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Le Boson de Higgs Existe

Le Boson de Higgs a-t-il Révolutionné la Physique ?

M.F. et M.G. - SCIENCE & VIE Questions N°32 > Mars-Mai > 2019

Le Boson de Higgs se dévoile peu à peu

Passé l'euphorie de la découverte, annoncée en juillet 2012, les expérimentateurs de l'organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), à Genève, s'affairent désormais à étudier en détail les propriétés du boson de Higgs.

Ils viennent d'observer sa désintégration en deux leptons tau, une particule cousine de l'électron, mais 3500 fois plus lourde. L'intérêt ? Les spécialistes ont désormais étudié l'interaction du Higgs avec au moins un représentant de chacune des deux familles de particules : celles qui véhiculent les forces (bosons) et celles qui constituent la matière (quarks et leptons).
De quoi confirmer, au vu des résultats, que le boson si longtemps recherché est l'entité associée au mécanisme qui confère sa masse à la matière. "Le modèle standard et le mécanisme de Higgs offrent bien une vision cohérente de la matière élémentaire", résume Yves Sirois, codécouvreur du Higgs. Du reste, les résultats publiés depuis un an et demi sont compatibles avec l'actuelle théorie des particules, sans qu'il soit nécessaire d'y adjoindre un bloc de "nouvelle physique". La masse mesurée du boson de Higgs permet même d'envisager d'étendre la validité du modèle standard jusqu'à l'échelle de Planck, où l'infiniment grand et l'infiniment petit se touchent du doigt. De quoi faire du Higgs la particule ultime.

M.G. - SCIENCE & VIE N°1158 > Mars > 2014

Pourquoi le Boson de Higgs n'est pas la Fin de l'Histoire

Oui, le modèle standard est complet, mais il n'est pas compatible avec la gravitation ou les neutrinos et ignore 96% de l'Univers ! Le boson n'est donc qu'une étape : l'exploration continue.

Le 4 juillet 2012, les physiciens du monde entier étaient en liesse : depuis le grand amphithéâtre de l'Organisation pour la recherche nucléaire (Cern), près de Genève, était annoncée la découverte du boson de Higgs, ultime pièce manquante de l'actuelle théorie des particules élémentaires de la matière, le modèle dit standard. De quoi clore l'exploration de l'infiniment petit ? Non. Comme l'assène Abdelhak Djouadi, du Laboratoire de physique théorique d'Orsay, "Le modèle standard ne peut en aucun cas être la théortie ultime pour décrire les constituants élémentaires de la matière et leurs interractions".
Certes, une fois le modèle complet, c'est la vision de l'infiniment petit telle que les physiciens se la représentent depuis le début du XXè siècle qui a trouvé un aboutissement... apportant une réponse à des spéculations dont l'origine remonte aux philosophes grecs. Si bien que pour Frank Wilczek, à l'Institut de technologie du Massachusetts, prix Nobel de physique en 2004, "le modèle standard constitue le fondement complet et probablement définitif de la biologie, de la chimie, de la science des matériaux et de la plupart des phénomènes astrophysiques.

C'EST UNE APPROXIMATION...

Pour autant, les pierres ne manquent pas dans son jardin. Ainsi, les prédictions du modèle standard ne concernent que les phénomènes microscopiques qui mettent en jeu une énergie inférieure à quelques téraélectron-volts, typiquement ceux sondés au LHC. Au-delà, ses équations deviennent folles. Autrement dit, comme le résume Marc Lachièze-Rey, du Commissariat à l'énergie atomique, à Saclay, "le modèle standard n'est qu'une approximation". Par ailleurs, il est aussi avéré qu'il est pris en faute sur le comportement des neutrinos, qu'il est incapable de justifier l'existence de la matière et de l'énergie noires, et qu'il échoue à prendre en compte la force de gravitation. Bref, si la découverte de la clé de voûte du modèle standard est un réel aboutissement, ce n'est qu'une étape dans l'exploration de l'univers physique. Mais il ne faut pas oublier, comme le soulignait Michel Paty, du Centre de recherches épistémologiques et historiques sur les sciences exactes et les institutions scientifiques, aujourd'hui décédé, que "nos théories sont des représentations symboliques qui jamais ne s'identifient au monde. Entre les deux, aussi raffinée que soit notre connaissance, la distance n'est jamais nulle".

