P L A N È T E  G A Ï A 
 
   
   
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Trous Noirs : les Maîtres du Cosmos

On savait qu'ils avalent tout ce qui passe à leur portée. Ils font en réalité bien plus que ça ! Car non seulement les trous noirs déclenchent de fantastiques flambées d'étoiles, mais ils crachent aussi des jets de matière jusqu'aux galaxies voisines, tandis que leur mort fait carrément vibrer l'espace-temps ! Mieux : de toutes récentes modélisations montrent qu'ils pourraient mener vers d'autres univers...

 Ils Règnent sur les Galaxies

Les nouveaux moyens d'observation astronomique le révèlent : les trous noirs ne font pas que trôner au centre des galaxies, ils les façonnent et même régulent leur évolution ! De quoi leur conférer un rôle majeur dans l'Univers.

Entre un million et un milliard de fois la masse du Soleil : telle est la masse du trou noir qui réside au cour de chaque galaxie de l'Univers. Ce qui n'était qu'une hypothèse il y a une trentaine d'années est en effet devenu une certitude : toutes les galaxies contiennent un trou noir "supermassif" en leur centre. Même si on ne peut pas les voir, puisqu'ils n'émettent pas directement de lumière, les preuves indirectes de leur présence se sont multipliées ces dernières années. À l'aide des grands télescopes et de nouveaux satellites, les astronomes distinguent de mieux en mieux les contours de ces monstres du cosmos, en regardant tout autour d'eux, que ce soit en ondes radio, dans l'infrarouge ou dans le domaine des rayons X. Et ils en sont désormais persuadés : ces astres si denses et si massifs ne se contentent pas de trôner au centre de leur galaxie. Loin de là. D'abord, ils sculptent leur environnement proche, en faisant tournoyer les étoiles autour d'eux ou en recrachant d'immenses jets de matière. Mieux, ils régulent carrément l'évolution de leur propre galaxie, en provoquant des flambées de nouvelles étoiles ou, au contraire, en stoppant leur fonnation. Les trous noirs, nouveaux maîtres des galaxies ? Il semble bien qu'il va falloir s'y faire. Et ça commence ici même, dans notre propre galaxie.
Au centre de la Voie lactée, en effet, à 25.000 années-lumière de la Terre, un trou noir entraîne gaz et étoiles dans une course folle. C'est en utilisant le télescope NTT situé à La Silla, au Chili, capable de voir dans l'infrarouge, que l'astronome allemand Reinhard Genzel et son équipe ont découvert en 1992, cachées derrière la poussière du centre galactique, des étoiles en orbite autour de ce centre.

JARGON : Quasars et galaxies à noyaux actifs : les quasars sont de fortes sources de rayonnement observées au centre de galaxies lointaines, qui résulte de la présence d'un trou noir supermassif. Ils sont la manifestation la plus puissante des "galaxies à noyaux actifs", plus lumineuses que les galaxies normales, regroupant une famille d'objets (quasars, galaxies de Seyfert, blazars, radiogalaxies).

