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Bactéries : l'Union Sacrée Depuis l'Aube de la Vie

L'Esprit d'Équipe des Microbes



J.M. et R.B. - POUR LA SCIENCE N°499 > Mai > 2019

Bactéries : l'Union Sacrée Depuis l'Aube de la Vie

Elles ont donné de l'oxygène à la planète en s'associant en microcolonies. Un collectivisme dont on découvre aujourd'hui les dangers pour la santé.

Quelle différence y a-t-il, quant à leur origine, entre l'oxygène de l'air, la plaque dentaire, la maladie du légionnaire, la concentration des minerais et même l'érosion des montagnes ? Ou encore les salissures sur les coques de bateaux et les concrétions dans les tours aéroréfrigérantes des centrales nucléaires ? Aucune. Tous ces phénomènes sont le résultat de l'inlassable travail d'êtres microscopiques - algues bleues, bactéries de tout poil, amibes, champignons et, aux dernières nouvelles, virus (encadré ci-dessous) qui, se fixant sur un substrat inerte ou vivant, s'organisent en une multitude de microcolonies abritées dans une matrice gélatineuse. L'étude de ces écosystèmes microbiens apparaît, de plus en plus, comme la "vraie" microbiologie. L'un des pionniers en la matière, John William Costerton, de l'université du Montana, a baptisé "biofilm" cette "union qui fait la force" des infiniment petits du monde vivant. Ces êtres, que l'on imagine volontiers individualistes forcenés, flottant dans le milieu comme plancton dans la mer, vivent au contraire le plus souvent sous une forme collectiviste. "Les bactéries ne travaillent jamais seules. Elles collaborent", constate le géophysiologiste hollandais Peter Westbroek dans son livre Terre ! Des menaces globales à l'espoir planétaire.

LES VIRUS AUSSI
On voit mal comment les virus, incapables de secréter quoi que ce soit, pourraient constituer un biofilm
. Pourtant, des chercheurs de Pasteur et du CNRS (1) ont récemment découvert que le rétrovirus HTLV-1, responsable de la leucémie humaine des cellules T, formait, à leur surface, des structures de type biofilm. L'astuce : en s'introduisant dans le génome des cellules, le virus les oblige à synthétiser à son profit la précieuse matrice extracellulaire riche en sucre où il s'accumule. De là, il infecte beaucoup plus facilement les autres lymphocytes. En débarrassant les cellules de ce biofilm viral, les chercheurs ont réduit de 80 % le taux d'infection. Un nouvel horizon pour la lutte antivirale.
1. Maria-Isabel Thoulouze, Andrés Alcover et Antoine Gessain, associés à l'Imagopole.

