Index des SCIENCES -> PHYSIQUE -> PARTICULES 
   
 
Large Hadron Collider : LHC

Les Particules Reprennent leur Course

Après un an d'arrêt, l'accélérateur de particules européen a enfin enregistré les premières collisions entre protons à Genève.

C'est reparti ! Le plus grand accélérateur de particules du monde, le LHC, fonctionne à nouveau après un an d'interruption due à un accident électrique. À Genève, au Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire), c'est le soulagement. L'exploration de l'infiniment petit peut reprendre. Le 20 novembre, des protons ont effectué leur premier tour complet à une vitesse proche de celle de la lumière dans l'anneau de près de 27 kilomètres, enterré à cent mètres de la surface environ. Quelques heures plus tard, des particules ont circulé dans l'autre sens. Le 23 novembre, enfin, les premières collisions entre protons ont été enregistrées.
Certes ce ne sont pas ces collisions frontales qui permettront de trouver, dans leurs débris, de nouvelles particules. Il s'agit simplement du passage très proche des deux faisceaux en sens inverse, qui a engendré des rencontres agitées. Les quatre détecteurs placés le long de l'anneau ont ainsi pu constater que tout fonctionnait bien. Cependant, le chemin sera long avant que des résultats nouveaux pour la physique sortent de la machine. "Nous procéderons étape par étape", rappelle Rolf Heuer, le directeur du Cern.
En 2011, la machine devra accélérer les protons à 7 TeV (téra-électronvolts), l'énergie maximale prévue (soit 70 fois plus que son prédécesseur, le LEP). Le 30 novembre, elle était de 1,1 TeV, un record mondial. Après une pause de deux semaines à Noël, les équipes augmenteront jusqu'à 3,5 Te V, voire 5 Te V avant la fin de l'hiver. Ces énergies seront alors nettement supérieures à celles du seul accélérateur comparable, le Tevatron, situé aux États-Unis, qui espère de son côté apporter quelques résultats avant son arrêt définitif l'an prochain. Mais l'énergie n'est pas tout. Il faut aussi vérifier la stabilité du faisceau de particules à l'intérieur de l'anneau. Et mettre à la suite plusieurs paquets de protons afin de multiplier les collisions. À terme, le Cern en prévoit près d'un milliard par seconde.
A priori, si ces préalables sont remplis, une étape significative pourrait survenir fin 2010. Au moins pour retrouver les résultats du LEP. Mais peut-être aussi, les physiciens, comme ils l'espèrent, tomberont-ils sur des particules inconnues. Tel le boson de Higgs, à l'origine de la masse des particules. Ou, encore plus exotique, des particules légères prévues par une théorie non encore vérifiée, la supersymétrie, qui tente d'unifier les forces fondamentales. Et pourquoi pas, des dimensions supplémentaires de l'espace.

LES AUTRES ACCÉLÉRATEURS

Le LEP, prédécesseur du LHC, installé dans le même tunnel. Il accélérait, jusqu'à la fin 2000, des électrons et des anti-électrons, chacun à l'énergie de 100 GeV environ.
Le Tevatron, installé au Fermilab (États-Unis), devrait s'arrêter en 2010. Il accélère des protons et des antiprotons à l'énergie de 1 TeV.

David Larousserie - SCIENCES ET AVENIR > Janvier > 2010

Le LHC bat un Premier Record : la plus haute énergie atteinte en labo

Frontière franco-suisse, le 15 décembre 2009. Record battu ! Des protons lancés les uns contre les autres à une vitesse très proche de celle de la lumière sont entre en collision avec une énergie de 2,36 TeV, la plus haute jamais atteinte dans un laboratoire.

Soit l'énergie dégagée lors d'un choc en plein vol de deux moustiques ! La performance est donc d'avoir concentré cette énergie entre deux particules. C'est le fameux LHC (Large Hadron Collider), l'accélérateur de particules du CERN, qui s'enorgueillit de cet exploit. Mise en service le 10 septembre 2008, la machine était tombée en panne 9 jours plus tard, avant de redémarrer en novembre 2009. Peu après, elle provoquait ces collisions les plus violentes jamais observées. La machine s'est arrêtée le 18 décembre pour deux mois, pendant lesquels elle se prépara supporter des énergies encore plus élevées : elle devrait entraîner des collisions de 14 TeV, de quoi, espèrent les physiciens, donné naissance au très attendu "boson de Higgs".

