P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
 Index ASTRONOMIE -> ASTROPHYSIQUE 
   
 
Pourquoi l'Univers Obéit-il à des Lois ?

Les physiciens n'ont de cesse d'écrire les lois qui régissent le monde, sous des formes toujours plus globales et abstraites. Mais sait-on au moins pourquoi l'Univers se laisse ainsi gouverner ?

Nous baignons dans les lois physiques comme des poissons dans l'eau, confiants dans le caractère réglé et régulier de la nature : pourquoi suis-je sûr que l'Airbus A380 que je vais prendre volera comme un oiseau malgré ses 500 tonnes ? Parce que selon les lois de l'aérodynamique, le déplacement horizontal des ailes crée une aspiration vers le haut, contrebalançant l'attraction terrestre. Pourquoi ? Cela découle des lois de la mécanique statistique, réglant le comportement des grands ensembles de particules (les gaz, les liquides, etc.) ; il y a aspiration parce que la densité de particules est plus faible au-dessus de l'aile qu'en dessous. Et pourquoi ? C'est ce que disent les lois de la mécanique et de la gravitation de Newton, qui servent de base à la mécanique statistique : tel est le comportement des particules maintenues à Terre par la gravité. Mais pourquoi une particule d'air subit-elle la gravité ? Parce que la loi de la relativité générale d'Einstein, qui intègre la théorie newtonienne, stipule que l'énorme masse de la Terre (6 x 1024 kg) déforme l'espace (et le temps) autour d'elle en formant un "creux" d'où les particules, malgré leur énergie, ne parviennent pas à s'échapper. Alors pourquoi la matière courbe-t-elle l'espace ? C'est une des lois fondamentales de la physique de notre Univers ! L'A380 va voler parce qu'il repose sur la loi fondamentale de la relativité qui, avec les lois de la physique quantique, gouverne le monde. Oui, mais pourquoi y a-t-il des lois qui gouvernent notre Univers ? Les physiciens l'ignorent encore. Certains ne se posent même pas la question ! Mais d'autres y travaillent...

DES LOIS PHYSIQUES QUI S'EMBOÎTENT

Pour tenter de répondre, il faut déjà savoir ce qu'est une loi et d'où elle émerge. "À la base de nos lois physiques, il y a le fait que nous percevons naturellement l'existence de phénomènes qui se répètent dans le temps et dans l'espace", explique Carlo Rovelli, chercheur au Centre de physique théorique de Luminy, à Marseille. Chaque loi naturelle décrit donc quelque chose qui ne varie pas dans le déroulement d'un certain type de phénomène naturel : tous les objets chutent sur Terre avec la même accélération quelle que soit leur masse, toutes les étoiles du type du Soleil suivent une courbe de luminosité identique, l'eau bout toujours à 99,98°C sous la pression atmosphérique normale... Il existe donc des lois parce qu'il y a des régularités dans le monde physique. Est-ce la bonne réponse ? Non, car on pourrait dire l'inverse, à savoir qu'il y a des régularités parce qu'il existe des lois...
"Pour répondre à la question, il faut déjà regarder comment s'organisent nos lois physiques, relève Michel Spiro, président du Conseil du Cern, l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, près de Genève. On observe qu'elles s'emboîtent les unes dans les autres dans un mouvement vers la synthèse et l'abstraction". À la base de la pyramide, les lois naturelles expriment la régularité des phénomènes que nous observons directement dans le monde : tout en haut, les plus abstraites, la relativité et la physique quantique. Entre les deux, des lois intermédiaires. Par exemple, dire que tout corps pesant tombe, c'est déjà énoncer une loi naturelle, la plus simple, qui traduit une régularité de phénomènes perceptible par chacun.

