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Le Monde de l'Antimatière

On a Ralenti de l'Antimatière

S.D. - SCIENCE & VIE N°1245 > Juin > 2021

Orages : ils font Jaillir de l'Antimatière

Passé un seuil de puissance, les orages produisent des milliards d'antiparticules ! Une étonnante découverte quand, sur Terre, l'antimatière reste un défi... Certains éclairs déclenchent une cascade de réactions atomiques qui, in fine et, engendre dans la haute atmosphère des milliards de positrons.

Août 2009. Dans un laboratoire de l'université d'Alabama, aux États-Unis, Michael Briggs est assis devant son écran. Cet astrophysicien est en train d'éplucher les dernières données transmises par un détecteur du télescope spatial Fermi de la NASA, installé en orbite à 560 km de la Terre et dont il est responsable. La routine : il passe en revue des séries de pics, chacun équivalent au signal de particules de lumière venues des confins de l'espace, des photons gamma. Quand tout à coup, au beau milieu des signaux correspondant aux relevés du 13 août 2009, à 05:10, il remarque un excès de photons : un pique anormalement élevé, qui affiche l'énergie exacte de 511 kiloélectronvolts (keV). Ce nombre, il le connaît par cour : "cette énergie est caractéristique, précise-t-il, encore débordant d'enthousiasme. Elle signe la détection d'antimatière".
Soit cette forme miroir de la matière qui, selon la théorie, devrait constituer l'Univers pour moitié ("Repère").

En clair : chaque électron devrait avoir son positron (une particule avec les mêmes caractéristiques, mais une charge positive), et chaque proton son antiproton. Sauf que dans la pratique, et pour une raison inconnue, la matière a pris le dessus : pour observer l'antimatière, il faut donc la fabriquer dans de gigantesques accélérateurs de particules, comme le LHC de l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire, ou tenter de la détecter dans le ciel, au hasard de violents événements cosmiques.

REPÈRE : Antimatière
Dès 1931, guidé par ses équations, le physicien britannique Paul Dirac associe à chaque particule élémentaire une jumelle identique, mais de charge opposée. Une théorie confirmée un an plus avec la découverte dans le rayonnement cosmique du positron, la première particule d'antimatière. Depuis, on a reussi à la fabriquer dans des accélérateurs de particules.

LE SIGNAL VIENT DE LA TERRE

"C'est ce que nous faisons normalement avec le satellite Fermi : son détecteur traque le rayonnement gamma à 511 keV signalant que des positrons ont été produits, puis annihilés par des étoiles en fin de vie", précise Michael Briggs. Mais le pic qu'il remarque ce fameux jour d'août ne peut provenir d'une étoile lointaine : "Le signal était trop fort. Les photons gamma avaient été captés directement par le détecteur". Or, la durée de vie de ces particules est incroyablement fugace : elles s'annihilent dès qu'elles rencontrent un atome de matière. Que des positrons aient été repérés par le détecteur signifie donc que leur source d'émission est très proche. Si proche qu'elle doit même se trouver... sur Terre. "Je n'en reviens toujours pas : durant des années, j'ai travaillé à repérer des traces d'antimatière provenant des confins de l'Univers. Et voilà que je tombe par hasard sur des positrons terrestres !"
Le chercheur annonce aussitôt son incroyable découverte lors d'une conférence. Il pense déjà connaître la source terrestre qui a engendré cette antimatière : les orages, dont on sait qu'ils peuvent produire des rayons gamma. "En 1994, on a remarqué que lors d'orages particulièrement violents, de forts champs électriques se forment en altitude, raconte-t-il. Ils accélèrent les électrons de l'air jusqu'a des vitesses proches de celle de la lumière, conduisant à l'émission de rayonnements ultraénergétiques constitués de photons gamma". Une découverte confirmée en 2005, quand le satellite RHESSI détecte plusieurs flashs de rayons gamma par semaine ! "On en a conclu que dans le monde, les orages donnent naissance à une cinquantaine de ces flashs par tard jour", ajoute Michael Briggs. Même si selon les météorologues peu d'orages sont assez puissants pour provoquer ce phénomène, certains se comportent donc bien comme de puissants accélérateurs de particules ! "La plupart de ces flashs atteignent même des énergies de plusieurs dizaines de mégaélectronvolts, de quoi concurrencer le LHC", décrit Serge Soula, spécialiste des orages au Laboratoire d'aérologie de Toulouse. Une valeur largement suffisante pour fabriquer de l'antimatière !

77 FLASHS GAMMA ANALYSÉS

C'est en étudiant les relevés du télescope Fermi que Michael Briggs a pu isoler les 77 pics de photons (en rose ->) prouvant que la foudre engendre des positrons.