C.B. - SCIENCE & VIE > Janvier > 2010

Trois Scénarios de physique-fiction

Tous les yeux sont braqués sur le LHC. De ce que découvrira l'accélérateur du Cern dépend l'avenir de la physique des particules. Mettra-t-il ou non en évidence le Higgs ? Regard sur trois futurs possibles.

Quarante ans que les scientifiques du monde entier traquent le boson de Higgs sans relâche, et qu'ils espèrent voir apparaître dans leurs accélérateurs la seule particule qui manque à leur tableau de chasse. Sa présence est pourtant vitale puisque c'est ce boson qui, en théorie, confère leur masse à toutes les particules. Le révéler est d'ailleurs la raison d'être du LHC, dernier-né des accélérateurs, optimisé pour cette chasse. La découverte du Higgs ne serait donc plus qu'une question de temps, les scientifiques en sont intimement convaincus. Mais est-ce si sûr ? Le Higgs ne peut-il pas encore leur échapper ? Et s'ils parvenaient finalement à le capturer, quel avenir offrirait-il à la physique ? Se peut-il enfin que le LHC mène à une tout autre piste que ce fameux boson ? Autant d'interrogations qui ont permis d'échafauder trois grands scénarios selon ce que le LHC trouvera. Ou ne trouvera pas.

1/ ET SI LE BOSON RESTAIT INTROUVABLE

Se pourrait-il que le plus puissant des accélérateurs de l'histoire de la physique ne suffise pas à faire du mythe une réalité ? En d'autres termes, le Higgs peut-il rester insaisissable ? "C'est peu probable, répond d'emblée Jean Iliopoulos, du laboratoire de physique théorique de l'École normale supérieure. De mon point de vue, comme de celui de la plupart des physiciens, on devrait trouver un Higgs plutôt léger, autour de 150 gigaélectronvolts (GeV)". Reste que ni Jean Iliopoulos ni aucun autre physicien ne mettrait sa main à couper qu'on le trouvera bel et bien. La meilleure des preuves, c'est qu'il existe un plan B ! En effet, "on a prévu qu'on puisse ne rien trouver", avoue Yves Sirois, chercheur au laboratoire Leprince- Ringuet et responsable du groupe Higgs à l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (In2p3) pour l'expérience CMS. Dans ce cas, "on pourra, grâce à la puissance du LHC, explorer la nouvelle physique qu'impliquerait nécessairement la non-découverte du Higgs", ajoute-t-il. En clair : soit on découvre la mythique particule, soit on découvre une nouvelle physique qui s'en passe. "On gagne à tous les coup", assure Yves Sirois. Sauf à imaginer un scénario catastrophe, où ni le boson de Higgs ni la physique qui le remplace ne seraient observés. Car, même s'il n'y croit pas, Jean Iliopoulos admet qu'il est possible que les phénomènes témoignant d'une nouvelle physique ne se produisent qu'à des énergies inaccessibles au LHC. En théorie, les collisions entre protons devraient s'y produire à près de 14 téraélectronvolts (TeV), soit bien au-delà de la limite à laquelle les scientifiques estiment que la nouvelle physique doit se manifester. Néanmoins, en pratique, les collisions ne se feront pas entre protons, mais entre quarks, les constituants des protons. Or, chaque proton contenant trois quarks, il faudra donc diviser par trois l'énergie de la collision. Ce qui nous ramène tout juste à la limite de validité du modèle standard. La puissance pourtant considérable du LHC, qui a demandé tant d'innovations techniques, pourrait donc ne pas suffire. Un scénario du pire, synonyme d'échec total pour la physique des particules, qui devrait dès lors compter sur d'hypothétiques futurs accélérateurs encore plus puissants, encore plus innovants, encore plus chers... et sans plus de garantie de résultat.

