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Martinique : la Montagne Pelée

La Montagne Pelée


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TOUT COMPRENDRE N°29 > Février > 2015

La Martinique attend son Big One

Le 29 novembre 2007, la Martinique était frappée par un séisme de magnitude de 7,4, comme celui qui a dévasté Haïti en janvier 2010. Mais, parce qu'il s'est produit à très grande profondeur, les dégâts sont restés limités. L'île antillaise se trouve sur la même frontière de plaques tectoniques qu'Haïti. Un an après le violent séisme qui a frappé leurs voisins, comment les Martiniquais gèrent-ils la menace ? Reportage.

La jeune femme est pâle et ses jambes flageolent. Il y a de quoi. Elle vient de ressentir, coup sur coup, trois séismes : celui d'Izmit, en Turquie, qui a fait plus de 17 000 morts en 1999 (magnitude 7,4), celui de Rambervillers dans les Vosges qui a eu lieu en 2003 (magnitude 5,4), et celui de Boumerdès en Algérie la même année (magnitude 6,8). "À la fin, mes pieds décollaient du sol, j'avais peur de tomber".
La jeune Martiniquaise participe à une journée de sensibilisation au risque sismique organisée à Fort-de-France par le conseil général. Elle vient de tester le clou de l'opération : un simulateur de séisme. Un simple plateau vibrant, qui reproduit fidèlement, dans la durée, la forme et l'intensité des secousses de trois séismes récents. "Le simulateur tourne sur la Martinique depuis quatre ans", explique Steve-Michel Symphor, organisateur de la manifestation et responsable sécurité au conseil général de la Martinique. Les enfants trouvent l'expérience très drôle. Les adultes, eux, prennent subitement conscience, dans un mélange d'effarement et d'incrédulité, de ce qui les attend, à plus ou moins long terme.
Car les petites Antilles n'y échapperont pas, souligne Marie-Paule Bouin, sismologue de l'Institut de physique du globe détachée aux Antilles. "Les îles sont situées sur la même frontière de plaques qu'Haïti, le risque est le même. La différence, c'est qu'en Haïti, on a des failles majeures qui traversent l'île, alors que dans les petites Antilles la faille principale se situe à plus de 70 km des côtes. Cette faille a produit et produira un séisme majeur (de magnitude supérieure ou égale à 8), et ce sera un impact comparable".

DES CONSTRUCTIONS VULNÉRABLES

En 1839, un séisme de magnitude 7,5 avait détruit Fort-de-France et tué 300 personnes. Selon les projections de Hormoz Modaressi, du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), un séisme de magnitude 8 en Martinique pourrait entraîner la mort de 30.000 personnes, soit 7,5 % de la population. En cause, la vulnérabilité des constructions. Un rapport remis en 2001 au ministère de l'Environnement tirait la sonnette d'alarme. En théorie, les bâtiments construits après 1997 sont parasismiques. Mais beaucoup de constructions se font encore sans permis "par coups de main". Même le service d'incendie et de secours de Fort-de-France, situé à l'étage d'un petit immeuble ancien, n'est pas prévu pour résister à un séisme. Quant aux écoles, 80 % d'entre elles sont à conforter ou à reconstruire. Un rapport de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et techniques dénonçait, en 2010, le niveau d'impréparation des Antilles face au séisme.
Pourtant, le 29 novembre 2007, la Martinique a tremblé. "Magnitude 7,4", ont indiqué les sismologues. Et tous les Martiniquais s'en souviennent. "Quand ça a commencé, j'ai couru vers la porte. Usain Bolt (triple recordman du monde du 100 mètres) ne serait pas arrivé avant moi", plaisante Jean, un sémillant vieil homme pourtant partiellement paralysé. Le petit Kevin, 13 ans, lui, n'arrive pas à en sourire : "Ça a commencé vers 15 heures. J'étais à l'école, au rez-de-chaussée. Le sol s'est mis à se soulever, ça faisait des vagues. On entendait un ronflement et le bruit des objets qui tombaient. On nous a dit d'aller sous les tables. Et que s'il y avait un tsunami, il fallait marcher vers les hauteurs. Le soir, j'ai mal dormi, j'ai senti les répliques, j'avais peur qu'il y en ait d'autres". Le sommeil de Kevin reste perturbé par des cauchemars récurrents. TI ne rêve que d'une chose: déménager en métropole, pour ne pas revivre de tremblement de terre.
En raison de sa grande profondeur (150 km), le séisme martiniquais a cependant fait peu de dégâts. Quelques accidents cardiaques (dont un mortel), et des défenestrations sans conséquences fatales. Une maison s'est effondrée. D'autres se sont sérieusement fissurées. "Ma maison était construite à l'aplomb d'une faille secondaire, témoigne Hermann. Sur une ligne qui va du centre de la Martinique à la ville du Marin, en bord de mer, toutes les maisons sont fissurées. La mienne a été déclarée inhabitable. J'y ai vécu avec ma famille pendant plus d'un an, la peur au ventre, en attendant de reconstruire une maison neuve un peu plus loin". Pour la psychosociologue Ludvina Colbeau-Justin, qui réalise régulièrement des études sur la Martinique, le séisme de 2007 n'aura pas joué son rôle d'électrochoc. "Les gens se disent : nous aussi, comme à Haïti, on a eu un séisme de 7,4 et on s'en est bien sortis".
Pourtant, l'enquête qu'elle a menée juste après le séisme montre que, bien que les gens aient l'impression d'être informés et d'avoir adopté les comportements adaptés, ce ne fut pas le cas. Dans les faits, seuls 30 % des comportements correspondaient aux consignes de sécurité, consistant par exemple à se protéger dans un encadrement de porte ou sous une table. Pourtant, ironie de l'histoire : une semaine avant le tremblement de terre avait eu lieu une grande campagne de sensibilisation aux séismes.
Car connaître le bon comportement n'est pas suffisant pour l'appliquer, comme l'explique Ludvina Colbeau-Justin. "Quand on habite dans une zone sismique, le corps a été exposé à des secousses peu importantes et les reconnaît de manière automatique. Le cortex n'analyse pas ce qui se passe, mais c'est le bulbe rachidien qui réagit, le centre des réflexes. Or, en cas de peur, le premier réflexe, c'est la fuite. Ce qui n'est pas la bonne solution en cas de séisme". Les spécialistes de la sensibilisation le savent : se préparer à un séisme passe par une répétition des bons gestes.