3 LOIS ENGENDRENT TOUTES LES AUTRES

Les Grecs anciens connaissaient déjà cette loi, mais elle gagne en abstraction en 1604, quand Galilée lui découvre une régularité plus profonde : tous les corps pesants tombent avec la même accélération en fonction du temps, quelle que soit leur masse (ce qu'on exprime par la formule v=gt). Mais ce n'est là que le début du processus d'abstraction. De fait, à la même époque, Johannes Kepler établit les premières lois mathématiques du mouvement des planètes : si presque toutes les civilisations anciennes avaient l'intuition de la régularité naturelle de l'errance de ces astres, le savant en donne une expression précise mais abstraite (l'une de ces lois mathématiques s'écrit (2π/T)² x a³= k, où T est la pérode de révolution de la planète, a est le demi-grand axe de la trajectoire elliptique de la planète et k une constante). Moins d'un siècle plus tard, en 1687, les lois de Kepler et de Galilée ont été intégrées par Isaac Newton dans une loi plus générale, celle de la gravitation universelle (qui s'exprime F=GMm/R²). Dès lors, il suffit de connaitre la loi de la gravitation pour retrouver les lois de Galilée et de Kepler, même si cela nécessite le déroulement d'un raisonnement mathématique complexe.
L'emboîtement des lois physiques, des plus simples et concrètes aux plus abstraites, est caractéristigue de cette discipline : Newton lui-même a été absorbé par Einstein, dont la théorie de la relativité a fait gagner un degré d'abstraction à la théorie de la gravitation universelle (qui n'est plus qu'une approximation de la première). "En principe, souligne Carlo Rovelli, on pourrait déduire toutes les lois à partir de celles de la relativité, de la mécanique quantique, et du modèle standard des particules, ce dernier s'inscrivant dans le cadre quantique. "L'emboîtement est donc aussi bien historique que mathématique : la dynamique de la recherche a conduit les physiciens à réduire à trois le nombre de lois qui engendrent "en principe" toutes les autres. Même s'il faudrait une sacrée dose de courage - et de temps - pour calculer, par exemple, la température d'ébullition de l'eau à partir des trois lois fondamentales !
Ce mouvement d'unification des lois laisse penser à certains physiciens qu'il sera un jour possible d'englober les trois lois fondamentales dans une seule et unique loi dite "théorie du tout". Alors, si celle-ci est la loi la plus fondamentale, pourra-t-elle enfin nous dire pourquoi il y des lois ?

LE CAS DE LA THERMODYNAMIQUE
Dans le paysage des théories physiques, la thermodynamique détone, car ses lois sont les seules à pouvoir décrire certains phénomènes, alors qu'elles dérivent tout de même causalement des trois lois de base (relativité, quantique et modèle standard) ! Cette théorie décrit les transformations que subit l'énergie des "systèmes" physiques (un moteur, un réfrigérateur, l'atmosphère, une étoile, un organisme vivant, etc.). En effet, à notre échelle, l'énergie s'exprime sous plusieurs modes (chaleur, mouvement, lumière, électricité, etc.) que les systèmes physiques passent leur temps à transformer et échanger. Par exemple, une dynamo transforme le travail mécanique d'une roue en énergie électrique permettant d'allumer une ampoule, l'atmosphère transforme l'énergie électromagnétique des rayons solaires en énergie mécanique (vent) faisant tourner une éolienne... En somme, la thermodynamique décrit le monde comme des vases communicants (les systèmes) se remplissant et se vidant de leur énergie au profit des autres. Et ce jeu est régi principalement par deux lois appelées "principes".
Jeu des vases communicants ; Le premier s'écrit "ΔU = W+Q", et instaure la conservation de l'énergie totale : l'Univers, le plus grand des systèmes physiques, possède depuis le big bang une certaine quantité d'énergie qui n'a jamais varié (seules varient les formes qu'elle prend) et tout échange entre deux systèmes doit respecter ce principe de conservation.
Le second principe s'écrit "ΔS ≥ Q/T" et décrit la manière dont l'énergie se transforme. Il stipule que tout système laissé à lui-même voit son énergie interne se dégrader. Par exemple, une batterie chargée laissée au repos finira par transformer son énergie électrique en énergie chimique, et ne pourra plus délivrer d'électricité. Cette dégradation sans perte d'énergie n'est pas liée à une imperfection technologique ; c'est une loi universelle, valant pour tous les systèmes, y compris l'Univers. La thermodynamique est une théorie à part car le second principe est la seule loi qui exprime une irréversibilité dans les phénomènes naturels, rendant ainsi compte du passage du temps, au contraire des autres lois physiques qui décrivent toutes des mécanismes réversibles. Certains physiciens supposent ainsi que le temps émerge de la dégradation énergétique. Le plus étonnant : cette irréversibilité est un phénomène émergeant des trois lois fondamentales, dès lors qu'on les applique à de grandes collections de particules, régies au niveau mathématique par les lois statistiques des grands nombres.