2/ ET SI L'ON NE DÉCOUVRAIT QUE LE BOSON DE HIGGS

D'ici à quelques années, trois tout au plus, le LHC donnera donc sans doute naissance à la particule que les physiciens du monde entier recherchent avidement depuis plus de quarante ans. La rencontre de deux insignifiants protons livrera enfin la preuve de l'existence de cette particule mythique, qui confère à toutes les autres leur masse. Un événement autant historique que planétaire et une consécration pour le modèle standard, sur lequel repose toute la physique des particules. Et pourtant, cette consécration pourrait tout aussi bien signer l'arrêt de mort de cette dernière. Car rien ne dit qu'il reste encore une physique à révéler au-delà. Ou, pour être plus précis, que l'on pourra atteindre avant longtemps les énergies requises pour découvrir de nouveaux phénomènes.
Paradoxalement, les physiciens seraient alors en possession d'un modèle validé aux énergies accessibles à leurs instruments, mais incomplet puisqu'il laisserait sans réponse quelques-unes des plus importantes questions que pose encore la matière (où est l'antimatière ? qu'est-ce que la matière noire ? l'énergie sombre ? etc.). Et le drame, c'est qu'ils n'auraient aucun moyen de savoir ce qui ne va pas avec leur modèle. Impossible, donc, de le corriger et de détecter à quelles lois la matière obéit plus précisément. Un scénario catastrophe, qui "dépendra de la masse exacte du boson de Higgs", explique Yves Sirois. "Si le Higgs est plutôt lourd, aux alentours de 180 GeV, alors le domaine de validité du modèle standard peut s'étendre jusqu'à l'échelle de grande unification (1017 GeV)", assure-t-il.
Autrement dit, pour pousser le modèle standard à ses limites, il faudrait atteindre des énergies mille fois supérieures à celles de l'accélérateur du Cern ! Inutile de préciser que ce n'est pas pour bientôt. Et que si, par malheur, le Higgs devait bien avoir cette masse, il n'y aurait plus rien à attendre de la physique des particules avant longtemps ! L'hypothèse d'une masse autour de 180 GeV vient cependant d'être écartée par le Fermilab - qui ne peut en revanche exclure la possibilité d'une masse supérieure.
Et si, au contraire, le boson de Riggs était plutôt léger (de 114 à 160 GeV) ? Les chances de trouver une nouvelle physique au LHC seront alors maximales. Car, dans ce cas, les prédictions du modèle standard cesseraient d'être valides à des énergies bien plus faibles et accessibles, en principe, au LHC (de l'ordre du TeV). Pour le moment, il faut bien l'admettre, personne ne sait très bien ce que sera la masse du fameux boson. On sait que le LEP, l'ancêtre du LHC, l'a cherché sans succès jusqu'à 114 GeV, ce qui indique que le Higgs est sans doute plus lourd. Et on sait par ailleurs, grâce à un certain nombre de mesures indirectes, que sa masse est probablement inférieure à 182 GeV (voire à 144 GeV, selon la probabilité la plus envisageable du modèle standard). Du triomphe au drame, le futur tient dans une fourchette étroite.

