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Trous Noirs Errants Solitaires

Un Trou Noir se promène Solitaire dans l'Espace

A.K. - SCIENCES ET AVENIR N°843 > Mai > 2017

Certains seraient Éjectés de leur Galaxie

Au cour de la plupart des galaxies - dont la Voie lactée - trône un trou noir supermassif, dont la masse est de 1 million à 1 milliard de fois celle du Soleil ! On savait que lors d'une collision intergalactique, ces trous noirs centraux fusionnent. Mais des observations récentes ont révélé que le trou noir issu de cette fusion peut subir un effet de recul. Et même, selon des simulations, être violemment expulsé hors de la galaxie.

Un roi exilé ayant gardé sa cour mais perdu son royaume ! Depuis deux ans, les télescopes des astronomes scrutent frénétiquement le ciel en tâchant d'observer les traces de ce cruel destin : un trou noir supermassif qui, après avoir trôné au centre de sa galaxie, se serait fait violemment bannir, tout juste accompagné d'une petite cohorte d'étoiles, derniers fidèles d'une galaxie autrefois vassale.
Sur le papier, cette tragédie porte déjà un nom : les systèmes stellaires hypercompacts (SSHC). Des sortes de mini-galaxies, dotées d'un trou noir pesant d'un million à plus d'un milliard de fois le Soleil, entouré par quelques dizaines de milliers d'étoiles qui tournent autour à une vitesse folle, à une distance de l'ordre de l'année-lumière seulement. Et, depuis deux ans, les astronomes cherchent à prouver que des systèmes aussi étranges existent bel et bien dans notre Univers.

UN FANTASTIQUE EFFET DE RECUL : Car si les astronomes tiennent déjà quelques candidats en joue dans leurs viseurs, de tels rois déchus n'ont pour l'instant été observés que dans les simulations informatiques des dynamiques galactiques, dont celles de David Merritt, astrophysicien du Centre de relativité et gravitation computationnelles au Rochester Institute of Technology, le premier a les avoir "vus", en 2008... Et c'est le mécanisme conduisant le trou noir à l'exil qui explique l'intérêt soudain des astronomes. Car ce que montrent les simulations de Merritt, c'est du jamais vu ! Ces expulsions cosmiques seraient la conséquence d'une forme de propulsion par ondes gravitationnelles causée par la fusion de deux galaxies. Un mécanisme qui mérite quelques explications.
On sait depuis longtemps que l'attraction gravitationnelle entre les galaxies les conduit à se heurter et à fusionner pour en former une nouvelle, plus massive. Comme la plupart possèdent en leur centre un trou noir supermassif, il s'ensuit naturellement que deux galaxies qui fusionnent voient leurs trous noirs centraux faire de même : ceux-ci se tournent autour durant quelques millions d'années, perdant peu à peu leur distance, jusqu'à la rencontre et la fusion finale. L'explication physique de cette union royale est toute simple comme les deux trous noirs qui tournent l'un autour de l'autre ont à tout moment des directions de déplacement opposées, ils sont freinés par leur attraction gravitationnelle réciproque. Et ce ralentissement mutuel progressif qui les pousse à se rapprocher, se traduit par une perte d'énergie de mouvement. Comment cette énergie perdue est-elle émise ? Sous la forme d'ondes gravitationnelles, des sortes de plissements de la trame de l'espace-temps qui se déplacent à la vitesse de la lumière comme des ondes à la surface de l'eau, et qui emportent en vagues circulaires aux quatre coins du cosmos un peu de l'énergie de rotation du couple de trous noirs.
Ces ondes gravitationnelles sont déjà connues des astronomes : "Elles ont été prédites dès 1916 par Einstein, précise Françoise Combes, astronome à l'Observatoire de Paris, spécialiste de la dynamique de formation des galaxies. Et leur existence a été confirmée en 1974 par l'observation d'un système de deux étoiles à neutrons en rotation l'une autour de l'autre". Mais ce qui n'avait pas été prévu, c'est que ces ondes pourraient envoyer valser le trou noir formé de la fusion des deux anciens !
En effet, quand les trous noirs entament leur fusion, leurs champs gravitationnels font de même. Or, le champ issu de cette union peut être légèrement déformé, conduisant à une asymétrie dans la diffusion de l'énergie sous la forme d'ondes gravitationnelles. Comme l'explique Françoise Combes, "si au moment de la fusion, il y a plus d'énergie émise dans une direction particulière, le nouveau trou noir part dans le sens opposé, par effet de recul". C'est le principe même de la propulsion aérienne ou spatiale, sauf qu'ici on n'éjecte pas des gaz, mais des ondes gravitationnelles. Et il suffit d'un petit déséquilibre lors de la fusion des trous noirs pour allumer le moteur !
Selon les simulations, l'effet de recul maximal se produit quand les trous noirs ont des masses similaires et sont en rotation sur eux-mêmes dans des sens opposés (infographie ->), une configuration statistiquement très rare. Mais si elle advient, alors l'émission des ondes gravitationnelles lors de la fusion est si asymétrique qu'elle peut, en théorie, propulser le trou noir nouvellement formé à une vitesse qui lui permet de surpasser le pouvoir d'attraction de toute sa galaxie : l'astre s'en échappe comme une fusée. Impressionnés par ce scénario théorique, les astronomes se sont empressés de chercher dans le ciel les traces de ces exils cosmiques. Un travail délicat car le phénomène est nécessairement peu fréquent sinon nous aurions déjà observé des galaxies sans noyau. "Selon les observations, la grande majorité des trous noirs, qui subissent un recul de l'ordre de quelques centaines de kilomètres par seconde, retombent assez vite au centre, explique Françoise Combes. Pour être éjectés, il faut atteindre un seuil d'un millier de kilomètres par seconde, ce qui semble très rare". Toujours est-il que les télescopes ont récemment repéré plusieurs galaxies affichant un trou noir central fortement décentré, comme la géante M87, issue d'une fusion d'anciennes galaxies ayant des trous noirs asymétriques - et qui ressemble à ce que deviendra notre galaxie quand elle aura fusionné avec Andromède - ou la lointaine ESO 243-49 (photo à g. ->). Selon les astronomes, l'effet de recul gravitationnel est cependant trop faible pour que ces trous noirs finissent par être expulsés. À l'heure actuelle, seuls deux candidats semblent remplir les conditions d'une expulsion en bonne et due forme. Le premier, révélé en 2008, est le trou noir du quasar J092712.65+294344.0, située encore près du centre galactique mais qui le fuirait à 2650 km/s. Le second, baptisé J122518.6+144545 (photo à d. ->), a été repéré en 2010, vagabondant dans la galaxie à 10.000 années-lumière de sa position centrale.

