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Mars : l'Affaire de l'Eau Liquide Rebondie

De petites gouttelettes de boue projetées sur les pieds d'une sonde martienne ont ranimé le débat sur la présence d'eau liquide sur mars. Le sujet est d'importance. Car qui dit au liquide dit conditions propices à l'apparition ou à la survie d'une vie autochtone. Et ce sont tous les rêves de découverte d'une vie martienne et les fantasmes des petits hommes verts qui refont surface.

C'était il y a 10 ans et, à l'époque, les esprits s'étaient enflammés : l'analyse d'immenses ravines photographiées à la surface de mars témoignait que de vastes écoulements s'étaient produits le long de dunes, de cratères ou de falaises. Des écoulements d'eau ?

DES DÉBATS PASSIONNÉS

La question avait déclenché des discussions passionnées. Et pour cause : il s'agissait d'eau, cela signifiait que la planète rouge aurait pu, dans un passé géologique récent, présenter des conditions propices à la vie, selon le modèle terrestre qui veut que vie et eau soient étroitement liées. Las, 10 ans plus tard, la question des ravines n'a pas été clairement tranchée les, dans le doute, l'espoir que de l'eau ait pu couler récemment sur mars et plutôt estompé. D'autant que la surface martienne laisse peu de prise aux rêveries aquatiques. Non seulement la planète rouge est presque entièrement recouverte de poussière, mais les lois de la thermodynamique sont formelles : vu les conditions de température et de pression qui y règnent, l'eau ne peut s'y trouver qu'en phase solide (glace), ou sous forme gazeuse (vapeur). Impossible, dès lors, que la vie s'épanouisse... Mais c'était avant que le hasard ne vienne relancer l'affaire de l'eau martienne grâce à la découverte fortuite d'étranges gouttelettes !
L'histoire, révélée en septembre au congrès d'astronautique de Prague, commence il y a presque trois ans, lorsque Nilton Renno et son doctorant Manish Mehta, de l'université du Michigan, étudient les images envoyées par la sonde Phoenix lors de son atterrissage à proximité de la calotte polaire septentrionale de mars, le 25 mai 2008. La poussée des 12 rétrofusées de la sonde de la NASA a mis au jour de la glace d'eau dissimulée quelques centimètres à peine sous la surface. Laquelle, porté soudainement à 200°C, se met à éclabousser les montants des trois pieds de la sonde de gouttelettes d'une boue chaude et épaisse.