3/ ET SI L'ON TROUVAIT AUTRE CHOSE

Toutes les équipes, à travers le monde, voudraient être la première, grâce au LHC, à découvrir la "particule de Dieu", qui serait à l'origine de toute masse. Le Nobel, sans nul doute, est à la clé. Et pourtant, il y a bien d'autres découvertes à faire au LHC, qui seraient toutes bien plus prometteuses pour la physique des particules...
Beaucoup plus intéressante serait, par exemple, la découverte des particules dites supersymétriques. Une observation peu spectaculaire puisqu'elle consisterait en un simple déficit d'énergie dans le bilan d'après collision, mais qui aurait un retentissement extraordinaire. Car elle serait la preuve irréfutable que la supersymétrie (Susy), théorie qui prédit leur existence, est pertinente. Or, elle règle nombre de problèmes que le modèle standard n'a pas pu prendre en charge, comme l'unification des forces électromagnétiques, faible et forte, ou la composition de la matière noire. En outre, elle est la base sur laquelle s'appuient les plus crédibles des théories qui s'attaquent à l'unification de toutes les interactions fondamentales - les trois précédemment mentionnées et la gravitation. Pour beaucoup de scientifiques, autant de services rendus à la science ne peuvent signifier qu'une chose : cette théorie est celle qui doit supplanter le modèle standard. Et ils en auraient enfin la preuve !
Beaucoup plus extraordinaire encore serait la découverte de dimensions supplémentaires à notre Univers. La théorie des cordes, qui est l'une des tentatives d'unification des quatre interactions fondamentales, prévoit, en effet, que l'Univers n'est pas composé de seulement quatre dimensions mais de onze. Découvrir, ne serait-ce que l'une d'entre elles, serait donc une indication forte que la théorie des cordes a bien quelque chose à voir avec la réalité. Mais ces dimensions sont probablement très petites et c'est d'ailleurs pour cette raison que les scientifiques ne les ont encore jamais observées. On pensait, jusqu'à récemment, que "les dimensions supplémentaires étaient à l'échelle de Planck", explique Yves Sirois. Soit 10-33 cm. Autant dire que si tel était le cas, toute la puissance du LHC ne suffirait pas à détecter leurs effets. "Mais récemment a été émise l'hypothèse que les dimensions sont beaucoup plus grandes (10-15 cm)", ajoute le chercheur. Du coup, il devient envisageable de les observer indirectement au LHC, par l'intermédiaire, par exemple, de particules particulièrement lourdes. Tout cela, prévient Yves Sirois, est "hautement spéculatif". Mais c'est le rêve de toute une communauté de scientifiques qui deviendrait ainsi réalité. Car ils auraient enfin trouvé un chemin vers l'unification de toutes les forces : leur Saint-Graal à eux.
Pourquoi ne pas imaginer, également, la découverte de nouvelles particules ou de nouveaux phénomènes physiques totalement inconnus et imprévus. "On se prépare à ça aussi", confie Muriel Van der Donckt, chercheuse au Cern, qui se dit prête à "fouiller dans le moindre recoin du modèle standard". Car, au final, bien malin qui pourrait prédire ce que réserve l'exploration de ce nouveau monde...

ET SI LE LHC ENGENDRAIT UN TROU NOIR - Les collisions qui se produiront au sein du LHC pourront engendrer un microtrou noir... qui s'évaporerait en 1043 seconde. Trop vite pour engloutir la Terre !
Les 14.000 milliards d'électronvolts dégagés lors des chocs de protons au sein du LHC vont-ils créer un trou noir susceptible d'engloutir la Terre entière ? C'est ce que redoutent sept citoyens qui ont déposé une action en justice auprès des tribunaux de Hawaii, aux États-Unis, le 21 mars demier, demandant l'arrêt de l'accélérateur. Leur crainte est-elle fondée ? Dans une certaine mesure oui, puisque l'énergie créée par les collisions sera libérée dans un espace particulièrement réduit, inférieur au milliardième de millimètre. La compression de l'énergie peut alors dépasser très ponctuellement la densité critique de 1 milliard de milliards de kg/m³, ce qui peut engendrer un microtrou noir. Du moins en théorie, car l'existence des microtrous noirs est purement hypothétique. Ce microtrou noir pourra-t-il grossir suffisamment pour avaler notre planète ? Peu probable, dans la mesure où, s'il se formait, il s'évaporerait en 1043 seconde. Concrètement, les scientifiques ont évalué que les chances qu'un microtrou noir grossisse et déclenche un cataclysme sont inférieures à celles de gagner 3 fois de suite au Loto (à supposer que le trou noir sache comment remplir une grille). Infimes, donc, mais pas nulles. Pour calmer les esprits, le Cern a publié en juin dernier un rapport précis sur l'évaluation de ces risques. Il en ressort que les 14.000 milliards d'électronvolts ne représentent jamais que l'équivalent de l'explosion d'un milliardième de gramme de TNT. Et que le confinement de cette énergie représente une densité 100 millions de fois inférieure à celle créée par un rayon cosmique heurtant les particules de l'atmosphère. Si le LHC est capable de créer un microtrou noir, alors les rayons cosmiques en ont déjà engendré des milliards dans notre atmosphère. Faut-il porter plainte, dès lors, contre les rayons cosmiques ? R.I.

ÉRIC HAMONOU - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2008

Large Hadron Collider : Naissançe d'un Géant

C'est parti ! Le grand collisionneur de hadrons - le LHC - sera mis en route cet été. Son objectif : découvrir des composants ultimes de l'Univers. Plongée avec les équipes du CNRS dans les entrailles de la machine...

