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Fusion Nucléaire

Si ça marche, ce sera dans très longtemps. Et ce n'est même pas sûr. Ce qui n'est pas une raison pour ne pas en parler (qu'il est dommage de manifester si peu d'intérêt pour le long terme ). Le chantier avance, à son rythme. Un chantier hors norme à bien des égards et autour duquel des pelleteuses s'agitent à Cadarache, dans le sud de la France. Le réacteur Iter qui y sortira de terre devra faire la démonstration qu'il est possible, en pratique (en théorie on le sait depuis 90 ans), de produire l'énergie par fusion. D'en produire plus qu'il ne faut en dépenser pour enclencher un processus de fusion entre atomes. Si tel était le cas, la perspective de disposer d'une énergie potentiellement illimitée et quasi non polluante deviendrait raisonnablement accessible. Et le problème numéro un auquel l'humanité se trouve désormais confrontée pourrait être réglé. Quand ? Pas tout de suite. Mais, à bien y réfléchir, bientôt : nous serons fixés avant l'épuisement des ressources en énergies fossiles...

SCIENCE & VIE > Mars > 2011

Fusion : l'Eau pourra-t-elle Remplacer le Pétrole ?

Fusion nucléaire : l'expression circule depuis 90 ans. Et pour cause : propre, illimitée et tirant de 1 l d'eau de mer l'équivalent de 300 l de pétrole, cette source d'énergie changerait la face du monde si elle était mise au point. Justement : à Cadarache, le réacteur Iter est en cours de construction. Sa mission ? Confronté le rêve à la réalité. Une étape décisive.

Voler dans les airs, marché sur la lune, cloner la vie et maintenant reproduire l'énergie du soleil sur terre ! Dans la liste des prodiges que l'homme, au fil des siècles, est parvenu à accomplir, la fusion nucléaire est assurée de figurer en bonne place... Lorsqu'elle sera réalisée. Car il ne s'agit pas là d'un rêve comme les autres. Que l'humanité parvienne à maîtriser l'énergie de la fusion nucléaire, et son avenir s'illuminera d'une nouvelle lumière : une seule bouteille d'eau fournissant dès lors autant de carburant que 300 l de pétrole, le monde ne connaîtra plus de problèmes d'approvisionnement en énergie ! Une lumière dans les premières lueurs commence à devenir visibles en France. Plus précisément à Cadarache, à côté d'Aix-en-Provence, là où un réacteur expérimental est en construction. Et avec lui le projet de maîtriser la fusion nucléaire dans l'histoire, les enjeux, l'ampleur et les difficultés techniques dépassent tout ce que la science a jamais connu. Pour bien comprendre, il faut revenir à l'énergie nucléaire. Concentrée au sein de la matière, dans le cour de tous les atomes de l'Univers, elle se présente à nous sous deux formes opposées. Tout le monde connaît le côté sombre de la force : c'est la fission, à la base des centrales nucléaires actuelles, dont la puissance surgit des noyaux atomiques lourds qui se brisent en émettant des neutrons, sources de très grande chaleur, convertible en électricité.
Mais développée dans un cadre toujours national, la fission souffre d'être une énergie sale, dangereuse et limitée. De fait, les réacteurs qui la produisent ne sont pas à l'abri d'un emballement pouvant dégénérer, comme à Tchernobyl ; elle engendre des déchets radioactifs dont on ne sait toujours pas trop quoi faire ; et l'uranium et le plutonium qui lui servent de combustible, outre qu'ils ne sont pas illimités, entrent dans la fabrication des bombes A - d'où le risque de prolifération nucléaire.
Versant lumineux de la même force, la fusion est tout l'inverse : son énergie surgit lorsque des noyaux atomiques légers s'assemblent en un atome plus lourd, libérant alors des particules ultra-énergétiques. Une réaction qui a tous lés avantages. Elle implique des atomes légers, en particulier les isotopes de l'hydrogène comme le deutérium, qui se trouve naturellement présent dans l'eau, en quantité presque infinie. Elle n'engendre quasiment aucun déchet dangereux, ni de risque de prolifération. Elle est tellement fragile qu'il est physiquement impossible qu'un réacteur à fusion s'emballe. Enfin, elle fait appel à une intense collaboration internationale.
En quatre mots - propre, sûre, pacifique et sans limite -, l'énergie de la fusion nucléaire offre la plus belle des promesses scientifiques jamais faite à l'humanité. Promesse qui tombe particulièrement à pic à l'heure où il devient évident que la consommation d'énergie mondiale va doubler ou tripler, voire quintupler d'ici à 2100, tandis que les énergies fossiles (pétrole, gaz, charbon) se feront de plus en plus rares et chères. De là à imaginer que la fusion serait la solution miracle...
Dès 1920, l'astrophysicien Arthur Eddington y songeait déjà. Avançant l'hypothèse que la faramineuse énergie du Soleil viendrait de réactions de fusion d'atomes d'hydrogène, il conclut, optimiste : "Il n'est pas interdit de rêver que l'homme, un jour, parvienne à l'utiliser à son profit". En 1934, éclairée par les lois de la mécanique quantique récemment découvertes, l'équipe du physicien Ernest Rutherford décèle pour la première fois deux réactions de fusion, au sein d'une cible de deutérium bombardée de particules. Et un an plus tard, le pas est franchi : Ernest Rutherford, Werner Heisenberg et Niels Bohr évoquent sans fard l'idée d'exploiter sur Terre ce feu des étoiles.
Plus facile à dire qu'à faire. Car la fusion de deux noyaux atomiques n'est possible qu'à la condition de vaincre la formidable barrière électrostatique qui les repousse l'un l'autre. Une barrière qui, dans le cas de fission, découverte en 1938, fut vaincue dans un réacteur en quatre ans seulement ! Rien de tel avec la fusion : mettre le Soleil en boîte est une tout autre affaire.

