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Que Cache le Centre de la Terre ?

Encore bien des Secrets

Elle est là, juste sous nos pieds... Et on n'en connaît que la surface ! Les géophysiciens ont beau ruser pour sonder ses 6370 km de profondeur, les entrailles de la Terre cachent encore bien des secrets.

Que les vertiges métaphysiques envahissent l'homme contemplant un ciel étoilé, c'est inévitable : comment ne pas s'interroger sur le futur et le passé de l'Univers, ou sur les êtres étranges qui peuplent peut-être d'autres mondes ? On imagine moins volontiers le curieux scrutant intensément le sol. Pourtant, à bien y réfléchir, la planète qui tourne sous nos pieds n'est pas moins mystérieuse au commun des mortels que l'Univers dans lequel elle flotte ! Et autant de questions surgissent lorsqu'un volcan révèle brutalement la puissance contenue de la Terre, ou lorsque, dans les entrailles d'une grotte, une cathédrale de roches dentelées surgit au détour d'un étroit boyau. Devant ces spectacles fascinants, le gros caillou familier auquel l'homme est aimanté devient bien une gigantesque énigme. Pourtant, plus encore que l'immensité de l'espace, les profondeurs du globe demeurent inaccessibles. Un siècle et demi après l'épopée de Jules Verne, le centre de la Terre est toujours hors de portée des scientifiques.

LA SURFACE TOUT JUSTE ÉGRATIGNÉE

À ce jour, aucune machine n'est descendue sous les 12.262 mètres de profondeur atteints en 1986 par une mission soviétique de forage scientifique dans la presqu'île de Kola, près du cercle arctique. Seize ans d'efforts, pour seulement 0,2 % de la distance qui nous sépare du centre de la Terre, 6370 km sous nos pieds ! Difficile pour les chercheurs de sonder cette terra incognita dont ils ne sont parvenus qu'à égratigner la surface. Il a fallu attendre le début du XXè siècle et l'avènement de la sismologie pour qu'ils identifient la structure du sous-sol et vérifient qu'il ne contenait pas la boule de gaz incandescent qu'imaginait le jeune héros de Jules Verne. Les ondes sismiques issues des tremblements de terre ont en effet permis aux sismologues de "scanner" l'intérieur de la Terre et détecter ses discontinuités. L'étude de la composition des météorites, des coulées de lave, et les expériences de minéralogie à haute pression en laboratoire ont ensuite aidé à compléter le puzzle.
On sait qu'en surface, une croûte de 5 à 30 km d'épaisseur supporte continents et océans. Puis vient un énorme "manteau" composé de roches silicatées qui s'enfoncent jusqu'à 2900 km. De ses mouvements, provoqués par le refroidissement progressif de la planète, naissent le volcanisme, la tectonique des plaques et les séismes. Le mécanisme exact ? On l'ignore... Suit le noyau liquide, jusqu'à 5100 km de profondeur, composé de fer en fusion, et qui est à l'origine du champ magnétique terrestre. Mais dont les variations et inversions erratiques restent imprévisibles. Le mystère s'épaissit encore au-delà, avec la graine, cette boule de fer cristallisé de 1221 km de rayon, soumise aux conditions les plus extrêmes. Comment grossit-elle ? Pourquoi semble-t-elle asymétrique ? Abrite-t-elle une sousgraine ? Peu de réponses pour l'instant...

P.-Y.B. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2011

Le Manteau à Portée de Forage

Première étape du voyage vers les profondeurs, le manteau, maître de la dynamique du globe, est en passe d'être cerné par les géophysiciens.

Un tremblement de terre qui secoue le Japon. Un volcan qui s'embrase en Italie. L'Afrique et l'Amérique qui s'éloignent lentement l'une de l'autre... Ces manifestations spectaculaires, qui renvoient d'une pichenette l'homme au rang d'impuissante fourmi, prennent leur source dans les profondeurs du manteau, épaisse couche rocheuse supportant la croûte terrestre et s'enfonçant jusqu'à 2900 km. Un monde englouti, en somme, qui représente 68 % de la masse totale de la Terre et 85 % de son volume, mais dont les mouvements restent en partie mystérieux ! Pourtant, c'est il y a plus d'un siècle, en 1909, qu'il a été découvert par le physicien et sismologue Andrija Mohorovicic, après un séisme ayant secoué Zagreb (Croatie).

