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L'Infiniment Petit

L'Infiniment Petit


M.G. et P.P. - LA RECHERCHE N°574 > Juillet-Septembre > 2023

L'Infini a le Don de mettre la Physique sous Tension

Pour approcher le cour de la matière, il a fallu aux scientifiques audace et imagination. Ils sont aujourd'hui à l'aube d'une nouvelle physique.

S et A : Qu'est-ce que l'infiniment petit ?
Etienne Klein, physicien : C'est une expression ambiguë, presque un slogan publicitaire laissant entendre que les physiciens des particules en seraient venus à tutoyer l'infini, les yeux dans les yeux. Or, les particules élémentaires que ces "conquérants du minuscule" connaissent et étudient - électrons, quarks, neutrinos... - ne sont pas des objets de taille nulle. Elles sont certes très petites, parfaitement invisibles à l'oil, mais ne peuvent pour autant être conçues comme des corpuscules représentables par des points géométriques. Au demeurant, la notion même de "taille" pour une particule élémentaire n'a guère de sens : en physique quantique (encadré ci-dessous), cette physique qui dépeint le monde à toute petite échelle, les objets sont décrits par des "champs" ayant toujours une certaine extension spatiale. Avec la physique des particules, on est donc dans le domaine de l'incroyablement petit, mais pas dans celui de "l'infiniment petit" au sens propre du terme.

"QUEL EST LE SEXE D'UN TIROIR ?"
À l'échelle de l'infiniment petit, les concepts de notre monde familier semblent s'effondrer. Pour décrire le comportement étrange des particules, il a fallu forger une nouvelle physique : la mécanique quantique.
CHAMBOULEMENT : La physique de l'infiniment petit nous oblige à changer notre vision par rapport à la physique classique. Je suis émerveillé par le travail de ses pères fondateurs, au début du XXè siècle, alors qu'il leur semblait que le sol se dérobait sous leurs pieds. La genèse de cette physique montre qu'on peut penser sans images, et même raisonner sans message qui vienne de l'observation. Quand le Britannique Paul Dirac écrit l'équation qui prédit l'antimatière, il part non de l'expérience, mais de l'idée qu'il se fait de ce nouveau monde. Il colonise conceptuellement un territoire inconnu. Cette nouvelle physique a constitué un immense chamboulement. Même Einstein pensait qu'on trouverait un jour une théorie qui dissiperait les étrangetés de la physique quantique.
INDÉTERMINATION : Le "principe d'incertitude" de Heisenberg est en général résumé ainsi : "on ne peut connaître simultanément la position et la vitesse d'une particule". Cette formulation sous-entend qu'il existe une position exacte et une vitesse exacte de ladite particule, mais que nous serions incapables de les connaître simultanément. Ce qui est faux. Il vaudrait mieux parler de "principe d'indétermination". Car la bonne façon d'interpréter ce principe consiste à dire qu'une particule ne possède jamais en même temps une position et une vitesse exactes. En physique quantique, une particule n'est pas représentée comme une bille microscopique qui aurait à la fois une position et une vitesse déterminées. Prises ensemble, ces deux propriétés ne peuvent jamais être affectées au même moment à une particule donnée. Quant à la notion de trajectoire, qui suppose qu'en chacun de ses points soient connues la vitesse et la position de la particule, elle perd une grande partie de son sens. Si l'on ne fait pas de mesure sur une particule, celle-ci n'a ni position ni vitesse bien définies. Même si cela peut sembler incroyable, c'est la mesure elle-même qui oblige la particule à avoir une vitesse s'il s'agit d'une mesure de vitesse, ou une position s'il s'agit d'une mesure de position. Le principe de Heisenberg impose donc une limitation à la représentation corpusculaire des particules : il indique en somme jusqu'où on peut aller trop loin avec les concepts classiques. Si on les projette sauvagement dans le monde quantique, ils apparaissent comme indéterminés. C'est un peu comme si l'on demandait : "quel est le sexe d'un tiroir ?" Cette question n'a pas de sens.
CONSTANTE DE PLANCK : Il y a trois théories principales en physique, qui font chacune intervenir des constantes fondamentales. La relativité restreinte dit comment les objets se déplacent lorsque leur vitesse devient non négligeable devant celle de la lumière et établit des liens entre vitesse et énergie. Son emblème est c, la vitesse de la lumière. La relativité générale met en jeu deux constantes : G (la constante gravitationnelle) et c. Quant à la mécanique quantique, elle fait intervenir la "constante de Planck", h, l'emblème du monde quantique : un univers dans lequel la constante de Planck aurait une valeur nulle serait régi par la physique classique. Ce "h" est l'initiale de Hilfe, "au secours" en allemand (Planck l'avait introduite "en désespoir de cause"). À partir de cette constante, qui possède les dimensions d'une énergie multipliée par un temps, on peut fabriquer des unités remarquables, longueur, masse, etc. Le temps de Planck - 10-43 seconde - est un temps en deçà duquel nos lois physiques tombent en panne. C'est à partir de cet instant que l'histoire de notre Univers peut être décrite selon la théorie du Big Bang mais, avant, on ne peut rien dire de précis. Certains sont tentés de dire 10-43 "après le zéro", mais cette extrapolation n'est pas pertinente. Ceux qui voudraient s'aventurer avant le temps de Planck doivent créer une physique plus riche, une théorie à la fois quantique et relativiste, où interviennent toutes les constantes, G, h et c. Notre espace-temps habituel est lisse et continu, mais comment était­il avant le temps de Planck ? Discontinu ? Comme quand on voit un réseau de points sur une vieille télé, et qu'il faut s'éloigner pour distinguer des formes bien définies...