AU-DELÀ DES INTÉRÊTS NATIONAUX

Et pour cause : en 1957, le Britannique John Lawson a calculé qu'une fusion stable ne s'enclenche que si le produit de la température, de la densité et du temps de conservation de ces deux paramètres excède une certaine valeur. Au cour du Soleil, du fait des forces de gravités extrêmes qui compressent la matière, le critère de Lawson est aisément respecté. Mais, sur Terre, cela nécessite des développements aux limites des techniques humaines. Voilà sans doute une des raisons pour lesquelles, en 1958, Américains, Britanniques et Soviétiques décident de partager leurs techniques de fusion nucléaire jusqu'ici classées "secret défense". Avec un axe de recherche privilégié : celui du réacteur soviétique tokamak, conçu pour faire fusionner des noyaux de deutérium et de tritium en les faisant léviter entre 100 et 150 millions de degrés, soit dix fois la température au centre du Soleil ! Face à un tel défi, la quête devient mondiale : en 1985, Mikhaïl Gorbatchev et Ronald Reagan jettent les bases du projet international Iter (International Thermonuclear Experimental Reactor), celui-là même qui est, depuis quelques mois, en construction à Cadarache.
Certes, la promesse paraît encore lointaine : les plus optimistes annoncent au moins quarante ans d'attente. Certes, le défi scientifique reste hors norme : nul ne sait si les difficultés techniques seront surmontées. Certes, son avenir industriel est très loin d'être garanti. Mais quels que soient les obstacles et les doutes (ainsi que les coûts...), une certitude apparaît néanmoins incontournable : le rêve est actuellement en train de prendre forme.

V.N. et M.G. - SCIENCE & VIE > Mars > 2011

Les Défis Fous du Réacteur à Fusion

Pour devenir réalité, la fusion doit surmonter d'incroyables obstacles que le réacteur iter va être le premier à affronter. Un rôle décisif.

Hors norme : nul autre mot ne convient mieux au chantier qui a démarré à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Parce que c'est sur ce site que va se dresser la machine expérimentale Iter (International thermonuclear experimental reactor) destinée à reproduire sur Terre l'énergie du Soleil. Et parce que si les partenaires du projet se sont entendus en juillet dernier sur un calendrier et un financement, son coût s'est déjà envolé, passant de 5 à 15 milliards d'euros, ce qui repousse le démarrage de la machine en 2019, au lieu de 2016, et les toutes premières réactions de fusion nucléaire vers... 2027. Un délai sans équivalent.
Pour autant, ce nouveau scénario, dit "de référence", a enfin donné le feu vert aux grues et autres pelleteuses qui, depuis, ont commencé de poser les fondations du programme scientifique le plus cher, le plus complexe, le plus ambitieux et le plus long jamais conçu dans l'histoire... mais également celui qui porte à lui seulles principaux espoirs que l'humanité puisse un jour prochain profiter des fantastiques pronfesses énergétiques de la fusion nucléaire. Sur le papier, le principe d'Iter est pourtant relativement simple, fruit de 50 années de recherche sur la fusion. En résumé, il s'agit d'engendrer de puissants champs magnétiques autour de quelques grammes d'atomes de deutérium et de tritium afin de les forcer à fusionner. À mesure que la pression et la température augmentent, le gaz formé de ces isotopes de l'hydrogène se transforme en un plasma, un état (très instable) de la matière comparable à celui qui regne au cour du Soleil.

