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L'Infini et les Infinis

Il y a des Infinis Plus Grands que d'Autres

Tous les infinis ne se valent pas : les mathématiciens savent même les classer du plus grand au plus petit !

Par exemple, l'ensemble des nombres entiers (1 ; 2 ; 3...) est plus petit que l'ensemble des nombres réels (c'est-à-dire tous les nombres : 1 ; 1,1 ; 1/3 ; 1,279 ; π ; √2...). On sait même à quel point : le nombre (infini) d'éléments de l'ensemble des nombres entiers, baptisé ℵ0 (aleph zéro) et le nombre (infini) d'éléments de l'ensemble des nombres réels ℵ1 seraient liés par la relation ℵ1 = 20. ℵ1 vaudrait donc exactement 2 multiplié ℵ0 fois par lui-même.
Cette proposition, émise par Georg Cantor au XIXè siècle, est liée au fait que chaque nombre réel peut être considéré comme un sous-ensemble fini ou infini des nombres entiers. Elle n'a cependant jamais pu être démontrée, ni infirmée : il est même prouvé qu'elle est indécidable.
Mais d'autres infinis sont équivalents, ce qui n'est pas moins surprenant ! Ainsi, l'ensemble infini des fractions (1 ; 1/2 ; 1/3 ; 2/3 ; 1/4 ; 3/4 ; 2 ; 1/5 ; 2/5...) n'est pas plus grand que celui des entiers. En effet, en les classant méthodiquement, on note qu'à chaque fraction peut correspondre un entier et réciproquement. Tandis qu'on ne peut établir de correspondance entre les réels et les entiers.


R.I. - SCIENCE & VIE > Août > 2010

L'Infini : un Univers de Paradoxes

QUI EST-IL ?

Commençons par dire ce qu'il n'est pas : l'infini, noté ∞, n'est aucun des nombres entiers naturels. C'est un concept mathématique utilisé pour qualifier ce qui n'est pas fini. Encore faut-il déterminer le fini... Les définitions du fini et de l'infini sont solidaires l'une de l'autre. Le mathématicien Giuseppe Peano (1858-1932) a été l'un des premiers à proposer une définition : "infini" est une quantité supérieure à tout entier naturel.

OÙ EST-IL NÉ ?

Chaque civilisation a développé une approche de ce concept. Le premier, le Grec Anaximandre de Milet, au VIè siècle av. J.-C., imagine la Terre comme une sphère finie suspendue dans un espace infini. Puis, les savants atomistes - dans la lignée de Démocrite au Vè siècle av. J.-C. pensent la matière comme une infinité de constituants insécables. La notion d'infini donne naissance à une multitude de paradoxes, comme ceux énoncés par Zénon d'Elée, dès le Vè siècle av. J.-C, dont le plus célèbre est celui d'Achille et la tortue (lire plus loin).
Ces paradoxes nous ont été rapportés par Aristote (IVè siècle av. J.-C.) dans sa Physique, sorte d'introduction à son ouvre. "Il peut être considéré comme le premier théoricien de l'infini, souligne Hourya Benis Sinaceur, directrice de recherche émérite au CNRS (Institut d'histoire et philosophie des sciences et des techniques, université Paris-1 et ENS Ulm). Pour lui, l'infini est ce qui ne se laisse pas parcourir et n'a pas de limite. N'ayant pas de limite, il ne peut être déterminé et n'existe pas en soi". Ainsi, Aristote admet la nécessité de penser l'infini, mais il lui dénie toute existence physique ou mathématique. Certes, le mathématicien peut chercher des nombres de plus en plus grands, mais il serait impensable que l'infini intervienne dans des opérations de numération pour être comparé avec une autre grandeur. "Aristote oppose l'infini potentiel à l'infini en acte (ou infini actuel), qui ne peut être envisagé", reprend Hourya Benis Sinaceur. L'infini potentiel - la potentialité étant le seul statut acceptable pour l'infini selon le maître antique - signifie qu'une quantité peut devenir toujours plus grande. Pouvant être pensé sans faire l'objet de mesure, il est donc exclu des actes.
Ce statut particulier de l'infini dominera longtemps la pensée, même si quelques savants envisagent l'infini en acte. Parmi eux, au IXè siècle à Bagdad, Thâbit ibn Qurra remarque que l'ensemble des entiers pairs et l'ensemble des entiers impairs constituent un cas d'égalité entre infinis. Il représente ce courant de mathématiciens parfois appelé "infinitistes" qui franchissent la barrière imposée par Aristote. La notion est aussi utilisée par les théologiens et les philosophes pour qualifier un dieu parfait et omniprésent. Ainsi, Spinoza opposera le "vrai infini", celui d'une substance indivisible, au "faux infini", à savoir l'infini mathématique, même s'il n'est que potentiel. Trois infinis ont donc été envisagés : l'absolu, d'ordre théologique, le mathématique - potentiellement concevable - et le physique - intervenant en acte.
"Un nouveau tournant survient avec l'analyse du mouvement par Galilée et surtout avec le calcul infinitésimal inventé à la fois par Newton et Leibniz, précise Hourya Benis Sinaceur. De nouveaux concepts mathématiques apparaissent : celui de fonction, de dérivée, de suite et de série infinie, de limite, de quantité infinitésimale, de différentielle, etc". L'idée est de calculer la longueur d'une courbe en faisant la somme d'une infinité de portions de droites qui s'approchent le plus d'elle. Cette méthode puissante démontrera que la notion d'infini peut être utilisée dans les mesures mathématiques. Quant à la pensée moderne de l'infini, elle apparaît au XIXè siècle avec le mathématicien tchèque Bernard Bolzano. "Dans son livre Les Paradoxes de l'infini, il situe le véritable infini dans le champ du calcul et non plus dans le divin, explique Hourya Benis Sinaceur. Pour lui, le concept mathématique est le fondement du concept théologique et physique : Dieu n'est infini que parce que chacune de ses capacités a une grandeur infinie. Il s'agit donc d'une mesure - l'infini en acte - qui est à la base de la grandeur de Dieu". Bolzano tenta de définir une arithmétique de l'infmi, mais se heurta à ses nombreux paradoxes. Il a cependant ouvert la voie aux travaux de Cantor, à l'origine avec Richard Dedekind de notre vision moderne.