VERS UNE SEULE ET UNIQUE LOI ?

Plusieurs raisons peuvent nous faire douter de cette possibilité... "N'oublions pas que malgré son nom, la théorie du tout serait quand même une théorie bien particulière", rappelle Jean-Jacques Szczéciniarz, mathématicien, historien et philosophe des sciences à l'université Diderot-Paris 7. En effet, cette théorie du tout que recherchent les physiciens permettrait de comprendre comment les lois de l'Univers se sont mises en place à partir du big bang, il y a 13,7 milliards d'années. Mais même s'il n'y avait qu'une seule loi d'où dériveraient toutes les autres, il n'est pas garanti qu'elle puisse répondre au pourquoi de sa propre existence. En particulier, cette théorie ne dirait pas pourquoi le big bang s'est produit, dans quoi il s'est produit, ni ce qu'il y avait avant ou à côté... Les questions du pourquoi auraient donc encore une longue carrière devant elles. "Malgré la sophistication de nos théories physiques, nous sommes en réalité comme des fourmis qui se demandent si derrière ce petit caillou, il n'y a plus rien ou s'il y a d'autres cailloux ou encore une chambre de trois mètres sur quatre... Notre ignorance est énorme et nous sommes loin de pouvoir répondre à la plupart des questions, dont celle du pourquoi des lois physiques", résume Carlo Rovelli. L'énigme scientifique résiste ! Mais, "quand une question ne trouve pas sa réponse, c'est souvent qu'elle est mal posée. Nous pourrions peut-être nous demander pourquoi l'Univers est fait de telle sorte que nous y voyons des lois à tout bout de champ ? Après tout, c'est nous qui posons des questions à l'Univers", conclut le chercheur. Et Michel Spiro, du Cern, de préciser : "L'existence des lois n'est pas seulement une affaire de régularités du monde physique, notre manière de penser ce monde est aussi en jeu". La rationalité humaine jouerait-elle alors un rôle dans l'existence des lois physiques ? Cela frôle le non-sens. Pourtant, si l'on adopte ce point de vue, quelque chose de l'énigme du pourquoi pourrait bien se dévoiler...

LE GRAAL DE LA "THÉORIE DU TOUT"
Pour l'heure, la théorie de la relativité générale, qui décrit la gravité, c'est-à-dire la manière dont les masses s'attirent à grande échelle, est totalement incompatible avec la mécanique quantique et le modèle standard (ou "théorie électrofaible-forte"). Ces deux derniers concernent le monde de l'infiniment petit, et décrivent les interactions qui se jouent entre les particules élémentaires. La "théorie du tout", encore non établie, se propose de les unifier au sein d'une même loi. Elle décrirait tous les paramètres de l'Univers (à l'aide de constantes) et comblerait enfin le rêve absolu des physiciens : la "grande unification".
Le candidat au titre de théorie du tout le plus étudié est la théorie des cordes, encore inachevée, qui décrit les forces et les particules comme des modes de vibration particuliers d'entités élémentaires (des petites cordes, dont la réalité n'est encore que purement mathématique). Mais d'autres physiciens (dont Carlo Rovelli) misent sur une théorie plus simple qui permettrait de faire le lien entre relativité et mécanique quantique sans nécessairement les englober : la gravité quantique à boucles. Elle permettrait en particulier de comprendre la physique d'un trou noir, voire celle de la singularité originelle : le big bang. Ces deux phénomènes restent en effet pour l'heure indescriptibles, car ils répondent à la fois aux critères de la relativité générale et de la quantique, étant à la fois massifs et infiniment petits...

