L'immense nappe de pétrole répandue dans le golfe du Mexique après l'explosion, en avril, de la plate-forme Deep-water Horizon, n'était que la partie émergée de l'iceberg. En comparant la composition du pétrole échappé du puits à 1500 m de fond à celle du pétrole retrouvé en surface, Christopher Reddy, de l'institut océanographique de Woods Hole (États-Unis), a montré que seuls les composés insolubles sont remontés à la surface. Les autres (benzène, éthylbenzène, toluène, xylènes...), hautement toxiques, demeurent à 1100 m de profondeur.
1/ Entre le 20 avril et le 15 juillet 2010, 200.000 millions de litres de gaz se sont déversés dans le Golfe du Mexique (->). 2/ Les Methylococcus tirent le carbone et l'énergie dont elles ont besoin du méthane, un carburant que la marée noire leur a fourni en quantités astronomiques (->). Science & Vie le titrait en "une" en juillet dernier : après une pollution massive, la chaîne du vivant finit toujours par se reconstituer. Mais la capacité d'adaptation des organismes microscopiques dépasse tout ce que les spécialistes avaient pu imaginer ! Des chercheurs américains ont ainsi découvert qu'une population de bactéries s'était développée en seulement cent vingt jours pour consommer les 200.000 millions de litres de méthane libérés dans les eaux du Golfe du Mexique, après la destruction de la plate forme Deepwater Horizon, le 20 avril 2010. "Début septembre, quand les premières mesures montrant un taux de méthane normal nous sont parvenues, nous n'en avons pas cru nos yeux", se rappelle John Kessler, océanographe à l'université du Texas. Car ce gaz (méthane), mélangé au pétrole s'échappant du puits, représente à lui seul plus de 20 % de la quantité d'hydrocarbures déversés dans la mer. "En juin, nous mesurions encore des concentrations de méthane de l'ordre de 180 micromoles par litre d'eau, ajoute l'océanographe. Je n'en avais jamais vu de si élevées : des nappes de plusieurs milliers de kilomètres carrés de méthane dissous s'étaient déployées en profondeur". Elles auraient dû mettre des années à se diluer, puis à être éliminées par des bactéries mangeuses de méthane comme les Methylococcus. C'était sans compter leur appétit étonnant ! Profitant de ce banquet improvisé, elles se sont multipliées en quelques dizaines de jours. Et c'est tout l'écosystème local que la marée noire a déséquilibré, "mais de manière localisée et provisoire", précise John Kessler. Miraculeuse nature, venue à bout de l'un des polluants les plus agressifs... Mais pas du plus toxique. Car le pétrole, qui fait plus de ravages une fois sur terre, résiste aux bactéries. Si certains mécanismes comme l'évaporation ou la photo-oxydation parviennent à le dégrader, une seule espèce peut l'éliminer définitivement : l'homme, à coups de pelle.
LA LOUISIANE ET LA FLORIDE DANS UNE DÉTRESSE NOIRE BP a beau dire que la situation s'améliore, Obama a beau s'énerver, les gardes-côtes beau garder l'espoir... Rien n'y fait. Près de cinquante jours après l'explosion meurtrière et le naufrage de la plate-forme Deepwater Horizon, la Louisiane s'enfonce dans le désespoir. Un désespoir lourd, poisseux et malodorant comme le pétrole qui jaillit du fond du golfe du Mexique, à 70 kilomètres au large des bayous. UNE INSUPPORATBLE IMPRÉCISION Confrontée à la pire marée noire de leur histoire, qui macule déjà 200 kilomètres de côtes de quatre Etats (Louisiane, Mississippi, Alabama et Floride), les autorités américaines ont admis hier que la nature mettra sans doute "des années" à récupérer. Mais, sur place, notre envoyée spéciale Alexandra Gonzalez témoigne d'une réalité bien plus catastrophique (lire ci-dessous). Dans la chaleur humide du "Deep South", elle s'est embarquée avec un pêcheur louisianais pour sillonner l'immense lagune et se rendre compte par elle-même de l'importance des dégâts. Une certitude s'impose, confirmée par tous ceux qui se sont approchés du monstrueux "pot au noir" créé par les apprentis sorciers de British Petroleum : non, la nature n'oubliera pas ! Pour la faune et la flore, c'est l'hécatombe !
