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Après le Pétrole... Nucléaire ou Charbon ?

Ressources abondantes, bon marché... le charbon cumule les atouts pour prendre la relève du pétrole et, déjà, sa production explose. Oui, mais de toutes les énergies, il est le pire émetteur de CO2 ! Une véritable plaie qui pourrait profiter au nucléaire. Car seul l'atome possède aussi les armes pour relever le défi énergétique du XXIè siècle...

Un seul challenger, le Nucléaire

Que faire si l'objectif du "charbon propre" n'est pas atteint ? Ici, il existe une alternative : le nucléaire qui, malgré ses handicaps - sécurité, déchets -, est bien le seul à pouvoir relever le défi énergétique de la planète.

Abondant, assez équitablement réparti sur la planète, peu coûteux : à lui seul, le charbon serait la solution idéale pour résoudre le dilemme énergétique de l'après-pétrole... s'il n'était un monstrueux émetteur de CO2 et, partant, gage de catastrophe climatique à venir. Certes, les efforts pour parvenir à du "charbon propre" vont bon train ; mais la partie est très loin d'être gagnée. Dès lors, une question se pose : existe-t-il une alternative ? Sachant que sur le grand ring mondial de l'énergie, il faut de sacrés atouts pour tenir face au champion charbon. Pas question de miser sur le pétrole, déjà condamné par le manque de ressources. Sur ce plan, le gaz apparaît mieux placé ; oui, mais avec des réserves à peine deux fois plus importantes, il ne peut finalement espérer tenir que quelques rounds de plus... Insuffisant. Reste l'association des énergies dites "renouvelables" : vent, soleil, géothermie et autres minicentrales hydroélectriques. Par définition, le problème du manque de ressources ne se pose pas ici. En revanche, cette association est bien jeune, qui ne fournit actuellement que 0,4 % de l'énergie primaire mondiale. Elle ne concourt donc pas dans la même catégorie. Et même si la Commission européenne vient de se fixer pour objectif de tirer 20 % de son énergie de sources renouvelables d'ici à 2020, celles-ci coûtent cher et peinent à assurer une production régulière. En bref, il leur faudra quelques décennies avant de prétendre au titre.
Alors quoi ? L'hydroélectricité (les grands barrages) et la biomasse ? Las, la première plafonne à 2,2 % des besoins énergétiques mondiaux (16,1 % de l'électricité) et n'a qu'une faible marge de progression, faute de sites à équiper. Quant à la biomasse, elle entre en jeu avec de grandes ambitions : en 2030, selon l'Agence européenne pour l'environnement, plus de 15 % de l'énergie européenne pourrait en être issue ! Sauf que la biomasse a, elle aussi, le bras un peu court : les terres qu'on peut lui consacrer ne sont pas infinies, les hommes ayant besoin de manger. Et si cette production est envisageable en Europe, elle équivaut souvent, ailleurs, à une déforestation catastrophique... En définitive, un seul challenger ne tombe pas les gants face au charbon, c'est l'atome. Le nucléaire est même un poids lourd de premier plan.

