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Les Points de Lagrange

 Espace à Gravitation Neutre

Comment les points de Lagrange établissent un équilibre cosmique ?

Deux corps liés gravitationnellement, tels que la Terre et le Soleil, possèdent cinq régions de stabilité gravitationnelle. Dans ces régions, les forces de gravitation de ces deux corps s'équilibrent, et tout ce qui se trouve dans les régions appelées points de Lagrange reste stationnaire. Les points de Lagrange sont extrêmement utiles à l'exploration spatiale. Pour comprendre leur existence, examinons le système Terre-Soleil.
La Terre est en orbite stable autour du Soleil ; notre planète et l'étoile tirent l'une sur l'autre. Lorsqu'un objet s'éloigne de la Terre, l'attraction de la planète est forte mais dans le même temps, celle du Soleil tire l'objet dans l'autre direction. Si l'objet s'éloignait suffisamment de la Terre vers le Soleil, il finirait par être happé par lui. À l'inverse, s'il voyageait trop près de la Terre et à une vitesse trop lente pour échapper à la gravitation terrestre, il serait à nouveau attire vers elle. Cependant, il existe des points autour du système Terre-Soleil, ou de n'importe quel autre système, où la gravitation d'un des corps est contrebalancée par l'autre. Le diagramme ci-contre montre les régions où ces points agissent. Ce qui est intéressant ici, c'est qu'un objet placé sur ces points reste stationnaire - s'il n'est pas déja en train de bouger - à moins d'être mû par autre chose. Ce qui fait de ces points de Lagrange des escales précieuses pour de nombreux engins spatiaux (voir l'encadré).

COMMENT ÇA MARCHE N°46 > Avril > 2014

 Parking avec Vue sur les Étoiles

Il existe dans l'espace cinq zones où l'attraction gravitationnelle de la Terre s'équilibre avec celle du Soleil. Véritables parkings sur orbite, ces "points de Lagrange" sont de plus en plus utilisés par les satellites et pourraient un jour être le point de départ de missions à travers le Système solaire...

Les cinq points de Lagrange du tandem Soleil-Terre (->) constituent de véritables puits gravitationnels. Deux d'entre eux, L1 et L2, sont surtout utilisés par les satellites. Après Plarck et Herschel, la liste est longue des missions qui y stationneront.