À L'ORIGINE DU VOLCANISME

En analysant les sismogrammes (encadré ci-dessous), Mohorovicic a découvert une discontinuité dans la propagation des ondes, à une trentaine de kilomètres sous la surface. Il venait d'identifier la limite entre la croûte et le manteau, baptisée depuis "discontinuité de Mohorovicic" ou "Moho". Restait à identifier la composition de ce nouveau milieu. Faute de pouvoir l'atteindre, les scientifiques se sont d'abord intéressés aux roches ayant fait le voyage jusqu'à eux. Notamment les laves volcaniques ayant arraché sur leur passage des morceaux de manteau, les xénolithes. Ou encore les ophiolites, ces zones de la planète où la collision de massifs montagneux a fait affleurer des plaques de manteau océanique, comme au Sultanat d'Oman, où ce dernier s'étale en plein air sur 500 km. Mais ces observations restent parcellaires et imprécises, ces roches ayant souvent été altérées durant leur périple vers la surface. "Le manteau observable en surface est mort, c'est un processus éteint", résume Philippe Cardin, directeur de l'Institut des sciences de la Terre à Grenoble.
Les géophysiciens se sont donc tournés vers l'étude des météorites (->) issues de planètes similaires à la Terre, mais surtout vers les minéralogistes. Avec l'apparition, dans les années 2000, des enclumes de diamants (lire encadré), ceux-ci parviennent à reproduire en laboratoire les conditions extrêmes des profondeurs (plus de 3000°C et de 120 gigapascals - GPa - à la base du manteau) pour étudier la réaction des minéraux. Autant d'outils qui ont permis de déterminer que le manteau est composé majoritairement d'une roche silicatée, l'olivine - de formule chimique (Mg, Fe) 2SiO4 présente sous différentes structures au fur et à mesure que la température et la pression augmentent.
Le défi actuel des spécialistes reste cependant de comprendre comment ces roches se déplacent pour produire la tectonique des plaques et le volcanisme. Car, malgré sa structure solide, l'énorme masse rocheuse est en mouvement permanent. "À l'échelle de centaines de millions d'années, le manteau flue, comme un vieux vitrage, à la vitesse de quelques centimètres par an", détaille Anne Davaille, directrice de recherche au Laboratoire fluides, automatique et systèmes thermiques à Orsay.
À l'origine de ces mouvements, un moteur ultrapuissant : la convection thermique. Depuis la formation de la Terre il y a 4,55 milliards d'années, la chaleur emprisonnée en son centre s'évacue lentement vers l'extérieur, par déplacement de matière. En profondeur, les roches chaudes, plus légères, ont tendance à remonter. Un phénomène amplifié par la chaleur libérée par les éléments radioactifs du manteau (thorium, potassium et uranium), qui donne naissance au volcanisme. "Lors de la remontée convective des roches mantellaires vers la surface, la décompression entraîne une fusion partielle qui donne naissance au magma. Mais c'est un mécanisme chaotique que nous ne comprenons pas encore bien", admet Anne Davaille. La forme exacte de cette convection a, jusqu'à peu, divisé la communauté scientifique. Jusqu'au début des années 2000, des différences de composition repérées par les géochimistes dans les basaltes des volcans de dorsales et ceux de certaines îles volcaniques les avaient conduits à imaginer que les mouvements de convection se déroulaient distinctement soit dans le manteau supérieur, soit dans le manteau inférieur. Entre les deux, à 660 km de profondeur, une frontière dite "zone de transition". Depuis, les observations ont mis à mal cette théorie : plusieurs phénomènes traversent en réalité cette supposée frontière, comme la subduction des plaques tectoniques, qui plongent depuis la surface, jusqu'à la base du manteau. Depuis quelques années, les sismologues détectent aussi des cheminées de roches mantelliques chaudes, remontant de la limite manteau-noyau vers la surface. "Nous distinguons ainsi des panaches mantelliques sous le Pacifique et sous l'Afrique. L'un d'entre eux, d'environ 2000 km de diamètre, se dresse sous l'Afrique du Sud", explique Eléonore Stutzmann, sismologue et directrice de l'observatoire Geoscope, regroupant 30 stations de mesure dans 13 pays. Outre la remise en cause d'une zone de transition" étanche", ces observations alimentent un autre débat : le volcanisme de points chauds. Certains volcans, comme ceux d'Hawaï ou de la Réunion, sont situés au beau milieu de plaques tectoniques, en dehors des zones de subduction, laissant les vulcanologues perplexes quant à leur origine. Des géophysiciens supposent depuis les années 1960 que de grands panaches de matière chaude remontent depuis la base du manteau, en colonne étroite, jusqu'à percer la croûte. D'autres, à l'instar des chercheurs de l'Institut de technologie de Californie, expliquent ces phénomènes par la tectonique des plaques, qui provoquerait des fissures dans le manteau. Les énormes cheminées repérées par les sismologues relancent le débat, mais la résolution actuelle de la sismologie ne permet pour l'instant pas de trancher (encadré ci-dessous).

