Le Monde des Levures (Unicellulaires) |
Des Champignons Radioactifs |

INEXPLORÉ N°46 > Avril-Juin > 2020 |
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Une Levure trouve le Secret de la Vie Éternelle |
BIOLOGIE CELLULAIRE |
Tous les organismes ne sont pas condamnés à vieillir : au contraire, la levure Shizosaccharomyces pombe rajeunit chaque fois qu'elle se divise !
Telle est la découverte d'une équipe de l'Institut Max-Planck, en Allemagne. On savait que d'autres champignons unicellulaires, comme la levure de bière, voient, à chaque division, les facteurs de sénescence (des protéines contribuant au vieillissernent) se concentrer dans la cellule-mère : celle-ci meurt tandis que survit la cellule-fille, née par bourgeonnement.
S. pombe, elle, a adopté une autre stratégie afin d'éviter l'accumulation des facteurs de sénescence. Elle se divise en deux cellules-filles, qui héritent chacune de la moitié de ces facteurs : elles sont ainsi plus jeunes qu'avant la division, et ne meurent pas. "Il existe donc un microbe immunisé contre le vieillissement", commente Iva Tolic-Norrelykke, qui a dirigé l'étude. Mais cette stratégie a une limite : en cas de stress, la levure, confrontée à un taux accru de déchets, perd son immortalité. Comme les autres, elle sacrifie l'une des deux cellules-filles qui hérite de la majorité des déchets... pour la survie de l'espèce.
S.C. - SCIENCE & VIE N°1154 > Novembre > 2013 |
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Vivre Ensemble et l'Émergence de la Pluricellularité |
À l'aide de levures, des biologistes ont reproduit l'une des étapes clés de l'évolution : l'émergence de la pluricellularité. Ou comment une cellule passe d'une vie solitaire à une vie en société. Surprise : ce "miracle" se fait très vite.
En 2 mois seulement, des levures mises en culture ont abandonné leur état unicellulaire pour s'organiser en un "flocon", rassemblant des dizaines de cellules sours et fonctionnant comme un tout unique (->).
Aujourd'hui, le moindre pot-au-feu recèle des créatures plus complexes que la soupe primordiale où débuta la vie, il y a plus de 3 milliards d'années... Il faut dire qu'entre les deux se sont succédé quelques centaines de millions d'années et des changements physiologiques pour le moins radicaux : l'isolement de la future cellule par une membrane, l'élaboration d'un système reproducteur fiable d'une génération à l'autre, l'apparition de tissus où différentes cellules cohabitent, etc. Mais ces événements fondamentaux, sans lesquels la vie ne serait pas telle que nous la connaissons, ont un inconvénient majeur : ils ont eu lieu il y a longtemps. Les biologistes ont beau s'affronter à coups d'hypothèses et de théories depuis des décennies, aucun n'était là pour voir comment les choses se sont vraiment passées lors de ces étapes clés. Jusqu'en janvier dernier.
Dans son laboratoire de l'université du Minnesota, aux États-Unis, une équipe de biologistes de l'évolution a en effet réinventé en tube à essais les débuts de la pluricellularité, soit le passage de la vie en solitaire à celle en "société", qui a permis aux cellules de se spécialiser et aux organismes qui les abritent de grandir et de se diversifier. Le tout avec un microorganisme bien connu des généticiens et des boulangers : la levure Saccharomyces cerevisiae. Et le plus incroyable, c'est que la chose a été aussi simple que rapide. Deux petits mois, voilà le temps qu'il aura fallu à la levure pour abandonner son état unicellulaire et s'organiser en "flocons" réunissant des dimines de cellules sours !
QUAND EST NÉE LA MULTICELLULARITÉ ?
