Derrière le diabète de type 1 se cacherait un entérovirus qui accomplit le triste exploit de retourner le système immunitaire contre l'insuline. Entre génétique et mode de vie, la piste infectieuse n'en finit plus de porter ses fruits. L'entérovirus Coxsackie B4 serait responsable de l'initiation du diabète de type 1, qui oblige les patients à contrôler leur glycémie et à s'injecter de l'insuline de synthèse. Un seul agent étranger peut-il faire changer de camp l'armée entière d'un pays ? Cette question ferait sourire n'importe quel stratège militaire. Mais les biologistes, eux, savent que si le théâtre de la guerre est le corps humain - qui met en présence 2 camps : les cellules immunitaires et les micro-organismes étrangers -, alors un tel scénario est possible, et même determinant... qui plus est pour l'une des maladies en forte progression dans les pays développés : le diabète de type 1. Didier Hober, professeur de virologie (université Lille-II, CHRU de Lille), en est de plus en plus convaincu : le responsable de cette terrible pathologie, qui provoque la destruction du pancréas par les propres défenses immunitaires du malade, est en réalité... un virus. Un entérovirus plus exactement, qui accomplit l'exploit de retourner le système immunitaire contre l'insuline, l'hormone assurant le contrôle du taux de sucre dans le sang. Conséquence : sa production chute fortement, ce qui oblige les patients diabétiques à s'injecter de l'insuline de synthèse. Il semble qu'une prédisposition génétique soit nécessaire pour que le retournement des défenses du corps contre lui-même - le "processus auto-immun" - se mette en place. PAS SEULEMENT GÉNÉTIQUE De fait, alors que la maladie touche 12 personnes sur 100.000 en France, la prévalence est de 6 sur 100 chez les frères ou sours d'un malade ; 30 à 40 sur 100 dans le cas de vrais jumeaux. Mais le terrain génétique n'explique pas tout. "Des facteurs environnementaux pourraient modifier l'expression des gènes de susceptibilité au diabète, indique Didier Haber. Parmi eux, les entérovirus Coxsackie B, et notamment la souche B4, semblent avoir le plus fort potentiel diabétogène". Si le chercheur n'hésite plus à placer le Coxsackie B4 au premier rang des accusés dans l'initialion du diabète, c'est que son équipe apporte de nouveaux éléments à charge. On savait déjà depuis 2000 que le virus Coxsackie B4 était capable d'infecter les cellules ß - productrices de l'insuline dans le pancréas en culture - et d'y persister. L'équipe de Didier Hober vient de découvrir que le virus bloque également le système de régénération de l'organe. Celui-là même qui assure en temps normal la relève des cellules ß détruites. Pris dans un cercle destructeur, le pancréas attaqué n'a même plus les moyens de s'autoréparer. "En effet, nous avons montré que les cellules canalaires, chargées de générer les cellules ß sont aussi victimes de l'infection", explique Didier Hober. TROP D'HYGIÈNE FRAGILISE "Après les découvertes de Pasteur et la généralisation des mesures d'hygiène, la polio a moins circulé et les formes bénignes ont régressé. En revanche, les formes graves avec paralysis se sont multipliées. Curieusement, trop d'hygiène rendrait l'enfant plus vulnérable aux infections". Cette hypothèse "hygiéniste" semble pertinente dans le cas du diabète. La pression d'exposition aux entérovirus s'amenuisant, les femmes enceintes transmettent moins d'anticorps à leur progéniture. Les 3 premières années de vie sont alors très critiques. Encourager l'allaitement pour prolonger l'immunisation de l'enfant, favoriser l'établissement d'une flore intestinale protectrice par des recommandations nutritionnelles... les idées ne manquent pas pour tenter d'empêcher l'agent discret du diabète de réaliser son travail de sape. Au-delà de cet exemple, "le potentiel des virus délétères pourrait dépasser le cadre des seules maladies infectieuses. Ils seraient des facteurs déclenchants, ou aggravants, dans des pathologies chroniques comme la sclérose en plaques ou la maladie d'Alzheimer", souligne Didier Hober. Ou encore l'autisme. Un rôl insoupçonné jusqu'alors, qui ouvre de nouvelles pistes de traitement passant par l'arsenal thérapeutique mobilisé d'ordinaire contre les seules maladies infectieuses.
Des virus pourraient bel et bien déclencher le diabète de type 1 chez les enfants. C'est ce que confirme une étude britannique, qui a retrouvé des entérovirus (->), virus courants des affections fébriles, dans le pancréas de 60 % d'enfants diabétiques, contre 6 % chez les enfants non atteints. Si les causes de ce diabète sont génétiques, on sait que l'environnement joue un rôle dans l'apparition des symptômes : par exemple, chez des jumeaux ayant les mêmes gènes, il arrive souvent qu'un seul développe la maladie. L'hypothèse de l'infection virale est ancienne, mais cette étude est la première à apporter des preuves tangibles. Car c'est justement à l'intérieur des cellules productrices d'insuline, détruites en cas de diabète, que l'on retrouve ces virus ! Ainsi, chez les enfants génétiquement prédisposés au diabète, les virus déclencheraient une réaction de défense anormale entraînant la destruction irréversible des cellules infectées. Et ce n'est pas tout : ces virus sont aussi observés chez 40 % des diabètiques de type 2. Si les indices se confirment, identifier les entérovirus en cause parmi les cent types existants permettra d'imaginer un vaccin susceptible de réduire la fréquence de ces maladies.
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