REPÈRES : Le modèle standard, élaboré dans les années 1970 et confirmé expérimentalement dans les années 1980, résume la matière à 12 particules élémentaires (6 quarks et 6 leptons) ainsi que leurs antiparticules, plus une poignée de particules de force qui véhiculent les interactions électromagnétiques et nucléaires fortes et faibles.

M.G. - SCIENCE & VIE > Avril > 2013

Découverte du Boson de Higgs

Le rendez-vous avec l'histoire a bien eu lieu. Au Cern, les physiciens sont enfin parvenus à détecter le boson de Higgs, cette "particule de Dieu" qui, à elle seule, valide tout ce qu'ils savent de la matière. Un chapitre se ferme. Un autre va s'ouvrir...

La conférence du 4 juillet 2012 qui s'est tenue au Cern est historique... car l'analyse des collisions entre particules effectuées dans son collisioneur géant s'est révélée décisive (2 ->). Le boson de Higgs est officiellement une particule du modèle standard, lequel est maintenant complet (3).

"Il y aura an avant et un après", commente, tout sourire, Daniel Fournier, physicien à l'Organisation européenne de recherche nucléaire (Cern). Le 4 juillet dernier, un immense chapitre de l'histoire de la physique fondamentale s'est clos dans le grand amphithéâtre du Cern, cette Mecque mondiale de la physique des particules, près de Genève. Pas n'importe quel chapitre : celui de l'édification du modèle standard, autrement dit, "le fondement complet et probablement définitif de la biologie, de la chimie, de la science des matériaux et de la plupart des phénomènes astrophysiques", s'enthousiasme le prix Nobel Frank Wilczek, à l'Institut de technologie du Massachusetts.
Car cette fois, c'est fait, les physiciens ont annoncé avoir pris dans leurs filets le fameux boson de Higgs. Cela faisait 48 ans qu'ils attendaient ce moment, depuis que Peter Higgs d'une part, et Robert Brout et François Englert d'autre part ont formulé en 1964 l'hypothèse d'une particule importante entre toutes : sur le papier, c'est elle qui doit donner leur masse à toutes les autres... et valider la solidité de la théorie.

FAITS & CHIFFRES - Les physiciens n'annoncent avoir trouvé une particule qu'à condition de réduire le risque de faux positif à 1 sur 3,5 millions. Le 13 décembre dernier, avec 1 risque sur 10.000, ils parlaient donc d'une "évidence". Depuis le 4 juillet dernier, il n'y a plus qu'un risque sur 3,5 millions... et c'est une "découverte".