Cette expression d'infiniment petit n'aurait donc pas de sens ?
Si, mais il faut la prendre de manière relative, comme une sorte d'horizon vers lequel tendraient nos moyens d'observation, dont la taille, elle, ne cesse de croître. Car pour voir de petits objets, il est nécessaire de disposer de très grands instruments. En effet, pour étudier une particule, il faut, d'une façon ou d'une autre, l'éclairer, c'est-à-dire envoyer sur elle un faisceau de particules, pas nécessairement de lumière. Des particules "sondes" doivent donc être projetées sur des particules "cibles". Mais plus ces dernières sont petites, plus l'énergie des particules sondes devra être grande. Cette règle découle de deux lois de la physique. La première est une loi quantique qui indique qu'à toute particule est associée une longueur d'onde d'autant plus courte que la particule est plus énergétique. La deuxième stipule qu'un phénomène ondulatoire n'interagit qu'avec des objets de dimension supérieure à sa longueur d'onde : la houle de l'océan n'est pas affectée par la présence d'un baigneur, car la taille de celui-ci est petite par rapport à la distance séparant deux vagues successives ; en revanche, elle est perturbée par la présence d'un paquebot. Si la particule que nous choisissons pour cible est petite, les particules sondes devront avoir une longueur d'onde plus petite encore, et il faudra donc leur communiquer une très grande énergie. C'est essentiellement cette tâche-là qui incombe aux collisionneurs de particules, tel le LHC (encadré ci-dessous). Ce sont des sortes de microscopes, nécessairement géants si l'on veut qu'ils atteignent de très hautes énergies et deviennent ainsi capables de distinguer les constituants les plus infimes de la matière. Mais, du coup, la concentration d'énergie qu'ils créent lors des collisions devient comparable à celle de l'Univers primordial...