Car pour les physiciens, tout est une question d'énergie. "À condition qu'un flash gamma produit par un orage atteigne une énergie de 1022 keV, il peut créer un électron et un positron, chacun à 511 keV", assène ainsi Laurent Derome, chercheur au Laboratoire de physique subatomique de Grenoble. Sur le papier, donc, rien de totalement invraisemblable. Seulement, jusque-là, personne n'avait encore observé cette curiosité de la nature ! Pour confirmer son intuition, Michael Briggs se met alors à éplucher avec son équipe les archives du télescope spatial Fermi. Plusieurs mois seront nécessaires pour isoler 77 flashs gamma d'une énergie supérieure à 1022 keV provenant de la Terre et non d'étoiles lointaines. Ils en choisissent trois parmi les plus intenses - le 7 août 2008, le fameux 13 août 2009 et le 14 décembre 2009 - et, grâce à des simulations, retracent le chemin de ces antiparticules depuis la haute atmosphère jusqu'au télescope.
Ce travailleur permet de vérifier que le rayonnement gamma à 511 keV capté par Fermi a été émis par des positrons qui se sont annihilés sur le détecteur. La conclusion, dès lors, s'impose : ce sont bien des éclairs qui, initiant une avalanche de réactions atomiques, ont donné naissance à de l'antimatière (infographie ->). La plupart de ces positrons ont été annihilés au contact de la haute atmosphère, mais un petit nombre est passé entre les gouttes et s'est envolé dans l'espace. Tournoyant autour des lignes du champ magnétique terrestre jusqu'à finalement atteindre le satellite Fermi, ces rescapés se sont évanouis au contact de l'un des électrons du détecteur en émettant un photon : le fameux éclat de lumière à 511 keV qui a bouleversé la vie de Michael Briggs... Les chercheurs sont même allés jusqu'à éplucher les images des satellites météo pour tenter de retrouver quel orage avait engendré les positrons. Ils ne sont pas parvenus à retrouver le responsable du pic du 13 août, mais ils ont en revanche identifié les antiparticules "du 14 décembre 2009, alors que Fermi survolait l'Egypte, et qui sont probablement nées au cour d'une tempête en Zambie", précise l'astrophysicien.
Preuve est donc faite : les orages sont d'incroyables accélérateurs de particules naturels qui fabriquent des flots de positrons. Voilà qui remet en perspective la rareté de l'antimatière. "D'abord, on découvre que des flashs gamma produits par des orages atteignent des énergies considérables. Puis, on s'aperçoit qu'ils sont bien plus nombreux qu'on ne le pensait et maintenant, on a la preuve qu'ils fabriquent des positrons", récapitule Jean-Louis Pinçon, du Laboratoire de physique et chimie de l'environnement et de l'espace d'Orléans. Si les physiciens ne sont pas surpris de voir des positrons jaillir des flashs gamma, les météorologues ne s'expliquent toujours pas comment la foudre peut donner naissance à des champs électriques assez puissants pour accélérer les électrons presque jusqu'à la vitesse de la lumière. "Nos modèles échouent à l'expliquer, regrette Jean-Louis Pinçon. On ne parvient pas à accélérer suffisamment un électron pour déclencher la cascade de réactions".
Reste aussi à déterminer si tous les flashs de rayons gamma émis par les orages fabriquent des positrons : les physiciens jugent que c'est probable... D'autres analyses seront nécessaires pour percer les mystères des fabriques à antimatière terrestre. Une mission vient justement d'être confirmée par le Centre national d'études spatiales : le satellite Taranis devrait braquer ses détecteurs vers le sol en 2015, à l'affût des flashs produits par les éclairs. Michael Briggs attend ces données de pied ferme, et garde les yeux rivés au sol : les orages semblent l'avoir définitivement détourné des étoiles...

LES 2 AUTRES SOURCES NATURELLES D'ANTIMATIÈRE
Les orages ne constituent que la troisième source naturelle d'antimatière sur Terre !
La première se trouve au-dessus de nos têtes : il s'agit de la couche supérieure de l'atmosphère. Stimulée par les rayons cosmiques, ces flots de particules chargées électriquement venus du milieu interstellaire, elle ne cesse de donner naissance à des positrons. Quant à la seconde, elle se cache dans les atomes radioactifs. Certains noyaux instables contenant un excès de protons comme le sodium 22, le brome 35 ou encore l'iode 122 finissent en effet par se désintégrer en émettant un neutrino, un photon et un positron. Et c'est tout ! Aucun antiproton ni antineutron ne naît sur Terre pour une raison simple, qui tient aux lois strictes de la physique des particules : ils sont beaucoup plus massifs que le positron et leur fabrication consomme donc trop d'énergie pour qu'il puisse apparaître naturellement.

M.F. - SCIENCE & VIE > Avril > 2011

L'Antimatière à la Chaîne

Le physicien japonais Yasuori Yamazaki et ses collègues du Cern viennent de concevoir une méthode permettant d'obtenir 50 fois plus d'antiprotons.

Ces particules d'antimatière, exact opposés des protons, sont produites à une si haute énergie qu'il est difficile de les capturer. En les canalisant dans un quadrupole à radiofréquence qui les freine via des champs électriques, ils ont obtenu 1,2 million d'antiprotons ralentis.

Lesquels sont alors plus faciles à associer à des anti-électrons pour constituer des anti-atomes d'hydrogène.

C.B. - SCIENCE & VIE > Mars > 2005

 

   
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