L'ÉQUIVALENT DE MILLE GALAXIES

Surprise : en suivant durant dix ans l'orbite de ces étoiles, ils en ont repéré une qui s'approchait à moins de 10 heures-lumière du centre de la galaxie... à la vitesse folle de 10.000 km/seconde, soit 300 fois plus vite que la Terre autour du Soleil ! Or, sachant que plus la vitesse orbitale de l'étoile qui s'approche est grande, plus la masse centrale qui l'attire doit être élevée, les calculs ont montré que l'objet qui entraîne cette étoile sur son orbite parfaitement elliptique possède une masse 4 millions de fois supérieure à celle du Soleil ! Par ailleurs, cette masse colossale est confinée dans un volume dont le diamètre est de 10 minutes-lumière (180 millions de kilomètres), soit moins que l'orbite de Vénus. Une telle masse dans un si petit volume : aucup doute, il ne peut s'agir que d'un trou noir... Si le trou noir central de la Voie lactée entraîne les étoiles sur des orbites aussi fantastiquement rapides, c'est que sa densité est très grande. Imaginez : un trou noir de la masse du Soleil aurait un diamètre de 2 km seulement ! Du coup, la matière peut s'en approcher très près : la force gravîtationnelle (qui est inversement proportionnelle au carré de la distance) devient énorme, et la matière qui tombe peut ainsi flirter avec la vitesse de la lumière ! Dans les années 1960, lorsqu'on mesura le rayonnement colossal des quasars, qui semblaient situés à des milliards d'années-lumière, la plupart des astronomes n'y croyaient pas : "Non, ces quasars ne sont pas si loin que vous le dites. Ou bien, la puissance rayonnée par un seul de ces astres serait équivalente à celle de mille galaxies, ce qui est proprement impensable..." Mais les tirous noirs n'avaient pas encore fait leur "coming-out" : les astronomes ont compris, depuis, que les quasars sont en fait des trous noirs géants sur lesquels tombe justement de la matière (gaz, étoiles et poussières) à des vitesses proches de celle de la lumière. Et c'est cette matière qui, chauffée à haute température dans un "disque d'accrétion", rayonne les incroyables quantités d'énergie qui sont mesurées, notamment dans l'ultraviolet et les rayons X et gamma.
Pour mieux comprendre cette formidable luminosité, il suffit de comparer l'efficacité énergétique du phénomène à celle des étoiles. Lorsque 1 kg d'hydrogène tombe dans un trou noir en suivant une courbe en spirale, 100 g sont transformés en énergie rayonnée. Soit un rendement énergétique de 10 % pour les disques d'accrétion, a comparer au rendement de 0,7 % de la fusion thermonucléaire, source d'énergie des étoiles ordinaires... Autant dire qu'il s'agit là d'une énergie colossale. Laquelle est le dernier signe que nous envoie la matière avant de tomber et disparaître dans le trou noir...
Mais si, par définition, un trou noir ne "rend" rien de ce qu'il avale, en pratique, les astronomes observent qu'une partie de la matière qu'il devrait logiquement engloutir est éjectée en un jetde particules qui chauffent le milieu galactique environnant, ainsi qu'on peut le voir dans le quasar 3C273. Il semble que ce soit le champ magnétique du trou noir et sa rotation qui déclenche ce "détournement" de matière, mais le mécanisme exact du phénomène est encore mal compris.

Les trous noirs crachent d'immenses jets de matière, qui façonnent leur environnement. Celui du quasar 3C273 chauffe le gaz intergalactique du plus chaud (bleu) au plus froid (jaune-rouge) - sur 100.000 années-lumière ! Tandis que le jet du trou noir de la galaxie 3C321 va jusqu'à ricocher sur une galaxie voisine (flèche).

UN ASTRE QUI DÉFIE L'IMAGINATION
Un trou noir est un astre si compact qu'aucune matière ni même lumière s'approchant trop près de lui ne peut plus s'échapper. En son centre une "singularité" : une zone de l'espace ou la densité devient infinie. Un trou noir n'a pas de surface matérielle. Toutefois, il existe une limite qui marque l'arrivée dans le trou noir : l'horizon. À l'extérieur de cette frontière immaterielle vous êtes hors du trou noir. Dès l'horizon franchi le retour en arriere n'est plus possible... Cet astre qui defie l'imagination est d'abord apparu sur le papier, comme une conséquence naturelle de la théorie de la relativité génerale (la gravitation) établie par Albert Einstein en1915. Petit à petit les astronomes ont admis son existence réelle en comprenant qu'il matérialisait un phenomène astronomique : le destin ultime des étoiles massives qui explosent, puis s'effondrent sur elles-mêmes. Il s'agit des trous noirs dits "stellaires", dont la masse est comprise entre trois et quelques dizaines de fois la masse du Soleil (le record actuel étant de 16 masses solaires). Mais les scientifiques ont aussi découvert l'existence de trous noirs dits supermassifs qui siègent au centre des galaxies et dont l'origine n'est pas encore totalement élucidée. Les trous noirs n'émettant aucune lumiere on ne peut donc pas les voir directement. Heureusement, ils sont rarement isolés de sorte qu'ils communiquent une partie de leur énergie gravitationnelle à leur environnement immédiat (étoiles, gaz, poussières) qui s'échauffe et devient très lumineux : c'est grâce à cela qu'on peut les repérer.