LE TROU NOIR DE NOTRE GALAXIE POURRAIT-IL ÊTRE ÉJECTÉ
Distantes de 2,4 à 2,9 al et se rapprochant à 120 km/s, la voie lactée et Andromède pourraient fusionner dans 3 milliards d'années. Leurs trous noirs centraux (4 et 40 millions de masses solaires) feraient alors de même : y a-t-il risque d'éjection ? C'est improbable, étant donné la différence de masses entre ces deux trous noirs. Mais que se passerait-il si cela arrivait ? Rien de spectaculaire ! "Le trou noir central ne représente que 0,2 % de la masse du bulbe, dit Peter Jonker, son éjection ne met pas en danger la cohésion de la galaxie". Comme l'explique David Merritt, "l'éjection entraîne un relâchement gravitationnel très localisé : le centre se dilate, repoussant un peu en périphérie les étoiles voisines". Donc, pas de drame en vue...

OBSERVATION DÉCISIVE : Il est cependant pour l'instant impossible d'affirmer que ces deux candidats seront reçus à l'examen, car les astronomes butent sur les limites des télescopes actuels : "Pour l'instant, on ne sait pas si les candidats ayant la vitesse de fuite suffisante sont les trous noirs supermassifs centraux, explique Merritt. Et il est par ailleurs difficile de distinguer visuellement un SSHC d'un autre système compact, comme les amas globulaires ou les galaxies naines denses". Même prudence chez Peter Jonker, astronome du Netherlands Institute for Space Research (Pays-Bas), membre de l'équipe qui a découvert le second candidat en 2010 : "Nous ne pouvons pas encore mesurer sa masse pour savoir s'il s'agit du trou noir central, ni sa vitesse de recul pour déterminer si le système s'échappera finalement de sa galaxie hôte". Aussi, malgré l'enthousiasme qui motive les recherches actuelles, la question se pose de savoir avec quelle probabilité la configuration de recul maximal des trous noirs centraux se produit. Si celle-ci est trop faible, il sera très difficile, voire quasi impossible, de dénicher un cas d'exil avéré, ce qui privera les astronomes d'une confinnation observationnelle...
Mais si le phénomène est suffisamment fréquent pour être observé, il permettrait d'affiner les modèles de fusion des galaxies et offrirait aux astronomes un nouveau type d'astre à accrocher à leur tableau de chasse. Surtout, il confirmerait l'extraordinaire pouvoir de ces ondes gravitationnelles dont on commence à peine à entrevoir le rôle dans l'évolution de notre Univers. Des ondes capables de déchoir de leur trône les plus puissants monarques du monde...

Romàn Ikonicoff - SCIENCE & VIE > Décembre > 2010
 

   
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