P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
 Index ASTRONOMIE -> ASTROPHYSIQUE -> MATIÈRE NOIRE 
   
 
La Face Cachée du Cosmos

Invisible, elle représente pourtant 90 % de la masse de l'Univers. Traquée de toutes parts, la matière noire pourrait bientôt livrer ses secrets.

Pour expliquer la structure de l'Univers, les astrophysiciens supposent l'existence d'une grande quantité de matière noire à la fois dans les galaxies et les amas de galaxies. Ici, l'amas MS 0735 (->).

L'histoire de la matière noire pourrait rappeler celle de Neptune. Longtemps, les astronomes ont supposé l'existence de la planète en étudiant le mouvement des astres déjà connus. Mais il faut attendre 1846 pour que Johann Gottfried Galle la découvre en pointant dessus son télescope. De la même façon, c'est l'observation du mouvement des étoiles qui a permis d'imaginer, dès les années 1970, l'existence d'une matière noire, c'est-à-dire qui ne brille pas, donc ne se voit pas, dans le cosmos. Mais cette fois, les scientifiques n'ont pas encore l'instrument adéquat pour la dénicher.
Pourtant, si l'on en croit leurs calculs, la matière noire est essentielle au fonctionnement de l'Univers. Une pionnière américaine, Vera Rubin, est une des premières à remarquer son étrange pouvoir d'attraction, il y a une quarantaine d'années. En scrutant des dizaines de galaxies, elle observe que les étoiles situées à leur périphérie ont une vitesse telle qu'elles devraient s'en échapper si seule l'attraction exercée par la matière visible (étoiles et gaz) les retenait. Autrement dit, elles tournent comme si une masse invisible les maintenait dans le giron galactique.

L'ÉLÉGANTE SUZY

Peu à peu, les scientifiques s'aperçoivent que le problème est plus vaste. Quelle que soit l'échelle à laquelle on observe l'Univers, il semble manquer de la masse. Par exemple, dans les amas de galaxies, de la lumière est déviée par de la masse invisible. Et pas qu'un peu : les calculs des scientifiques établissent que 90 % de la matière manque à l'appel. De quoi nous rendre bien modestes : notre matière ordinaire, celle qui brille, ne représenterait donc que 10 % du contenu en matière de l'Univers ! Une modestie qui confine à l'insignifiance lorsqu'on établit un bilan en termes d'énergie : la matière visible représente 0,4 % de celle du cosmos. Pendant plusieurs années, les coupables potentiels sont passés en revue. Les neutrinos ? Pas assez massifs pour expliquer les observations. Des petites étoiles tapies dans les galaxies ? Pas assez nombreuses. Au début des années 1980, les astronomes se tournent alors vers la physique des particules, cherchant dans son bestiaire ce qui pourrait jouer le rôle de matière noire.
De ce côté, une nouvelle théorie titille depuis une décennie les physiciens. Le souci de concilier la gravitation avec les autres interactions fondamentales les a poussés à aller au-delà du modèle standard. Guidés par la notion de symétrie omniprésente dans ce modèle, ils ont élaboré une hypothèse appelée Susy, pour "Supersymétrie", qui parvient à intégrer la gravitation à la description quantique de l'Univers. Une vision très élégante de ce "Tout" que l'on cherche à théoriser. Mais l'élégance a un prix. Elle affuble chacune des particules du modèle standard d'un double : au gluon, son gluino, au photon, son photino... Même le Higgs que l'on espère découvrir au LHC, le grand accélérateur du Cern, aurait son Higgsino !
Susy attend ses preuves observationnelles qui viendront peut-être elles aussi du Cern, car toutes ces particules supersymétriques sont hors de portée des accélérateurs en service actuellement. Mais les astronomes voient déjà un candidat ad hoc pour la matière sombre en la personne du... neutralino, un combiné de trois particules supersymétriques. "La théorie lui prévoit une masse d'une centaine de gigaélectronvolts (GeV), ce qui collerait bien aux contraintes de la matière noire", explique Pierre Fayet, de l'Ecole normale supérieure, l'un des artisans de cette théorie. Reste à coincer le neutralino, ou un cousin. Voilà les scientifiques partis à la chasse aux WIMPs (Weakly Interactive Massive Particles), ou "mauviettes", nom générique de ces "particules massives qui interagissent faiblement". Les WIMPs doivent en effet être neutres et peu interagir avec le reste de l'Univers. Sinon, on les aurait probablement déjà observés. Comment attraper une particule dont la principale caractéristique est justement d'être presque insaissable ? En étant patient, nous disent les physiciens. Depuis trente ans, ils conçoivent des détecteurs toujours plus performants et attendent que les WIMPs viennent cogner un des milliards de milliards de noyaux atomiques qui nous entourent. Un événement extrêmement rare : avec un détecteur de quelques kilogrammes, on s'attend à environ une collision par jour. Malgré l'amélioration permanente des dispositifs (encadré ci-dessous), les scientifiques n'ont encore réalisé aucune détection directe, même si plusieurs équipes ont annoncé récemment d'hypothétiques captures.