Il existe des types incroyablement divers de multicellularité, qui est apparue 25 fois chez les différents groupes constituant le vivant : les métazoaires (animaux pluricellulaires), les protistes (cellules avec un noyau, habituellement unicellulaires), ou encore certaines algues, développe Ratcliff. La pluricellularité de notre levure est inédite, mais elle n'est pas plus étranges que celles développées dans la nature". Nul ne sait vraiment quand elle serait apparue la première fois : certaines études parlent d'il y a un milliards d'années, lors de l'explosion cambrienne. Sauf qu'en 2010, les travaux du sédimentologue Abderrazak El Albani, de l'université de Poitiers, jetaient un pavé dans la mare en annonçant la découvertes d'organismes possiblement mluricellulaires vieux de plus de 2 milliards d'années ! Une forme de vie inconnue, qu'il continue d'interroger... Mais si la pluricellularité est plus simple à organiser que prévu, ne peut-on pas imaginer qu'elle aurait pu apparaître plus tôt qu'on ne le croyait. |
UN RETOUR AUX ORIGINES
"Certes, la pluricellularité est apparue plusieurs fois, et dans différents groupes (encadré ci-dessus), rappelle William Ratcliff, qui a dirigé l'expérience. Mais elle n'est pas plus facife à étudier pour autant, sur les premiers stades de ce processus ont été effacés par les centaines de millions d'années d'évolution qui ont suivi. C'était un défi de les retrouver, et c'est pourquoi nous avons voulu rejouer cette phase de l'évolution". Le procédé est presque décevant de simplicité : des levures sont mises en culture en suspension dans des tubes à essais, lesquels sont passés dans une centrifugeuse. Sous de la force centrifuge (incarnant ici la "pression de sélection", qui oriente l'évolution), les éléments les plus lourds, en l'occurrence des levures agglomérées, se retrouvent au fond du tube, où ils sont récupérés par les biologistes puis transférés dans un nouveau tube, à nouveau centrifugés, etc. Le but étant de réussir à faire émerger des levures privilégiant la vie en groupe, donc engagées vers la pluricellularité. Et de fait, en 60 jours, des lignées stables de "flocons" prospéraient. "La façon dont notre levure a développé une sorte de pluricellularité ne récapitule sans doute pas la façon dont les choses se sont faites dans le passé, notamment parce que la pression de sélection que nous avons employée est différente, estime William Ratcliff. Mais ce que nous observons une fois les flocons apparus a de bonnes chances d'être universel. Ce qui est observé, ce sont des levures fonctionnant ensemble. Des cellules issues d'une seule levure mère, restées liées à la suite de divisions incomplètes et, surtout, qui réagissent en un tout unique, et non comme des individualités ponctuellement réunies. Le flocon prime : c'est lui qui grandit, se reproduit (toujours la même taille), réagit aux changements de l'environnement...

Les chercheurs pensent que les liens de parenté facilitent l'entente des cellules. Mais qui aurait cru qu'elles s'entendraient si bien, si vite ? Car leurs relations vont plus loin que le simple regroupement. Pour parler de pluricellularité, il faut en remplir plusieurs (photos ->). "Et c'est le cas pour notre flocon, souligne Michael Travisano, responsable du laboratoire. Déjà, il est constitué de plusieurs cellules. Ensuite, il passe par des stades juvénile et adulte déterminés par la taille minimum nécessaire à la reproduction. Il répond également comme un tout à la sélection naturelle. Enfin, il a développé des traits qui seraient inadéquats pour un unicellulaire, comme l'accroissement du taux de mort cellulaire : chez lui, ce phénomène favorise la reproduction car, en se sacrifiant, certaines cellules permettent la séparation de nouveaux flocons. C'est un début de division du travail, donc de spécialisation".
Si la communauté scientifique a salué la démarche, plusieurs biologistes haussent néanmoins les sourcils devant certaines conclusions. Tout ceci n'est-il pas trop facile ? Bernard Dujon, généticien et spécialiste de la levure, souligne ainsi : "Saccharmmyces cerevisiae est aujourd'hui unicellulaire, mais il fut pluricellulaire il y a plusieurs millions d'années... N'a-t-il pas pu conserver certains mécanismes réactivés ici ?"