UN BABY-BOOM COSMIQUE

Quoi qu'il en soit, ces jets peuvent être si fantastiques qu'ils sortent parfois de leur galaxie d'origine jusqu'à "chatouiller" le milieu intergalactique ! Dernier record en date : un jet long de près de 1,5 million d'années-lumière a été détecté, via ses émissions radio, sortant de CGCG 049-033, une galaxie elliptique située à 600 millions d'années-lumière de nous. Si un tel jet partait de notre galaxie, il toucherait presque notre voisine Andromède, située à 2 millions d'années-lumière de la Voie lactée... D'après sa taille, les astronomes estiment que ce jet émane d'un trou noir d'un milliard de masses solaires !
Ces jets produits par les "noyaux actifs de galaxies" sont si puissants qu'ils pourraient même être la source des rayons cosmiques de haute énergie que nous recevons sur Terre et dont on ignore toujours l'origine. D'ailleurs, un début de confirmation vient d'être apporté par les premiers résultats du détecteur de rayons cosmiques Auger : répartis sur 3000 km² dans la pampa argentine, les 1600 détecteurs de ce dispositif international traquent ces particules de très haute énergie dont on ignore presque tout.
Or, les résultats publiés le 9 novembre 2007 dans la revue Science indiquent la détection de 27 particules provenant de directions du ciel compatibles avec l'emplacement de noyaux actifs de galaxies. "Nous n'avons pas encore détecté un nombre suffisant de ces particules ultra-énergétiques pour déterminer si ce sont bien ces galaxies qui les produisent, mais nous savons maintenant que la réponse est à portée de main", commente Etienne Parizot, du laboratoire "astroparticules et cosmologie" de l'université Paris-VII.
Ils crachent des jets qui vont flirter avec les galaxies voisines, ils accélèrent des particules à travers tout le cosmos jusqu'à la Terre... les trous noirs supermassifs n'ont pas fini de surprendre. Surtout que les astronomes leur ont découvert un nouveau pouvoir : celui de réguler la croissance des galaxies, en accélérant, puis en stoppant la formation des étoiles. Ils ont commencé à se douter de ce rôle lorsqu'ils ont été capables de comparer la masse des trous noirs à celle de leur galaxie hôte : sur un échantillon d'une quarantaine de galaxies de notre voisinage, la masse du trou noir est toujours mille fois inférieure à celle des "bulbes galactiques", la partie centrale de la galaxie, riche en étoiles. Une relation analogue a aussi été établie pour une quarantaine de galaxies à noyaux actifs plus lointaines. En clair : un mécanisme universel empêcherait le trou noir de grossir indéfiniment... et d'avaler toute la galaxie. Quel mécanisme ? "Il n'y a que deux façons de croître pour un trou noir : soit en avalant de la matière, soit en fusionnant avec un autre trou noir", détaille Jean-Pierre Lasota, de l'Institut d'astrophysique de Paris. Mais ces deux phénomènes sont liés, ainsi que l'ont montré des simulations menées en 2005 par Volker Springel, de l'Institut Max-Planck de Munich. En effet, les astrophysiciens ont simulé la collision de deux galaxies spirales, en prenant en compte les deux trous noirs situés en leurs centres respectifs. Verdict : lors de la collision, les "forces de marées gravitationnelles" engendrées par les gigantesques mouvements du gaz et des étoiles compriment le gaz des galaxies vers leur centre, ce qui déclenche des épisodes d'intense formation d'étoiles. De là un véritable baby-boom cosmique. En même temps, les trous noirs continuent à attirer le gaz, lequel fonne alors des disques d'accrétion toujours plus gros et plus chauds. Jusqu'à ce que le centre des galaxies devienne si chaud qu'il brille comme un quasar. Il se crée alors des vents et des jets de gaz qui repoussent le gaz environnant loin du centre : les trous noirs ont grossi jusqu'à leur taille limite. Il se privent ainsi eux-même de nourriture. La phase "quasar" se clôt, ainsi que celle de la formation d'étoiles. On a ici un papy-boom cosmique.
Cette simulation a été la première à préciser le lien entre la formation des galaxies et la croissance des trous noirs : ceux-ci régulent les phases de formation stellaire dans leur galaxie hôte. Après la collision, il reste une galaxie elliptique (non plus en forme de spirale mais plutôt de ballon de rugby), pauvre en gaz, et d'où la formation stellaire est presque absente. Les trous noirs vont ensuite fusionner en un trou noir unique, mais cela prend du temps et on trouve aussi des galaxies avec des trous noirs distincts qui n'ont pas encore fusionné. L'histoire des quasars et des galaxies s'articule dans ce processus de co-évolution, au gré des fusions et des interactions subies par les galaxies. Ainsi, la plupart des galaxies ont été des quasars au début de leur vie. Quant aux galaxies à noyaux actifs, qui représentent aujourd'hui environ 5 % des galaxies, ce sont des quasars encore allumés et dont le trou noir continue d'avaler de la matière.
Mais établir un scénario fiable de l'évolution des galaxies et des trous noirs au cours des 13,7 milliards d'années de l'histoire de l'Univers reste une gageure. Surtout parce que les astrophysiciens ne savent pas grand-chose des "germes de trou noir", les trous noirs initiaux à partir desquels, pensent-ils, ont grossi les trous noirs qui ont formé les premiers quasars.