UNE PUISSANCE EN CONTINU

Côté effet de serre, d'abord : pour chaque kilowattheure (kWh) produit, l'atome émet près de cinquante fois moins de CO2 que le charbon ! Et il peut aussi se targuer d'être la seule énergie, dans l'état actuel de la technologie, capable de dispenser une forte puissance électrique en continu, à un niveau d'émission de CO2 aussi faible.
Ce n'est pas tout. Car ses défenseurs revendiquent à son propos toute une panoplie de coups plus subtils. À commencer par la faible part du combustible dans le coût de la filière. "Avec le nucléaire, environ 5 % du prix du kWh provient de l'uranium, plaide ainsi Bertrand Barré, directeur de la communication scientifique d'Areva et ancien directeur de la recherche de Cogema. Si, pour une raison ou une autre, ce prix est multiplié par trois, le résultat reste encore supportable. "Vu l'instabilité géopolitique actuelle et les incertitudes liées aux approvisionnements, l'argument est de poids. Même s'il pèse plus contre le gaz naturel, qui représente 80 % du prix du kilowattheure, que contre le charbon, où la proportion descend alors à 50 %.
Un kilogramme d'uranium naturel, aussi appelé "yellow cake", fournit autant d'énergie que 16t de charbon. À la suite d'un effort de prospection. les réserves de minerai d'uranium (Niger) ont été multipliées par sept. Malgré les phases d'extraction, de raffinage et d'enrichissement, le coût de l'uranium ne représente que 5 % du prix du kWh nucléaire.
Enfin, le nucléaire a pour lui sa formidable endurance : alors qu'au prix du marché, on pensait jusqu'ici que les réserves d'uranium extractibles se limitaient à 85 années de consommation actuelle, soit à peine de quoi rivaliser avec le gaz, une étude récente de l'Agence pour l'énergie nucléaire (AEN), se basant sur le renouveau mondial de la prospection, vient de multiplier ce chiffre par... 7 ! Une véritable fontaine d'abondance, d'autant mieux venue que se profilent à l'horizon 2020 des prototypes de centrales dits de "4è génération" : celles-ci s'annoncent capables non seulement de mieux recycler les déchets, mais d'extraire cinquante fois plus d'électricité de l'uranium disponible. Leur secret ? Elles reposent sur le principe des surgénérateurs, c'est-à-dire des réacteurs qui produisent plus de combustible qu'ils n'en consomment. Certes, l'échec retentissant de Super Phénix incite ici à la prudence ; mais même si ce round-là n'est pas gagné d'avance, l'énergie nucléaire, à la différence du charbon, peut rêver combattre pendant des millénaires si elle réussit le pari de la surgénération.
Dans ces conditions, on comprend que l'atome intéresse de plus en plus. À commencer par l'Asie, où malgré la montée en puissance du charbon, la tendance est à l'accélération du nucléaire. La Chine, qui a neuf tranches nucléaires en fonctionnement, s'est ainsi fixée pour objectif d'en construire une trentaine d'ici à 2020, pour atteindre 40 gigawatts (GW). Et l'Inde, qui dispose d'environ 2,5 mégawatts (MW), construit actuellement neuf tranches, visant les 20 GW en 2020. Côté Russie, on s'y met également : "Tous les chantiers gelés depuis Tchernobyl ont été relancés, note Bertrand Barré, et le gouvemement annonce la construction de deux réacteurs par an à partir de 2010". En Occident, le vent tourne également : certains (France, Finlande) construisent des centrales, d'autres (Pays-Bas, Slovénie...) les prolongent ou pensent sérieusement à relancer leur effort, comme au Royaume-Uni et même en Allemagne, malgré sa décision d'abandonner le nucléaire prise en 2000.

Si les déchets sont l'un des principaux inconvénients du nucléaire, le charbon n'est pas exempt de reproches. Question de concentration. Côté nucléaire, chaque Français, avec une électricité à 80 % nucléaire, génère, selon le CEA, 1 kg de déchets radioactifs par an, dont 10 g le sont hautement et le resteront... très longtemps : ainsi, la période radioactive (temps nécessaire pour qu'un échantillon perde la moitié de sa radioactivité) du plutonium 239 est de 24.000 ans ... Reste que le charbon, lui aussi, produit des déchets radioactifs. À l'état de traces, certes : selon une étude de l'US Geological Survey (le service de géologie officiel américain), la teneur moyenne en uranium du charbon américain serait de 1 à 4 parties par million (ppm), concentrée 10 fois dans les cendres issues de la combustion pour égaler alors celle du granit : pas de quoi s'inquiéter, donc, conclut l'USGS. Reste qu'il faut tenir compte des quantités gigantesques de charbon brûlé dans les centrales, objectent les pro-nucléaires.
Selon une étude prospective de l'Oak Ridge National Laboratory (un des principaux laboratoires de recherches sur l'atome), plus de 828 000 t d'uranium et plus de 2 millions de tonnes de thorium auront en tout été libérées via la combustion du charbon sur le siècle 1940-2040. Et personne ne peut prédire l'impact de ces émissions.  P.G.

UNE NUCLÉARISATION MASSIVE ?