UN SCANNER GÉANT POUR LA TERRE
L'étude du manteau s'appuie sur les mesures fournies par un réseau de sismomètres. Mais leur inégale répartition sur Terre entrave la précision du dispositif.

Scanner les entrailles de la Terre : le projet est né au début du XXè siècle, avec la sismologie. L'idée : utiliser l'énergie des séismes pour sonder l'intérieur de la planète grâce aux échos enregistrés par des sismomètres, placés tout autour du globe. l'analyse des temps de trajet des ondes sismiques primaires (dans la direction de la propagation) et secondaires (perpendiculaires) révèle les compositions chimiques, les variations de température et les densités des milieux traversés. Les secondaires, par exemple, se propagent dans les milieux solides, mais sont stoppées par les liquides. Les ondes sismiques sont égalernent plus rapides dans une roche froide... Andrija Mohorovicic a ainsi découvert la limite croûte-manteau en 1909, Beno Gutenberg, l'interface manteau-noyau en 1912, et Inge Lehmann,la frontière noyau-graine en 1936. Malgré les progrès réalisés depuis, la résolution de cette imagerie n'est que de l'ordre de 500 km dans le manteau et de 1000 km dans la graine. D'abord, parce que les séismes ne sont pas uniformément répartis, mais aussi parce que le réseau des sismomètres ne couvre que les continents, laissant les océans - 70 % de la surface du globe - vierges de mesures exploitables ! Résultat : des pans entiers de la Terre interne, notamment sous les pôles, restent dans l'ombre. Mais des projets visent à installer des sismomètres au fond des océans. "Des observatoires sont mis à l'eau à partir de bateaux, et repêchés un à deux ans plus tard pour l'analyse de leurs données. Mais c'est très coûteux, il n'y en a qu'une dizaine en opération dans le monde", explique Eléonore Stutzmann (Geoscope). L'un des premiers, mis à l'eau en octobre 2010 sur la dorsale des Açores, vient d'être repêché en juillet. Il en faudra beaucoup d'autres pour corriger la myopie des sismologues.

MOHOLE, UN TROU DANS LE MOHO

En attendant, les spécialistes poursuivent leurs tentatives d'atteindre enfin le manteau pour l'étudier de près ; une quête du Graal qui vient de fêter ses 50 ans. Premier forage Scientifique ayant pour but d'atteindre le Moho, le projet Mohole avait débuté en 1961 au large de l'île mexicaine de Guadalupe. C'est toujours l'un des objectifs prioritaires de l'IODP (Integrated Ocean Drilling Program), qui regroupe 23 pays, dont la France, et dispose d'une flotte de trois navires de forage. La méthode : transpercer la croûte océanique - cinq fois moins épaisse que la croûte continentale -, où le Moho ne repose qu'à quelques milliers de mètres. À ce jour, malgré 2890 puits de forage, l'IODP n'a pas réussi à percer la croûte océanique au-delà de 2111 mètres de profondeur (sous 3475 mètres d'eau) dans le Pacifique Est, au large du Costa Rica... sans atteindre le Moho. Mais dans un article paru dans Nature en mars dernier, Benoît Ildefonse et Damon Teagle (National Oceanography Centre, à Southampton) pensent que cette quête pourrait enfin être à la portée des géologues au cours de la prochaine décennie. À une condition : déployer des technologies de pointe issues de l'industrie pétrolière, permettant de forer à 3000 mètres de profondeur sous 4000 mètres d'eau, au prix de centaines de millions de dollars, soit dix fois plus que les missions océanographiques actuelles. "C'est beaucoup plus coûteux qu'une exploration classique, admet Benoît lldefonse, géologue au Laboratoire de géosciences de Montpellier, de retour d'une mission de forage au large du Costa Rica. Mais c'est très peu, comparé à une mission spatiale. Or, remonter un échantillon du manteau aurait la même importance scientifique que les basaltes lunaires de la mission Apollo !" Avec l'étude directe du Moho, voire du manteau supérieur, les géophysiciens pourraient enfin valider leurs hypothèses de travail et affiner leurs modèles en confrontant la théorie à la réalité... Bref, un pas de géant dans la compréhention du manteau et de ses mouvements.