Certes, le Cern reste prudent, parlant de la découverte d'une "particule compatible" avec le Higgs. Sauf qu'aucun spécialiste ne parierait que cette nouvelle venue, qui affiche une masse de 125 GeV, puisse être autre chose. Mais john Ellis, présent lors de l'annonce, a déclaré, ému : "Je suis ravi que cela soit de mon vivant." Ce qui lui donnera l'occasion d'assister à l'ouverture d'un nouveau chapitre de la physique. Car les spécialistes sont formels : parce que ses prédictions deviennent folles dès lors que l'énergie engagée dans une collision entre particules élémentaires dépasse environ 2 TeV, le modèle standard ne peut être l'ultime théorie de l'infiniment petit. Or les contours de la terra incognita sur laquelle ils rêvent d'accoster dépendent justement des propriétés du Higgs.
Dans le pire des cas, le profil de la particule observée est celui prédit par le modèle standard. Ce qui serait très décevant, car le Higgs ne leur apprendrait alors rien qu'ils ne savent déjà. Or, "nos résultats sont statistiquement compatibles avec le Higgs du modèle standard", constate Daniel Fournier. Il n'empêche, l'espoir existe bel et bien de pouvoir tirer de la nouvelle particule une nouvelle physique. Parce que les taux de désintégration du boson annoncés dans les différentes particules auxquelles il peut donner naissance ne collent pas parfaitement avec ceux prévus par le modèle. Trop tôt pour en dire davantage ? Pour Abdelhak Djouadi, à la division théorique, "il y a des excès que je considère comme bien mystérieux et susceptibles d'êtres annonciateurs d'une nouvelle physique au-delà du modèle standard". Au mieux, les déviations observées seront confirmées fin 2012.. Au pire, il faudra attendre après l'arrêt programmé qui doit permettre au LHC de fonctionner au double de sa puissance en 2015. Les plus optimistes espèrent que la nouvelle physique se manifestera alors directement sous la forme de particules inconnues. Les plus sages savent qu'un long travail les attend pour caractériser précisément la particule qu'ils ont busquée. Mais tous s'accordent avec Rolf Heuer, le directeur général du Cern, pour qualifier cette journée d'historique".

LA FIN DE LA 5ème DIMENSION
Avec la découverte du Higgs disparaît l'hypothèse, à la fois radicale et stimulante, qui rivalisait pour résoudre l'énigme de la masse des particules
. Car, originellement, le Higgs a été introduit dans les équations du modèle standard pour leur conférer une masse. Or, pour ce faire, certains envisageaient l'existence d'une minuscule cinquième dimension de l'espace-temps repliée sur elle-même : à travers leurs mouvements dans cette dimension supplémentaire, les particules se doteraient de leur masse standard. Las, la détection du Higgs a refermé cette piste une fois pour toutes.

M.G. - SCIENCE & VIE > Août > 2012

Coup de Blues chez les Physiciens ?

Trois mois après la découverte du Boson de Higgs, on pensait retrouver les physiciens gonflés à bloc. Eh bien, non ! Trop conforme aux prévisions, le Higgs les déprime plutôt... Plongée dans une drôle de rançon du succès.

C'était le 4 iuillet dernier. Un mercredi, jour de Mercure, le messager des dieux. Et message il y eut en effet ce jour-là ! Mais pas n'importe lequel : depuis le Cern, près de Genève, où se cache sous terre le plus grand collisionneur de particules jamais créé par l'homme, les physiciens annoncèrent au monde avoir découvert l'ultime particule qui manquait à leur bestiaire microscopique, celle qui apporte la dernière preuve de la justesse des prédictions du modèle standard, l'actuelle théorie des particules élémentaires : le boson de Higgs. Historique, la découverte fut unanimement saluée par la communauté des physiciens et par les journaux du monde entier comme "la plus importante depuis plusieurs décennies". En effet, avec le Higgs, c'est la vision de l'infiniment petit telle que les physiciens commencèrent à l'imaginer au début du XXè siècle qui, en ce 4 juillet 2012. trouvait officiellement un aboutissement ! Apportant une réponse à des spéculations dont l'origine remonte à la Grèce antique quant à la nature de la matière élémentaire. On comprend la liesse des scientifiques. La liesse ? Certes, mais pas seulement...