Quant aux États-Unis, premier parc mondial avec 103 réacteurs, ils ont voté en 2005 une loi de relance accompagnée de mesures volontaristes pour lever les craintes des investisseurs : assurances prises en bonne partie en charge par l'Etat, aides fédérales pour ceux qui se lanceront les premiers, assumant les surcoûts des "têtes de série".
Ce "second souffle du nucléaire", dixit le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), est-il suffisant pour espérer tenir le ring face au charbon ? Philippe Pradel, directeur de l'énergie nucléaire du CEA, espère une nucléarisation massive de l'électricité à l'échelon mondial : "50 %, ce serait bien", risque-t-il, contre 16 % aujourd'hui. En bon entraîneur, il a déjà prévu sa stratégie de combat, recrutant au besoin des alliés : "Le problème numéro 1 du siècle à venir, c'est celui de l'énergie et du réchauffement climatique, énonce ainsi Philippe Pradel, Pour le résoudre, il faudra donc économiser l'énergie, mais aussi faire de l'électricité non-émettrice de CO2, c'est-à-dire avec un mélange nucléaire, hydraulique et énergies renouvelables : un "mix" qui, pour l'instant, n'est que celui de cinq pays au monde : France, Suisse, Suède, Norvège et Brésil. Mais une fois ce "mix" en place -ce qui prendra du temps- on pourra s'attaquer au domaine résiduel des énergies fossiles, comme les transports, en cherchant à y faire évoluer l'électricité, par exemple en développant le ferroutage ou les véhicules à hydrogène". Ce plan est-il infaillible ? Pas sûr, et en tout cas, pas partout. Tout dépend de deux paramètres : le prix du kWh issu de la houille et l'impératif de piégeage du CO2.
En Europe, où l'essentiel du charbon est importé, générant des frais de transport importants, l'électricité nucléaire est d'ores et déjà la moins chère et le restera d'autant plus que la Commission européenne affiche sa volonté d'imposer pour 2020 la capture du CO2 dans les centrales au charbon et au gaz, soit un surcoût de 25 à 30% sur le kWh (->). En revanche, et notamment chez ces énormes producteurs de houille que sont la Chine, l'Inde et les Etats-Unis, le charbon est meilleur marché sans piégeage du CO2. Or, rien ne prouve aujourd'hui à l'échelon mondial que cette contrainte sera acceptée, ni à quelle échéance.
À bien inspecter les gants du nucléaire, un arbitre constaterait de plus que la compétitivité économique de l'atome souffre d'un défaut de base : si l'uranium n'occupe qu'une place marginale dans le prix du kWh, cet avantage est contrebalancé par des investissements de départ bien supérieurs, en raison de la technicité demandée et, surtout, des deux gros handicaps récurrents du nucléaire.

SÉCURITÉ, DÉCHETS : LES LIMITES

La sécurité, d'abord : toute répétition d'un Tchernobyl, tout attentat terroriste contre une centrale (aucune n'est capable d'encaisser l'impact d'un avion de ligne...) serait un coup mortel pour l'atome, et les industriels le savent bien. Or, les équipements sophistiqués destinés à limiter les risques au maximum (enceintes et cuves de réacteurs renforcées, par exemple, sur la future centrale EPR française) coûtent forcément cher, sachant qu'une centrale nucléaire est déjà au moins 25 % plus coûteuse qu'une centrale à charbon performante, et 50 % plus cher qu'une centrale à gaz, avec des délais de construction plus longs : environ six ans pour le nucléaire contre quatre pour le charbon (et deux pour le gaz). Autant dire que pour certains pays, pris à la gorge par la montée de leurs besoins énergétiques, les énormes investissements liés au nucléaire rebutent. Le deuxième boulet au pied du nucléaire est, classiquement, celui des déchets et aussi du démantèlement, dont nul ne sait aujourd'hui prédire le coût réel. Certes, les installations de 4è génération devraient être plus "propres", mais pas avant 2040 ! Or, c'est avant cette date qu'il faudra décider des investissements à faire pour l'avenir énergétique.
Un double handicap qui rend le boxeur atomique aussi peu populaire chez les financiers qu'auprès du grand public. À l'heure où la construction d'une décharge d'ordures ménagères provoque des levées de boucliers, doubler le parc électronucléaire européen ne se fera pas dans la quiétude ! Pour aggraver encore les handicaps du nucléaire, ces gros effets dissuasifs s'accompagnent d'une série de défauts mineurs. Ainsi, la libéralisation de l'énergie encourage la disparition des sponsors publics comme EDF, suffisamment solides pour assumer le prix d'achat élevé et la durée de vie (quarante ans) d'un réacteur, et favorise indirectement le charbon.