P.-Y.B. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2011

Les Caprices de la Géodynamo

Le bouillonnant noyau de fer liquide qui s'agite à 2900 km sous la surface, est responsable du champ magnétique terrestre. Les scientifiques multiplient les expériences pour en comprendre les énigmatiques variations.

C'est une étrange navette pour le centre de la Terre qui trône sous les échafaudages, dans le laboratoire de l'Institut de recherche en électronique et en physique appliquée du Maryland, aux États-Unis. Une sphère de trois mètres de haut en acier inoxydable, remplie de 13.500 litres de sodium liquide et abritant en son centre une sphère solide plus petite, d'un mètre de diamètre. Faute de propulser réellement les géophysiciens dans la fournaise du noyau liquide, à jamais inaccessible, cette expérience devrait leur permettre de le simuler en reproduisant les mouvements qui ont lieu en son sein. Le noyau liquide ? Une mer démontée de métal fondu, située à plus de 2900 km de profondeur, et composée de 90 % de fer, de 4 % de nickel et d'éléments plus légers dont on ignore encore s'il s'agit de soufre, d'oxygène ou de silicium. Une boule infernale chauffée à plusieurs milliers de degrés, et animée de courants qui engendrent le champ magnétique terrestre. Or, le mécanisme par lequel ce champ est produit, et surtout ses capricieuses sautes d'humeurs, découvertes il y a plus de cent ans, restent un mystère.
Ce jour de 1905, en étudiant les roches volcaniques de la coulée de Pontfarein (Massif central), le géophysicien français Bernard Brunhes observe un phénomène inédit. À cette époque, on sait déjà que les roches volcaniques, au moment où elles se refroidissent, s'orientent dans la direction du champ magnétique ambiant. Or, dans son échantillon, Brunhes constate avec surprise que le pôle Nord magnétique pointe vers le Sud ! Il en déduit que le champ magnétique terrestre s'est inversé. Conclusion qui ne sera acceptée par la commrmauté scientifique... que cinquante ans plus tard.
On sait aujourd'hui que le phénomène d'inversion découvert par Brunhes n'est pas un cas isolé. L'étude des laves le long des dorsales océaniques a permis de constater que la Terre a connu plus de 300 inversions de ses pôles depuis 150 millions d'années ! La dernière en date remonte à 780.000 ans. Mais impossible de prévoir la prochaine, leur rythme ne semblant respecter aucune logique. "Nous observons des périodes de stabilité de près de 40 millions d'années, d'autres de seulement 100.000 ans, sans que nous puissions établir de cycle précis", explique Philippe Cardin, directeur de l'Institut des Sciences de la Terre de Grenoble. Pourtant, si le champ magnétique venait à diminuer pour s'inverser à nouveau, le bouclier magnétique de la Terre serait temporairement supprimé.

UN AIMANT AU CENTRE DE LA TERRE ?

Or ce précieux allié commandé depuis les profondeurs nous protège du vent solaire et des rayonnements cosmiques, ces flux de particules ionisées qui bombardent en permanence notre planète. Aujourd'hui, les premières victimes d'un affaiblissement du champ magnétique seraient sans doute les satellites, dont les instruments seraient exposés à d'importantes perturbations électromagnétiques. Sur Terre aussi, les tempêtes solaires, lors desquelles le bombardement s'intensifie et parvient à percer le bouclier magnétique, ont déjà provoqué des pannes spectaculaires. En 1989, six millions de personnes ont ainsi été victimes d'une coupure générale d'électricité au Québec ! Sans le champ magnétique, les radiations cosmiques pourraient aussi modifier l'atmosphère et avoir des conséquences sur le climat, voire sur la vie (encadré ci-dessous).

FATALE À NEANDERTAL ?
Pour la première fois, un lien est suggéré entre la disparition d'une espèce et la géodynamo.