OÙ LE TROUVE-T-ON ?

L'infini a beau apparaître parfois en physique, en cosmologie notamment pour définir l'étendue de l'espace, sa place est surtout dans le monde conceptuel des mathématiques. Son domaine de prédilection est la théorie des ensembles : un ensemble est dit infini lorsqu'il contient un nombre infini d'éléments. Ce qui s'exprime en langue mathématique de la manière suivante : si E est un ensemble infini, alors le cardinal de E - c'est-à-dire l'ensemble des éléments qui le composent - n'est pas un entier naturel. Autrement dit, si l'on ne peut pas associer un nombre fini au nombre d'éléments d'un ensemble, alors il est infini. Le mathématicien allemand Georg Cantor inventera un signe pour désigner le cardinal d'un ensemble infini : ce sera א (aleph) ou "cardinal transfini". En nommant le concept, il donne naissance à la notion moderne de l'infini.
Une notion qui défie le bon sens... Ainsi, dans le monde de l'infini, une partie d'un ensemble peut être aussi grande que le tout. Comment est-on arrivé à cette incroyable conclusion ? Considérons deux ensembles : le premier contient les nombres naturels, le second les nombres pairs. Ont-ils le même nombre d'éléments ? Spontanément, nous serions tentés de répondre que le premier compte deux fois moins d'éléments que le second. Cantor nous démontre qu'ils en ont la même quantité. Comment ? Au préalable, il explique que si une relation de bijection peut être établie entre les éléments de deux ensembles, alors ils ont le même cardinal : autrement dit, si l'on parvient à faire correspondre un à un les éléments d'un ensemble avec ceux de l'autre, on peut conclure qu'ils ont le même nombre d'objets. Commençons donc par examiner l'ensemble des entiers naturels : (1, 2, 3, 4, 5, 6...) , puis l'ensemble des entiers pairs (2, 4, 6, 8, 10, 12...). On peut faire correspondre à chaque n du premier ensemble un nombre égal à 2n ; et aussi grand que soit n, il y a un 2n qui lui corresponde. Ainsi, les deux ensembles ont le même cardinal qui est aleph zéro, noté א0. Il s'agit de deux ensembles infinis, "équipotents".
Pourtant, nous savons qu'il manque les nombres impairs à l'appel. Pour ceux-là aussi, la relation de bijection est immédiate. À chaque n des entiers naturels correspond un (2n + 1) impair. Le cardinal est, de même, א0. Cantor en tire une conclusion étonnante, en dépit du bon sens : pour les ensembles infinis, qui acceptent א0 comme cardinal, la partie peut être aussi grande que le tout ! De ce fait, Cantor détermine les lois qui régissent l'étrange monde de l'infini :
א0 + 1 = א0 ;
א0 + 10100 = א0 ;
א0 + א0 = א0...
Encore plus étonnant : א0 multiplié par n'importe quel nombre ou même lui-même = א0.
Cantor ne s'arrête pas à ces conclusions décoiffantes. Il démontre que les éléments de l'ensemble des nombres rationnels ne peuvent être mis en bijection avec les éléments de l'ensemble des réels - soit tous les nombres sauf les imaginaires : les deux sont bien infinis, mais on trouve, dans l'un, des éléments qui ne peuvent être associés à un élément de l'autre. La démonstration s'appelle la méthode de la diagonale. Nous connaissons l'ensemble des entiers naturels : (1, 2, 3, 4...) et aussi l'ensemble des nombres réels. Examinons l'ensemble des réels. Entre 0 et 1, il y a en réalité une infinité de nombres sous forme d'un zéro suivi d'une partie décimale infinie. L'ensemble des réels est infiniment plus grand que א0. La conclusion de Cantor : il y a des infinis plus grands que d'autres. Voilà pourquoi א0 est le plus petit des infinis. Enfin, autre constat qui défie le sens commun : il y a autant de points dans un segment d'un millimètre de long que dans une ligne virtuelle qui relierait la Terre au Soleil, soit une distance de 150 millions de kilomètres. Comment est-ce possible ? Un segment continu est constitué d'une infinité de points et chacun d'entre eux peut être mis en correspondance avec un point d'une autre ligne.
En ouvrant la porte de ce monde incroyable, Cantor s'expose aux critiques des mathématiciens les plus conservateurs. Est-ce pour cette raison que son état mental se dégrade ? À la fin de sa vie, il sombre dans la folie, persuadé que Dieu lui-même lui a envoyé les א... En attendant, ils continuent à donner du fil à retordre aux mathématiciens.