L'étude de l'infiniment petit permet donc de comprendre l'histoire de l'Univers ?
Oui, puisque les collisions de particules à très haute énergie recréent fugitivement les conditions physiques qui furent celles de l'Univers immédiatement après le Big Bang : très hautes températures, très haute densité d'énergie. Cela ne signifie pas qu'ainsi, on remonte le temps, mais qu'on offre à l'Univers une cure de jouvence, très localisée et très éphémère. Il existe donc un lien entre la physique des particules et la cosmologie, ou, si vous préférez, entre l'infiniment grand et l'infiniment petit. On pourrait même parler de complémentarité. Avec leurs télescopes, les astrophysiciens observent l'Univers par le seul biais de la lumière, celle qu'émettent par exemple les étoiles et les galaxies. Cette lumière leur arrive avec un délai d'autant plus grand que la source est éloignée de nous dans l'espace. Mais il y a une limite à la profondeur temporelle de ces observations, qui vient du fait que pendant les 380.000 ans qui ont suivi le Big Bang, la lumière ne pouvait pas se propager librement dans l'espace, car celui-ci était empli d'un plasma ionisé parfaitement opaque : les photons ne cessaient d'y interagir avec des particules de matière. Cette première phase de l'Univers demeure donc inaccessible aux télescopes, qu'ils soient au sol ou en orbite terrestre. Heureusement, les expériences menées en physique nucléaire ou en physique des particules arrivent à la rescousse pour recréer certains des phénomènes qui se sont produits lorsque la lumière était encore piégée au sein de la matière. À ce titre, le LHC constitue une sorte d'immense prothèse sensitive qui va nous permettre de palper un épisode de l'histoire du monde jusque-là hors de portée.

L'infini des mathématiciens et celui des physiciens ne semble pas le même...
Depuis la fin du XIXè siècle et les travaux de Georg Cantor, les mathématiciens ont maîtrisé l'infini, ou plus exactement les infinis (car il y en a une infinité...). Mais, en physique, il n'a jamais cessé d'être un problème : quand il apparaît dans un résultat, on tente de s'en débarrasser par différents procédés de calcul permettant de l'abolir ou de le neutraliser. Mais parfois, pour s'en débarrasser, il faut carrément faire la révolution ! C'est ce qui s'est passé en 1900 lorsque Max Planck a calculé l'énergie contenue dans un four avec l'arsenal physique d'alors : pour empêcher que cette énergie devienne infinie, il fallait accepter que les échanges d'énergie s'effectuent par sauts, qu'on a appelés les quantas. L'infini a le don de mettre les théories physiques sous tension, et cela lui donne une certaine fécondité conceptuelle.

Les Grecs évoquaient déjà les atomes - littéralement "ce qui ne peut être coupé". Quel rapport avec les particules d'aujourd'hui ?
Effectivement, bien avant de s'imposer aux scientifiques, il y a seulement un siècle, l'idée d'atome avait déjà germé dans l'esprit de quelques penseurs de l'Antiquité (Leucippe, Démocrite ou Epicure), qui partaient du principe que la matière ne pouvait se diviser à l'infini : force est d'admettre, expliquaient-ils, qu'il doit y avoir une limite en deçà de laquelle plus aucune coupure n'est possible. Il existe un "plus petit morceau de matière", une entité ultime et insécable, qu'ils nommèrent donc "atome".
Mais ces atomes, ils ne pouvaient pas les percevoir. Alors, ils les rêvèrent, construisant par là même une sorte de "métaphysique de la poussière" : ils les rêvèrent non pas comme des points matériels, mais comme des polyèdres, indestructibles, éternels, pleins, s'agitant sans cesse dans le vide. Les atomes devaient former, par leurs chocs mutuels, les morceaux de matière que nous pouvons voir ou toucher. Ils étaient l'équivalent pour la matière de ce que sont les lettres pour les mots et les phrases : par leurs diverses combinaisons, ils devaient être capables de former tous les objets qui nous entourent. Mais les atomes des Anciens n'aboutissaient pas à des édifices stables. Plus ou moins éphémères, ils devaient un jour ou l'autre se désagréger, même si rien ne pouvait modifier leur nature : seuls constituants éternels de la matière, à l'abri du temps. De fait, l'atomisme des Anciens relevait non de la physique, mais de la métaphysique, et même de l'éthique. Vous vous doutez bien que les physiciens d'aujourd'hui ne défendent pas nécessairement cette philosophie. Reste que la physique des particules contemporaine a gardé un lien symbolique avec la vieille idée d'atome, tout en ne cessant pas de la transformer.