Barataria bay, dans le golfe du Mexique, en Louisiane. Température extérieure : 39°C. Humidité : maximale. Taches de pétrole à la surface de la mer : partout. Bienvenue dans l'enfer noir qui souille sans relâche cette partie des côtes américaines depuis l'explosion, le 20 avril dernier, de la plate-forme pétrolière Deepwater Horizon, exploitée par la firme British Petroleum (BP). L'ENDROIT EST VIDE Première étape sur le chemin : l'échoppe Joe's Landing, une grande baraque en bois où l'on trouve des chips, des bidons d'huile et de quoi boire une bonne bière. Le bateau reprend son chemin, route bordé à certains endroits de marécages. Tout le long, des bateaux de pêche de poissons et de crevettes sont amarrés. Devant nous, le bras de mer est vide. "Ce n'est pas normal. Tous ces bateaux devraient être en train de naviguer. Là, avec la pêche devenue interdite depuis quelques jours, ces gars sont forcés de rester à terre. Et pour un week-end, on devrait être cernés de toutes parts par d'autres petites embarcations comme la nôtre. Si il y a un jour pour se balader, c'est bien celui-là !", souligne Justin d'une voix nasillarde oscillant entre le grave et l'aigu. Soudain, l'horizon s'élargit, les marécages disparaissent pour laisser la place à l'océan Atlantique. Autour de nous, peu d'oiseaux volent. Un autre détail qui n'échappe pas aux habitués. "C'est "putain" de pas normal", grommelle Peanut, le mégot toujours coincé entre les dents.
Après quelques salutations amicales, Capitaine Peanut rallume le moteur et s'éloigne lentement des trois pêcheurs. L'atmosphère s'alourdit, les premiers effluves d'essence se font sentir. "On y arrive", prévient Peanut, le regard fixé sur l'horizon. Soudain, les premières taches apparaissent, gangrenant l'océan d'une couleur rouille. "Oh mon dieu, il y en a beaucoup plus que la semaine dernière", s'exclame Justin. Telles des méduses couleur sang, les flaques épaisses et gluantes de pétrole forment des ronds étranges à la surface de l'eau. Elles s'agglutinent le long de la coque du bateau. L'odeur est insupportable. Et le pire est à venir. Un bras de terre d'une cinquantaine de mètres de long rompt la monotonie de l'horizon. Plus on s'en approche, plus on distingue des formes mouvantes à sa surface. Ce sont des pélicans, englués dans le pétrole. CRIS SINISTRES Comme par signe de respect, Peanut coupe le moteur du bateau. Sa radio laisse encore échapper les notes d'un rock des années soixante. Il l'arrête, et les cris surgissent alors du néant. Les pélicans piaillent par centaines sur l'îlot. Certains ont encore le plumage blanc. Probablement pas pour longtemps. D'autres sont noircis, ailes alourdies. On distingue même des bébés dans un nid au bord de l'eau, eux aussi souillés. Le pétrole les tue lentement... PAS DE BATEAUX, PAS DE DAUPHINS... Justin nous raconte qu'à cet endroit, il y a normalement "des dizaines et des dizaines de dauphins qui tournent, sautent au-dessus de la surface, s'approchent des bateaux pour réclamer des caresses"... Là, pas de bateaux, pas de dauphins, rien que l'horizon maculé de taches de rouille et ce relent d'essence, tenace et lancinant, qui masque toutes les autres odeurs iodées de la mer. "Je ne vois pas de scénario de fin heureuse dans cette crise, confie Peanut entre deux mâchouillements de cigare. Le problème est que la Louisiane n'est pas importante, politiquement parlant. Elle ne fait pas partie de ces 'swing states' qui peuvent faire basculer dans un camp ou un autre des élections présidentielles. Si la Floride avait été touchée en premier, et aussi gravement atteinte que nous, je suis sûr qu'Obama aurait enfilé ses bottes et serait venu en personne chaque jour nettoyer le mazout ! Tandis que là, comme on a pu le voir, on ne croise pas grand monde en train de nettoyer. C'est vraiment triste". Conscient qu'à cause de cette effroyable catastrophe industrielle, les bayous louisianais sont en péril. Et, qu'avec eux, c'est tout un monde de pêcheurs occasionnels ou professionnels, de restaurants, d'hôtels et commerces qui risque de disparaître. L'explosion de la plate-forme pétrolière Deepwater a mortellement blessé la Louisiane. La marée noire qui enserre ses côtes meurtries est en train de l'asphyxier à petit feu.
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