SES PETITES HISTOIRES

Parmi tous les paradoxes générés par l'infini, le plus connu est celui d'Achille et la tortue, énoncé par le mathématicien grec Zénon d'Elée. Il cherche à prouver que le mouvement n'existe pas, autrement dit qu'il faut un temps infini pour un déplacement fini.
Achille, coureur réputé rapide, entreprend une course avec une tortue, animal connu pour sa lenteur. Bon prince, raconte Zénon d'Elée, il place la tortue cent mètres en avant de lui. Au bout d'un certain temps, il parvient là où était la tortue en début de course, mais l'animal a pendant ce laps de temps parcouru une certaine distance, assez courte. Le temps qu'Achille parcoure cette faible distance, la tortue est encore un peu plus loin. Bref, chaque fois qu'Achille atteint la position de la tortue, celle-ci s'en est éloignée. Conclusion logique de Zénon : Achille ne rattrapera jamais la tortue.
En réalité, nous savons qu'il n'en est rien. La solution du paradoxe a été découverte des siècles plus tard. Supposons, par exemple, qu'Achille a mis 10 secondes pour effectuer 100 mètres puis 0,1 seconde pour l'étape suivante (la tortue ayant parcouru très peu de chemin), puis encore 0,01 seconde pour la position suivante, bref admettons que chaque étape soit 100 fois plus brève que la précédente. On peut calculer le temps mis par Achille : T = 10+0,1 + 0,001 + 0,00001 +... C'est un nombre infini d'intervalles qui deviennent de plus en plus petits. Cette série infinie de nombres converge vers un résultat fini.
Autre paradoxe fameux, celui de l'hôtel de l'infini de David Hilbert (1862-1943). Ce mathématicien allemand le racontait souvent à ses étudiants pour illustrer les ensemble infinis et les travaux de Cantor. L'établissement est d'un genre un peu particulier, puisqu'il possède une infinité de chambres toutes occupées. Paradoxalement, l'hôtelier peut toujours accueillir des nouveaux clients. Comment ? Il suffit qu'il demande à l'occupant de la chambre n°1 de prendre la chambre n°2, à l'occupant de la chambre n°2 de prendre la chambre n°3, le client du 3 irait dans la chambre n°4, et ainsi de suite. Le nouveau venu occuperait la chambre n°1. Mais l'hôtel peut aussi loger une infinité de nouveaux clients. Chaque occupant doit se déplacer dans la chambre dont le numéro est deux fois le numéro de la chambre précédente. Ainsi le 2 irait à la chambre 4, le 3 à la 6, le 4 à la 8, et ainsi de suite. Les chambres impaires se libéreraient et, comme il y a une infinité de nombres impairs, on pourrait y loger une infinité de personnes. Ce paradoxe illustre le cas décrit par Cantor : deux ensembles dénombrables et infinis ont le même cardinal.

A.Kh. - SCIENCES ET AVENIR > Octobre-Novembre > 2009
 

   
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