Comment a-t-on démontré l'existence de l'atome ?
Les savants de la fin du XIXe siècle étaient divisés : il y avait ceux qui croyaient à l'atome et ceux qui n'y croyaient pas. Mais au tout début du XXe siècle, les choses s'accélèrent soudainement. En mai de l'année 1905, un certain Albert Einstein publie un article magnifique qui va rapidement conduire à la preuve expérimentale de l'existence de l'atome. Le jeune homme s'intéresse à un phénomène en apparence insignifiant : le mouvement brownien. Ce terme désigne la valse incessante des particules qui s'agitent dans un fluide : si l'on verse des grains de pollen dans une goutte d'eau, on observe au microscope que ces grains décrivent des trajectoires folles, apparemment guidées par le seul hasard. Einstein fait des calculs en partant de l'hypothèse que les mouvements désordonnés de ces grains, loin d'être de simples caprices, reflètent un ordre sous-jacent : ce qui les détermine secrètement, c'est, imagine-t-il, l'agitation des molécules d'eau qui ne cessent de heurter les grains de pollen, les obligeant à changer en permanence de direction.
En 1906, à Paris, un savant portant la barbichette, Jean Perrin, mène plusieurs expériences qui confirment les prédictions d'Einstein. La réalité des molécules, donc des atomes, est ainsi établie. L'atome devient un objet que la physique peut saisir. Dans un premier temps, entre 1906 et 1911, sa conception resta à peu près conforme au discours des Anciens : une entité élémentaire, indivisible et immuable. Mais on s'aperçut très vite que cette vision était beaucoup trop naïve.

Quand a-t-elle vraiment volé en éclats ?
D'abord, en 1911, le Britannique Ernest Rutherford découvre que les atomes sont comme les cerises : ils contiennent un noyau. Il en tire une première représentation de l'atome physique : un noyau entouré d'électrons. L'atome apparaît donc composite, et non élémentaire comme le pensaient les Anciens. Et s'il est composite, c'est qu'il n'est probablement pas insécable. De fait, les atomes ne sont ni indivisibles ni indestructibles. On peut même les tailler en pièces, au sens propre du terme. Par exemple, si on les chauffe ou si on les éclaire, il est possible de leur arracher un ou plusieurs électrons.
Rutherford suggère que l'atome ressemble à un système planétaire miniature, dans lequel le noyau jouerait le rôle du Soleil et les électrons, celui des planètes. Mais cette hypothèse ne survivra pas longtemps, car les calculs classiques montrent que les électrons ne mettraient alors qu'une fraction de seconde pour s'écraser sur le noyau, ce qui n'est pas le cas : manifestement, l'ultime atome ignore les ultimatums, si j'ose dire. Dès 1913, un tout jeune physicien, Niels Bohr, devine que l'atome est une entité tout à fait originale, régie par de nouvelles lois physiques qui restent à découvrir. Il en propose un modèle révolutionnaire basé sur deux hypothèses qui sortent complètement du cadre de la physique classique. Premièrement, les électrons ne peuvent pas se trouver sur n'importe quelle orbite : seules certaines sont autorisées, toutes les autres sont interdites. Deuxièmement, lorsqu'un électron tourne sur son orbite, il n'émet pas de lumière, contrairement à ce que prévoient les lois classiques ! Mais il a la possibilité de sauter brutalement d'une orbite à une autre, d'énergie moindre. Lorsqu'il effectue un tel saut, l'électron émet un grain de lumière qui emporte la différence d'énergie entre l'orbite de départ et l'orbite d'arrivée. Dans ce processus, une fraction de l'énergie de l'électron se métamorphose donc soudainement en lumière... Par la suite, le modèle de Bohr devra lui aussi être modifié, et même abandonné. Reste qu'il constitue le premier jalon d'un travail théorique qui mènera à l'élaboration de la physique quantique.

Venons-en au noyau de l'atome. Qu'y trouve-t-on ?
Des protons et des neutrons, eux-mêmes constitués de quarks interagissant en échangeant des particules qu'on appelle des gluons. Le noyau apparaît aujourd'hui comme un monde vibrionnant et très compliqué. Il ne ressemble donc en rien à l'espèce de framboise statique par laquelle on le représente souvent dans les manuels de physique...

AU COUR DE LA MATIÈRE
Universel et global, le modèle standard s'est imposé depuis les années 1970 pour décrire les constituants de la matière et leurs interactions.