L'INVENTION DU VIVRE-ENSEMBLE

La constitution d'un biofilm est une valse à quatre temps. Premier temps : des bactéries, souvent munies d'un flagelle leur permettant de se mouvoir, rencontrent par hasard un support, par exemple la coque d'un bateau. Les forces électrostatiques les y attachent de façon précaire. Deuxième temps : les bactéries se débarrassent de leur flagelle devenu inutile et, au fil des minutes, le lien avec le substrat se renforce jusqu'à devenir irréversible. Troisième temps : sédentarisés, les microorganismes, désormais hérissés de pili, sortes de poils moléculaires favorisant leur agglutination, se divisent, créant une multitude de microcolonies. Quatrième temps : les colonies secrètent des polymères extracellulaires contenant des sucres qui les enchâssent. Epaisseur : de quelques micromètres au millimètre. Un biofilm est né. Peuvent y prospérer simultanément plusieurs espèces, jusqu'à cinq cents dans la plaque dentaire !
Le phénomène n'est pas nouveau, il perdure ici-bas depuis l'aube de la vie. Voici plus de 3 milliards d'années, alors que la biosphère ne compte encore que des êtres unicellulaires sans noyau, des procaryotes, descendants directs de Luca (Last Unicellular Ancestor), des cyanobactéries - ou algues bleues - acquièrent la photosynthèse. Grâce à la chlorophylle, elles peuvent désormais utiliser l'énergie solaire pour transformer le gaz carbonique en sucres. L'opération se solde par la production d'un déchet toxique pour la vie naissante : l'oxygène. On connaît la suite... Mais ce que l'on sait moins, c'est que jamais les cyanobactéries n'auraient réussi à élever la teneur de l'air en oxygène si elles avaient vécu sous forme planctonique, au gré des courants de l'océan primitif. En fait, ces pionnières semblent bien avoir aussi inventé le vivre-ensemble cher aux infiniment petits d'aujourd'hui, les fameux biofilms ! Des biofilms qui, à l'aube de la vie, en s'accumulant en strates successives - une couche bactérienne alternant avec une couche sédimentaire -, édifièrent dans des eaux lagunaires des structures en forme de champignon : les stromatolites.
Il y a 600 millions d'années seulement, les cellules à noyau, ou eucaryotes, s'associent à leur tour et se spécialisent pour former des organismes. Ces métazoaires, dont nous faisons partie, ne sauraient vivre sans les déchets de l'activité photosynthétique des stromatolites, c'est-à-dire les 21 % d'oxygène dont est riche l'atmosphère aujourd'hui ! En matière de géo-ingénierie, l'action des microbes ne s'est pas arrêtée là. Sitôt sorties de l'océan sous la poussée de la tectonique des plaques, les roches qui constituent les montagnes sont soumises à l'érosion. Elles finissent par revenir à l'océan sous forme de sédiments. Et tout recommence... Longtemps, les géologues ont professé que ce cycle des roches était dû à la seule action combinée des précipitations, du vent, du gel et des glaciers. C'était oublier la main invisible de la vie sous sa forme la plus modeste : les microorganismes. Il suffit de visiter un enclos paroissial breton pour s'en convaincre. "Champignons, bactéries et lichen de toute sorte se disputent les tombes, les brisent, en pillent les matières nutritives... Pour protéger nos monuments, il faudrait les pulvériser aux antibiotiques", explique Peter Westbroek. Et, vous l'avez compris, pour mieux faire le job, les microorganismes, là aussi, s'organisent en biofilms. Mais les communautés construisent aussi. Par exemple, elles se délectent de certains métaux, fer ou cuivre, etc., qu'elles accumulent en gisements exploitables par l'homme. Dans les fosses septiques et les stations d'épuration, elles purifient l'eau en digérant la matière organique.
1976 marque un tournant dans la prise de conscience de leur importance médicale. Stupeur et tremblements, 182 des 4400 vétérans de l'American Legion réunis en congrès à Philadelphie sont touchés par une pneumonie sévère. Vingt-neuf en meurent. Après une longue traque, la coupable est démasquée : une bactérie pathogène inconnue, illico baptisée Legionella pneumophila. Elle a proliféré sous forme de colonies dans le système de climatisation de l'hôtel où se déroulait la convention !

LES ANTIBIOTIQUES MIS EN ÉCHEC

"Aujourd'hui, la notion de biofilms est étroitement liée à la question des infections bactériennes, en particulier nosocomiales", constate Jean-Marc Ghigo, de l'Institut Pasteur. En effet, non seulement leur gangue gélatineuse véhicule eau et nutriments, mais elle protège les microbes contre l'attaque des macrophages du système immunitaire. Plus important, cette vie en communauté favorise l'échange entre eux de messages chimiques leur permettant notamment de répondre collectivement à un stress, ce qui les rend, entre autres, tolérants, sinon résistants, aux antibiotiques. Elle facilite aussi le transfert de matériel génétique d'une bactérie à l'autre, par exemple de gènes de résistance aux antibiotiques. Dès lors, éliminer une bactérie pathogène dans un biofilm peut exiger de cent à mille fois plus d'antibiotiques que si elle vivait à l'état libre. Or, généralement, les doses d'antibiotiques sont déterminées lors d'essais sur des bactéries planctoniques !
On comprend donc l'enjeu de la connaissance fine de l'écologie des biofilms, afin d'identifier les faiblesses de ces colonies bactériennes dont l'union fait la force depuis l'apparition de la vie.

H. PONCHELET - SCIENCES ET AVENIR HS > Mai > 2010
 

   
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