TOUS LES RECORDS BATTUS

Au sein de ce plasma s'enclenchent alors les réactions nucléaires qui dégagent une énergie considérable sous la forme d'émission de neutrons, dont une partie est exploitée pour alimenter la stabilité du plasma et l'autre récupérable sous forme de chaleur, puis d'électricité, via un circuit d'eau semblable à ceux des centrales électriques actuelles. Sauf que les plans d'Iter ne prévoient aucun circuit d'eau. C'est que la machine n'est pas conçue pour produire dans la durée l'énergie de la fusion : il s'agit d'expérimenter les conditions dans lesquelles une telle exploitation industrielle pourrait un jour devenir possible. Ainsi le cahier des charges d'Iter prévoit-il de produire 500 mégawatts (MW) de puissance de fusion pendant seulement 6 minutes 40 secondes, à partir de 50 MW de puissance fournie. Alors que les spécialistes estiment qu'une filière industrielle de fusion par confinement magnétique ne serait viable qu'avec un rendement au moins cinq fois supérieur, tenu 24 h/24 et cela durant des mois ! On l'aura compris, la machine de Cadarache représente encore l'une des premières marches d'un escalier monumental.
Et quelle marche ! Il faut ici concevoir un mastodonte battant tous les records, depuis ses aimants pesant chacun autant qu'un Boeing 747 jusqu'aux 34 pays aux finances parfois fragiles présidant à sa destinée - soit plus que pour la Station spatiale internationale ! Tout cela, donc, pour obtenir... une ébauche de feu vert : "Iter représente une expérience de physique sur la stabilité des plasmas, un outil de recherche qui doit permettre d'entrevoir la possible plage de fonctionnement d'un futur réacteur", énonce Gabriel Marbach, chef de l'Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique (CEA). Sachant qu'à la suite d'Iter, il est prévu qu'un autre réacteur expérimental, baptisé DEMO, fonctionne à partir de 2033 au Japon. Avant qu'un prototype monstrueux, dit PROTO, ne prenne le relais... et, dans la foulée, trace la route aux premiers réacteurs à fusion industriels, ouvrant, si tout va bien, l'ère tant promise de l'énergie nucléaire propre et illimitée.

LE FRUIT DE 50 ANS D'EFFORTS

Historiquement, Iter vient de loin : la fusion par confinement magnétique a officiellement démarré en 1958, lorsque les trois puissances nucléaires que sont les États-Unis, l'URSS et la Grande-Bretagne décident de tenir une première conférence internationale sur le sujet, à Genève. Durant deux décennies, moult architectures sont proposées pour parvenir à confiner un plasma aussi turbulent que brûlant : des réacteurs en forme de cigare, de berlingot, de bretzel sont envisagés... Finalement, c'est le principe de machines circulaires qui va s'imposer. Avec deux concepts rivaux. D'un côté, le stellarateur, un réacteur dans lequel le confinement du plasma est réalisé par des champs magnétiques extérieurs, ce qui impose toutefois d'adopter des configurations hélicoïdales très complexes. De l'autre côté, le tokamak, un appareil imaginé par les physiciens soviétiques Andreï Sakharov et Igor Tamm, dont la forme torique - un gros anneau creux - est plus simple, mais l'équilibre plus fragile aussi : le champ magnétique engendré par le plasma est ici censé contribuer à sa propre stabilité.
Si les stellarateurs sont aujourd'hui toujours développés, ce sont les tokamaks qui se sont imposés. Surtout depuis 1968, date à laquelle le tokamak T3 parvient à stabiliser pendant quelques millisecondes un plasma chauffé à 10 millions de degrés, soit la température qui règne au cour du Soleil ! Une performance extraordinaire, mais encore bien insuffisante.

CONDAMNÉ AU GIGANTISME

De fait, selon le critère de Lawson, les réactions de fusion dans un plasma de deutérium et de tritium exigent de maintenir plusieurs secondes au moins une température de 100 à 150 millions de degrés ! Pas si simple quand le record détenu à ce jour par un tokamak est la production de 16 MW de puissance de fusion pendant... 2 secondes ! Une performance obtenue au JET, en Grande-Bretagne ; en novembre 1997... et pour laquelle il a tout de même fallu fournir 25 MW de puissance pour chauffer le plasma... Actuellement, c'est un autre tokamak, le Tore Supra, à Cadarache, qui détient depuis décembre 2003 le record de maintien d'un plasma à haute température (sans fusion) : 6 minutes 30 secondes. Un peu court. Il n'empêche ! "En vingt ans, l'énergie produite dans un tokamak a été multipliée par 1000 et notre capacité à confiner le plasma par 100", s'enthousiasme Derek Stork, chercheur au Culham Centre for Fusion Energy. Encourageant, quand le chemin qui reste à accomplir semble interminable. D'abord parce que les progrès dans la maîtrise de la fusion sont liés à la taille croissante des machines ; cette quête condamne donc les ingénieurs au gigantisme. Ensuite, parce que de nombreux obstacles théoriques et techniques, plus vertigineux les uns que les autres, doivent encore être franchis avant d'espérer voir sa salle de bain chauffée à l'hydrogène fusionné...
En premier lieu, il appartient à Iter de tester la stabilité du plasma. Une gageure : trouver le bon équilibre pour cet anneau de Soleil tourmenté par des phénomènes non linéaires à toutes les échelles mobilise actuellement des centaines de chercheurs à travers le monde. Mais pour Jacques Treiner, physicien à Paris-VI et auteur de plusieurs tribunes demandant l'arrêt d'Iter, "la question la plus urgente n'est pas la stabilité du plasma, mais la résistance sur la durée des matériaux de l'enceinte ! Et si l'on ne trouve pas de réponse, lter n'aura servi strictement à rien..." De là le projet d'un accélérateur à neutrons baptisé IFMIF (International Fusion Materials Irradiation Facility) : prévu pour être construit au Japon vers 2018, il sera spécifiquement conçu pour tester la résistance des matériaux tapissant l'intérieur des futurs réacteurs nucléaires à fusion. Et ce n'est pas tout ! Car si les atomes de deutérium se trouvent en grande quantité dans l'eau de mer, les atomes de tritium n'existent quasiment pas à l'état naturel sur Terre. Pour les ingénieurs, il s'agit donc de trouver le moyen d'en produire directement au cour des futurs réacteurs.
Ces obstacles surmontés, restera un problème de taille : le pilotage et la maintenance des réacteurs à fusion s'annoncent autrement plus épineux que dans les centrales nucléaires classiques. De fait, entre flux de neutrons empêchant d'utiliser des caméras dans la chambre à fusion et matériaux de l'enceinte radioactifs, sans oublier, prévient Laurent Gargiulo, spécialiste de la maintenance à Cadarache, "qu'il subsiste pour les besoins de la fusion un vide très poussé qu'on ne peut guère interrompre car il faut des semaines pour le reconstituer", tout apparaît problématique. Et ne laisse d'autre choix que de recourir à des robots. Ainsi, des prototypes d'automates ont été construits, dont, au CEA, un bras articulé long de 8 m susceptible de se faufiler dans le tore comme un serpent afin de localiser une fuite.