Selon Jean-Pierre Valet, géophysiden à l'Institut de physique du globe de Paris, et Hélène Valladas du laboratoire des sciences du climat et de l'environnement de Gif-sur-Yvette, la disparition de l'Homme de Neandertal pourrait être liée... à une anomalie du champ magnétique terrestre. La période durant laquelle il s'est éteint, entre 41.000 à 34.000 ans avant notre ère, coïncide avec une forte baisse de l'intensité du champ magnétique terrestre. Durant cet épisode connu sous le nom d'excursion de Laschamp, celle-ci a perdu 90 % de sa valeur, affaiblissant d'autant sa capacité à dévier les vents solaires. Ce bombardement intensif dans l'atmosphère aurait entraîné, aux latitudes européennes, la formation d'oxyde nitrique, un composé agressif pour la couche d'ozone. L'exposition aux UV-B aurait alors provoqué une augmentation des cancers chez Neandertal, pourvu d'une faible pilosité et d'une peau claire. Quant à son contemporain Homo Sapiens, sa présence sous des latitudes plus méridionales lui aurait sauvé la peau ! Les paléoanthropologues restent cependant sceptiques.

Il est donc crucial de comprendre comment fonctionne la dynamo terrestre. "À une époque, on a d'abord cru à un énorme aimant situé au centre de la Terre. Mais c'était impossible : à partir de 600-700°C, les aimants perdent leur magnétisme", explique Julien Aubert, chargé de recherche CNRS à l'Institut de physique du globe de Paris (IPGP). Dès 1919, Sir Joseph Larmor, un physicien anglais, apporte une autre explication : la présence d'un liquide conducteur animé de mouvements amplifierait le champ magnétique ambiant (issu du soleil et de la voie lactée), pour créer un champ propre... Une dynamo "auto-excitée". Depuis, la présence de fer liquide a bien été prouvée.
Mais reste une question : d'où viennent ces écoulements, assez rapides - environ 30 km/an - pour amorcer la géodynamo, et assez turbulents pour générer ses sautes d'humeur ? La question a longtemps divisé. Certains y ont vu l'ouvre de la précession, la variation de l'axe de rotation de la Terre. Des simulations numériques ont montré qu'un tel mouvement peut engendrer, parallèlement à l'axe de rotation, des écoulements cylindriques coaxiaux, dans des sens de rotation opposés. Mais aucune expérience n'est parvenue à reproduire un tel champ auto-entretenu. Ce qui n'est pas le cas de l'autre hypothèse, qui fait désormais consensus : la convection thermique. À la base du noyau, plus chaude (5000°C) que la surface (3500°C), les métaux liquides tendent à remonter par convection, pour évacuer la chaleur, créant ainsi les mouvements nécessaires à la géodynamo. Cette dynamique est doublement renforcée par la cristallisation de la graine. Au centre du noyau, sous l'effet de la pression (plus de 300 GPa, soit 3 millions de fois la pression atmosphérique), le fer liquide cristallise pour former la graine, cette boule solide qui grossit lentement (environ 1 mm par an) au centre de la Terre. Or, cette réaction libère de la chaleur à la base du noyau, et de la convection thermique. Au même moment, à la surface de la graine, se forme un alliage à forte concentration d'éléments légers qui n'ont pas cristallisé.