R.I. - SCIENCE & VIE HS > Septembre > 2011

L'Univers aussi a ses Raisons

On a tendance à croire que les lois de la physique s'imposent aux phénomènes. Et si c'était plutôt les phénomènes qui dictaient leurs lois ? Un monde sans loi où la gravité serait imprévisible ? Impossible à concevoir. Car méme le hasard a ses lois !

Pourquoi y a-t-il des lois dans l'Univers ? "C'est simple : essayez d'imaginer un monde sans aucune loi. Vous verrez, c'est impossible !" D'après Carlo Rovelli, du Centre de physique théorique de Luminy, à Marseille, s'il y a des lois physiques ce serait donc uniquement à cause de notre incapacité à penser le monde autrement. Cela frôle le non-sens et pourtant c'est convaincant !
Tentons d'imaginer un monde sans loi, où absolument rien n'est invariable, où rien ne se répète jamais, où tout est aléatoire. D'emblée, il ne pourrait y avoir de particules de matière ou d'énergie puisque l'idée de particules renvoie à celle d'une collection d'objets partageant une propriété commune invariante, ce qui constitue une loi. Pour la même raison, il n'y aurait ni espace ni temps car penser leur existence c'est déjà attribuer à l'Univers des propriétés constantes, à savoir le passage du temps et l'étendue spatiale. Bref, penser un Univers totalement aléatoire, c'est penser un non-Univers, c'est ne pas penser d'Univers du tout ! On peut aussi essayer d'imaginer un Univers ayant des lois, par exemple celle de la gravité, mais dont la valeur fluctue de manière aléatoire. Las ! L' aléatoire ou le hasard "est plein de régularités" signale Carlo Rovelli : la théorie statistique construite autour de ce concept en a extrait assez de lois (loi des grands nombres, loi des moyennes, etc.) pour remplir un livre ! Que l'idée d'aléatoire - qui signifie absence de loi - nous conduise à établir des lois, cela montre bien à quel point nous ne pouvons penser sans lois. Pour Michel Spiro, président du Conseil du Cern (l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire), cette impossibilité structure en partie les lois de l'Univers : "Nous ne pouvons nous empêcher de nous demander à propos de tout : comment ça marche ? De quoi c'est fait ? D'où ça vient ? Ce type de questions engendre des lois chaque fois plus générales et mathématiques".

MAINMISE DE LA LOGIQUE SUR L'UNIVERS

Car si les physiciens posent d'abord ces questions au monde extérieur (ce qui les conduit à regrouper sous une loi une multitude de phénomènes présentant une même régularité physique), ce sont ensuite les lois elles-mêmes qui sont soumises à la question. Les physiciens tentent de regrouper sous une même loi non plus des phénomènes mais des lois déjà établies présentant une régularité mathématique ou logique commune, comme si ces lois étaient elles-mêmes des phénomènes partageant certaines propriétés. "Le monde des lois se rapproche du monde de la matière, le monde des idées de celui des objets", résume Michel Spiro. Et ce schéma répétitif tend à engendrer systématiquement des lois plus générales, unifiant une multitude de lois plus ponctuelles. Et le physicien de préciser : "Si nos lois physiques s'emboîtent si bien, c'est que cette structure découle en partie de ce schéma répétitif de questionnement". Donc pour Carlo Rovelli et Michel Spiro, quelque chose de la pensée logique imprègne les lois physiques et leur dynamique d'agencement. Cette mainmise de la logique est particulièrement visible dans l'un des grands principes qui président à toute loi ou théorie physique (encadré ci-dessous), le principe de non-contradiction. Celui-ci est un argument purement logique qui instaure l'impossibilité physique de voyages temporels. C'est le logicien Kurt Godel qui, dans les années 1940, a mis le doigt sur ce fait : les lois de la relativité permettent d'imaginer un dispositif physique à remonter le temps (les "trous de ver spatio-temporels") mais cela est formellement interdit par la logique à cause du paradoxe du grand-père : si on revient dans le passé et qu'on tue son grand-père quand il était enfant, on ne naîtra pas, donc on ne reviendra pas dans le passé pour tuer son grand-père, et celui-ci vivra. Le paradoxe se pose aussi avec une particule qui remonterait le temps et interagirait dans le passé. Du coup, les seuls voyages temporels possibles concernent uniquement les particules élémentaires dont le temps de présence est si infime (10-43 seconde) qu'elles ne peuvent interagir avec d'autres.