Même dans les galaxies lointaines (cerclées de bleu), à environ 10 milliards d'années-lumière, on a identifié des trous noirs. ->

UN TÉLESCOPE PROMETTEUR

Quasar CFHQS J2329-0301 (flèche), c'est le deuxième quasar situé à 13 milliards d'années-lumière de la Terre, une époque où l'univers n'avait pas 1 milliards d'années-lumière.

Le plus lointain quasar qui vient d'être détecté remonte bien à une époque où l'Univers était encore très jeune : moins d'un milliard d'années. Mais ce trou noir pesait déjà 500 millions de Soleil : avec une telle masse, on est plus près du poids lourd que du germe... "Le plus grand mystère reste les germes des trous noirs supermassifs, confirme Marta Volonteri, de l'université du Michigan, à Ann Arbor. Quelle masse ont-ils ? D'où viennent-ils ? L'observatoire d'ondes gravitationnelles Lisa devrait apporter une réponse définitive d'ici à une quinzaine d'années : en détectant la coalescence de ces germes, on pourra mesurer leur masse et connaître l'époque de leur formation. Mais les astronomes attendent également beaucoup du télescope Xeus, ouvrant dans les rayons X, qui devrait être lancé avant 2020. Il traquera ces germes de trous noirs et permettra d'affiner la filiation entre quasars et galaxies.
Si le mystère de l'origine des trous noirs supermassifs demeure, celui du destin de notre galaxie s'éclaire en tout cas à leur sombre lumière : elle entrera en collision, puis fusionnera avec la galaxie Andromède dans quelques milliards d'années. Le trou noir de notre galaxie, peu actif aujourd'hui, devrait alors se rallumer. Ancien quasar, la Voie lactée redeviendra alors un quasar brillant de mille feux, phare dans l'Univers... avant que l'ogre n'épuise de nouveau sa nourriture stellaire.

 On sait Comment ils Déforment l'Espace-Temps

En s'entre-dévorant, les trous noirs produisent des ondes gravitationnelles qui font vibrer la trame même de l'Univers ! Des fusions cosmiques que les physiciens savent enfin simuler sur ordinateur... et qu'ils pourront bientôt détecter, récoltant ainsi la première preuve absolue de l'existence des trous noirs.

Il n'y a pas que la présence des trous noirs qui fasse du bruit dans l'Univers : leur mort aussi le fait trembler. Et ce n'est pas là une figure de style ! Imaginez : quelque part dans le cosmos, deux galaxies sont entrées en collision et deux trous noirs supermassifs, cachés en leur sein, tournent l'un autour de l'autre, sous l'effet, irrésistible, de la gravitation. Pendant plusieurs millions d'années, ils se rapprochent, accélérant toujours plus leur pas de deux funeste. Jusqu'à atteindre des vitesses proches de celle de la lumière. La fin est inéluctable : ils tombent l'un sur l'autre et fusionnent en un seul trou noir. Or, cette coalescence, selon le terme des spécialistes, fait des vagues dans le cosmos ! Car non seulement il s'agit là, après le big bang, de l'événement le plus énergétique ayant lieu dans l'Univers, mais si l'on en croit les équations de la relativité générale, cette fusion fait littéralement vibrer l'espace-temps. Au delà de leur pouvoir de façonner les galaxies, les trous noirs en exercent donc un autre d'une tout autre envergure, sur la trame de l'Univers lui-même !
Que se passe-t-il pendant les dernières secondes de la valse mortuaire des deux ogres ? Les physiciens se posaient la question depuis une trentaine d'années. D'après la relativité générale, qui est la théorie de la gravitation élaborée par Einstein, la formidable accélération de leurs énormes masses créerait, dans ces derniers instants, une bouffée d'ondes d'un tout nouveau genre, qui n'ont encore jamais été détectées. Leur nom ? Les ondes gravitationnelles, soit des ondes ni lumineuses ni sonores, mais qui se propagent en faisant osciller la trame de l'espace-temps. Depuis la théorie d'Einstein, l'espace et le temps sont en effet liés dans une structure élastique. Alors que l'espace de la gravitation de Newton petit être vu comme un bloc indéformable, l'espace-temps ressemble plutôt à un bloc de gelée : la moindre impulsion engendre des oscillations qui se propagent à travers lui.