DES TACHES ÉTONNANTES

Jusqu'ici, rien d'extraordinaire. Sauf que quelques semaines plus tard, en observant des clichés des montants de la sonde, les deux scientifiques, membres de l'équipe de recherches atmosphériques de la mission, sont intrigués : "nous avons remarqué que les tâches de boue avaient bougé (->). Alors qu'on les croyait gelées, elles se sont mises à grossir et à s'assombrir, avant de s'écouler, et même fusionné, explique Nilton Renno. Elles semblaient se comporter comme des gouttes de liquide". De l'eau liquide à la surface de mars ? Les mots magiques sont à nouveau lâchés, et avec eux tous les rêves de vie extraterrestre.
Non sans bonne raison, cette fois. Car Nilton Renno et Manish Mehta savent que l'étude chimique du sol par Phoenix a mis en évidence la présence de sels de perchlorate, notamment des perchlorates de sodium, de calcium et de magnésium. Or, les simulations thermodynamiques indiquent que Mars n'est pas aussi hostile qu'elle ne paraît : à certaines concentrations en sels et sous certaines températures, une phase liquide n'est pas incompatible avec la pression atmosphérique martienne. Ainsi, dans les conditions de pression existant sur le site, le perchlorate de calcium peut exister sous forme hydratée en phase liquide au-dessus de -76°C. Et, vérifications faites, pendant les 149 journées martiennes qu'a duré la mission Phoenix, la température du site a fluctué de -20° à -95°C entre jours et nuits, avec une température moyenne à -60°C. Il n'est donc pas impossible que les tâches observées soient bien de l'eau à l'état liquide, sous la forme de solutions très salines : des saumures !
L'observation semble bien peu spectaculaire : en quoi quelques gouttes de boue salées, finissent-elles liquides, peuvent-elles mettre sur la piste de la vie extraterrestre ? Les deux chercheurs, pourtant, s'enthousiasment. Car, si leurs intuitions se confirment, ces gouttes de boue qui s'écoule sur les montants de la sonde Phoenix - les premières images jamais obtenues d'une eau martienne liquide - valident la possibilité que cette saumure puisse exister en phase liquide en de nombreux endroits de la planète rouge. Et il n'y a dès lors plus qu'un pas à franchir pour imaginer que des micro-organismes extrêmophiles puissent y exister.
Car le sel n'empêche pas la vie, comme en témoigne le lac Don Juan, niché au fond d'une vallée de la terre Victoria, en Antarctique (photo ->). Découvert en 1961, ce lac possède une salinité record de 671 g par kg (contre 35 en moyenne pour les océans et 300 pour la mer Morte). Et pourtant, malgré ces conditions extrêmes, les expéditions réalisées ont permis de constater la présence d'une microflore tantôt abondante avec algues bleues et vertes et champignons, tantôt clairsemée et limitée à des bactéries. Et même si cette vie semble avoir disparu depuis 20 ans, alors que le niveau du lac a considérablement baissé, cela suffit à faire de la saumure martienne une nouveau réceptacle des rêves de vie extraterrestre. Encore fallait-il s'assurer que les tâches en mouvement sur les pieds de la sonde sont bien de la saumure liquide.

UN PHÉNOMÈNE CONFIRMÉ

Pour ce faire, Manish Mehta a reconstitué en laboratoire des solutions de perchlorate de sodium, un des sels détectés par Phoenix, dans des conditions environnementales similaires à celles du site d'atterrissage de la sonde. Puis il s'est intéressé à leur albédo, c'est-à-dire la façon dont elles réfléchissent la lumière, afin de définir des marqueurs photométriques permettant de reconnaître ce mélange lorsqu'il est sous forme liquide, et non sous forme de solutions gelée ou de glace pure. Il ne restait alors plus qu'à appliquer ces marqueurs aux images de Phoenix, avec l'espoir de voir apparaître les fameux albédos. Bingo ! La confirmation est finalement tombée que, durant quelques jours, la boue salée était bien sous une phase liquide.
Le phénomène s'explique assez bien : lorsque la sonde s'est posée en dispersant les poussières et en faisant fondre la glace, la boue chargée en sels a été projetée sur les montants. L'eau contenue dans cette boue a été vaporisée, ne laissant que des taches chargées en sels. à l'instar des déshumidificateurs placés dans une pièce humide, cette matière saline s'est ensuite gorgée d'eau par absorption, en la puisant dans l'atmosphère environnante, ce qui explique le grossissement initial des gouttes et leur assombrissement au fur et à mesure de la dissolution des sels. Plus tard, ces gouttes ont gelé et la glace d'eau ainsi formée s'est sublimée, d'où la diminution de taille.

MÉTHODE DE DÉTECTION

Mais revenons à Nilton Renno et Manish Mehta. Les deux chercheurs savent maintenant que l'environnement et la constitution de la planète rouge autorisent l'existence de solutions très salines en phase liquide. Et ils ont même une méthode fiable pour les repérer. Il n'en fallait pas davantage pour qu'ils partent à la recherche de ses reflets caractéristiques. Ainsi vont-ils passer les images satellites de la surface de mars au crible de leur marqueur. Le cratère Richardson (->) est une cible de choix : ce bassin de 55 km de diamètre est situé à haute latitude dans l'atmosphère australe, ce qui autorise son survol fréquent par la sonde MRO (mars reconnaissance orbiter) qui gravite en orbite polaire. Bonne pioche : sur les images prises à très haute résolution, les deux chercheurs ont la joie de repérer la présence de zones ayant les mêmes caractéristiques photométriques que les gouttelettes de saumure, au coeur de centaines de traîneées sombres. Ils distinguent en particulier des écoulements de saumure liquident le long des dunes. Et, à leur pied, plusieurs tâches rondes, des flaques saisonnières dans la plus grande atteint presque 25 m de diamètre. Autrement dit, des mares martiennes !