Dans les locaux de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (Cern), près de Genève, c'est l'ébullition. Dans quelques semaines, la machine la plus colossale que l'être humain ait jamais réalisée - le grand collisionneur de hadrons, ou LHC - va démarrer. L'effervescence est à la hauteur de l'enjeu : voilà près de quinze ans que des milliers de chercheurs et d'ingénieurs du monde entier, dont ceux de onze laboratoires de l'IN2P3 du CNRS, travaillent à la réalisation de ce mastodonte, un anneau de 27 kilomètres de circonférence, installé 100 mètres sous terre à la frontière franco-suisse. Le LHC, la machine qui valait 3 milliards d'euros, est aujourd'hui le plus grand accélérateur de particules du monde. (Le LHC a été installé dans l'anneau de béton qui a abrité le LEP, l'ancien collisionneur d'électrons. La structure du LHC renferme les deux tubes à vide des faisceaux, les aimants, ainsi que le systéme cryogénique.)

À la clé, ce sont des découvertes fondamentales sur les briques ultimes de la matière et sur les lois qui gouvernent l'Univers qui sont espérées. "Grâce au LHC, nous allons enfin pouvoir tester certaines théories physiques échafaudées au cours des quarante dernières années", assure Abdelhak Djouadi, du Laboratoire de physique théorique, à Orsay. Au fil des ans, les physiciens ont établi un grand catalogue des constituants ultimes du monde - les particules élémentaires - et des forces qui les régissent, qu'ils ont appelé modèle standard. Seulement voilà, certaines pages de ce catalogue restent pure théorie. C'est le cas du boson de Higgs, une particule "inventée" en 1964 pour expliquer la masse de toutes les autres particules élémentaires, mais qui reste inobservée. Pour pallier les manques de ce modèle, il a même fallu bâtir des théories plus globales, comme la supersymétrie, qui postule l'existence d'une flopée de nouvelles particules associées à celles déjà connues. Et c'est pour confirmer - ou infirmer - toutes ces idées que le LHC a été mis au point.

IN2P3 - Créé en 1971, l'Institut national de physique nucléaire et de physique des particules (IN2P3) du CNRS a pour mission de coordonner et de fédérer les activités de recherche dans les domaines de la physique nucléaire, des hautes énergies, des particules ou des astroparticules. Dirigé par Michel Spiro, il coordonne pour le compte du CNRS et des universités, et en partenariat avec le CEA, des programmes qui ont pour but d'explorer la physique des particules élémentaires et leurs interactions fondamentales. L'IN2P3 rassemble au final prés de 2500 personnes, dont 1900 du CNRS. En 2008, il dispose d'un budget de 45 millions d'euros dont 40 % sont dédiés aux trés grands équipements dont le LHC, et aux instruments de calcul scientifique.   www.in2p3.fr/ - F.D.

LE SEIGNEUR DES ANNEAUX

Imaginée au milieu des années 1980 et officiellement adoptée par le Cern en 1994, la machine lancera les uns contre les autres, à des vitesses proches de celle de la lumière, des paquets de protons (et plus rarement d'ions lourds de plomb), dotés d'une énergie colossale de 7 TeV3. Pour que les particules puissent atteindre ces énergies faramineuses, il faut que règnent dans les entrailles de la machine un froid et un vide extrêmes : une température de - 271,3°C et une pression de un dix-millième de milliardième d'atmosphère. Le vide intersidéral sous le plancher des vaches ! L'énergie résultant de ces collisions (14 TeV), qui généreront ponctuellement des températures cent mille fois supérieures à celle du cour du Soleil, suffira à créer les nouvelles particules, le fameux boson de Higgs et les particules dites "super-symétriques", si elles existent.
Concrètement, le LHC est composé d'un tube d'environ un mètre de diamètre, en forme d'anneau. À l'intérieur se trouvent deux tubes à vide où circulent en sens inverse les paquets de protons, entourés de 9000 aimants supra-conducteurs. Ces derniers génèrent un puissant champ magnétique, près de 175.000 fois plus intense que celui de la Terre, qui permet de maintenir la trajectoire des protons. Un système cryogénique à l'hélium liquide maintient le tout à une température de - 271,3°C. Les protons sont injectés par paquets dans le LHC à partir d'une succession d'accélérateurs de plus en plus puissants. À plein régime, chaque tube du LHC contiendra ainsi 2808 paquets de cent milliards de protons chacun, avançant à 99,999 % de la vitesse de la lumière. Après une dizaine d'heures de fonctionnement, et donc des centaines de millions de tours, les paquets, atténués par les collisions, seront évacués et remplacés par des paquets tout frais. Ce sont les équipes de l'Institut de physique nucléaire d'Orsay (IPN) qui se sont chargées de dessiner les 800 plans nécessaires à la fabrication de certaines parties de l'anneau appelées sections droites courtes, dans lesquelles se trouvent les aimants chargés de la focalisation des faisceaux (la machine est composée de huit sections en forme d'arc et de huit autres rectilignes). Elles ont aussi choisi et étalonné les 7000 thermomètres indispensables à la surveillance du dispositif cryogénique. "Cinq années auront été nécessaires pour étalonner tous les thermomètres de -271,3°C à 27°C !", raconte Jean-Pierre Thermeau, de l'IPN. Gilles Belot, lui, a pris en charge le suivi industriel des 1262 enceintes à vide des dipôles - les aimants qui servent à courber la trajectoire des faisceaux le long de l'anneau - et des 848 écrans thermiques qui isolent tout le système, ainsi que le contrôle de leur assemblage ; un véritable travail d'orfèvre.