DES SIMULATIONS NUMÉRIQUES

Ainsi, à la manière des ondes mécaniques, les oscillations engendrées par les ondes gravitationnelles se propagent dans la "gelée d'espace-temps" à travers le cosmos... De quoi, en toute logique, pouvoir les détecter depuis la Terre. Comment ? Grâce à des interféromètres de plusieurs kilomètres de long, suffisamment grands pour que le passage des ondes gravitationnelles les déforme imperceptiblement. Un enjeu majeur. Car si ces ondes venues du cosmos sont détectées, on assistera à une double première scientifique, comme l'explique Jean-Pierre Lasota, de l'Institut d'astrophysique de Paris : "Non seulement cela apportera une nouvelle confirmation de la théorie de la gravitation d'Einstein, mais on aura aussi la première preuve directe et irréfutable de l'existence des trous noirs, puisque ce sont eux qui engendrent ces ondes. Car malgré des présomptions fortes et concordantes, les astronomes aimeraient bien posséder la preuve définitive que les trous noirs existent." Reste que la détection de ce chant du cygne est tout sauf facile. Parce que la gelée cosmique n'est pas si élastique que cela : il faut un très grand coup pour la faire vibrer de manière notable ; également parce que, comme pour toute onde qui se propage, l'amplitude des déformations décroît en fonction de l'inverse du carré de la distance à la source. Du coup, lorsqu'elles parviennent à la Terre après des milliards d'années-lumière de trajet, ces déformations sont si minimes que leur superposition aux vibrations ambiantes (les vibrations naturelles du sol, par exemple) est comparable, en proportion, à l'ajout d'un grain de sable sur l'ensemble des plages de Normandie ! Pour distinguer un signal aussi faible, il faut donc avoir une idée du signal attendu. Mieux, il faut connaître précisément la forme du signal gravitationnel qui émane de la fusion de trous noirs de telles ou telles masses. Et pour ce faire, les physiciens n'ont qu'une solution : parvenir à modéliser le comportement de deux trous noirs sur le point de fusionner afin d'en déduire la forme des ondes gravitationnelles émises. Au risque, sinon, de passer totalement à côté du grand spectacle de l'invisible. Modéliser la fusion de trous noirs supermassifs ? C'est possible par le calcul analytique, autrement dit avec une simple feuille de papier et un crayon. Einstein avait proposé dès 1918 la formule donnant la forme des ondes gravitationnelles émises par des sources peu compactes. Mais lors de la construction des grands interféromètres, en 1994, on s'est aperçu que cette formule était insuffisante pour nos trous noirs. Les astrophysiciens se sont alors attelés à pousser les calculs de la relativité générale plus loin. Jusqu'à, finalement, parvenir à decrire le début de cette danse infernale. Du moins, jusqu'à ce que les deux trous noirs atteignent chacun la moitié de la vitesse de la lumière, c'est-a-dire 150.000 km/s. Après, les aproximations utilisées dans les calculs ne sont plus valides. Il faut recourir à la puissance de supercalculateurs pour résoudre les équations de la relativité générale.
C'est ainsi qu'en 1994 fut lancé le "grand défi des trous noirs binaires" : une coalition de 50 chercheurs à travers le monde, bien décidés à résoudre ce problème de simulation numérique. Ils étaient alors confiants : la puissance de calcul disponible devait venir à bout de ce ballet du cosmos. Mais rien n'y a fait. Les années passaient, et l'aveu d'impuissance était frappant : les gros ordinateurs ne suffisaient pas à résoudre le problème de la fusion des trous noirs. Cela pour trois raisons. D'abord, parce qu'il n'y a pas de symétrie dans les deux trous noirs en rotation l'un autour de l'autre. Du coup, il faut s'attaquer directement au problème tridimensionnel, ce qui demande bien plus de puissance de calcul. Ensuite, parce que le calcul numérique mélange différentes échelles : on doit à la fois calculer le comportement des ondes gravitationnelles loin des trous noirs en orbite, mais aussi évaluer ce qui se passe tout près de ces trous noirs. Enfin, les équations d'Einstein sont un système de dix équations aux dérivées partielles qu'il faut traduire numériquement.

