Les Tourbillons Océaniques

Des Tourbillons Stériles parcourent l'Atlantique

Des tourbillons de plus de 100 km de diamètre (ci-contre en bleu, vu de l'espace), privés d'oxygène, se forment régulièrement à l'ouest de la côte africaine, ont découvert des chercheurs allemands.

Issus de la déstabilisation d'un courant marin, ils tournent à une vitesse qui les isole de l'océan environnant pendant les quelques mois de leur existence. Ils épuisent ainsi rapidement leur stock d'oxygène puis la vie y devient pratiquement impossible. Si leur trajectoire croisait par hasard une île, avertissent les chercheurs, ils pourraient en stériliser les côtes.

Y.S. - SCIENCE & VIE N°1174 > Juillet > 2015

Des Trous Noirs dans l'Océan

Les scientifiques savaient depuis longtemps que d'immenses tourbillons se forment dans les océans. Or, pour mieux les repérer, un physicien les a mis en équation. Surprise : les équations sont les mêmes que celles décrivant un trou noir cosmique.

Ils sont 10 mille. Dix mille monstres à dériver à la surface des océans. Dix mille gouffres engendrés par les courants marins qui voyagent durant plusieurs mois entre les continents. Pour autant, rien à voir avec les fantasmatiques maelströms capables d'engloutir bateaux et baleines (voir encadré) : un navire les traverse sans même que son équipage s'en rende compte, de même que la plupart des organismes marins - l'eau n'y tourne qu'à raison de quelques centaines de mètres par heure. Mais, pour le plancton primaire qui vit dedans, pour les gouttes d'eau qui les composent, pour le sel qui y est dissous, pour la chaleur qui y est emmagasinée, ces tourbillons qui peuvent atteindre une centaine de kilomètres de diamètre et dont les racines plongent jusqu'à 1000 mètres sous la surface, forment de véritables trous noirs.
Vous avez bien lu : l'océan est peuplé de trous noirs, ces astres fantastiques imaginés dans le cadre de la relativité générale, et desquels aucun grain de matière ou de lumière, une fois pénétré dans leur giron, ne peut s'échapper. Inimaginable ? C'est pourtant la conclusion des très sérieux calculs que vient de mener George Haller, professeur de dynamique non linéaire à l'Institut fédéral suisse de technologie, à Zurich.

EDGAR POE A-T-IL DÉCRIT UN TROU NOIR AVANT L'HEURE ?
"Le bord du tourbillon était marqué par une large ceinture d'écume lumineuse ; mais pas une parcelle ne glissait dans la gueule du terrible entonnoir"... Ainsi Edgar Allan Poe décrit-il la frontière du monstrueux tourbillon qu'il met en scène dans sa nouvelle Descente dans le maelström. Certes, "ce monstre marin" avalant bateaux et matelots n'existe que dans l'imaginaire de l'auteur fantastique. Et pourtant, George Haller lui-même relève la pertinence scientifique de la description qu'en donne Poe, presque une préfiguration de l'analogie qu'il a mis en évidence entre tourbillons océaniques et trous noirs. "Cette ceinture d'écume lumineuse dont parle Poe n'est outre que cette ceinture d'eau cohérente que nous avons décrite mathématiquement dans notre publication", explique le théoricien. Si l'analogie mathématique avec le trou noir s'arrête là, la vision de Poe n'en reste pas moins troublante lorsqu'il écrit que ses personnages "imaginent qu'au milieu du canal du Maelström est un abîme qui traverse le globe et aboutit dans quelque région très éloignée". Comme si l'écrivain avait entrevu au fond des mers les monstres cosmologiques que les scientifiques découvriront un siècle plus tard.

RÔLE CAPITAL SUR LE CLIMAT

Ces tourbillons océaniques tournant sur eux-mêmes sans altération ne sont rien de moins que les alter ego terrestres de ces Léviathan cosmiques dévoreurs d'étoiles : une fois aspirés dedans, aucune goutte n'a la moindre chance d'entrer en contact avec le reste de l'océan, le long des milliers de kilomètres parcourus. Autrement dit, la frontière de ces tourbillons dessine un véritable "ailleurs", un espace totalement coupé du reste des mers, une île littéralement en dehors de notre monde...
Ces étranges structures aquatiques sont de vieilles connaissances des océanographes, qui savent l'importance des gigantesques quantités de chaleur, de sel et de biomasse primaire qu'elles transportent d'un bout à l'autre des mers. C'est bien simple, comme le résume Patrick Marchesiello, chercheur au Laboratoire d'études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), à Toulouse, "sans ces tourbillons, il est impossibie d'expliquer la dynamique des océans ou le climat de la Terre".
C'est en cherchant à mettre au point une méthode permettant de repérer plus rigoureusement ces tourbillons sur les images satellites que George Haller a fait son étonnante découverte. "Pour les détecter, la méthode classique est l'altimétrie, qui permet de mettre en évidence des boucles le long desquelles l'altitude de la surface de l'océan est constante, et donc de déduire la présence d'un tourbillon, détaille le théoricien américain. Or, dans une étude précédente, nous avons montré que cette vision est erronée : dans de nombreux cas, les structures hydrodynamiques correspondantes n'ont pas de cohérence et se délitent donc rapidement". Comptabiliser ainsi ces tourbillons qui, parfois, n'en sont pas, peut in fine conduire à surestimer les transferts océaniques de chaleur ou de sel dus aux véritables tourbillons cohérents et stables dans le temps... et donc à mal évaluer l'évolution globale des océans et du climat.