PULSARS ET SUPERNOVÆ

"De toute façon, l'approche doit être multiple, remarque Gianfranco Bertone, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Même si les expériences de détection directe obtiennent un signal probant, nous n'aurons pas la certitude d'avoir compris la nature de la matière noire : au plus connaîtra-t-on mieux la probabilité d'interaction de la particule, mais pas sa masse. Pour cela, il faudra croiser les résultats avec l'analyse des particules de supersymétrie fabriquées au LHC".
Depuis quelques années, une nouvelle approche complète ce dispositif : la traque des signaux émanant de la matière noire du cosmos. Le principe ? Deux WIMPs qui se rencontrent, s'annihilent et produisent un rayonnement gamma, qui s'ajoute au rayonnement ambiant. En surveillant certains astres où de telles annihilations sont susceptibles de se produire - centres galactiques et galaxies naines -, il serait possible de détecter cet excès. Depuis 2008, deux instruments spatiaux dédiés à l'étude du ciel dans le domaine gamma, Pamela, de l'Agence spatiale-italienne, et Fermi, de la Nasa, ont été lancés.
Cette attaque sur plusieurs fronts aura-t-elle raison du neutralino ? "La détection de matière noire devrait bientôt donner un résultat, espère Gianfranco Bertone. Toutefois, si d'ici quatre ou cinq ans, lorsque le LHC sera à pleine puissance, aucune confirmation n'est arrivée, il faudra repenser le problème". Et en déduire soit que la masse de ces particules est beaucoup plus élevée qu'on ne le soupçonnait, soit que l'hypothèse des WIMPs n'est pas la meilleure. Après tout, c'est en se fondant sur notre connaissance de la gravitation qu'elle a été proposée. De quoi remettre en cause tous nos modèles, et notamment la théorie d'Einstein ?

CRISTAUX PURS OU LIQUIDES NOBLES
À travers le monde, des dizaines d'expériences sont déployées pour tenter de détecter les particules de matière noire. Deux techniques principales sont mises en ouvre : les détecteurs solides et les détecteurs à liquides nobles. Dans les détecteurs solides, une particule de matière noire cogne un noyau atomique d'un cristal très pur, ce qui échauffe légèrement celui-ci. C'est cet échauffement qu'il faut détecter. Mais d'autres phénomènes, telle la radioactivité ambiante, chauffent aussi le cristal et risquent d'occulter le signal. Les physiciens s'attachent donc à rejeter ce bruit de fond, cachant leurs détecteurs sous les montagnes ou au fond des mines pour faire écran au rayonnement cosmique. Le projet Edelweiss (Expérience pour détecter les WIMPs en site souterrain), situé dans le Laboratoire souterrain de Modane, sous le mont Fréjus, dans les Alpes, en est à sa deuxième phase, qui devrait voir la masse des cristaux passer de 1 à 32 kilogrammes, préfigurant le détecteur européen Eureka. D'autres détecteurs, utilisant des liquides nobles - l'argon ou le xénon -, sont apparus plus récemment. "Pour le moment, les deux techniques se tiennent, mais il est moins onéreux d'augmenter la masse du détecteur pour les détecteurs liquides que pour les solides, commente Eric Armengaud, physicien au CEA et l'un des responsables d'Edelweiss. Toutefois, les interactions à l'intérieur des détecteurs solides sont mieux comprises que dans les liquides, de sorte qu'il est pour le moment plus difficile de réduire le bruit de fond dans ces derniers". Un instrument utilisant une tonne d'argon ou de xénon est à l'étude pour 2011 dans la cadre du projet européen Darwin. Détecteurs solides ou liquides, qui est susceptible de l'emporter ? Réponse d'ici trois ans.

PHILIPPE PAJOT - SCIENCES ET AVENIR Hors Série > Mai > 2010
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net