Les Ancêtres des Primates

Éocène (-56 à -33,9 Ma) : Des Primates Arpentaient le Cercle Polaire
Plesiadapiformes, Paromomyidae, Ignacius dawsonae et Ignacius mckennai (6 espèces)

J.I. - SCIENCES ET AVENIR N°913 > Mars > 2023

Miocène (-23,03 à -5,332 Ma) : Dents d'un Mystérieux Primate (9,7 Ma)

R.M. - SCIENCES ET AVENIR N°850 > Décembre > 2017

Éocène (-56 à -33,9 Ma) : Le Plus Ancien Squelette de Primate (55 Ma)
Haplorhini, Tarsiiformes, Archicebidae, (Archicebus achilles)

G.M. - POUR LA SCIENCE N°429 > Juillet > 2013

Éocène (-56 à -33,9 Ma) : Ils auraient trouvé l'Ancêtre des Singes (47 Ma)
Strepsirrhini, Adapidae (2 sous-familles), Darwinius masillae

Découvert en Allemagne, le fossile d'une jeune femelle primate, baptisée Ida, apparaît extraordinaire : vieille de 47 millions d'années, Ida est non seulement incroyablement bien conservée mais elle pourrait bousculer notre histoire évolutive. Ida vient de Messel, l'un des plus riches sites fossilifères.

C'est un petit animal tout en queue qui fait irrésistiblement penser à Zini, le lémurien imaginé par Disney dans le film Dinosaure. Mais Darwinius masillae - ainsi baptisé pour honorer le bicentenaire de Charles Darwin et le lieu de la découverte, la ville de Messel, en Allemagne - n'est pas une fiction : il s'agit du fossile d'une jeune femelle primate primitive qui habitait les luxuriantes forêts d'une Europe au climat quasi tropical, il y a 47 millions d'années. Un fossile extraordinaire. Jamais on n'avait trouvé de squelette de primate à ce point complet. 95 % des os sont là, et même les vestiges du dernier repas : feuilles et fruits. Le contour des parties molles est parfaitement visible. Surtout, selon ses deux "découvreurs", lepaléontologue norvégien Jorn Hurum, du Muséum d'Oslo, et son collègue allemand JensFranzen, chercheur à l'Institut Senckenberg de Francfort et au Muséum de Bâle, Darwinius déplacerait ses cousins fossiles déjà connus, les adapiformes, de la branche des lémuriens à celle qui mène, via les tarsiers et les singes, jusqu'à l'homme. Du coup, toute une partie du tronc de notre arbre généalogique se trouve transplantée ! On comprend pourquoi l'annonce de la "découverte" d'Ida (surnom donné en hommage à la fille de Jorn Hurum) a causé quelques turbulences dans le landerneau de la paléontologie.

LE PUZZLE RECONSTITUÉ : "Découvreurs", "découverte", ces guillemets cacheraient-ils un problème ? Effectivement, l'histoire du fossile estaussi peu banale que son état de conservation. "J'assistais en décembre 2006 à une foire aux fossiles à Hambourg quand un revendeur bien connu, Thomas Pemer, m'a abordé, raconte Jorn Hurum. Dans un bar, il m'a présenté trois photos d'un spécimen détenu par un collectionneur anonyme. Il était clair qu'il s'agissait d'un primate : le pouce du pied opposable, les ongles (Pouce opposable, main fonctionnelle équipée d'ongles : les membres supérieurs d'Ida sont ceux d'un primate déjà avancé)... La roche très particulière du fossile m'a révélé la provenance de l'animal, donc son âge. Aucun doute, c'était là un spécimen capital pour la science." Après expertise et authentification, puis discussion sur le million de dollars demandé, l'affaire est conclue par le Muséum d'Oslo. Et, à l'été 2007, Jorn Hurum envoie des photos du nouvel arrivant à Jens Franzen. C'est que le chercheur allemand, grand spécialiste de Messel, avait décrit un spécimen évoquant justement le fossile d'Oslo...
"J'ai ouvert le courrier le jour de mon 70ème anniversaire : c'était le plus beau cadeau que j'ai jamais reçu", jubile Jens Franzen. Effectivement, Thomas Pemer m'avait contacté en 1991. Il s'agissait d'authentifier un autre fossile acquis par un musée privé du Wyoming. L'animal était très incomplet, bricolé en partie à partir d'autres fossiles, mais j'avais pu en publier une première description." Par recoupement, le puzzle est enfin reconstitué : découverte en 1983 par d'anonymes collectionneurs privés, la roche contenant le fossile avait été scindée en deux plaques qui furent vendues séparément. Voici donc l'animal enfin "rassemblé". Reste à le décrire ! Jorn Hurum et Jens Franzen forment une équipe scientifique et publient fin mai 2009 le résultat (http://dx.plos.org/10.1371/journal.pone.0005723), avec force bruit médiatique... et polémique.