L'idée de décrire la matière avec un modèle universel et standard remonte à l'Antiquité. C'est ainsi que le philosophe grec Démocrite la concevait comme un assemblage de grains indivisibles, appelés atomes - mot qui en grec, signifie "impossible à couper". Si l'existence des atomes a été établie au début du XXè siècle, on sait aujourd'hui qu'ils sont en fait de structure plus complexe que les entités indivisibles imaginées par les Anciens, et qu'ils sont composés de particules. Du point de vue physique, les atomes ne sont donc pas... des "atomes", mais des assemblages de particules élémentaires ! Le modèle standard actuel, établi dans les années 1960, classe les particules élémentaires en deux catégories. La première, celle des fermions, compose toute la matière ordinaire. Au sein de cette matière se produisent des interactions, tels le magnétisme ou la radioactivité. Ces interactions se font par l'intermédiaire d'une seconde famille de particules, les bosons.
MATIÈRE : LES FERMIONS : La matière qui nous entoure est constituée de molécules, par exemple, pour le bois, des molécules de cellulose. Chacune est un assemblage d'atomes, l'atome étant aujourd'hui défini comme la plus petite partie d'un corps simple pouvant se combiner chimiquement avec un autre. Il est constitué d'un noyau, qui concentre plus de 99,9 % de sa masse, autour duquel circule un nuage d'électrons, particules insécables, donc élémentaires, de charge électrique négative. Le noyau, quant à lui, est composé de nucléons, c'est-à-dire de protons, chargés positivement, et de neutrons qui, comme leur nom l'indique, ne possèdent pas de charge électrique. Protons et neutrons se décomposent eux-mêmes en particules élémentaires appelées quarks. Il existe six espèces de quarks, mais seules deux d'entre elles, appelées up et down, apparaissent dans le noyau. Les protons sont composés de deux quarks up et d'un down, les neutrons d'un up et de deux down. Up et down sont les quarks de plus faible masse. C'est pour cela qu'ils sont stables et donc répandus dans la nature. Les autres quarks, plus lourds, peuvent se transformer rapidement en up et down pour les mêmes raisons que de grosses boules de pâte à modeler peuvent se métamorphoser en boules plus petites, et non l'inverse. On ne les voit apparaître que dans des phénomènes de haute énergie, tels ceux produits à l'intérieur des accélérateurs de particules. Le modèle des quarks fut inventé en 1964 par Murray Gell-Mann et George Zweig et leur existence confirmée expérimentalement en 1968. Près de 30 ans furent nécessaires pour les découvrir tous. C'est en 1995 que le dernier d'entre eux, le top, fut observé au Fermilab, un accélérateur installé aux États-Unis, près de Chicago.
INTERACTIONS : LES BOSONS : Entre les fermions s'exercent des interactions via d'autres particules de la catégorie des bosons. Quatre interactions existent : électromagnétique, faible, forte et gravitationnelle. Aujourd'hui, seules les trois premières sont expliquées par le modèle standard, qui les unit. L'interaction électromagnétique est la plus connue. Responsable des phénomènes électrique et magnétique, de la lumière, de la chaleur, elle est véhiculée par un boson dépourvu de masse, le photon. Ce dernier se propage à la vitesse de la lumière, soit 300.000 km par seconde dans le vide. L'interaction faible est, quant à elle, véhiculée par trois bosons possédant une masse, nommés Z0, W+, W-, respectivement neutre. Il est possible d'unifier les interactions électromagnétique et faible en une seule, appelée électrofaible. L'interaction forte, également de courte portée, assure la cohésion du noyau des atomes. Celui-ci étant composé en partie de protons de charge positive, ces particules devraient, sans elle, s'écarter les unes des autres, tels deux aimants dont on rapproche les mêmes pôles. L'interaction forte est véhiculée par des particules massives appelées gluons, dont il existe 8 types. Pour terminer le tableau des bosons, il faut parler du boson de Higgs, qui est censé donner leur masse aux particules. Un phénomène que l'on peut expliquer grâce à une analogie : un inconnu n'a aucun mal à se déplacer dans la rue, tandis que tout le monde va s'accrocher aux basques d'une vedette, rendant ses déplacements plus difficiles.Idem pour une particule : lorsqu'elle se déplace dans un espace rempli de bosons de Higgs, elle interagit avec eux et acquiert une masse. La particule de Higgs est la dernière du modèle standard à découvrir. C'est pourquoi de nombreuses expériences du LHC (->) lui seront consacrées avec, à la clef, un probable prix Nobel. Reste une quatrième interaction dont ne parvient pas à rendre compte le modèle standard : la gravitation. Alors que les autres peuvent être comprises via la mécanique quantique qui décrit le monde de l'infiniment petit, la gravitation relève en effet de la relativité générale, une théorie de l'infiniment grand. Personne n'a encore trouvé le moyen de réunir ces deux théories en une seule afin d'obtenir un modèle qui expliquerait l'ensemble des quatre interactions fondamentales.
STÉPHANE FAY - SCIENCES ET AVENIR HORS-SÉRIE > Avril-Mai > 2010