LA VOLONTÉ D'Y CROIRE

Ultime défi : celui du remplacement des composants. Ce qui semble inévitable tant les matériaux vont souffrir sous l'assaut des neutrons ou du plasma brûlant. Dans le cas d'Iter, il faudrait déjà remplacer le "cendrier" constitué de 54 éléments de 12 t chacun... À la clé, d'innombrables opérations à distance de découpe, de raccordements, de soudures précises... Pendant ce temps-là, on ne produit pas d'électricité. "L'objectif assigné aux roboticiens est d'achever ce renouvellement en 6 mois, une fois tous les 5 ans environ", annonce Yann Perrot, directeur du Laboratoire de robotique du CEA. Face à ces défis herculéens, les experts sont partagés. Alors que les pelleteuses labourent une petite parcelle du sud de la France, certains physiciens, et non des moindres, doutent de la réussite et de la pertinence de ce chantier colossal. Le projet de la fusion débuté il y a plus de 50 ans et dont on ne voit toujours pas la fin n'est-il pas hors de notre portée ? Ce réacteur révolutionnaire est-il seulement fabricable ? Et s'il l'est, sera-t-il exploitable ? Le débat excite les passions. Mais le seul fait qu'Iter soit lancé affirme en tout cas la volonté de croire que la fusion nucléaire n'est pas seulement un rêve qui serait voué à le demeurer.

1/ LE DÉFI FOU DE... LA STABILISATION DU PLASMA

Sur la route de la fusion nucléaire contrôlée pour produire de l'électricité, la stabilité du plasma est le premier des défis, qui conditionne l'avenir de la filière.

Le plasma ? Il s'agit d'un état très particulier de la matière - ni solide, ni liquide, ni gaz - qui se manifeste à très hautes températures sous la forme d'une soupe d'électrons et de noyaux atomiques. Dans un réacteur à fusion, il s'agit de chauffer un gaz de deutérium et de tritium jusqu'à plus de 150 millions de degrés, soit 10 fois la température du cour du Soleil ! Il faut ensuite confiner ce plasma afin qu'il ne se dissipe pas, à l'aide d'un puissant champ magnétique, enceinte aussi hermétique qu'immatérielle. Seulement voilà : contrairement à un réacteur à fission, qui peut s'emballer, un plasma de fusion souffre du défaut inverse : à la moindre perturbation, il s'éteint ! Et le réacteur de s'arrêter tout net. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'un plasma lutte contre le champ magnétique qui le confine. Et ce conflit permanent le rend aussi instable qu'une bicyclette en équilibre sur un fil... Ainsi le défi est-il, non de créer (on sait le faire), mais de stabiliser dans la durée le plasma afin de pouvoir produire de l'électricité en continu. Sachant que "les instabilités susceptibles de déstabiliser un plasma sont légion et se produisent à toutes les échelles, depuis celle du plasma tout entier jusqu'à l'échelle des particules", détaille Gérard Bonhomme, de l'Institut Jean-Lamour, à Nancy.
Le problème des ELMs - Pascale Hennequin, du Laboratoire de physique des plasmas à l'Ecole polytechnique, à Palaiseau, complète : "Dans un plasma, on peut observer l'équivalent de toutes les instabilités qui se manifestent à la surface du Soleil : rouleaux, tourbillons, arches, éruptions"... Parmi les instabilités de grande échelle, les spécialistes redoutent tout particulièrement ce qu'ils appellent des "modes localisés de bord", ou ELMs. Soit des sortes de bouffées d'énergie qu'éjecte le plasma lorsqu'il est trop comprimé et qui sont susceptibles d'endommager les installations. Xavier Garbet, au CEA, à Cadarache, tempère : "II existe plusieurs façons de maîtriser ces instabilités, par exemple en jouant sur la forme du champ magnétique de confinement. Dans le cas d'Iter, nous n'avons pas d'inquiétude majeure à leur sujet. Néanmoins, peut-être obligeront-elles à revoir à la baisse le rendement énergétique prévu". Une autre inconnue est susceptible de perturber le plasma aux petites échelles. Dans tous les réacteurs à fusion actuellement en service, le plasma reçoit l'énergie nécessaire à son maintien de sources extérieures. À l'inverse, Iter se veut le premier réacteur dont le plasma s'auto-entretient. C'est-à-dire dont la température est maintenue grâce aux collisions qui se produisent en son sein entre, d'une part, les noyaux de deutérium et de tritium, et, d'autre part, les noyaux d'hélium (aussi appelés particules alpha) issus de la fusion des deux premiers. Quels seront les effets de ces échanges thermiques sur la stabilité du plasma ? Les scientifiques s'interrogent. Ainsi, pour Gabriel Marbach, chef de l'Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique du CEA, à Cadarache, "les alphas sont aujourd'hui le point d'interrogation principal quant à la stabilité du plasma". Sans compter que ces particules alpha pourraient être rejetées sur les bords du plasma, perturbant leur participation à la stabilité de l'ensemble. "La question de la circulation des alphas dans le plasma est un gros sujet, admet Gérard Bonhomme. D'autant qu'à l'inverse, il s'agit également d'être capable de les extraire du plasma une fois leur énergie cédée, sous peine d'étouffer le milieu réactionnel". De fait, le maintien de l'équilibre précaire d'un plasma dépend du bon contrôle de sa température et de sa densité. "La question de savoir comment cela se passera dans un plasma chauffé de l'intérieur est ouverte", reconnaît le physicien.
On parie sur un succès - Face à toutes ces incertitudes, Gabriel Marbach se veut optimiste : "Je pense que l'on trouvera une fenêtre de stabilité, mais elle pourrait être très étroite". Pour sa part, Pascale Hennequin rappelle que "la probabilité, c'est que cela marche, sinon on ne construirait pas Iter"... Et voilà bien l'enjeu de l'installation pilote de Cadarache (Iter) : elle doit apporter les réponses permettant de définir dans quelles conditions la stabilité du plasma peut être contrôlée sur des temps industriels. L'avenir de la fusion en dépend. M.G.