SOULAGEMENT ET...DÉCEPTION

Sur place, un observateur avisé n'aura pas manqué de relever comme une étrange ambivalence chez les spécialistes des particules. A croire que, malgré l'euphorie générale, quelque chose cloche. Slava Rychkov est l'un des rares à exprimer clairement ce qu'il faut bien appeler, contre toute attente, un désappointement : "Le boson de Higgs du modèle standard est la physique la plus ennuyeuse possible, soupire le théoricien du Laboratoire de physique théorique de l'Ecole normale supérieure (LPTENS) à Paris. Je suis donc plutôt déçu par ce qui a été découvert". Une déception qu'il n'est pas le seul à ressentir. Ainsi, comme le confirme Abdelhak Djouadi, au Laboratoire de physique théorique à Orsay, associé à la division théorique du Cern. "Les avis sont partagés. Beaucoup sont ravis : en découvrant le Higgs, le LHC a rempli son contrat. Mais d'autres sont déçus, en particulier parmi les théoriciens qui travaillaient sur des alternatives au Higgs du modèle standard".
Évidemment, tous insistent sur le fait que la période est assurément l'une des plus extraordinaire qu'il puisse être donné de vivre à un spécialiste de physique fondamentale. "Ces deux derniers mois ont été si intenses qu'ils m'ont paru des années", résumait d'ailleurs Abdelhak Djouadi début septembre. "C'est un succès magnifique et vous n'aurez pas d'autre réponse que celle-ci", assène Jean Iliopoulos au LPTENS, grand artisan du modèle standard. Et le fait que l'on ait observé ce à quoi on s'attendait ne rend pas cette découverte moins magnifique. Ce que confirme son collègue Pierre Fayet : "Il y a eu de nombreuses hypothèses exotiques, ce qui était nécessaire, au cas où... Mais elles étaient moins probables que l'observation d'un Higgs tel que prédit par le modèle standard".

FAITS & CHIFFRES : Postulé en 1964, le boson de Hiqgs a nécessité 48 années pour être mis en évidence avec une probabilité de 99,9999 %. Sa masse est de 126 GeV. C'est lui qui confère leur masse aux autres partitules élémentaires. Il était la dernière pièce manquante du modèle standard de la physique des partitules.

UN BOSON TROP STANDARD

La découverte du Higgs est ainsi ressentie comme un vrai soulagement. Car que se serait-il passé si le LHC n'avait rien découvert du tout ? Cette hypothèse a hanté les scientifiques jusqu'à la fin, le Higgs pouvant tout simplement ne pas exister, ou posséder des propriétés si étranges que même le LHC ne pouvait le détecter : il aurait également pu s'avérer impossible d'extraire le signal de son existence du bruit parasite intense engendré par l'accélérateur géant. "D'un point de vue théorique, cela aurait peut-être été plus intéressant, sourit Christophe Grojean, à la division théorique du Cern. Mais politiquement, cela aurait été perçu comme un échec terrible". De fait, comment faire passer une telle pilule auprès des décideurs ou du public après avoir pendant vingt ans présenté le Higgs comme "la" justification d'une machine qui aura coûté plusieurs milliards d'euros ? Et pourtant, Alvaro de Rujula, ancien directeur de la division théorique du Cern, a cette formule qui résume à elle seule l'état d'esprit de la communauté des physiciens des particules après des décennies d'attente fébrile : "Je suis ravi trois jours par semaine, soulagé deux jours... et déçu les deux derniers !"
Mais pourquoi diable ? Le problème est que si l'actuelle théorie de l'infiniment petit est un absolu triomphe de la pensée, les spécialistes savent qu'elle ne peut pas être la fin de l'histoire. Pour des raisons théoriques très précises, il est nécessaire qu'existe une physique au-delà. Physique qui pourrait se traduire par l'apparition de phénomènes non prévus par la théorie au LHC, en particulier des déviations des propriétés du boson de Higgs par rapport à celles prédites par le modèle standard. Sauf qu'avec un boson de Higgs a priori conforme aux prédictions dudit modèle, pas sûr que les physiciens mettent un pied sur cette nouvelle terre promise avant longtemps. Preuve que les résultats ne sont pas forcément à la hauteur des espérances, la manière dont certains spécialistes ont revu les leurs à la baisse... Ainsi, avant le démarrage du LHC, un théoricien nous confiait l'importance de découvrir des particules exotiques prédites par les nombreuses théories au-delà du modèle standard. Puis, début 2012, devant leur absence, ce même physicien nous expliquait qu'après tout, un Higgs présentant quelques propriétés non standard serait déjà une chose merveilleuse. Pour, finalement, face à un boson tout ce qu'il y a de plus standard, nous préciser que la vérification d'une théorie à laquelle tout le monde croit depuis les années 1970 est déjà en soi une chose extraordinaire...
Cela dit, les physiciens ne manquent pas de rappeler que le LHC ne fonctionne que depuis 2010, et encore, à la moitié de sa puissance nominale. Après une phase de travaux d'environ deux ans, il fonctionnera ensuite pendant quinze ans à pleine puissance. Il est donc tout à fait possible que l'on finisse par observer les traces d'une nouvelle physique que l'on espère depuis ces deux dernières années. Autrement dit, il est trop tôt pour s'inquiéter. Il n'empêche, entre succès expérimental, prise de conscience de ce qu'impliquent les résultats et retenue dans la communication, les physiciens en sont là : à la période de griseries spéculalives de 'l'avant-Higgs", exaltée par l'imminence d'une découverte comme il ne s'en produit que tous les 20 ou 30 ans, succède désormais une phase d'acceptation d'une réalité expérimentale peut-être moins aguichante et plus prévisible, qui relègue au rang de belles idées fausses de nombreux "possibles". "Nous devons changer un peu notre façon de penser dans le travail, décrit Guillaume Unal, membre de la collaboration Atlas. Nous étions focalisés sur une découverte, avec toute l'excitation que cela implique. Il faut maintenant s'atteler à une analyse scrupuleuse et détaillée de ce que nous avons entre les mains... ce qui ne fait que commencer". Autrement dit, après une séquence où le temps scientifique, déformé par l'euphorie de la découverte, a semblé au diapason de l'urgence médiatique, c'est désormais un retour au temps long de la science, pétri de doute, d'attente, d'incertitude. Ce que confirme Christophe Grojean : "La physique ne va pas s'arrêter... Les prochaines années seront sans doute consacrées à comprendre encore plus en détail le modèle standard et ses zones d'ombre. Il n'y e peut-être pas là toute la saveur de l'extrême nouveauté, mais nous sommes face à de beaux challenges intellectuels".