QUATRE TITANS SUR LE QUI-VIVE

En quatre points de l'anneau, les deux tubes se rejoignent et des aimants dits quadrupôles focalisent les faisceaux pour qu'ils se télescopent. Quarante millions de collisions sont prévues par seconde. À charge ensuite aux scientifiques de recueillir les particules formées, de les analyser et d'y voir la trace d'un boson de Higgs ou d'une particule supersymétrique. De fait, toutes ces nouvelles particules théoriques ne pourront pas être observées directement. Ce sont les particules issues de leur désintégration - deux photons, quatre électrons ou des muons d'une énergie donnée - que l'on repérera. Et pour ce faire, quatre expériences - Atlas, CMS, LHCb et Alice - ont été installées aux quatre points de collision du LHC.
Chaque expérience, fruit d'une collaboration entre l'IN2P3, le CEA, le Cern et les autres pays participants, est basée sur le même principe : déterminer la trajectoire et l'énergie de toutes les particules issues des collisions pour remonter à la patticule d'origine, peut-être inédite. Pour cela, il faut un empilement de sous-détecteurs. Au plus près du point de collision se trouve un trajectographe, pour identifier les particules chargées à partir de leur trajectoire. Viennent ensuite les calorimètres électromagnétiques - qui mesurent l'énergie des photons et des électrons - et hadroniques, qui mesurent celle des hadrons. Enfin un détecteur à muons complète le dispositif.
Ainsi, pour chaque expérience, il a fallu concevoir des détecteurs capables de repérer des millions de particules par seconde, une électronique résistant aux radiations et des systèmes d'acquisition des données ultrarapides. "Lorsque la construction du LHC a été décidée, les technologies dont nous avions besoin n'existaient pas, raconte Yves Sirois, chercheur au Laboratoire Leprince-Ringuet (LLR) et responsable de l'expérience CMS pour le CNRS. Nous avons dû les développer nous-mêmes, parier sur l'évolution des composants". L'expérience la plus impressionnante est Atlas (->) : l'ensemble du détecteur mesure près de 46 mètres de long et 25 mètres de diamètre ! Son but : dénicher le fameux boson de Higgs et tester la physique au-delà du modèle standard, comme la supersymétrie.
C'est au Laboratoire de l'accélérateur linéaire (LAL), à Orsay, qu'a été inventé son calorimètre électromagnétique à argon liquide, qui mesure l'énergie des photons et des électrons. Il est composé d'un empilement de plaques métalliques et d'électrodes, baignant dans de l'argon liquide. Chaque particule qui le traverse arrache aux atomes d'argon des électrons, qui sont ensuite collectés par les électrodes pour former un signal identifiable. Mais pour que la machine réponde en quelques dizaines de nanosecondes, il a fallu lui donner une forme totalement inédite : les plaques et les électrodes ont été pliées en accordéon et empilées pour former un cylindre. "Grâce à cette structure, il n'y a, de plus, aucune zone aveugle dans le détecteur", explique Daniel Fournier, responsable de l'expérience Atlas pour le CNRS et co-inventeur de l'appareil, qui a impliqué trois autres laboratoires de l'IN2P3. Le Laboratoire de physique corpusculaire (LPC Clermont), à Clermont-Ferrand, a quant à lui contribué de manière déterminante à la conception du calorimètre hadronique. À Grenoble, dans le même temps, les membres du Laboratoire de physique subatomique et cosmologie (LPSC) ont mis au point une partie complémentaire, le pré-échantillonneur, qui permet de déterminer précisément l'énergie des particules au moment où elles entrent dans le calorimètre, ainsi que le système cryogénique à argon liquide de ce dernier. Enfin, la partie la plus centrale du trajectographe d'Atlas a été élaborée au CPPM : un détecteur en silicium doté de 82 millions de pixels !