UNE HISTOIRE VIEILLE DE 75 MILLIONS D'ANNÉES
En comparant les gènes des espèces actuelles, les biologistes datent à au moins 75 millions d'années - en plein règne des dinosaures - l'apparition des primates. Mais les premiers fossiles n'ont que 57 à 55 millions d'années : des adapiformes européens (dont Ida est un descendant) et des "nez secs", proches des tarsiers, en Chine, en Amérique et en Afrique du Nord. Les "vrais" singes viennent plus tard, il y a 34 millions d'années. La branche des hominoïdes (grands singes) a 23 millions d'années, celle des hominidés (gorille, chimpanzé, homme...) a 13 millions d'années.

"NEZ SEC" OU LÉMUR ? De fait, si tout le monde s'accorde à faire de Darwinius un nouveau représentant de la famille des adapiformes, une branche des primates morte il y a environ 37 millions d'années, les divergences portent sur la position de cette branche dans l'arbre. Jusqu'à présent, les adapiformes étaient rattachés à la branche des "strepsirrhiniens", au museau doté d'une truffe humide : loris et lémurs. Or, avec Ida, Hurum et Franzen déplacent radicalement les adapiformes pour les implanter à la base de la deuxième grande branche des primates : celle des "haplorrhiniens" au nez "sec" (tarsiers et singes), dont nous sommes. Ida serait donc un échantillon exceptionnellement conservé de la souche la plus basale de notre arbre direct.
Pour justifier ce transfert spectaculaire, Hurum et Franzen se basent sur quatre points clés. D'abord, un crâne à la face raccourcie, sans museau, signe d'un affaiblissement du sens de l'odorat au profit de la vision, comme chez les singes. Ensuite, la dentition ne comporte pas l'association des incisives et canines en "peigne" typique des lémuriens (Les dents d'Ida, aux incisives et canines bien différenciées, la distinguent clairement des lémuriens. La présence de dents de lait (en orange) trahissent le jeune âge de l'animal). Ida ne dispose pas, troisième point, de la griffe de toilettage propre aux lémuriens. Enfin, l'astragale d'Ida, un os du pied, présente une forme exclusivement trouvée chez les "nez secs", c'est-à-dire les singes.
"C'est irrecevable, conteste Marc Godinot, paléontologue spécialiste des primates à l'Ecole pratique des hautes études, à Paris. Car il manque à Darwinius deux des caractères principaux des 'nez secs' : des orbites oculaires fermées et des conduits auditifs externes. Rien n'indique chez Ida un début d'évolution en ce sens ! Certes, la forme de l'astragale m'intrigue : il faudra y voir de plus près, encore que l'os en question soit très écrasé..." Pour ce chercheur, c'est clair : les adapiformes n'ont aucune raison de quitter leur place dans l'arbre évolutif. "C'est vrai, il est peu plausible que les 'nez secs', dont les premiers fossiles sont africains et asiatiques, soient sortis d'Europe, qui était à l'époque un archipel coupé des autres continents, ajoute Jerry Hooker, homologue de Godinot et Franzen au Muséum de Londres, où est exposé un moule d'Ida. Mais ce n'est pas impossible. On a par ailleurs retrouvé à Messel des astragales isolés en bon état, qui ressembleraient à ceux des 'nez.secs'. Bien sûr, il pourrait très bien s'agir d'un cas d'évolution convergente comme on en voit tant..."
Ce qui est sûr, et tous s'accordent là-dessus, c'est qu'Ida promet des années de travail, ainsi qu'un formidable coup de projecteur sur une période très mal connue de notre évolution : "Nous n'avions que des restes épars ; souvent juste quelques dents, conclut Jerry Hooker. Et voilà qu'on nous offre le plan complet d'un primate primitif : un 'standard' qui nous permettra de confronter nos vestiges dépareillés. Pour cela, Ida est un fossile exceptionnel."

P.G. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2009

Miocène (-23,03 à -5,332 Ma) : Un très Vieux Singe dormait au Musée (16,4 Ma)
Haplorhini, Simiiformes, Cebidae, Cebinae, Killikaike blakei

C'est l'un des plus ancien fossiles de singes américains.

Lorsque Marcelo Tejedor visite, en juillet 2004, un petit musée familial, dans le lieu-dit de Killik Aike, à 50 km de Rio Gallego, dans le Sud du pays, ce paléontologue argentin de l'université de Patagonie tombe en arrêt devant un bloc de roche volcanique exposé dans une vitrine poussiéreuse : deux minuscules dents fossilisées dépassent de la pierre !

La tomographie confirme la présence d'un crâne de primate, très bien conservé, baptisé Killikaike blakei. La datation donne 16,4 millions d'années. C'est donc un des plus anciens fossiles de singes américains !

Une aubaine pour retracer l'histoire de ces primates, séparés de la lignée africaine il y a environ 40 millions d'années et peut-être arrivés dans le Nouveau Monde à bord de radeaux dérivant dans l'océan... Et vu le volume important du cerveau, proche de celui des capucins, Killikaike avait réalisé, plusieurs millions d'années avant nos ancêtres africains, un saut évolutif qui devait lui permettre des capacités cognitives et sociales insoupçonnées, et aussi loin du berceau africain des hominidés.

B.B. - SCIENCE & VIE > Mai > 2006

 

   
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