ET S'IL SIGNAIT LA FIN DU LHC ?

Certains sont plus sombres, comme ce physicien qui a participé à la découverte du Higgs, et qui nous confiait récemment que "si d'ici la fin de l'année, nous confirmons que la particule que nous avons découverte ressemble davantage encore au Higgs du modèle standard, je ne dirais pas que nous serons dans une impasse, mais ce sera sans doute plus difficile de trouver des traces de nouvelle physique". Avant d'ajouter : "Mais attention, ne me faites pas dire ça".
Cette fébrilité - et cette peur de trop en dire - tient sans doute à une autre réalité. Car, comme le concède Jean Iliopoulos, "il est probable que le LHC ait déjà fait la plus spectaculaire de ses découvertes". Et s'ils veulent continuer à explorer les arcanes de l'infiniment petit dans les décennies à venir, les physiciens savent qu'ils devront bientôt penser concrètement à une future machine plus puissante et/ou plus précise que le LHC, pour l'après 2030. Or, dans cette course au gigantisme, indispensable pour repousser plus loin les frontières de l'infiniment petit, il est clair que les variables économiques, en ces temps de crise, pèseront lourd. Et qu'elles dépendront crucialement des promesses et des rêves que les physiciens pourront porter devant les décideurs, lesquels sont fonction de la réalité que l'accélérateur, dès aujourd'hui, manifeste dans son creuset. D'où l'urgence, pour le LHC, d'entrouvrir le plus tôt possible les portes de cette nouvelle physique que les chercheurs appellent de leurs voux depuis si longtemps. Ce qui, malgné le réel enthousiasme suscité par la découverte du Higgs, terni un peu la fête.