UN PROBABLE "MIX" D'ÉNERGIES

Ce handicap pourrait être surmonté, par exemple en garantissant publiquement, comme le fait Washington, les investissements privés. Quel sera l'impact de ces encouragements ? Nul ne peut encore le prédire... Autre défaut, en particulier dans les pays du Sud : le manque de formation (le nucléaire requiert un personnel hautement qualifié) et la vétusté des infrastructures. "Il y a une taille minimum du réacteur pour que le nucléaire soit économique, souligne ici Bertrand Barré. On ne peut pas descendre en dessous de 1000 MW, et pour accueillir une telle puissance, il faut un grand réseau bien interconnecté". Impossible enfin de ne pas tenir compte des risques liés à la circulation (sans compter les risques de prolifération) de matières dangereuses dans un monde à la stabilité douteuse.
Au final, qui du charbon ou de l'atome va l'emporter ? En fait, une victoire à court terme par KO de l'un sur l'autre paraît hautement improbable. Plus vraisemblable reste un partage de l'arène entre les deux adversaires, en fonction de facteurs locaux (la France restera à coup sûr un bastion nucléaire, la Chine un bastion du charbon) et de paramètres politiques et techniques variés. L'action politique contre le réchauffement climatique sera aussi décisive : plus elle sera radicale, plus le nucléaire gagnera des points. Résoudre en revanche au plus tôt et à bas coût l'équation du "charbon sans CO2" assènerait un très rude coup à l'atome. Est-ce à dire que notre espèce est condamnée à errer entre risque climatique et risque nucléaire ? On peut espérer que non. Le flux d'énergie que le soleil envoie à notre planète représente approximativement 8000 fois la consommation actuelle de l'humanité. En capter un quart de millième - sous forme de vent, de courants, de vagues, de chaleur, de lumière - suffirait à satisfaire les besoins d'une humanité peuplée de la milliards d'individus. On peut également espérer que la science des matériaux finira un jour par permettre la maîtrise de la fusion, autre source d'énergie quasiment intarissable. Mais tout indique qu'il nous faudra au moins un siècle -celui qui s'ouvre- pour atteindre cet objectif. Un sacré défi !

L'Europe vise 20 % de CO2 émis en moins d'ici à 2020
La Commission européenne a présenté le 10 janvier 2007 son "paquet énergie", vision des orientations énergétiques de l'Union pour 2020, dont les législateurs européens discuteront au printemps. Son objectif : réduire les émissions de CO2 d'au moins 20 % à l'horizon 2020. Elle veut encourager les économies (20 % d'énergie primaire en moins en 2020), les renouvelables (20 % des fournitures totales en 2020) et, bien sûr, le charbon "propre" : c'est que l'Union tire un tiers de son électricité de la houille. La Commission souhaite donc que toutes les centrales neuves soient équipées de systèmes de capture à partir de 2020, tout en multipliant les expériences pour rendre ces technologies compétitives : 12 projets devraient être mis en route d'ici à 2015. Ces avancées ne règlent pourtant pas tout le problème. Et c'est là qu'intervient l'option nucléaire. Dire non au nucléaire reste une prérogative nationale, rappelle la Commission. Mais il faut alors, pour tenir les engagements communautaires, que tout abandon de l'atome soit compensé par la mise en place de sources d'énergie peu émettrices. Sauf que soleil, vent, gaz et charbon propre reviendront forcément cher. Le refus de l'atome risque donc d'être un choix coûteux, qu'il faudra assumer. Façon de placer Berlin, qui a voté la sortie du nucléaire en 2000 mais dont 50 % de l'électricité vient du charbon "sale", au pied d'un nouveau mur...  P.G.

Y.S. - SCIENCE & VIE > Mars > 2007

Nucléaire, une Énergie vraiment sûre ?

Avril 1986. L'Europe est sous le choc après l'explosion du réacteur n°4 de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Au cours des années 1990, le continent européen met un frein à sa course au nucléaire, interrompant de nombreux projets, se lançant même dans la reconversion de certains sites.

Une dizaine d'années plus tard, la pénurie de pétrole, le débat autour du réchauffement climatique et la question de l'indépendance énergétique changent la donne et poussent l'Europe à se relancer dans la maîtrise de l'atome, avec l'exigence de garantir le "risque zéro". La sûreté apparaît comme le mot d'ordre de ce nouvel élan. Pourtant, en juillet 2006, la centrale de Forsmark, au nord de Stockholm, est victime d'un court-circuit qui entraîne le blocage des instruments de contrôle. Le réacteur est en surchauffe. La situation rétablie, les "pilotes" réalisent qu'ils sont passés à sept minutes de la fusion du cour du réacteur, à sept minutes de la catastrophe.
"La sûreté des centrales nucléaires est-elle encore une priorité ?", c'est la question posée par Alain de Halleux dans R.A.S. Nucléaire. Rien à signaler. Le réalisateur est allé à la rencontre des hommes de l'industrie nucléaire, les "jumpers", ouvriers intérimaires sous-payés chargés de la maintenance des sites. Car, avec la privatisation du marché, le recours à des sous-traitants s'est généralisé. Il a recueilli leur témoignage sur la sécurité et la fiabilité de l'activité nucléaire en Europe et en France, où l'on compte pas moins de 58 réacteurs sur 18 sites. Une enquête fouillée sur un sujet sensible.

R.A.S. Nucléaire. Rien à Signaler - Arte > Mai > 2009
 

   
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