DES TURBULENCES DÉFORMANTES

Ces éléments, moins denses que le fer, vont à leur tour remonter vers la surface du noyau, amplifiant aussi la convection. Perturbés par la force de Coriolis liée à la rotation de la Terre, ces flux pourraient engendrer des turbulences, à la manière des cyclones, susceptibles de déformer le champ magnétique, jusqu'à l'inverser.
Ce mécanisme de l'effet dynamo a été validé par de nombreuses expériences. Notamment celles de Riga et de Karlsruhe en 1999, durant lesquelles des mouvements imposés à du sodium liquide - présentant une conductivité électrique comparable à celle du fer -, à l'intérieur d'une sphère en rotation, ont permis de créer un champ magnétique. Depuis 2006, à Cadarache, le CEA, le CNRS et les écoles normales supérieures de Lyon et de Paris mènent une expérience similaire (dite VKS, Von Karman Sodium) en brassant du sodium dans un cylindre de 60 cm de diamètre à l'aide de deux turbines placées en vis-à-vis. Là encore, selon les flux imposés, on parvient à observer l'installationde champs magnétiques spontanés, et même des inversions. Mais certains pensent ces résultats faussés par le fait que les pales de ces tlurbines, en fer doux, peuvent perturber les mesures en s'aimantant.
La sphère de trois mètres du Maryland pourrait donc bientôt faire consensus. Le brassage du sodium sera cette fois assuré par la seule mise en rotation de la sphère, à des vitesses pouvant aller jusqu'à quatre tours par seconde. Après des premiers tests avec de l'eau, Daniel Lathrop, directeur de l'Institut de recherche en électronique et en physique appliquée, commence le remplissage du sodium à compter de septembre. "Il faudra des années avant d'exploiter les résultats d'une telle expérience", prévient Barbara Brawn-Cinani coordinatrice scientifique du laboratoire.
En attendant de mieux comprendre la géodynamo, les scientifiques ne peuvent prédire l'évolution du champ magnétique terrestre au-delà de quelques années. Impossible donc de savoir si la baisse de son intensité (elle a décru de 10 % depuis 1831) est le signe avant-coureur d'une inversion. "En matière de connaissance et de prévision du champ magnétique, nous en sommes au même niveau que les météorologues il y a cinquante ans", estime Julien Aubert. Comme leurs homologues, les magnéticiens espèrent d'importants progrès grâce aux satellites. Premier cap, les outils embarqués dans les satellites Magsat (1980), Oersted (1999) et Champ (2000) ont permis de cartographier le champ et de suivre son évolution en temps réel. Mais plus aucun de ces instruments n'est en service depuis 2010. Les spécialistes attendent donc avec impatience le lancement, en 2012, d'une constellation de trois satellites équipés de magnétomètres plus précis que ceux des missions précédentes. Grâce à ses trois orbites distinctes, la mission Swarm de l'ESA (European Space Agency) pourra mieux différencier le champ interne du champ "crustal" (issu des laves de la croûte terrestre) et du champ atmosphérique (notamment celui de l'ionosphère). Ces mesures serviront à améliorer la robustesse des modèles numériques. "Ces phénomènes sont très difficiles à simuler par ordinateur, car ils nécessitent des maillages complexe sur des distances et des durées très longues, à la limite de nos capacités actuelles", détaille Julien Aubert. Mais si vous êtes inquiet du champ qu'il fera demain, rassurez-vous : au rythme actuel, il faudrait 2000 ans, pour que l'intensité baisse de 90 % et que s'amorce une inversion. D'ici là, fiez-vous à votre boussole !

P.-Y.B. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2011

La Graine Cultive le Mystère

Elle porte sur elle tout le poids de la Terre. La graine de fer solide qui trône à l'hyper-centre de la planète en est l'endroit le plus mystérieux. Le comportement des ondes qui la traversent laisse perplexes les physiciens.

En franchissant la frontière du noyau liquide, on atteint celle de notre imagination. Car dans cette partie la plus inaccessible du globe, il règne une chaleur infernale : 6000°C (soit celle de la surface du Soleil), et surtout une pression telle (3,5 millions de fois celle de l'atmosphère) que malgré la température, le fer en devient solide ! C'est donc une boule rigide de 2440 km de diamètre qui constitue le cour de la Terre, au beau milieu du métal en fusion. Les vitesses des ondes sismiques, la densité de la Terre, la minéralogie et l'étude des météorites ont permis d'établir que cette graine se compose à 95 % de fer cristallisé. Depuis un milliard d'années, sous l'effet conjoint du refroidissement séculaire de la terre et de la pression, elle grossit peu à peu (d'un millimètre par an) gagnant du terrain sur le noyau liquide de fer et de nickel fondus qui l'entoure.
L'équipe de scientifiques emmenés par Xiaodong Song, du Lamont-Doherty Earth Observatory de l'université de Columbia, en est persuadée : la graine "tourne". Elle serait animée d'une rotation propre, en décalage (moins de 1 degré par an) par rapport à celle du manteau terrestre. Une thèse contestée par d'autres chercheurs, parmi lesquels Annie Souriau, directeur de recherche émérite au CNRS et sismologue à l'Institut de recherche en astrophysique et planétologie de Toulouse. "J'étais la première à avoir parlé de cette rotation. Mais je suis revenue sur mes conclusions : nous sommes dans la marge d'erreur des techniques de mesure actuelles. En fait, si ça tourne, c'est très faible, plutôt une oscillation... Voire rien du tout". Le débat fait rage depuis 1996, sans être totalement tranché. Et ce n'est pas le seul.