2/ LE DÉFI FOU DE... LA RÉSISTANCE DES MATÉRIAUX

Température dix fois supérieure à celle du Soleil, bombardement de particules à des flux d'énergie records... Dans un réacteur à fusion, c'est peu dire que les màtériaux sont soumis à rude épreuve.

Et pour Paul-Henri Rebut, spécialiste mondial de ces réacteurs aujourd'hui à la retraite et artisan de la première version d'Iter, "la question des matériaux est même l'une des clés de la fusion contrôlée". À commencer par celle des matériaux dits "face au plasma", qui tapissent la chambre à plasma. Dans les réacteurs expérimentaux, ces "tuiles" sont généralement en carbone. Sauf que celui-ci s'érode facilement et des particules sont alors mises en suspension dans le plasma. Ainsi, comme l'indique sans détour Gabriel Marbach, chef de l'Institut de recherche sur la fusion par confinement magnétique du CEA, à Cadarache, "cela ne peut être en aucun cas une solution industrielle". La chambre d'Iter sera ainsi tapissée de tuiles de béryllium, métal qui ne crée pas de composés avec les éléments du plasma... mais qui est bien plus onéreux que le carbone. Et l'oxyde de béryllium est toxique, ce qui obligera à manipuler les tuiles d'Iter sous atmosphère confinée. Et puis, sous les assauts du plasma, ce métal alcalino-terreux souffre d'un léger phénomène d'érosion... "Il sera donc à la source d'une chimie de surface avec l'ensemble des matériaux de la chambre, indique Bernard Pégourié, au CEA à Cadarache. Chimie dont il conviendra de s'assurer qu'elle n'est pas dommageable pour ces derniers".
Hélium parasite - Autre pièce clé d'un futur réacteur à fusion : le diverteur. Soit un élément de 648 tonnes situé dans la partie basse de la chambre et dont le rôle est de recueillir les "cendres" du plasma, notamment les noyaux d'hélium une fois qu'ils ont cédé leur énergie. Cet élément recevra 10 mégawatts (MW) de puissance par mètre carré (contre 1 MW pour le reste de la chambre), soit trois fois plus que le ventre de la navette spatiale lors de sa rentrée dans l'atmosphère. Ainsi, pas question d'équiper Iter d'un diverteur en carbone : les spécialistes ont opté pour une pièce en tungstène. Plus résistant, ce matériau nécessitera toutefois un bien meilleur contrôle du bord du plasma, afin de limiter au maximum son érosion. Et il faudra probablement changer le diverteur durant la durée de l'exploitation d'Iter, une opération qui pourrait prendre jusqu'à... six mois. Il y a donc peu de chances qu'un diverteur en tungstène représente, à terme, une solution industrielle viable. Au point que plusieurs concepts futuristes sont actuellement dans les cartons pour l'après-Iter. Comme, par exemple, un diverteur façonné dans un matériau poreux dans lequel circulerait du lithium liquide, (2 une façon de contrer l'érosion en renouvelant le matériau en continu. En fait, la même inconnue plane sur les matériaux de structure d'un futur réacteur industriel. En effet, et c'est d'ailleurs son objectif, la réaction de fusion produit des neutrons d'une énergie considérable : de l'ordre de 14 mégaélectronvolts (MeV), contre 1 ou 2 MeV dans le cas d'une réaction de fission. Or, à ce niveau d'énergie inédit, les neutrons ne se contentent pas de provoquer des déplacements atomiques dans les matériaux de structure ; ils sont également à la source de réactions de fission productrices d'hélium au sein de ces matériaux. Et cet hélium parasite se concentre sous la forme de microbulles susceptibles d'endommager le matériau. Dont les processus physicochimiques n'ont encore jamais été étudiés grandeur nature, faute de source de neutrons suffisamment énergétiques.
Rien d'infranchissable - "Très concrètement, les conséquences de ce bombardement neutronique demeurent inconnues", résume Gabriel Marbach. D'où le lancement d'un programme baptisé IFMIF (International Fusion Materials Irradiation Facility), qui prévoit la mise en place, d'ici à 2018, d'un accélérateur de particules délivrant des neutrons de 14 MeV, afin d'y tester divers matériaux. Dans le cas d'Iter, relativement peu de neutrons seront in fine produits. Et une structure en acier inoxydable a été retenue. Mais le développement et la sélection des matériaux pour ses successeurs restent un sujet aussi ouvert qu'épineux. "Pour le futur DEMO, il apparaît que l'Eurofer, un alliage contenant du chrome et du tungstène, a donné de bons résultats lors de tests préliminaires, même si nous ignorons encore sa tenue à long terme face oux neutrons très énergétiques", souligne Gabriel Marbach. Pour Pascal Yvon, spécialiste des dommages neutroniques au CEA, "la fragilisation causée par la croissance de bulles d'hélium dans ces proportions est une problématique nouvelle. Mais sur la base des simulations que nous réalisons, nous n'avons pas identifié de verrous infranchissables". Et d'ajouter, optimiste : "Nous ne sommes certes pas au bout de nos peines, mais nous avons des idées, des pistes et des résultats prometteurs". Autrement dit, la recherche avance et le défi des matériaux semble avoir des chances réelles d'être relevé. M.G.