Le collisionneur LHC, à Genève, va permettre, espère-t-on, de découvrir une particule très spéciale, le boson de Higgs. En quoi est-elle si importante ?
Au cours du XXè siècle, les physiciens sont parvenus à identifier et à classifier de très nombreuses particules, et ils ont construit un modèle permettant de décrire leurs interactions. Mais même si ce "modèle standard" (encadré ci-dessus) a une consistance et une robustesse bien établies, des questions cruciales attendent des réponses. Notamment celle-ci : comment des particules ont-elles pu acquérir de la masse, alors que d'autres, comme le photon, n'en possèdent pas ? L'idée proposée dans les années 1960 par François Englert, Robert Brout et Peter Higgs consiste à considérer que la masse des particules ne serait pas une de leurs propriétés intrinsèques : elle serait liée à la manière dont elles interagissent avec le vide. Selon eux, les particules seraient en réalité sans masse, mais heurteraient sans cesse des "bosons de Higgs", présents dans tout l'espace, qui ralentiraient leurs mouvements et leur donneraient donc l'apparence d'une masse. Dans ce contexte, dire d'une particule qu'elle est massive revient à dire qu'elle subit continûment des collisions, tel un homme pressé qui traverse une foule, ce qui lui confère une inertie apparente. Mais il y a un problème : personne n'a jamais observé le moindre boson de Higgs lors d'une expérience. Existe-t-il vraiment ? On le sait, le principal danger qui guette les théoriciens est de voir des fées au fond du jardin. Dès lors, comment détecter le boson de Higgs ? La difficulté principale vient de ce que cette particule semble être très lourde. Pour espérer la détecter, il faut donc atteindre des énergies elles-mêmes très élevées. Grâce au LHC et aux millions de collisions par seconde qu'il sera bientôt capable de produire, les physiciens devraient pouvoir explorer toute la gamme de masses dans laquelle le boson de Higgs pourrait se trouver. Autrement dit, si le boson de Higgs existe, le LHC finira par en apporter la preuve, et l'on pourra alors dire que nous avons compris l'origine de la masse des particules.

Et si le LHC ne détectait pas le boson de Higgs ?
Ce serait une grosse surprise, mais pas pour autant la fin de la physique des particules. Au contraire, même. Les physiciens auraient alors le champ libre pour élaborer une théorie nouvelle, par exemple en imaginant qu'existent des dimensions supplémentaires d'espace, ou bien une autre force, ou bien encore en faisant l'hypothèse que le boson de Higgs serait une particule composite et non élémentaire...

Le LHC peut-il être à l'origine d'autres découvertes ?
Bien sûr ! Car d'autres questions demeurent ouvertes : comment dépasser le modèle standard de façon à pouvoir y inclure la gravitation ? Quel mécanisme a fait disparaître l'antimatière qui était présente dans l'Univers primordial ? Quels sont les objets constitutifs de la "matière noire", qui semble agir gravitationnellement sur les galaxies mais n'émet ni n'absorbe aucune lumière ? Les résultats du LHC mettront tous les physiciens au pied du mur, ceux qui cherchent à confirmer les théories actuelles aussi bien que ceux qui rêvent à de nouveaux paradigmes. Même s'il faut se méfier des incantations prophétiques "nous allons enfin comprendre l'origine de l'Univers"... il est certain qu'après le LHC, le visage de la physique ne sera plus le même. Des idées pourraient bientôt mourir, ou bien au contraire gagner en crédit et en vitalité.