DES GABARITS D'ONDES

Or, certaines recèlent des contraintes : leur résultat doit rester égal à zéro toute la durée du calcul. Et c'est justement ces équations de contraintes qui ont posé problème : elles "explosaient" en raison d'erreurs numériques devenant de plus en plus grandes au cours du calcul.
Les physiciens en étaient là lorsqu'en 2005, coup de théâtre : Frans Pretorius, jeune physicien canadien, décroche le gros lot en parvenant à simuler la fusion complète de deux trous noirs. Une première rendue possible grâce à deux avancées, analyse Eric Gourgoulhon, spécialiste de relativité numérique à l'Observatoire de Paris-Meudon : "L'augmentation de la puissance de calcul a permis d'améliorer notablement la précision numérique. Mais surtout, une nouvelle manière d'écrire les équations d'Einstein a permis de débloquer la situation. "Une percée vite suivie par celles d'autres chercheurs. Résultat : ce sont aujourd'hui une dizaine de groupes qui disposent de codes de calculs stables décrivant toutes les étapes de la coalescence des trous noirs, depuis les premières phases spiralantes, jusqu'à la fusion proprement dite, et même à la formation du nouveau trou noir qui en découle.
Ce que ces simulations montrent ? Que cette phase finale est plus courte que ce qu'on imaginait (de l'ordre de la milliseconde), mais aussi plus simple : après la coalescence des deux trous noirs, il reste juste un trou noir unique, plus gros, qui oscille, excité par le choc qu'il vient de subir. Puis les oscillations s'amortissent, car le trou noir perd de l'énergie en émettant encore des ondes gravitationnelles... et il ne reste plus, finalement, qu'un trou noir calme en rotation. Tous les codes numériques qui fonctionnent aujourd'hui dans le monde donnent le même résultat. Ce qui est rassurant... Mais surtout, les physiciens savent désormais à quoi ressemblent les fameuses ondes gravitationnelles. Au point de pouvoir fabriquer des "gabarits d'ondes" correspondant à tel type de collision ou tel autre, pour les reconnaître immédiatement le moment venu. "Avec ces nouvelles simulations, nous pouvons explorer tous les cas de fusions de trous noirs, précise Frans Pretorius. Deux trous noirs de masse égale, en rotation ou non, avec des plans orbitaux situés ou non dans le même plan... Bref, c'est un catalogue très riche de gabarits d'ondes qui est en train d'être constitué... et qui ne demande plus qu'à être confronté à une détection réelle ! Ainsi, un cas amusant a été simulé avec deux trous noirs tournant dans des sens opposés : le trou noir qui résulte de la fusion est éjecté à 4000 km/s ! Une vitesse suffisante pour qu'il s'échappe de sa galaxie hôte. Mais le fait que l'on observe des trous noirs au cour de la plupart des galaxies suggère que ce cas doit plutôt être rare.

VERS D'AUTRES UNIVERS...

Quoi qu'il en soit, les physiciens sont enfin prêts, aujourd'hui, à reconnaître la fusion de deux trous noirs s'ils venaient à la détecter. Déjà, les bras de plusieurs kilomètres de long des interféromètres terrestres Virgo, en Italie et Ligo, aux États-Unis, sont à l'écoute des ondes gravitationnelles issues de la coalescence des trous noirs stellaires, ces petits trous noirs nés de l'effondrement d'une étoile. Et aux alentours de 2020, Lisa, un immense interféromètre spatial constitué de trois satellites, sera sensible à la fusion de trous noirs plus massifs qu'un million de fois la masse du Soleil, comme à celle de trous noirs très différents en masse (rapport d'au moins 1000). Les ondes gravitationnelles émises par ces sources modifieront la distance entre les satellites de quelques picomètres (millième de milliardième de mètre). Pas évident à mesurer pour des satellites placés aux sommets d'un triangle équilatéral de 5 millions de kilomètres de côté ! C'est pourquoi un démonstrateur, Lisa Pathfinder, devrait être lancé en 2010. Si tout se passe bien, d'ici à 2020, les fusions de trous noirs seront des événements aussi facilement observables que les fusions de galaxies aujourd'hui. Les trous noirs, nouveaux maîtres de l'astronomie ? C'est ce qu'espèrent les physiciens embarqués dans la quête des ondes gravitationnelles. Avec, à la clé, une porte ouverte sur de nouveaux univers ?

