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Une Maladie des Origines ?

Le Cancer Répendu au Moyen-Âge

C.H. - SCIENCE & VIE N°1246 > Juillet > 2021

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Une Maladie des Origines ?

Et si, loin d'être un fléau évolutif, le cancer indiquait un retour à une vie cellulaire primitive et vigoureuse ? Fascinante, cette thèse prend les biologistes à rebours, surtout qu'elle émane d'astrophysiciens !

Les biologistes moléculaires se découvrent plein de nouveaux amis ! Après les spécialistes de la mécanique quantique venus à la rescousse pour élucider les mystères du vivant (dossier "La Vie Serait Quantique"), voici que deux spécialistes des étoiles entendent donner un coup de pouce aux oncologues pour éclaircir les mystères du cancer. Un coup de pouce en forme de nouvelle thèse sur les origines d'une maladie qui tue, chaque année, 150.000 personnes en France. A priori, rien à voir avec l'astrophysique ! Et pourtant...

JARGON : Un cancer est caractérisé par la prolifération incontrôlée de cellules anormales, issues d'une cellule unique qui a subi des mutations successives au sein des gènes assurant le contrôle du cycle cellulaire. Les cellules cancéreuses acquièrent ensuite d'autres mutations qui leur confèrent des propriétés d'invasion, de production de vaisseaux et de métastases a distance.

AUCUN FATALISME ICI

Passionnés par les origines de la vie terrestre et extraterrestre, deux astrobiologistes, Charley Lineweaver, de l'université d'Australie, à Canberra, et Paul Davies, de l'Arizona State University, aux États-Unis, proposent aujourd'hui une vision radicalement nouvelle du cancer. Si elle peut paraître simpliste, elle fait la part belle à la logique. Ces chercheurs sont partis d'un constat simple : si le cancer existe chez tant d'humains et d'animaux, c'est qu'il n'est pas dû à un malencontreux hasard dénaturant la réplication des gènes comme le veut la théorie actuelle, mais qu'il est plutôt le fruit d'un mécanisme bien rodé. "Les propriétés du cancer sont trop complexes complexes pour pouvoir être expliquées par des erreurs génétiques s'accumulant en quelques décennies à mesure que le corps vieillit", explique Charley Lineweaver. L'argument est de taille : en biologie, la complexité est généralement plus attribuable à une logique évolutive qu'à la simple malchance... Mais le cancer fait traditionnellement figure d'exception. Faute de mieux, on considère qu'une cellule devient cancéreuse parce qu'une succession "d'accidents" se produit dans les gènes qui contrôlent sa multiplication. Ces erreurs, d'abord inaperçues, finissent, en s'accumulant, par engendrer un mutant cancéreux incontrôlable. Ce fatalisme déplaît aux deux astrophysiciens. "Dans l'immense majorité des cas, les mutations génétiques sont des défauts qui conduisent à la mort de la cellule. Curieusement, dans le cancer, ces supposées mutations renforcent la cellule et lui confèrent une formidable capacité de survie", souligne Charley Lineweaver. Fort de ce constat, il a, avec Paul Davies, envisagé une nouvelle thèse. "Nous avons pensé que les cellules cancéreuses utilisent un système de navigation performant régulé par des gènés déjà en place", explique-t-il. Ainsi, plutôt que de créer des gènes mutants, qui auraient peu de chance de fonctionner, les cellules cancéreuses se "brancheraient" sur un mode de régulation très basique mais implacable, déjà inscrit dans leur génome. Or, le cancer frappant de la même façon tous les animaux, ce mode est forcément ancestral. D'où leur fascinante proposition : le cancer serait en réalité la réminiscence dans les organismes modernes d'une vie très archaïque, celle des premiers organismes multicellulaires apparus sur Terre il y a 1 milliard d'années. "Les animaux complexes, avec des organes et des cellules très différenciés, ont été précédés, il y a 1 milliard à 600 millions d'années, par des colonies de cellules indifférenciées semblables à des tumeurs, et dans lesquelles la coopération était rudimentaire", expliquent les chercheurs, Dans ces colonies, la coopération était régie par un groupe de gènes, constituant une "boîte à outils" de base. Lorsque ces organismes primitifs ont évolué en animaux plus complexes, des gènes plus sophistiqués sont apparus, permettant de réguler finement l'organisation et la communication cellulaires. Mais les gènes primitifs n'ont pas disparu : réduits au silence par les gènes les plus modernes, ils sont toujours enfouis en nous. Et jouent même encore un rôle crucial lors des premiers stades du développement embryonnaire, où ils sont activés temporairement avant d'être mis en sourdine. Le problème, selon Davies et Lineweaver, c'est que lorsque des mutations malheureuses liées au vieillissement ou à l'environnement empêchent les gènes les plus sophistiqués de fonctionner correctement dans une cellule, celle-ci réactive alors les gènes ancestraux. Et se remet à fonctionner selon un mode ancien, semblable à celui des premières colonies de cellules organisées... et c'est ce qu'on appellerait le cancer. "En situation de stress, le génome ressort de vieux 'poèmes' plutôt que d'en écrire de nouveaux, résume Charley Lineweaver. Plus ces gènes de base sont réactivés, plus la régulation cellulaire régresse vers un état primitif. Les cellules cancéreuses prolifèrent alors sans savoir qu'elles le font à l'intérieur du corps puisqu'elles ne répondent plus aux signaux complexes."
Le cancer, maladie de la mémoire ancestrale des cellules ? Si l'idée est radicalement nouvelle, elle s'appuie sur l'hypothèse largement admise selon laquelle les gènes qui régulent la prolifération cellulaire sont apparus en même temps que la multicellularité. Une hypothèse confirmée en 2010 par le séquençage du génome des animaux multicellulaires les plus primitifs, l'éponge et le Trichoplax, qui a montré que la plupart des gènes qui régulent leur organisation sont présents chez l'homme... Où ils sont, comme par hasard, souvent impliqués dans la prolifération cancéreuse. Pour les deux astrobiologistes, il n'y a donc rien d'étonnant à ce que ces gènes du cancer, ancrés dans le monde animal depuis 600 millions d'années, soient si difficiles à combattre une fois réveillés.