MÉCANISME : La pluricellularité peut résulter de deux mécanismes opposés. Chez le flocon, comme chez nous, l'individu est issu de la multiplication d'une seule cellule en plusieurs (mais qui, ici, restent jointives). Un second mécanisme s'observe chez des protozoaires, les amibes "sociales", où l'individu résulte du rassemblement de cellules provenant de la même espèce, mais d'origines diverses. |
LE VIEILLISSEMENT À L'ÉTUDE
La question a taraudé l'équipe américaine. Mais en analysant comment grandit le flocon, elle en a conclu que non, il n'y avait pas eu de réactivation de fonction. Au contraire, constate William Ratcliff, "nous avons une perte de fonction : des cellules deviennent incapables de se séparer complètement. Mais pour être totalement sûrs, nous conduisons actuellement une autre expérience avec une algue unicellulaire du genre Chlamydomonas, qui n'a jamais été pluricellulaire". D'autres biologistes ont, eux, tiqué à l'idée que la mort de certaines cellules soit une forme de division des tâches. Ne s'agit-il pas juste d'une mort "classique", due à l'âge par exemple ? Michael Travisano est convaincu que non. Les cellules ont volontairement enclenché ce processus létal. "De plus, nous avons continué à faire évoluer nos flocons pour étudier le phénomène du veillissement, et nous avons de nouveaux résultats particulièrement excitants en attente de publication"... "C'est là toute la puissance de l'évolution expérimentale, qui ouvre des pistes de réflexion inédites sur les transitions majeures ayant accompagné l'évolution du vivant, s'émerveille William Ratcliff. La multicellularité était peut-être la plus facile à étudier, mais elle ne sera pas la dernière"... Géologues et paléontologues ont remonté les ères à la recherche des origines de la vie, les biologistes proposent désormais de tester en direct les effets du temps. Avec, à la clé, de nouvelles idées et découvertes sur l'une des plus subtiles questions de science : comment en sommes-nous arrivés à vivre ensemble ?
ÉMILIE RAUSCHER - SCIENCE & VIE > Avril > 2012 |
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ILS ONT DONNÉ UN NOUVEAU SENS À UNE ESPÈCE
Et si nous pouvions induire notre propre sens magnétique ? C'est en tout cas l'exploit que viennent d'accomplir, chez la levure, Keiji Nishida et Pamela Silver, de Harvard. En supprimant le gène responsable de l'élimination de l'excès de fer dans les cellules, ces derniers ont obtenu des levures... attirées par les aimants ! En plus de l'exploit que constitue le fait de conférer un tout nouveau sens, transmissible aux générations suivantes, à une espèce, cette expérience ouvre la possibilité d'étudier, chez la levure, les mécanismes de magnétoréception potentiellement à l'ouvre dans les neurones humains.
E.A. - SCIENCE & VIE > Mai > 2012 |
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Même les Levures Savent Réfléchir |
La levure (en jaune au centre) choisit les nourritures les plus concentrés en avoine (disques en haut et à droite). Les levures sont capables de traiter des informations et de faire des choix.
Tanya Latty, biologiste australienne, a mis en évidence cette capacité chez Physarum polycephalum : "Les levures avaient le choix entre manger de l'avoine peu et très concentrée. Affamées ou exposées à la lumière, elles ont fait des choix qui peuvent paraître a priori surprenants."
En effet, dans ces conditions, et lorsque le choix était facile (grandes différences de concentrations), elles mettaient du temps à prendre leurs décisions, alors que lorsque le choix était difficile (différences de concentrations subtiles), elles choisissaient rapidement. Un comportement contre-intuitif que Tanya Latti attribue à la prise de risque : dans le test simple, le mauvais choix est pire que dans le test difficile, et les levures ont donc beaucoup plus à perdre. Elles prennent donc leur temps. Ces micro-organismes savent donc être rationnels !
M.H. - SCIENCE & VIE > Novembre > 2010 |
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