UNE DEUXIÈME VOIE POUR LA QUÊTE DU BOSON

L'autre grande expérience du LHC est CMS (Compact Muon Solenoid). Elle est nettement plus petite qu'Atlas mais beaucoup plus lourde : 11 000 tonnes contre "seulement" 7000 tonnes pour son grand frère. Cette masse est notamment due à son aimant interne, très compact, qui génère un champ magnétique 80.000 fois plus intense que celui de la Terre. Lui aussi a pour objectif de dénicher le boson de Higgs et les particules supersymétriques, mais il utilise pour cela des technologies différentes d'Atlas. Son calorimètre électromagnétique (->), par exemple, est composé de cristaux de tungstate de plomb, qui émettent de la lumière lorsqu'ils sont frappés par les photons ou les électrons. Les études pionnières menées au LAPP sur ce matériau ont grandement contribué à son choix. Quant à la lumière qu'il émet, elle est collectée par des dispositifs appelés photodiodes à avalanche, construits, étudiés et calibrés à l'Institut de physique nucléaire de Lyon (IPNL). L'institut a aussi contribué, avec le LLR, à toute l'électronique de lecture. Son trajectographe, également en silicium, a été, lui, en partie assemblé à l'IPNL et à l'Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC), à Strasbourg. Le «réfrigérateur» du LHC permet de maintenirà -271,3°C les aimants supraconducteurs nécessaires au guidage des protons. (<-)
Les deux autres points de collision du LHC sont occupés par les expériences LHCb et Alice. Si elles aussi pourront observer des manifestations de la nouvelle physique, elles s'attachent avant tout à décrypter des phénomènes bien précis. Ainsi, LHCb a été conçue pour étudier des particules spécifiques, les hadrons constitués de quarks dits "beaux", et les subtiles variations de comportement entre eux et leurs antiparticules. Ceci afin de tenter de comprendre pourquoi, à la naissance de l'Univers, la matière a été favorisée au détriment de l'antimatière. Cinq groupes français ont pris part à la construction de la structure mécanique et à toute la chaîne électronique des calorimètres, Ils se sont également chargés d'une partie du détecteur de muons et du dispositif de déclenchement de l'expérience. En fait, les quatre grands détecteurs disposent d'un tel système. Parmi les quarante millions de collisions par seconde, une majorité ne produit rien d'intéressant. Inutile dans ce cas d'enregistrer tous les événements. Des dispositifs de sélection, basés sur la nature et l'énergie des particules détectées, ont donc été installés. Ce sont eux qui spécifient aux systèmes informatiques quels événements il faut enregistrer pour ensuite les restituer aux physiciens.

ALICE AU PAYS DES PARTICULES

L'IPNL et le LPC Clermont ont apporté beaucoup dans la mise au point de ces "déclencheurs" pour Alice. Contrairement aux trois autres, l'expérience va surtout s'intéresser aux collisions d'ions de plomb, qui ne devraient débuter que l'année prochaine. La violence du choc entre ces ions lourds sera telle qu'un nouvel état de la matière - un plasma de quarks et de gluons - devrait apparaître pendant une fraction de seconde... comme cela a sans doute été le cas à la naissance de l'Univers. En étudiant les particules issues de la collision, notamment les muons et certains hadrons, les chercheurs pourront savoir si un tel plasma - qui existerait encore aujourd'hui au cour de certaines étoiles - a bien été produit et déterminer certaines de ses caractéristiques. Là encore, les équipes de l'IN2P3 se sont largement impliquées dans la conception et la fabrication de plusieurs sous-détecteurs : le spectromètre à muons, doté de plus d'un million de voies de détection, au Laboratoire Subatech, à Nantes, au LPC Clermont, à l'IPNL et à l'IPN, une partie du trajectographe en silicium et de son électronique à Subatech et à l'IPHC. Certains groupes, dont le LPSC, à Grenoble, travaillent à l'élaboration d'un calorimètre électromagnétique qui devrait étre installé après le démarrage du LHC. Évidemment, toutes ces équipes n'en ont pas fini avec le LHC. Après avoir participé au montage des instruments dans le tunnel souterrain, de nombreux chercheurs effectuent les derniers tests, en mesurant notamment la réponse des détecteurs aux rayons cosmiques en provenance de l'espace. Pendant que d'autres envisagent déjà l'avenir et commencent à étudier les solutions techniques pour faire du LHC un super-LHC, encore plus puissant. Tous, cependant, affûtent déjà leurs formules physiques en prévision des premières données qui ne devraient pas tarder à leur parvenir.