DES RÉSERVES SOUTERRAINES ?

La formation de ces mares pourrait s'expliquer par l'absorption de l'humidité de l'atmosphère par les sels présents à la surface de la planète. Nilton Renno y voient un indicateur de "l'omniprésence de saumures liquides à proximité de sa surface". Les quelques mètres cubes de liquides perçus sur les images pourraient alors être la face visible de grandes réserves souterraines potentiellement capables de soutenir une biochimie encore totalement inconnue.
Une théorie renforcée par le fait que les saumures liquides sont régulièrement évoquées pour expliquer les fameuses ravines martiennes (->) qui ont défrayé la chronique il y a 10 ans. Repérées pour la première fois en 2000, celles-ci ont d'abord été interprétées comme des signes de la présence de poche d'eau liquide, voire d'une nappe phréatique. Une théorie contestée dès 2001, en faveur d'écoulements de dioxyde de carbone en phase solide ou sous pression, puis d'écoulements secs de sable et de débris, ou même de permafrost ou de neige en cours de sublimation.
Mais les tenants d'un écoulement liquide n'ont pas abandonné. Ainsi, en 2009 Vincent Chevrier et Travis Altheide, de l'université de l'Arkansas, ont montré que des écoulements de solutions salines, chargées en sulfate de fer, permettraient d'expliquer pourquoi les ravines sont principalement situées dans des zones de moyennes latitudes : ce sont les seules qui offrent à cette saumure des températures lui permettant d'exister sous forme liquide.
Ce débat sur les ravines est loin d'être clos : fin 2010, une étude menée par le Jet Propulsion Laboratory et l'université d'Arizona redonnait la priorité au givre carbonique, dans l'accumulation en hiver provoquerait des glissements de terrain. Mais Nilton Renno espère que sa découverte suffira à relancer la recherche de vie martienne : "un grand nombre de preuves physiques et thermodynamiques montre maintenant que la saumure pourrait en réalité être courantes sur mars. Certains scientifiques n'étaient pas convaincus, mais l'épreuve se sont accumulées et aucun article à l'encontre de nos découvertes n'a été publié dans la presse scientifique de référence". Et cela permettrait d'expliquer aussi la présence de méthane, détectée il y a deux ans dans l'atmosphère de la planète (encadré ci-dessous).

LE MÉTHANE MARTIEN POURRAIT PROVENIR D'UNE VIE ACTUELLE
En mars 2004, des concentrations de méthane été détectées dans l'atmosphère de mars. Or, puisque celui-ci doit disparaître en quatre siècles par réaction photochimique, c'est donc que ce méthane est de production récente, soit d'origine volcanique, soit biologique. Début 2009, des mesures effectuées par l'observatoire Keck, à Hawaï, confirmaient un dégagement de méthane attribué à la fonte des glaces fossiles sous l'effet d'un volcanisme actif qui reste à détecter. Mais, pour Renno, les saumures apporteraient une meilleure explication : "si des phénomènes géothermiques étaient à l'origine de ce méthane, ce dégagement s'accompagnerait d'autres gaz, qui n'ont pas été repérés. La piste des processus géochimiques ou biochimiques en phase aqueuse semble donc plus prometteuse".

