que ciblent les jeunes filles.
Si les laboratoires toulousains ne se sont pas lancés dans ce genre d'expérimentations, c'est qu'ils sont accaparés par une autre piste, très prometteuse, ouverte à Toulouse : l'utilisation des symbioses mycorhiziennes. Datant d'il y a au moins 400 millions d'années, l'association plante/champignon aurait permis rien de moins que l'adaptation des plantes aquatiques sur Terre. 330 à 340 millions d'années plus tard, les bactéries auraient pioché dans la même boite à outils moléculaires pour réaliser leur propre symbiose avec les légumineuses. Ainsi, ce sont les 3 mêmes gènes de la plante qui sont requis pour la symbiose avec les bactéries, comme avec les champignons. Et les rôles sont complémentaires puisque les bactéries captent surtout du nitrate et les champignons du phosphore. "Du coup, la communauté des chercheurs sur les bactéries et celle sur les champignons, qui ne se parlaient pas, se sont mises à collaborer", s'amuse Guillaume Bécard. Les scientifiques ont une idée simple en tête. "Puisque 90 % des plantes terrestres - légumineuses comprises - sont 'mycorhizées' et ont donc des gènes de reconnaissance des LCO, il devrait être plus facile de leur faire accepter une symbiose bactérienne", conclut Guillaume Bécard. C'est sur cette idée qu'a été formé en 2012, et pour 5 ans, le programme scientifique Engineering Nitrogen Symbiosis for Africa (ENSA), financé par la fondation Bill et Melinda Gates. Le pool, composé de laboratoires britanniques, danois, américains et français, cherche les clés génétiques pour autoriser une symbiose bactérienne sur le maïs. L'ambition est d'améliorer les rendements des paysans africains sans qu'ils aient besoin d'acheter des engrais chimiques, inabordables pour eux. Le rêve des 3 Irlandaises est donc déjà en marche, mais il emprunte uue autre voie que la leur...
De même, certains se sont d'ores et déjà lancés dans l'utilisation industrielle des bactéries en agriculture. Dans la banlieue de Toulouse, la société Agrinutrition propose ainsi depuis 2012 aux agriculteurs d'ensemencer leurs sols de bactéries fixatrices d'azote. "Nous proposons ce que nous appelons la 'biodynamisation azotée des îlots agricoles' (BAIA), détaille Cédric Cabanes son PDG. Les agriculteurs nous envoient un échantillon de leur sol afin que nos chercheurs déterminent les populations bactériennes. Nous les multiplions et les renvoyons à l'exploitation pour qu'elles soient épandues sur les terres".
Les multinationales attirées par ce nouveau marché. L'an dernier, 5000 hectares ont ainsi été traités. Le début est timide mais les ambitions très grandes. Agrinutrition revendique un apport naturel de 20 à 50 kilos de nitrate par hectare, soit jusqu'à un tiers de la fertilisation azotée annuelle et une hausse de production de 2,5 quintaux par hectare. C'est à une tout autre échelle que se situe Novozymes, multinationale danoise employant plus de 6000 salaries dans le monde. Novozymes développe depuis les années 2000 des inoculats enrichis en LCO pour accélérer la formation de nodosités dans les grandes cultures de légumineuses comme le soja. "Sur le soja, ces extraits épandus à quelques dixièmes de milligramme par hectare permettent de se passer presque entièrement d'engrais chimique", témoigne Jean Dénarié, qui a assisté aux premières expériences dans le Wisconsin (Etats-Unis). Novozymes vient de signer un accord de partenariat à 300 millions de dollars (236 millions d'euros) avec une autre multinationale attirée par un marché de 2,3 milliards de dollars par an et avec un fort taux de croissance : Monsanto. Le géant américain, spécialiste des biotechnologies agricoles et notamment des très contestés OGM, tente ainsi de "mettre un pied" dans ce secteur d'avenir. On se demande ce que peuvent bien en penser nos 3 jeunes Irlandaises...
Loïc Chauveau - SCIENCES ET AVENIR N°813 > Novembre > 2014 |
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