QUATRE GRANDS PRINCIPES À LA BASE DES LOIS PHYSIQUES
Comme les mathématiques ont leurs axiomes, les lois physiques ont leurs principes, leurs règles de savoir-vivre scientifique, qui permettent de penser le monde.
Le principe de non-contradiction : une loi ne doit pas contredire celles qui sont déjà établies ni déboucher sur un paradoxe. On teste ainsi chaque nouvelle loi, en cherchant à la mettre en contradiction avec d'autres.
Le principe d'économie : son volet physique est le principe de moindre action : pour passer d'un état à un autre, un système physique emprunte la voie la plus directe, à l'image de la ligne droite pour le rayon lumineux. De ce principe dérivent les lois de la relativité générale et une partie de la physique quantique. Le pendant épistémologique de ce principe est le rasoir d'Occam : si deux théories décrivent les mêmes phénomènes, la meilleure est la plus économique, celle qui fait appel aux hypothèses les plus simples.
Le principe de causalité : Jamais pris en défaut malgré les nombreuses tentatives expérimentales, ce principe selon lequel l'effet ne peut précéder la cause s'impose à toute théorie physiquement admissible.
Le principe d'universalité : pour être valide, une loi doit pouvoir s'exprimer partout et à tout instant, dès lors que les conditions physiques objectives sont réunies. Il s'agit de s'assurer que dans l'énoncé d'une loi, rien ne soit de l'ordre du subjectif, du type : "cette loi n'est validée que si c'est moi qui fais l'observation".

À UNIVERS RATIONNEL, ÊTRES RATIONNELS

Mais comment accepter que la logique soit une instance de l'Univers, alors que nous l'avons nous-mêmes inventée, qu'elle ne parle pas du monde physique, et n'est qu'un outil pour réfléchir correctement ou "rationnellement" ? La logique gouverne par exemple les ordinateurs, lesquels font des simulations du monde et... de l'intelligence humaine (intelligence artificielle). Drôle d'imbroglio ! Il y a des lois physiques parce que nous le pensons bien ? Difficile à croire, à moins d'être mystique ou spiritualiste. Car enfin, il est clair que les lois naturelles ne sont pas soumises à notre pensée, qu'elles sont hors de nous, qu'elles ont précédé et causé notre apparition et donc celle de la rationalité humaine, via les lois de l'évolution et de la sélection naturelle ! On tourne en rond. Et pourtant...
Il existe peut-être une manière de rapprocher la pensée et l'Univers pour esquisser une voie de réponse à l'énigme. "Il faut partir de l'évidence que notre façon de penser, notre rationalité, coïncide avec le monde extérieur, explique Jean-Jacques Szczéciniarz, mathématicien, historien et philosophe des sciences à l'université Diderot-Paris 7, sinon nos appareils - construits sur la base de nos lois - ne marcheraient pas. Cela veut peut-être dire que nous sommes rationnels parce que l'Univers est lui-même rationnel, non pas comme un être pensant - ce serait mystique - mais au sens aveugle et mécanique, comme les ordinateurs". Du coup, ce n'est pas l'Univers qui hériterait de notre rationalité, mais l'inverse. Soit ! Mais la question demeure : il y a des lois parce que l'Univers est rationnel, et celui-ci est rationnel parce que... "Parce qu'il a des régularités naturelles locales", répond Jean-Jacques Szczéciniarz. Le chercheur propose de repartir de la base. Les régularités évidentes et directement observables dans la nature sont un fait physique. Mais, nous l'avons dit, quand nous dépassons le stade de l'observation directe, ce sont les mathématiques et ses règles logiques qui prennent le dessus, jusqu'à nous conduire aux lois fondamentales et, au-delà, aux grands principes supposés, dont nous n'avons pas de justification. "Or, affirme Jean-Jacques Szczéciniarz, c'est là une des caractéristiques des mathématiques : sur la base de 'phénomènes' et de lois simples, intuitifs et évidents (par exemple, l'addition et la multiplication des nombres entiers), on peut construire logiquement des principes qui englobent et justifient ces lois basiques évidentes. Mais ces principes ne sont pas eux-mêmes justifiés par des principes encore plus généraux : leur seule justification est leur émanation des lois de base". Pour résumer, les lois fondamentales qui gouvernent l'Univers - et les grands principes - sont les enfants et non pas les parents des régularités locales observables (la chute d'un corps, le trajet diurne du Soleil, etc.). Ces régularités, seules réalités palpables et immédiates, servent de tremplin à notre esprit pour engendrer "logiquement" les grandes lois abstraites. Que ces abstractions soient par la suite confirmées à l'aide d'expériences complexes conçues artificiellement à l'aide d'appareillages tout autant artificiels, cela prouve non pas que le monde se plie à notre imagination mais au contraire que la pensée rationnelle est formatée par le monde physique.
Au final, si nous concevons le monde comme un lieu gouverné par quelques grandes lois physiques abstraites, c'est parce que notre pensée logique est le fruit des petites régularités locales de notre environnement physique. La réalité de ces régularités s'impose à nous à chaque moment de la journée. Et il n'y a peut-être rien d'autre au-delà...
"Pourquoi l'Univers obéit-il à des lois ?" est peut-être finalement la question d'un enfant trop curieux à qui l'on répond : "parce que" ! À moins que l'avènement d'une théorie conciliant les deux grandes lois de la physique n'amène une clarification. Ou que la mécanique quantique, qui s'interroge actuellement sur la place de l'observateur dans l'expérience, ne fasse avancer la question... à défaut d'y répondre.