3/ LE DÉFI FOU DE... LA PRODUCTION DE COMBUSTIBLE

Grâce à la fusion, 1 litre d'eau promet de faire autant de miracles énergétiques que 1 tonne de charbon !

Une promesse nullement en l'air : la réaction de fusion implique un atome de deutérium (2H) et cet isotope de l'hydrogène s'extrait aisément de l'eau de mer. D'où plusieurs millions d'années de réserve en perspective sur notre bonne vieille "planète bleue" ! Oui, mais le deutérium ne représente que la moitié de la réaction de fusion : celle-ci étant le fruit de la rencontre entre deux atomes, il s'agit donc de faire fusionner un atome de deutérium avec un autre atome. Quel atome ? L'idéal serait évidemment un autre atome de deutérium. Mais il se trouve que la réaction de fusion s'enclenche alors très difficilement, au point que les chercheurs n'imaginent pas pouvoir la mettre en ouvre avant très longtemps - s'ils y arrivent jamais... C'est ainsi que les physiciens ont finalement arrêté leur choix sur l'atome de tritium (3H) : parce que cet autre isotope de l'hydrogène (mais radioactif, lui) fusionne aisément avec l'atome de deutérium, ce qui soulage d'autant le travail, déjà très complexe, du réacteur à fusion. Mais... contrairement au deutérium, le tritium est rarissime.
150 kg de tritium par an - Qu'on en juge : sur Terre, la présence de tritium naturel est estimée à... 3 ou 4 kg seulement ! Qui plus est, cet élément se trouve dans la haute atmosphère, sous forme de gaz. Certes, un type très particulier de réacteurs nucléaires de technologie canadienne (CANDU) a la bonne idée de produire du tritium... comme déchet. Mais ce stock industriel n'excède pas, actuellement, 20 kg. Dès lors, comment espérer faire fonctionner ne serait-ce qu'un seul réacteur à fusion, sachant qu'il réclamerait chaque année quelque 150 kg de tritium ? Eh bien, il existerait une astuce. Comme l'explique Luciano Giancarli, chargé de la question sur le projet Iter, "le réacteur du futur devrait pouvoir générer lui-même le tritium dont il a besoin. Car lorsqu'ils rencontrent du lithium, les neutrons ultra-énergétiques issus de la fusion produisent du tritium (et aussi de l'hélium) ! Lequel serait ensuite réinjecté"... Plusieurs options sont déjà à l'étude, comme celle d'insérer dans les murs du cour du réacteur une tranche de 70 centimètres d'un alliage liquide lithium-plomb, qui doit être renouvelé. Or, trouver 300 kg de lithium frais par an pour chaque réacteur ne semble pas du tout insurmontable. Le hic, s'inquiète Gabriel Marbach, "c'est que ce système devra cohabiter avec beaucoup d'autres dispositifs complexes déjà prévus dans l'enceinte, comme le réseau de fluide caloporteur convertissant la chaleur de la fusion en énergie". Sans oublier les nombreux appareils de rétention du tritium, car c'est un élément radioactif dangereux, difficile à maîtriser et extraordinairement mobile. Or, l'ensemble devra fonctionner sans accroc dans un espace restreint, à la géométrie singulière, et dans des conditions thermiques et neutroniques dantesques.
Faisabilité à démontrer - Ce défi n'est pas mince : "Nous faisons face à une multitude d'objectifs contradictoires, sachant qu'il faudra produire un peu plus de tritium que l'on n'en consommera afin d'être en mesure, ensuite, de démarrer les réacteurs suivants", relève Luciano Giancarli. À ce stade, les modélisations numériques se montrent plutôt rassurantes. Mais la faisabilité concrète reste encore à démontrer, et six maquettes de mur d'enceinte seront confrontées à la dure réalité sur Iter. Autant de résultats attendus avec anxiété dans les années 2030... V.N.