LUTTER CONTRE LE FATALISME

"Les gens savent, mais ils ne répètent pas, constate de son côté Albéric Marcelin, président d'une association de sensibilisation au risque. lis disent qu'ils n'ont pas le temps". L'association se bat depuis des années pour que chacun possède son propre kit de survie : une lampe, un sifflet pour se signaler si l'on est bloqué sous les décombres, une clé USB avec les papiers essentiels (identité, numéro de compte en banque, certificats de propriété, etc.), de l'eau, une trousse de secours... Sans grand succès. Cette indifférence tiendrait aussi au contexte mystique et religieux qui entretient chez la population un certain fatalisme, explique Ludvina Colbeau-Justin : "Les gens se disent que si la terre tremble, c'est que Dieu l'a voulu, et qu'on n'y peut donc rien. Et puis, on préfère ne pas en parler. Quand on évoque les catastrophes, on prend alors le risque de les voir se réaliser".
Les services de l'Etat ont cependant pris conscience du danger qui guette l'île antillaise. Depuis 2006, chaque année, l'ensemble des acteurs institutionnels organise une semaine de sensibilisation au risque sismique. Au programme : des pièces de théâtre, des conférences, des tournées dans les écoles et les entreprises, des spots d'information qui passent à la télévision ou à la radio, une distribution de brochures, etc. Ces journées "Replik" ont connu un point d'orgue en 2008 quand une simulation d'un tremblement de terre a mobilisé toutes les communes de la Martinique, avec notamment des exercices de sauvetage sous décombres.

UNE COMMUNICATION PRIMORDIALE

Depuis 2006, le gouvernement a, quant à lui, lancé le Plan séisme Antilles. Objectif : accroître la connaissance du risque sismique grâce à une nouvelle instrumentation des failles antillaises, améliorer la communication avec les communes et la population, rénover les bâtiments publics et inciter les particuliers à construire antisismique.
Petit à petit, donc, la perception du risque change. Selon Ludvina Colbeau-Justin, "les journées Replik ont une très bonne notoriété. Les enquêtes psychosociologiques depuis 1993 montrent une évolution des représentations et des perceptions. La part du magico-religieux tend à se réduire et à laisser une place plus grande aux représentations mécaniques et géographiques de l'aléa et à l'efficacité des moyens de protection par le comportement et la construction".
Les responsables des associations persévèrent, coûte que coûte. Ils parient notamment sur la nouvelle génération. Le simulateur de séisme passe 2 ou 3 fois par semaine dans un établissement scolaie. "Mais parfois, on a le blues du militant, vous savez. On a l'impression de prêcher dans le désert". L'aveu d'Albéric Marcelin, un solide moustachu, est touchant : "Il m'arrive de pleurer. Sur mes frères haïtiens, mais aussi sur ces morts qu'on pourrait éviter en Martinique".

A.D. - SCIENCE & VIE Hors Série > Mars > 2011
 

   
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