ENCLUMES DE DIAMANT... À LA POINTE
Les cellules à enclumes de diamant permettent de soumettre un échantillon à des températures et des pressions aussi extrêmes que celles du centre de la Terre.

Comment reproduire en laboratoire les conditions du centre de la Terre, à savoir 6000°C et 350 gigapascals ? Le diamant permet, fort de sa résistance exceptionnelle, de reproduire ces conditions extrêmes dans des enclumes. Les mâchoires de l'outil sont fonnées de deux diamants en vis-à-vis. Les pointes sont taillées pour obtenir des tablettes de 50 à 500 microns de diamètre, entre lesquelles est disposé l'échantillon à étudier, sous des pressions pouvant atteindre 400 Gpa. Reste à le chauffer, soit dans un four, soit grâce à un laser pointé sur l'échantillon à travers le diamant transparent, permettant d'atteindre 6000 à 7000°C. Ces instruments devraient bientôt apporter des réponses, concemant la structure sous laquelle le fer cristallise dans la graine et sur les éléments légers (soufre, silicium, oxygène...) susceptibles de s'allier au fer. (Retour plus haut)

LES ONDES TRAHISSENT DES BIZARRERIES

Car les mesures sismologiques font apparaître plusieurs phénomènes étranges autour de la graine. D'abord, les ondes sismiques qui la traversent se déplacent plus vite lorsqu'elles sont parallèles à l'axe de rotation de la Terre que quand elles circulent selon l'axe équatorial : c'est ce qu'on appelle une anisotropie (dépendant de la direction). Deuxième bizarrerie, cette anisotropie est plus importante dans l'hémisphère Ouest (du côté américain) que du côté Est (sous l'Indonésie). Enfin, elle serait entourée d'une couche dense de plus de 200 km ralentissant les ondes sismiques, qu'aucun géophysicien ne s'attendait à trouver là.
Depuis une vingtaine d'années, les théories les plus diverses ont été avancées pour expliquer ces anomalies : présence d'une amande de fer presque pur au cour de la graine (due à la convection thermique), cristallisation non-homogène ou préférentielle du fer, présence de plusieurs structures cristallographiques... Aucune de ces hypothèses ne parvient à expliquer l'ensemble des irrégularités constatées. Cependant, l'an dernier, une nouvelle théorie est apparue, qui pourrait expliquer ces anomalies. Publiés presque simultanément dans Nature et dans Science par deux équipes françaises indépendantes l'une de l'autre, les travaux de Marc Monnereau, de l'université de Toulouse, et de Thierry Alboussière, de l'université de Lyon, imaginent que la cristallisation de la graine ne se ferait pas par couches concentriques, comme cela semblait naturel. Elle se déroulerait en fait du côté Ouest de la graine, poussant progressivement les cristaux de fer vers la face Est, où ils finiraient par fondre à nouveau. Ainsi, l'âge de la graine serait plus élevé à l'Est qu'à l'Ouest ! Or, des études cristallographiques montrent que quand ils vieillissent, les cristaux de fer grossissent. D'où l'anisotropie constatée, les ondes sismiques étant plus rapides dans les gros cristaux que dans les petits. Une idée intrigante qui demande encore à être vérifiée. Mais quand bien même elle le serait, de nombreuses questions demeurent : pourquoi la cristallisation se fait-elle du côté Ouest ? Sous quelle, structure (hexagonale, cubique...) le fer cristallise-t-il ? Avec quels éléments légers ? Y a-t-il une sous-graine ? Que se passera-t-il quand tout le fer liquide du noyau aura cristallisé ? Mystère et boule de fer.

PERSPECTIVES

De nombreuses recherches sont sur le point de dévoiler les secrets des profondeurs. D'ici à 1 an, trois satellites mesureront précisément le champ magnétique terrestre. Celui-ci devrait être fidèlement reproduit en laboratoire d'ici 2 à 5 ans. D'ici 5 à 10 ans, la résolution du réseau de sismomètres aura progressé, révélant les mouvements du manteau. Enfin, ce dernier devrait être percé par un forage d'ici à 10 ans. L'énigme du centre de la Terre est en passe d'être résolue !

P.-Y.B. - SCIENCE & VIE Hors Série > Septembre > 2011
 

   
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