V.N. et M.G. - SCIENCE & VIE > Mars > 2011

L'Histoire Ne Fait Que Commencer

Trop Compliquée, trop incertaine : la fusion fait débat. Mais pas au point d'y renoncer. Surtout que de nouveaux projets émergent...

Dans les couloirs des labos de physique, cela fait longtemps que les plaisanteries fusent. "La fusion est l'énergie du futur... et il en sera toujours ainsi ! " Ou encore : "Le nombre d'années qui nous sépare de l'énergie de fusion représente une nouvelle constante de la physique". Guy Laval, de l'Académie des sciences, auteur d'une histoire de la fusion nucléaire, en sourit : "Il faut bien reconnaître une part de vérité dans ces sarcasmes". De fait, voilà 50 ans que les physiciens des plasmas promettent à l'humanité l'arrivée de la fusion nucléaire, sans que sour Anne ne voit jamais rien venir...

DES DÉLAIS FORCÉMENT LONGS

Mais voici qu'en 2011, la date de naissance de cette mirifique source d'électricité paraît plus crédible : l'agence internationale qui chapeaute Iter avance une mise en exploitation du réacteur vers 2060... Quand bien même "les multiples et immenses murs techniques à franchir empêchent toute prévisibilité", prévient Vincent Bontems, philosophe des sciences au CEA. Avant d'ajouter : "Il faudrait plutôt voir cela comme un horizon historique, lequel, comme tout horizon, semble se déplacer en même temps que nous". Une si longue attente a pourtant de quoi étonner si l'on songe que la fission nucléaire fut domestiquée quatre ans seulement après la découverte du phénomène, en 1938. Or, alors que son principe a été proposé vingt ans avant la fission, la fusion, elle, résiste encore à tous les assauts. "Au début, les physiciens étaient persuadés que l'affaire serait vite réglée", raconte Guy Laval. Pour les pionniers, "la fusion serait même prête le jour où la société en aurait besoin". Autrement dit, il suffirait juste d'une mobilisation générale de la société pour y parvenir ! Le doute est permis, selon Guy Laval : "Même en y consacrant des sommes colossales, à la manière d'un programme Apollo qui serait dédié à la fusion, la construction d'un tokamak et la domestication d'un plasma demandent immanquablement des décennies". Gageons cependant que la conquête lunaire ne devait pas sembler beaucoup plus évidente aux ingénieurs de la Nasa le 25 mai 1961, à l'heure du fameux discours de Kennedy...
Et puis, rien ne dit que le réacteur de fusion du futur devra passer l'épreuve du tokamak ! Car d'autres solutions sortent aujourd'hui de l'ombre, à la faveur de la mise en place d'expériences spectaculaires issues de projets militaires, comme la fascinante Z Machine des laboratoires Sandia (Nouveau-Mexique), conçue pour éprouver la résistance des têtes nucléaires, ou la technique de fusion par laser, actuellement mise au point en Californie, et en France, près de Bordeaux, et développée au départ pour simuler des essais nucléaires (voir infographies).
Quel que soit le procédé, il faut cependant reconnaître què les défis à surmonter restent vertigineux. Certains signes ne trompent pas : le budget d'Iter a récemment triplé, passant de 5 à 15 milliards d'euros environ. Le phénomène est bien connu des spécialistes des "mégaprojets". Ils parlent d'ailleurs entre eux de "facteur Pi" (3,1415...) pour désigner le triplement du budget affiché initialement. Michel Trépanier, sociologue des sciences à l'Institut national de la recherche scientifique (Montréal), ne voit dans le cas d'Iter rien que du très classique : "Durant le très long processus planification/approbation/conception, le prix des matières premières a pu flamber, des développements s'avérer plus compliqués que prévu et de nouveaux problèmes surgir". Sans compter, remarque Michel Spiro, directeur du Cern, que "contrairement au Cern qui bénéficie de 40 ans de travail en commun entre chercheurs de différentes nationalités, l'amalgame reste à trouver sur Iter".