Lesquelles ?
L'idée de supersymétrie, par exemple. Proposée dans les années 1970, il s'agit d'une hypothèse mathématique qui séduit de nombreux physiciens. Elle conduit à dédoubler le monde des particules en couplant chacune d'elles à un partenaire supersymétrique : au photon est associé le photino, aux gluons les gluinos, aux quarks les squarks, et ainsi de suite. La question est : cette supersymétrie est-elle inscrite dans les lois fondamentales de la nature ? D'après la théorie, la plupart des partenaires supersymétriques des particules doivent se désintégrer au bout d'un temps extrêmement court. Seule la plus légère doit rester stable et pourrait être détectée au LHC. On l'appelle le "neutralino". Or il se trouve que ses caractéristiques en font un candidat sérieux pour résoudre le problème de la matière noire.

Le LHC aurait donc aussi des implications en astrophysique ?
En effet. Depuis plusieurs décennies, l'observation de plus en plus minutieuse des galaxies sème le trouble. Car la seule façon de comprendre les valeurs des vitesses qu'ont les étoiles au sein d'une galaxie, si l'on fait l'hypothèse que les lois de la gravitation sont celles que nous connaissons, est de supposer que la partie visible des galaxies est enveloppée par une masse énorme de matière invisible, qu'on appelle la matière noire. On sait que cette matière noire ne peut pas être constituée de particules déjà connues. Mais alors ? Certains physiciens pensent qu'il pourrait s'agir de nouvelles particules, tels les neutralinos, qui sont prédites par certaines théories à l'ébauche. Mais d'autres s'offusquent qu'on puisse si facilement ajouter une substance de nature inconnue au mobilier ontologique de l'Univers. Ils cherchent donc d'autres explications, proposent par exemple l'hypothèse que les lois de la relativité générale peuvent devenir fausses aux échelles cosmologiques. En somme, le problème est le suivant : ou bien l'on accepte de compléter l'ontologie de l'Univers au nom de l'universalité de ses lois (en l'occurrence de celle de la gravitation), ou bien l'on remet en cause cette universalité pour éviter d'avoir à peupler l'Univers de mystérieux fantômes. Le problème de la matière noire apparaît ainsi comme un nouvel avatar de la tension entre l'ontologique et le législatif qui n'a cessé de rythmer l'histoire de la physique. Le LHC pourrait aider à le résoudre.

Les Anciens disaient la matière éternelle. Aujourd'hui, que pensent les physiciens de son origine ?
Lorsqu'on écoute les physiciens dissertant sur l'origine de telle ou telle chose, on découvre qu'il n'est jamais question de genèse proprement dite. Ils parlent surtout - et en fait seulement - de généalogies, de métamorphoses, de structurations de constituants élémentaires en systèmes plus complexes. Par exemple, ils expliquent que les atomes sont fils des étoiles, qui sont elles-mêmes filles de nuages de poussières, dont la matière provient quant à elle des phases les plus chaudes et les plus anciennes de l'Univers...
En somme, les sciences ne saisissent jamais que des origines relatives. S'agissant de l'Univers, elles invoquent toujours une "cuisse de Jupiter" constituée des ingrédients préalables dont elles doivent disposer pour approcher la question de son origine. Et pour progresser d'un pas supplémentaire, il n'y a pas d'autre moyen que d'invoquer une nouvelle cuisse de Jupiter, puis une autre, et ainsi de suite, sans jamais mettre la main sur la cuisse originelle, la mère de toutes les cuisses. Mieux vaut donc rester modestes, et admettre que l'origine de l'Univers - si origine il y a eu - demeure un mystère qu'aucune forme de discours ne peut saisir, ni celui de la science, ni celui des cosmogonies traditionnelles qui, elles aussi, commencent par "au début, il y avait"...

A.K. - SCIENCES ET AVENIR Hors-Série > Mai > 2010
 

   
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