Maroc : Des Fossiles Témoins de la Fin des Dinosaures

Au Maroc, une mine de phosphates recèle des trésors. Lézards géants, tortues, poissons, fossiles. Dans les 38 milliards de mètres cubes de phosphates de cette mine sont enfouis les vestiges d'une vie marine foisonnante.

Des fossiles de dents de poissons par centaines, des fragments d'os et d'innombrables restes de petits animaux aquatiques. À 120 km au sud-est de Casablanca, au Maroc, la mine de Khouribga (la plus grande réserve de phosphates à ciel ouvert du monde) est aussi un prodigieux réservoir à fossiles. Les chercheurs du Muséum national d'histoire naturelle de Paris (MNHN), qui s'intéressent au site depuis les années 1930, ont déjà dénombré 333 espèces animales différentes, dont certains vestiges sont très rares.

Il y a des millions d'années, la région, aujourd'hui désertique, était une mer.
Dernière trouvaille en date, une "tortue aspirateur", vieille de 67 millions d'années, a été mise au jour par Nathalie Bardet, une paléontologue chercheuse au CNRS. Ce spécimen de tortue, considéré comme le plus vieux et le plus gros du monde. Ce reptile géant, qui vivait à l'origine sur la terre ferme, a su s'adapter à la vie aquatique grâce à un long museau en forme de tube lui permettant de se nourrir en aspirant des proies de petite taille. "Ce vertébré tétrapode (deux paires de pattes) est spectaculaire car il témoigne d'adaptations uniques et poussées à la vie aquatique", s'enthousiasme la chercheuse.
Pour expliquer la richesse paléontologique exceptionnelle de cette mine, il faut se pencher sur le passé géologique de la zone où elle se situe. Difficile à imaginer, mais la région de Chaouia-Ouardigha, quasiment désertique aujourd'hui, était, il y a quelques dizaines de millions d'années, un golfe d'eau salée peu profond, enclavé dans les terres, mais avec un accès direct à l'Atlantique qui assurait une alimentation continue en nutriments. De nombreuses espèces marines y ont donc prospéré, tout comme les bactéries phosphatogènes qui ont transformé les dépôts de matière organique en phosphates au cours des siècles. "Pendant de longues années, les sédiments ont été brassés par les courants du bassin. Sous l'effet de la gravité, ils se sont progressivement entassés sur le sol, formant un cocon autour des restes d'animaux", explique Nour-Eddine Jalil, professeur de paléontologie de l'université de Marrakech et chercheur au CNRS, qui connait bien la zone. Selon lui, c'est d'ailleurs la grande biodiversité de cette mer qui explique à la fois la qualité du phosphate de Khouribga et la parfaite conservation des fossiles qu'on y trouve en si grande quantité. À l'exception des coquillages. Car si les phosphates conservent parfaitement os et dents, ils ne permettent pas la fossilisation des coquilles d'invertébrés. Composées d'argonite (du carbonate de calcium), celles-ci finissent par se dissoudre.
S'il existe de nombreuses autres mines de phosphates autour du bassin méditerranéen, en Irak, en Jordanie ou en Syrie, le gisement de Khouribga est exceptionnel par son épaisseur, et son ancienneté : les sédiments s'y sont déposés entre 70 millions d'années et 48 millions d'années avant notre ère. Et comme les couches se sont superposées chronologiquement, le sol du gisement retrace tout ce qui s'est passé sur une période de 24 millions d'années. Ce site est d'autant plus intéressant qu'il inclut un moment charnière de l'histoire de la Terre : la crise du crétacé-tertiaire, il y a 65 millions d'années, l'époque où ont disparu la plupart des dinosaures. Pour tenter de comprendre la raison de leur extinction, Nathalie Bardet s'est intéressée aux mosasaures, une famille d'énormes lézards marins carnivores, pouvant atteindre 15 m, mais qui ne sont pas des dinosaures. Ceux-ci pullulaient dans les eaux de la région à la même époque. "En tant que superprédateurs, ils occupaient une place majeure dans l'écosystème du temps des dinosaures", explique-t-elle. Or, la scientifique remarque que, pendant ce long laps de temps, la famille des mosasaures perdure, sans différence notable dans sa répartition ou le nombre de son cheptel avant et après la disparition des dinosaures. Ce qui la conduit à penser qu'il n'y a pas eu, au cours de cette période, d'évolution climatique majeure. Elle en conclut que l'extinction des dinosaures s'explique par une catastrophe naturelle brutale, plutôt que par un manque d'adaptation sur une longue période, un changement climatique par exemple.
Mais la mine de Khouribga ne fait pas que le bonheur des spécialistes des vertébrés marins. Dans les niveaux formés après la crise du crétacé-tertiaire, on retrouve également des fragments de mammifères terrestres, des fossiles très rares qui proviennent de cadavres flottés qui ont fini par se déposer en mer. Comme l'Afrique était à l'époque séparée de l'Europe et de l'Asie par la mer de Thétys, l'évolution des mammifères africains s'est faite indépendamment de celle des autres continents, donnant naissance à des groupes particuliers comme les pachydermes, dont on connait très mal l'histoire. On a ainsi récemment découvert à Khouribga un spécimen étonnant, qui devait avoir la taille d'un chat et ne pesait pas plus de 4 à 5 kg, mais qui est pourtant le plus vieil ancêtre connu de l'éléphant. C'est ce type de découverte qui permet à Emmanuel Gheerbrant, paléontologue au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, d'étudier comment certaines espèces animales aujourd'hui distinctes ont pu avoir à l'origine un parent commun. "Les informations enterrées dans les couches de phosphates de Khouribga aident à identifier des familles d'animaux très anciennes et à établir des ascendances communes", explique-t-il. Ces recherches phylogéniques ont donc pour objectif d'étudier les relations de parenté entre les êtres vivants. Elles permettent de faire évoluer la classification animale, et enrichissent les connaissances paléontologiques.

Des trésors de l'évolution restent à découvrir.
"Cette séquence évolutive au début de l'ère des mammifères est sans équivalent dans le monde", poursuit Emmanuel Gheerbrant. Afin de protéger ce bassin hors du commun, le MNHN a signé, depuis la fin du XXe siècle, un accord de partenariat avec l'Office chérifien des phosphates (OCP), l'exploitant de la mine, qui vise à encourager les fouilles et à conserver toutes les découvertes au Maroc. Cette région exceptionnelle ne se limite pas à la zone de Khouribga. Pour compléter leurs recherches, les scientifiques du CNRS et du MNHN s'intéressent aujourd'hui au massif du Moyen Atlas. Ils espèrent y trouver davantage de mammifères terrestres et mettre au jour de nouveaux trésors de l'évolution.

M.L. - ÇA M'INTÉRESSE N°405 > Novembre > 2014
 

   
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