 Et s'ils Menaient Vers d'Autres Univers ?

Que devient la matière une fois qu'un trou noir l'a avalée ? Pour le savoir, de fascinantes modélisations réalisent aujourd'hui l'exploit d'approcher au plus près de ces monstres cosmiques. Avant que des calculs n'ouvrent sur d'autres vertiges...

Que se passe-t-il à l'intérieur d'un trou noir ? Depuis que l'idée même de trous noirs est née des équations de la relativité générale, dans les années 1930, cette question défie l'entendement... et la physique. Parce que les trous noirs sont des portes à sens unique : une fois passé leur seuil, impossible de revenir en arrière, et donc d'obtenir la moindre information sur ce qui se passe en leur sein. Cette barrière, c'est ce que les physiciens appellent "l'horizon" du trou noir. Soit la frontière, certes immatérielle, qui délimite au sens physique la sufface du trou noir et au-delà de laquelle aucun instrument astrophysique ne pourra, par définition, jamais aller jeter un oil. Fin de l'histoire ? Nullement. Car il reste aux scientifiques une carte à jouer : celle des modélisations informatiques. Réalisées à partir des équations de la relativité générale, elles seules sont en mesure de donner un aperçu du voyage le plus extrême qui puisse s'imaginer. Comme celles réalisées par Alain Riazuelo, à l'Institut d'astrophysique de Paris. Pour faire ce voyage, il a calculé comment la relativité générale déformait la géométrie de l'espace-temps, puis il a appliqué cette déformation à des images de vraies étoiles. Résultat : une étonnante simulation qui, pour la première fois, permet de "voir" le voisinage et l'intérieur d'un trou noir. À l'écran, les images sont fascinantes. On s'approche du trou noir dont la gueule noire et béante est auréolée de distorsions lumineuses. Ces mirages visuels, c'est le trou noir qui les crée, en pervertissant le trajet de la lumière des étoiles situées juste derrière lui. Leur image nous parvient complètement déformée et amplifiée. L'effet visuel est incroyable : près de l'horizon, on voit, comme dans un miroir déformant de fête foraine, une réplique étirée de la sphère céleste. Le miroir se fait de plus en plus aveuglant à mesure que l'on s'approche... jusqu'à franchir enfin l'horizon. Ça y est, nous sommes à l'intérieur du trou noir. "Hors de l'Univers !" Ce qui donne un point de vue unique : l'Univers que nous avons quitté apparaît sous la forme d'un ciel rassemblé en un anneau très fin, très lumineux. Mais ce n'est que le début du voyage. Car une autre barrière surgit : il s'agit de la "singularité". Soit le point au centre du trou noir où, en théorie, dans un volume infiniment petit, la courbure de l'espace-temps et la densité deviennent infiniment grandes. La gravité atteint ici la démesure : toute matière parvenue jusque-là s'étire sur une longueur infinie, tandis que son épaisseur devient nulle. Tout se transforme alors en spaghetti cosmique, et s'écrase sur la singularité... Fin du voyage ? Oui, si l'on en croit la relativité générale, qui ne peut rien dire de plus. Mais en Grande-Bretagne, deux mathématiciens ont décidé de poursuivre l'histoire. Comment ? Simple : puisque la relativité générale bute sur l'indépassable de la singularité, ils ont utilisé l'une des théories qui, aujourd'hui, cherche à la dépasser et à foumir un cadre global à la physique : la gravité quantique à boucles. D'ailleurs, cette théorie a déjà permis en 2007 d'aller sonder les débuts de l'Univers en éliminant l'autre singularité qui ennuie les scientifiques : celle, initiale, du big bang. Christian Bohmer et Kevin Vandersloot ont voulu appliquer la même approche au cas du trou noir. Ils ont suivi le sort d'une particule théorique test qui s'approcherait de la singularité... Et découvert qu'elle connaîtrait deux sorts possibles, selon l'approche mathématique choisie.