"UN COMPORTEMENT UNIQUE"

D'où l'idée du physicien américain d'imaginer une méthode mathématique susceptible de les repérer à coup sûr. "Basiquement, l'idée était de résoudre des équations pour caractériser précisément la frontière d'un tourbillon en tant que boucle fermée et stationnaire dans le temps de l'écoulement", précise le scientifique. Or, une fois griffonnés sur le papier, les signes mathématiques étaient on ne peut plus clairs : les orbites décrites par le fluide à la frontière d'un tourbillon océanique font apparaître des équations parfaitement identiques à celles qui décrivent la structure de l'espace-temps aux abords d'un trou noir. "À dire vrai, nous ne nous attendions absolument pas à ce que des outils développés pour la relativité générale jouent ici le moindre rôle, avoue le chercheur. C'était tout à fait nouveau et surprenant".
Absolument inattendu, mais néamouins parfaitement valide. "Le raisonnement semble impeccable. C'est mathématiquement très précis et parfaitement identifié", confirme Renaud Parentani, au Laboratoire de physique théorique, à Orsay, et spécialiste des trous noirs. Précisément, tout comme leurs alter ego cosmiques, les tourbillons océaniques possèderaient ce que les astrophysiciens appellent une sphère de photons. Soit une surface fictive entourant l'astre, et susceptible de piéger indéfiniment des particules de lumières (les photons) sur des orbites circulaires. Un endroit déroutant où, parce que la lumière se boucle sur elle-même, il est théoriquement possible d'apercevoir son dos en regardant droit devant soi ! Pour nos trous noirs océaniques, cela correspond à des lignes singulières du champ de déformation du fluide où celui-ci tourne et se propage sans que sa cohérence géométrique ne soit altérée, conférant à ces structures fluides une incroyable stabilité. Un comportement absolument unique dans un écoulement par ailleurs turbulent", explique George Haller. Qui précise : "La forme très aplatie des tourbillons océaniques autorise à les considérer, du moins en première approximation, tels des objets bidimensionneis. Cette sphère de photons joue alors le même rôle que l'horizon d'un trou noir, cette frontière au-delà de laquelle on ne peut plus revenir en arrière. Ainsi, un élément fluide qui s'y trouve ne peut plus en sortir, contraignant le fluide situé à l'intérieur du tourbillon d'y rester piégé durablement". Propriété faisant bien de l'intérieur d'un trou noir océanique ce même "non-lieu" qu'est l'intérieur de leur jumeau cosmique : un coin d'espace comme arraché à l'espace. C'est à ce titre que l'analogie trouve sa profonde pertinence. Ce qui est d'autant plus inattendu dans un océan où les masses d'eau se meuvent en se mélangeant et s'interpénétrant à toutes les échelles spatiales, ce qui semble justement garantir qu'aucune partie ne puisse jamais rester longtemps isolée des autres.

IL RESTE DU TRAVAIL À FAIRE

LA PREUVE PAR LES SATELLITES (->) : On voit ici 7 des 8 tourbillons repérés au large de l'Afrique du Sud. Ces structures hydrodynamiques obéissent aux mêmes lois physiques que les trous noirs dans l'Univers.

Les équations de George Haller vént donc bien au-delà de la métaphore poétique. Elles révèlent l'existence de structures stables qui influencent secrètement la dynamique de l'univers aux alentours. Et permettent de repérer précisément où sont ces nouveaux Léviathan, qui passent si facilement inaperçus. Mises à profit sur des images satellites du courant des Aiguilles, au large de l'Afrique du Sud, elles ont ainsi permis de repérer 8 tourbillons qui se sont effectivement révélés être des structures hydrodynamiques cohérentes pendant plusieurs mois. Et le théoricien est persuadé que son étonnante analogie aidera les géophysiciens à y voir plus clair à la surface de l'océan. Guillaume Lapeyre, au Laboratoire de météorologie dynamique de l'Ecole normale supérieure, à Paris, nuance : "II manque à l'ensemble de ces outils la prise en compte des mouvements verticaux au sein d'un tourbillon. Il reste donc du travail à faire". Il n'empêche, qui aurait pu imaginer que la physique des trous noirs puisse avoir droit de cité au fond des océans ? Et que certains de ces astres sombres, dont l'existence même est longtemps restée une hypothèse pour les cosmologistes, se nichaient en réalité si près de nous, à quelques milles de nos côtes ?

M.G. - SCIENCE & VIE N°1156 > Janvier > 2014

Les Tourbillons de Surface Modifient la Vie des Fonds

La formation de tourbillons à la surface des océans pourrait expliquer la propagation d'organismes vivant à proximité des sources hydrothermales, tout au fond des océans.

Diane Adams (Woods Hole Oceanographie Institution, États-Unis) a ainsi observé à 2300 m de profondeur, au niveau de la dorsale Est-Pacifique, que la vitesse des courants marins de fond était multipliée par trois lors du passage d'un tourbillon de 375 km de diamètre en surface. Ces courants transportent des larves mais aussi la chaleur et les produits chimiques issus des sources. À leur vitesse ordinaire, ces larves mourraient de froid avant de pouvoir rejoindre un autre évent. Cette accélération explique ainsi comment certaines espèces ont pu se disséminer sur des distances considérables. De plus, ces grands tourbillons sont provoqués par des phénomènes atmosphériques. Jusqu'à présent l'influence de l'atmosphère était censée se limiter aux couches supérieures de l'océan. Cette étude montre que ce n'est pas le cas. Si les fonds océaniques ne sont pas à l'abri des modifications de l'atmosphère, les écosystèmes très particuliers qui y vivent, pourraient être influencés par les changements climatiques.

T.D.-R. - SCIENCE & VIE > Août > 2011
 

   
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