R.I. - SCIENCE & VIE HS > Septembre > 2011

Les Lois Physiques ont-elles Changé depuis le Big Bang ?

Le big bang est-il anachronique ? Peut-on, sans risque de se tromper, utiliser une science construite 14 milliards d'années après la création de l'Univers pour parler de sa naissance ? La question n'est pas qu'épistémologique. Elle est bel et bien scientifique. Jugez !

L'épisode de l'inflation n'existe que parce que la vitesse de la lumière (c) n'est pas assez élevée pour expliquer l'homogénéité de l'Univers 380.000 ans après le big bang. La matière noire n'y a de rôle que parce que la gravité de la matière ordinaire est trop faible pour expliquer la création des premières structures de l'Univers. Mais si la lumière avait pu être à l'époque des milliards de fois plus rapide, comme l'a proposé le physicien portugais Joao Magueijo, aurait-on eu besoin d'introduire l'inflaton ? Et si la constante de Newton, G, qui entre dans l'expression de la force de gravité, avait eu une valeur plus élevée comme le proposent les tenants de la théorie Mond (Modified Newton Dynarnics), aurait-on eu, là encore, besoin d'inventer la matière noire ? Pas sûr.

DES CONSTANTES ATEMPORELLES

Tout le scénario du big bang repose finalement sur le fait que nous pensons que ces constantes universelles c et G (mais aussi h, celle de Planck) sont aussi des constantes atemporelles. Mais le sont-elles vraiment ? Pour le savoir, une équipe anglo-australienne a observé, en 2004, un grand nombre de quasars lointains et en a déduit l'évolution, au cours des douze derniers milliards d'années, d'une autre constante : celle de structure fine, qui caractérise la manière dont matière et rayonnement électromagnétique interagissent. Toute variation de cette constante impliquerait, en effet, soit une variation de c, soit une variation de h, puisqu'elle est fonction de ces deux paramètres. Résultat : la constante a bel et bien augmenté au cours du temps. Mais voilà, quelques mois plus tard, une autre équipe observant des quasars vieux de 10 milliards d'années concluait exactement... le contraire ! Affaire à suivre.

SCIENCE & VIE HS > Mars > 2008
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net