La grille de calcul du LHC - Lorsque l'exploitation du LHC aura pris un rythme de croisière, quelque 15 millions de gigaoctets de données seront produits chaque année. Une quantité colossale qu'il va falloir gérer au mieux. C'est pourquoi le Cern et ses partenaires, dont l'IN2P3, ont mis en place la grille de calcul LCG (LHC Computing Grid), une infrastructure internationale de traitement informatique qui intègre des milliers d'ordinateurs et d'importantes ressources de stockage. En fait, toutes les données seront traitées sur environ 200 sites sur toute la planète. Le premier centre, désigné sous le nom de Tier 0 et installé au Cern, acquerra toutes les données produites par les détecteurs et réalisera une sauvegarde. Il transmettra ensuite les informations aux onze grands centres nationaux désignés comme Tier 1, dont le Centre de calcul de l'IN2P3 (CCIN2P3), à Lyon, qui dispose actuellement d'une capacité de stockage de 8 millions de gigaoctets, amenée à être doublée chaque année. "Ces centres, disponibles 24 heures sur 24, assureront la pérennité des données et réaliseront un premier traitement avant de les transmettre aux Tier 2 et 3, répartis dans tous les pays, où se fera l'analyse physique proprement dite", explique Fabio Hernandez, du CCIN2P3. Quant aux onze laboratoires de l'IN2P3 impliqués dans les expériences du LHC, ils déploient en ce moment des outils de calcul locaux ou régionaux reliés à la grille LCG. F.D.

F.D. - Extrait du Journal du CNRS N°222-223 > Juillet-Août > 2008

Quid des Dangers du LHC ?

Lecteur : Je me demande s'il y a une loi du silence au sein de la communauté scientifique concernant les dangers liés aux grands accélérateurs de particules... En effet, il y a eu des évaluations de risques faits par les physiciens eux-mêmes qui travaillent sur les expériences de collisions de particules et la possibilité de création de mini trous noirs. Cette possibilité s'avère non nulle et, selon certains, elle serait même de l'ordre de 30 %. Serait-il possible d'informer vos lecteurs sur ce sujet, alors que le plus grand accélérateur au monde va être opérationnel ?

S&V : Certaines théories prévoient la création de trous noirs à partir des collisions de haute énergie qui se produiront dans le tunnel du LHC. Pour autant, leur force gravitationnelle est proportionnelle à la quantité de matière, ou d'énergie, qu'ils contiennent. Or, si l'on parle de haute énergie dans les accélérateurs de particules, celle-ci est toute relative. A chaque collision, l'énergie mise en jeu n'excédera pas celle que développe un moustique en vol. En fait, la spécificité d'un accélérateur de particules, c'est sa capacité à concentrer cette énergie à une échelle spatiale minuscule. Et si de cette concentration naît un trou noir, il sera trop modeste pour absorber la matière environnante. De plus, si ces astres n'absorbent pas de matière, ils s'évaporent. Ceux du LHC seront si éphémères qu'on ne pourra les détecter qu'à travers les produits de leur désintégration : quelques particules et photons. Dernier argument : le bombardement de la Terre par les rayons cosmiques est à l'origine de collisions bien plus énergétiques que celles prévues au LHC. Si des trous noirs en sont sortis, ils n'ont jusqu'à maintenant avalé personne !

SCIENCE & VIE > Juin > 2008
 

   
 C.S. - Maréva Inc. © 2000 
 charlyjo@laposte.net