PLUS FACILE À SOIGNER

Cette théorie brille par sa simplicité. Mais pour Mansi Srivastava, qui a étudié l'éponge et le Trichoplax à Berkeley (États-Unis), le raccourci est un peu rapide. "En évoluant, les animaux ont acquis de nombreux gènes qui interagissent avec les gènes primitifs de façon très complexe... Ainsi, on sait que les tumeurs sont capables de construire des vaisseaux sanguins pour s'alimenter, ce qui n'était pas le cas des premiers animaux multicellulaires. La métaphore est donc un peu simpliste".
Charley Lineweaver ne nie pas la complexité des interactions génétiques en jeu dans le cancer, mais ne croit pas à leur caractère anarchique. "Nous pensons que sa complexité est limitée et que nous allons bientôt en découvrir les limites. Si notre théorie est juste, le cancer devient un adversaire prévisible, car le nombre de gènes impliqués est fini". De quoi faire souffler un vent d'optimisme sur la recherche, voire inventer de nouveaux médicaments, capables d'empêcher la réactivation des gènes ancestraux. "Cette idée est fascinante et j'ai hâte qu'elle soit confrontée à des modèles prédictifs mathématiques, s'enthousiasme Richard Sullivan, oncologue au King's College de Londres (Angleterre). Cette théorie semble correcte car les cellules cancéreuses se dédifférencient et régressent effectivement vers des formes simples caractéristiques du début du développement. Mais nous sommes encore loin de comprendre le cancer qui est probablement régi à la fois par des mutations aléatoires et par l'activation de gènes anciens normalement silencieux".

Si elle ne suffit peut-être pas à expliquer toutes les perfidies du cancer, cette théorie a le mérite d'affirmer qu'il n'est pas qu'un chaos impossible à contenir. Elle donne, à la lumière de l'évolution, un véritable sens à cette redoutable maladie.

M.C. - SCIENCE & VIE > Avril > 2011
 

   
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