Au point que certains remettent en question le chantier et l'utilisation de si gros moyens pour un résultat si distant et incertain. Les défenseurs du projet ont beau faire valoir, tel Derek Stork, que "son coût total ne vaut que le budget annuel d'une compagnie pétrolière comme Exxon Mobil", nombre d'universitaires - y compris quelques prix Nobel comme les défunts Georges Charpak et Pierre-Gilles de Gennes - se sont publiquement inquiétés d'une menace sur les crédits d'autres secteurs de recherche qu'ils jugent plus urgents. Pis : dans sa version actuelle, Iter ne trouve même pas grâce aux yeux de l'un de ses premiers architectes, le Frariçais Paul-Henri Rebut : "Le projet a dû être revu à la baisse, en 1998, pour des raisons d'économies. Or, chercher à faire plus petit est ici une erreur, car cela revient à s'approcher des limites de stabilité du système, et donc réduire ses chances de réussite". Aujourd'hui à la retraite, l'ingénieur ne cache pas son scepticisme sur l'avenir de la filière : "Il n'est pas certain que la fusion devienne un jour une source industrielle d'électricité. Et si c'est le cas, je ne crois pas que cela se fera au cours de ce siècle". Le propos, tenu par l'un des plus brillants concepteurs de tokamaks, détonne au regard du calendrier officiel et des espoirs annoncés... Pour lui, "il serait plus pertinent, dans l'immédiat, de travailler à une centrale hybride fusion-fission plus rapide à mettre en ouvre. Les Chinois m'ont d'ailleurs sollicité pour explorer cette solution" (voir encadré). Evincée par la grande porte, la fusion reviendrait alors par la fenêtre...
À première vue, les atouts de la fusion paraissent pourtant imparables, elle qui promet d'être sûre (si le plasma est correctement contenu), propre (si l'on parvient à réduire la durée de radioactivité des matériaux de l'enceinte à moins de 100 ans), illimitée (si l'on réussit à produire assez de tritium). Dans le contexte énergétique extrêmement tendu qui se profile à l'horizon 2050, la fusion ne sera-t-elle pas finalement irrésistible ? Pour le dire pompeusement, la fusion aurait en fait une obligation de réussite afin de sauver le monde. "Pas si sûr !, plaide Pierre Zaleski, concepteur du premier prototype de réacteur à neutrons rapides français, ancêtre de Super Phénix. Car la fusion devra compter avec la prochaine génération de réacteurs à fission, planifiée vers 2040, sur le modèle des surgénérateurs : lesquels seront plus sûrs, plus sobres et produiront très peu de déchets". De quoi contester les avantages de la fusion... Et inciter les industriels à y réfléchir à deux fois avant d'opter pour elle. Quand bien même une flopée d'études de prospective économique - menées, toutefois, par des instituts impliqués dans la recherche sur la fusion... - prévoient des coûts d'électricité issue de la fusion très compétitifs.
Reste que dans ce genre de grande épopée technique, il y a un cap terrifiant à franchir : "On appelle cette phase 'la mort subite', expose Vincent Bontems. Alors qu'au prix de mille efforts, une tête de série a enfin pu être construite, il apparaît que cet objet n'est pas industrialisable ! La raison peut être technique, sociale ou... politique, à l'image du Concorde qui n'eut pas accès à l'espace aérien américain". Trop cher, trop hasardeux, trop lointain, mal fagoté, voire hors sujet... Les accusations sont violentes, mais, au vrai, la fusion apparaît un projet bien trop attractif pour l'abandonner. Michel Trépanier a remarqué que "depuis 50 ans, les chercheurs en fusion sont toujours parvenus à obtenir des financements substantiels". Et pour cause, continue le chercheur, "avec leur promesse de livrer une énergie définitive, ils ont su trouver des relais privilégiés chez plusieurs générations d'hommes politiques". La poursuite des recherches ne fait donc guère de doute. Gabriel Marbach, du CEA, à Cadarache, ajoute un argument décisif : "l'intérêt de la fusion réside dans la disponibilité de son combustible, qui va bien au-delà des réserves d'uranium. Tout en étant mieux réparties sur Terre ! Aussi, pour des raisons géostratégiques, il est important de ne pas fermer la porte à cette source potentielle d'énergie".
Et puis, comme l'espère Guy Laval, "tout comme nous avons rencontré des difficultés inattendues dans cette quête, de bonnes surprises peuvent surgir..." D'autant plus que pour Vincent Bontems, "malgré toutes les incertitudes, il n'y a aucun doute pour la communauté scientifique du nucléaire : la fusion doit faire partie de notre avenir. Non seulement au regard de l'enjeu énergétique, mais parce que la fusion - propre et sûre - est un véritable acte de rédemption par rapport aux technologies nucléaires antérieures à fission, dangereuse et productrice de déchets". Iter serait ainsi le début du prix à payer pour ce rachat. Une autre raison de croire que les recherches sur la fusion vont continuer... peut-être jusqu'à tenir leurs promesses.

V.N. et M.G. - SCIENCE & VIE > Mars > 2011
 

   
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