La découverte des mares martiennes ne sera soumise à la communauté des planétologues qu'en avril, lors d'un colloque de géophysique, à Vienne (Autriche), mais l'enthousiasme de Nilton Renno est d'ores et déjà loin d'être partagé par tous, et en particulier par plusieurs planétologues européens traditionnellement plus prudents que leurs homologues américains. "Les conditions de température et de pression sur mars étant proches du point triple de l'eau, il peut y avoir de l'eau liquide sur mars, mais elle ne peut pas demeurer bien longtemps sous cette phase", souligne Jean-Pierre Bibring, de l'institut d'astrophysique spatiale du CNRS à Orsay et auteur du livre Mars, planète bleue ? (éditions Odile Jacob).

PRUDENCE DES SCIENTIFIQUES

Francis Rocard, responsable de l'exploration du système solaire au centre national d'études spatiales (CNES), ne remet pas en question la découverte de saumure liquide, mais reste prudent sur ses implications biologiques : "des étendues saisonnières sont peu propices à l'apparition de la vie qui nécessiterait plutôt une masse liquide permanente sur plusieurs centaines de milliers d'années". Les conditions nécessaires à cette présence pérenne de liquide "n'ont pas été réunies depuis plusieurs milliards d'années", renchérit Jean-Pierre Bibring. Ce dernier ne croit pas non plus à la théorie d'une nappe phréatique martienne : "les radars Marsis (sur l'orbite leur européen Mars express) et Sharad (sur MRO) ont sondé sous la surface de mars jusqu'à plusieurs centaines de mètres, voire jusqu'à 5 km pour Marsis sans trouver la moindre poche d'eau liquide".
Il faudra de toute façon attendre la publication des résultats de Renno pour que le débat s'engage véritablement. Lequel promet d'être animé. Car, actuellement, la recherche de l'eau n'est plus une priorité dans l'exploration de mars. Après avoir été le fil directeur des missions de la NASA au cours de la dernière décennie, elle a désormais cédé la place à la recherche de composés carbonés, fossiles d'une vie passée (encadré ci-dessous). Mais, alors que le conseil national de recherche américain met la dernière main à la stratégie d'exploration de mars sur la période 2013-2022, dont la publication est attendue en mars, certains astrobiologistes demandent un nouveau changement de cap. Pour plusieurs membres de l'équipe de la mission Phoenix, la sonde a montré que Mars est bien plus apte à abriter la vie - ou à l'avoir récemment abritée - qu'on ne le pensait jusque-là. Selon eux, il vaudrait donc mieux chercher directement ses éventuelles traces de vie récentes. "Il est temps de chercher de la vie en cherchant de la vie", résume Carol Stoker, du centre Ames de la NASA. Bref, entre astrobiologistes partisans d'une recherche sèche ou liquide, le débat promet d'être vif et les toutes récentes découvertes sur les saumures liquides à la surface de mars risquent de le pimenter. Décidément, Mars mérite bien son nom guerrier : elle qui semblait décevoir son monde ces derniers temps est redevenu digne de toutes les attentions.

DÉTECTER UNE VIE FOSSILE RESTE LA PRIORITÉ
Actuellement, la recherche de la vie sur mars se concentre sur son passé lointain. L'analyse des terrains, réalisée par le spectromètre Oméga de Mars Express, a mis en évidence de nombreuses traces de systèmes aquifères anciens, notamment des dépôts d'argiles vieux de 4 milliards d'années. C'est vers ce type de terrain que sera envoyé le rover Curiosity, alias MSL (mars science laboratory), dont le lancement est prévu en novembre. La sélection sera faite en mars entre d'anciens deltas de fleuves probablement riches en sédiments, et le fond d'un océan fossile, où les traces d'une vie éventuelle ont pu s'accumuler il y a plus de 3,5 milliards d'années. Curiosity sera suivi en 2018 par le Rover d'exobiologie européen ExoMars accompagné de son homologue américain MAX-C. Partisan de cette recherche de vie fossile, l'astrophysicien Francis Rocard reconnaît cependant qu'elle sera difficile à caractériser et à détecter, "à moins qu'on ne trouve un lit de coquillages !"

S.B. - SCIENCE & VIE > Février > 2011
 

   
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