M.G. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2012

S'il existe, le Higgs est Moins Lourd que prévu

Un résultat qui leur a permis de réévaluer à la baisse la masse probable du fameux boson de Higgs, une hypothétique particule encore jamais détectée, qui est censée conférer leur masse a toutes les autres partilcules de l'Univers.

En effet, la masse du Higgs est évaluée par les théoriciens à partir de celles des autres particules connues. De 166 GeV (gigaélectron-volts), la limite supérieure de sa masse est ainsi passée à 153 Gev, (soit plus de 300 000 fois la masse de l'électron). Une baisse sensible qui relance la compétition entre laboratoires ! En effet, plus la masse du Higgs est "faible", plus il pourrait être facile à détecter. Le Tevatron, le vieil accélérateur de particules du Fermilab, gagne ainsi quelques chances de le détecter rapidement et de voler la vedette au LHC, le futur accélérateur du Cern, à Genève, conçu en grande partie dans ce but, et qui devrait entrer en service en 2008.

Ax.P. - SCIENCE & VIE > Mars > 2007

Une Traque Sans Fin

Découverte du boson de Higgs, mise en évidence de la supersymétrie... les physiciens attendent beaucoup du LHC. Trop ? Peut-être. Car ces prouesses ne changeront pas radicalement la vision de la matière. Or c'est bien une révolution dans sa manière de voir dont a aujourd'hui besoin la physique des particules.

Le moment est historique. Si tout se passe comme prévu, le Large Hadron Collider (LHC) devrait détecter le boson de Higgs, posant ainsi la clé de voûte d'une aventure humaine sans pareille. Surtout, il devrait permettre de recueillir les indices d'un au-delà du modèle standard ; quelque preuve, mêe et faible... Il y a 2.500 ans, les philosophes grecs ont fait de la matière un objet d'étude rationnel ; il y a 300 ans, les savants en ont donné les premières descriptions mathématisées ; il y a 30 ans, des scientifiques ont construit le modèle théorique des particules élémentaires, si complet que rien n'a réussi à le casser. Aujourd'hui, ils s'apprêtent à lui apporter son ultime pièce. Et pourtant...
"Qu'on trouve ou pas le boson de Higgs, ça ne changera pas fondamentalement grand-chose", assène Marc Lachièze-Rey, astrophysicien au CEA et directeur de recherche au CNRS, Douche froide... Son ton, sans animosité ni ironie, caractérise bien cet "esprit scientifique taciturne, pour lequel l'antipathie préalable est une saine précaution" (Gaston Bachelard). Garder la tête froide, donc, rester "scientifique". Mais peut-on vraiment dire qu'une telle découverte ne changera rien, ou presque ? "Si on détecte le boson de Higgs, ça montre que le modèle standard fonctionne. Mais ça, on le sait déjà..., poursuit l'astrophysicien. Si on ne le trouve pas - ou pas là où on l'attend -, ça prouve que le modèle standard n'est pas bien charpenté, qu'il faut l'ajuster. Mais ça aussi on le sait déjà... Il faut bien comprendre que le modèle standard n'est pas une théorie physique, c'est un ensemble de "recettes" concoctées à partir de la mécanique quantique, de la théorie de la relativité restreinte et de valeurs de masses fixées par les expériences". Le modèle, c'est vrai, n'est qu'une application particulière de la théorie quantique des champs, unification de la physique quantique et de la relativité restreinte. Il est à cette théorie ce que le code civil est à la Constitution : un sous-système qui applique les grands principes abstraits de la théorie, valides pour une infinité de mondes possibles, à notre Univers particulier. En cela, le résultat du LHC "ne changera pas fondamentalement" notre conception du monde : le modèle sera seulement complété ou remanié. D'accord... Mais c'est oublier que l'objectif du LHC est surtout de valider une nouvelle vision de la matière : la super symétrie (ou Susy).