COMMENT FAIRE DISPARAÎTRE LA SINGULARITE DU TROU NOIR
Dans la gravitation quantique a boucles, théorie candidate à l'unification de la retativité genérale et de la mécanique quantique, l'espace est constitué de "grains élémentaires". Autrement dit, l'espace de cette théorie n'est plus continu, comme l'espace absolu de Newton ou l'espace-temps de la relativité genérale d'Einstein, mais il est "discret". On peut alors définir un "quantum d'espace", soit un grain élémentaire d'espace, qui vaut 10-105 mètre cube (ce qui est tout petit petit). Dans ce nouveau cadre où l'Univers est formé de grains (certes petits mais qui ont néanmoins un volume), la singularité du trou noir, qui est, par définition, un volume infiniment petit ou toutes les grandeurs de viennent infiniment grandes (courbure de l'espace, densité, température, pression), n'existe plus. Et d'ailleurs, lorsque les mathématiciens calculent la trajectoire d'une particule tombant dans un trou noir à l'aide de ce nouveau formalisme, ils s'aperçoivent que la particule continue sa trajectoire au-delà du trou noir, comme si la singularité avait purement et simplement disparu.

COMME LES TROUS DE VER

Dans un premier cas, il se forme une connexion entre le trou noir d'où vient la particule et un autre trou noir. Cette solution ressemble aux "trous de ver" découverts mathématiquement en 1926 et popularisés par la science-fiction, ces hypothétiques passages entre des parties différentes de notre Univers, ou entre notre Univers et d'autres. Les trous de ver sont des raccourcis prévus par la relativité générale, mais qui nécessitent, pour rester ouverts, l'existence d'une matière "exotique" repulsive, dont la masse serait négative. Pas facile à trouver dans l'Univers...
Heureusement, dans le cadre de la gravité quantique à boucles, "c'est la quantification de l'espace-temps qui crée la force répulsive qui maintient la connexion ouverte", explique Christian Bohmer. Auraient-ils donc trouvé un passage vers un autre univers ? "Nos modèles ne permettent pas de distinguer entre le cas où les trous noirs sont dans le même univers ou bien dans deux univers différents. Mais ce passage ne permet de toute façon pas d'échanger de l'information." Pas de porte secrète vers les étoiles, donc.

UN UNIVERS TRÈS DIFFÉRENT

L'espoir est-il meilleur avec l'autre solution ? "Au sens strict, c'est ici carrément un autre univers qui remplace la région centrale du trou noir... Lorsque nous avons vu ces résultats, nous avons eu du mal à comprendre ce qui se passait", avoue Christian Bohmer. Un univers à l'intérieur d'un trou noir ? "Dans cette seconde solution, notre particule test continue son trajet pour toujours, sans jamais atteindre la singularité", poursuit le chercheur. Ce serait comme si le trou noir s'ouvrait sur un univers infini, qui ressemble à la solution dite de Nariai, déjà connue en relativité générale. Un univers très différent du nôtre puisqu'il est en expansion uniquement dans une direction de l'espace. Quel serait alors le destin d'un voyageur imprudent, si tant est qu'il puisse survivre à un passage près du centre du trou noir ? On peut imaginer qu'il serait soit prisonnier dans une sorte de tube reliant deux trous noirs, soit qu'il continuerait sa route indéfiniment dans un univers de Nariai...
Carlo Rovelli, l'un des inventeurs de la théorie quantique à boucles, s'est penché sur le travail des deux mathématiciens : "Sur le plan théorique, la solution de l'univers de Nariai me paraît la plus intéressante. Elle me fait penser à la manière dont la physique quantique a résolu le problème du noyau atomique, au début du XXè siècle. La physique classique prédisait que les atomes devaient être instables car les électrons tombaient sur leur noyau très rapidement. Mais en mécanique quantique, l'électron ne tombe pas: il se stabilise sur l'état d'énergie le plus bas et s'y arrête comme si une force répulsive l'y maintenait. Ici, c'est un peu la même chose : la particule ne tombe pas sur la singularité, mais elle se maintient en quelque sorte au-dessus d'elle."
Même si les mathématiciens britanniques ont utilisé une version simplifiée de la théorie générale de la gravitation quantique à boucles et que des travaux ultérieurs seront nécessaires pour généraliser ce résultat, Carlo Rovelli salue ce travail : "Avant, on ne savait rien faire à l'approche de la singularité du trou noir. Maintenant on sait faire au moins des calculs. Rien ne dit que, dans trente ans, ce seront ces calculs qui seront considérés comme valides et que la singularité du trou noir sera évitée de cette façon, mais c'est un premier pas." Les trous noirs sont-ils les maîtres DES univers ? Si l'avenir le dira, la question se pose désormais.

P.P. et V.G. - SCIENCE & VIE > Février > 2008
 

   
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