Juillet 2009. Après deux mois de voyage dans l'espace, les deux satellites européens Planck et Herschel, lancés par la même fusée, atteignent enfin leur objectif : une étrange zone baptisée "point de Lagrange n°2" (abrégé L2). Situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, dans la direction opposée au Soleil, ce site n'a pas été choisi par hasard. L2 est un véritable parking sur orbite ! Pendant toute leur mission, Planck et Herschel ne vont plus bouger d'un pouce par rapport au Soleil et à notre planète. Dans cette configuration L2, qui permet aux satellites de conserver les deux astres en permanence dans leur dos (en particulier leur chaleur et leur lumière parasite), ils scruteront en détail l'Univers lointain.
Mais quel est donc le secret de ce parc de stationnement spatial ? Nul besoin d'invoquer une planète cachée ou un autre gros objet invisible qui aurait capturé les deux sondes. Le seul ingredient, c'est la gravitation. Dans cette région de l'espace, l'attraction combinée de la Terre et de notre étoile fait que tout objet passant à proximité se retrouve piégé. L2 agit ainsi comme un véritable puits gravitationnel. Il n'est d'ailleurs pas le seul puisque, dans son ballet autour du Soleil, la Terre possède quatre autres points de Lagrange (schéma ci-dessus).
Le découvreur de ces zones particulières est Joseph Louis Lagrange. En 1772, le mathématicien français cherche à résoudre un problème épineux, devant lequel Isaac Newon lui-même a déclaré forfait : quelles sont les trajectoires de trois corps en interaction gravitationnelle ? Lorsque seulement deux objets sattirent, tout va bien. Le plus petit (une planète) tourne autour du plus gros (le Soleil) selon une trajectoire qui obéit aux lois de Kepler. Mais lorsqu'un troisième larron entre dans la danse, tenir compte des forces que chacun exerce sur les autres devient rapidement un casse-tête ! Lagrange a l'idée d'étudier le cas d'un objet ridiculement petit face à deux géants. Il découvre alors que, pour peu qu'un membre du couple soit 25 fois plus massif que l'autre, il existe cinq régions où le troisième corps, poids plume, restera en équilibre.
En réalité, tous les points n'ont pas exactement le même statut. Les trois premiers (L1, L2 et L3), alignés avec l'étoile et la planète, sont assez instables. La moindre perturbation extérieure éjecte un objet qui s'y trouve. L4 ou L5, formant chacun un triangle équilatéral avec la Terre et le Soleil, constituent en revanche un ancrage solide. En 1906, soit plus de 130 ans après la prévision de Lagrange, des petits corps confortablement installés aux points L4 et L5 du système Soleil-Jupiter ont d'ailleurs été découverts ! Depuis, plusieurs centaines d'autres de ces astéroïdes dits troyens (car affublés des noms des héros de la guerre de Troie) ont été répertoriés.
Avec l'avènement de l'ère spatiale, ce sont les ingénieurs qui tirent désormais profil de ces régions uniques. Et parce qu'ils sont les plus proches de la Terre, L1 et L2 sont leurs favoris. L'instabilité de ces deux régions n'est pas vraiment un handicap : tous les mois, une simple manouvre ramène un satellite sur sa place de parking. En 1978, l'américain International Sun Earth Explorer 3 arrive en L1 et devient le premier satellite à utiliser un point de Lagrange. Tout comme L2, L1 est situé à 1,5 million de kilomètres de la Terre, mais entre le Soleil et notre planète. Jamais recouvert par l'ombre de la Terre, c'est l'endroit idéal pour assister aux colères de notre étoile... Suivront les satellites Wind (1994), Ace (1997), Soho (1995), qui révèlent depuis L1 la structure intime du Soleil, et WMAP (2001), auteur depuis L2 de la carte du rayonnement fossile la plus précise à ce jour. Mais ce n'est qu'un début ! Comme le souligne Alejandro Blazquez, ingénieur au Cnes : "Les points de Lagrange sont plus que jamais à la mode. Dans le futur, les missions devraient s'y succéder au rythme d'une tous les cinq ans". Au- delà de Herschel et de Planck, la liste est longue des missions qui utiliseront les points de Lagrange (schéma en haut).
Certains songent même à s'en servir pour voyager dans le Système solaire. "Cette idée a été encore peu explorée car les mathématiques mises en jeu sont assez complexes, confie l'ingénieur. Mais aujourd'hui, les agences commencent à l'étudier, car elle leur permettrait d'économiser de grandes quantités de carburant". Le scénario est assez simple. "Imaginons un engin placé sur un des points de Lagrange instable du couple Terre-Soleil, explique Martin Lo, de la Nasa, un des pères du concept qu'il a baptisé "autoroute interplanétaire". Si on le perturbe de la bonne manière, l'engin va quitter notre planète pour rejoindre un autre point de Lagrange autour d'une autre planète. Et de proche en proche, il voyagera sur de longues distances".
Le principe a déjà fonctionné ! En 2001, la sonde américaine Genesis l'a testé. Après avoir récolté du vent solaire en L1, elle revient sur Terre en passant par L2. D'autres projets de plus grande envergure pourraient un jour lui succéder. La Nasa étudie de près une mission qui se servirait de tous les points de Lagrange formés par Jupiter et ses satellites pour survoler ces derniers à moindres frais. L'agence spatiale imagine également de rapatrier au point L1 du couple Terre-Lune les satellites comme le télescope James Webb pour les réparer en cas de panne. Après le parking, le garage sur orbite est peut-être pour bientôt.

Julien Bourdet - CIEL & ESPACE > Septembre > 2009
 

   
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