SYMÉTRIES ABUSIVES

Or, là encore, une "minorité active" de chercheurs se déclare sceptique. Non pas sur la possibilité de tomber sur un phénomène inattendu, comme une nouvelle particule, mais sur la "clarification" que cela pourrait apporter. Car le désir est si grand de valider Susy, que tout résultat nouveau pourrait en effet être directement interprété comme un indice en faveur de la théorie, au risque de masquer d'autres interprétations et de lancer des polémiques interminables. Or des physiciens reprochent à cette supersymétrie de n'être au fond qu'un tank pour écraser une mouche : elle double le nombre de particules élémentaires et instaure une centaine de paramètres de masses supplémentaires, inconnus, pour expliquer les masses des particules connues... Et tout cela, sur le papier. Car aucun phénomène ni aucune observation n'obligent à postuler l'existence des "superpartenaires". Pour l'heure, Susy est donc une solution plus mathématique que physique. Et c'est bien ce que certains lui reprochent.
De fait, l'argument mathématique de "symétrie"semble avoir pris la place de la validation expérimentale, qui reste absente. Depuis des décennies, la physique de la matière s'est beaucoup appuyée sur ce concept : groupes de symétrie (ou de jauge) de la théorie quantique des champs, symétrie CPT des lois d'interaction des particules, etc. À tel point qu'aujourd'hui, la symétrie a pris une place centrale : une bonne théorie physique semble devoir s'exprimer exclusivement en termes de symétries. Le concept n'est pas mauvais, au contraire. "Cela provient, précise Lachièze-Rey, de l'idée que quelque chose demeure invariant entre deux phénomènes physiques" : un tourbillon d'eau dans un siphon et une tornade possèdent, aux yeux d'un physicien, une "structure" commune, une symétrie. Celle-ci lui est alors d'une grande utilité. Elle lui permet de regrouper les deux phénomènes dans une même classe... pour pouvoir les oublier : plusieurs phénomènes auront été troqués contre une seule description ou loi. Et une fois explicitée, la symétrie peut amener en retour à découvrir un nouveau phénomène : ce sont les places inoccupées d'une structure symétrique déjà en place qui ont conduit Murray Gell-Mann à postuler l'existence des quarks (1964).

UNE ILLUSION MATHÉMATIQUE ?

Mais les sceptiques reprochent à Susy de fonctionner à l'envers : une symétrie fondée sur aucune observation préalable "invente" de nouveaux phénomènes - des particules - qu'on cherche ensuite à valider par l'expérience. Abus de pouvoir ? Pour Lachièze-Rey, "il y a, dans la physique d'aujourd'hui, une glorification de la symétrie. Elle est passée du statut d'outil à celui de concept fondamental, sans aucune justification rigoureuse". D'où cette crainte que ce principe d'engendrement des théories ne soit au fond qu'une illusion mathématique...
L'Américain Lee Smolin, chef de file de ces sceptiques, considère ce type de théorie comme la conséquence du manque de découvertes expérimentales, dont souffre la physique depuis trente ans. S'il y a bien eu de nouvelles observations, toutes ont pu être intégrées aux théories ou modèles existants. Selon Smolin, la recherche sur la matière se serait drapée dans de belles théories concurrentes ou complémentaires sans qu'aucune ne soit, du moins pour le moment, absolument nécessaire. Théorie des cordes, Susy, grande unification, théorie du tout...
Prenons le cas de la théorie des cordes, qui concentre aujourd'hui tous les efforts. Selon elle, toutes les forces et les particules ne seraient que la manifestation d'une seule entité "topologique" (géométrique) : la corde. Une vision de la matière avant tout mathématique. De fait, il semblerait que le statut même de "théorie physique" pose aujourd'hui problème : "En sciences, pour qu'une théorie soit acceptée, elle doit faire de nouvelles prédictions sur les résultats d'une expérience non encore effectuée", précise Smolin. Certes, c'est le cas de la théorie des cordes, de Susy, etc. Mais pour valider la théorie, cette expérience doit pouvoir être effectuée concrètement. Or les prédictions des nouvelles théories restent hors de portée de la technologie actuelle. Sans validation expérimentale, elles errent entre formalisme mathématique et théorie physique. En toute rigueur, estime Smolin, il faudrait les considérer comme des hypothèses crédibles. Rien de plus.

10500 UNIVERS PARALLÈLES

Le manque d'ancrage expérimental semble avoir ouvert la bonde à l'imagination mathématique. Par exemple, la théorie des cordes conduit à considérer qu'il pourrait exister 10500 univers "parallèles". L'image est séduisante, mais cette vision pourrait relever simplement d'une lacune de la connaissance. "Si on avait demandé à Newton de calculer la trajectoire d'un boulet de canon avant qu'il ait achevé sa théorie, il aurait pu fournir 10500 trajectoires possibles, explique Lachièze-Rey. Cela aurait signifié non pas qu'il existe autant d'univers dans lesquels le boulet de canon suit une trajectoire particulière, mais qu'il manquait à la théorie une donnée expérimentale essentielle : la valeur numérique de l'attraction terrestre". Or, le grand problème avec les théories nouvelles, c'est que les données expérimentales essentielles manquent, et sont même pour l'heure inaccessibles... Il est donc possible que les théories physiques actuelles n'en soient pas, ou pas encore : les visions de la matière qu'elles donnent sont le fruit d'une pensée purement mathématique...

UNE VISION TROUBLE

Mais alors, comment progresser dans la vision de la matière ? "Il faut revenir aux deux théories physiques les plus accomplies, conseille Lachièze-Rey, la physique quantique et la relativité générale". Un retour aux sources, donc. Mais qui débouche sur une vision... trouble. Car ces deux théories centenaires gardent une bonne part de mystère, non pas dans leur expression ou leur capacité à prévoir de nouveaux phénomènes, mais dans le type de monde qu'elles décrivent.
Ancrée dans la matière, la physique quantique ne nous en donne aucune image "claire". Le fait qu'une onde soit simultanément une particule, que cette "entité" puisse se trouver en plusieurs lieux simultanément, que les descriptions d'un "état quantique" par deux observateurs puissent être incompatibles, etc. frôle le non-sens. Smolin en a fait l'un des cinq questionnements essentiels de la physique : "Résoudre le problème des fondements de la mécanique quantique, soit en lui trouvant son sens, soit en inventant une théorie qui lui en trouve un"...
On dit souvent que les représentations fournies par ces deux théories sont incompatibles. Durant 70 ans, cette question, objet de l'affrontement entre Einstein et Bohr, a été mise entre parenthèses. Mais certains physiciens se demandent aujourd'hui comment continuer à avancer dans la connaissance avec une réalité (ou sa représentation) éclatée en points de vues incompatibles. Selon Jean-Jacques Szczéciniarz, épistémologue, physicien et mathématicien, professeur à l'université Diderot Paris-7, "la solution est peut-être d'accepter que notre représentation de la réalité soit une mosaîque de points de vue (->). Ce que nous dit la physique quantique, c'est qu'il faut abandonner l'habitude, héritée des théories classiques, de penser le monde comme "un". Cette nouvelle "rationalité" peut prendre des siècles à devenir "intuition", mais il faut travailler dans ce sens". Bref, pour appréhender le monde, il faudrait révolutionner notre manière de voir... Or ce type de transformation s'est déjà produit, quoique dans une discipline fort éloignée de la physique : la recherche historique. Celle-ci a compris que, si le passé a existé "unitairement" dans le temps, celui-ci n'est pas accessible : on ne pourra reconstituer que "des" passés - selon le type de sources étudiées. Telle serait la limite, ou la richesse, de notre esprit.
Mais que ce soit avec les nouvelles théories - si l'une accède enfin au statut de théorie physique - ou avec les anciennes, une même vérité à chaque fois s'esquisse : dans la connaissance de la matière et du monde, nous ne sommes encore que des enfants... Et le LHC n'y changera rien.

R.I. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2008
 

   
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