Sombre horizon 2100 : plus une goutte de pétrole à brûler, alors que la consommation mondiale d'énergie devrait quadrupler... Retour à l'âge des cavernes en vue pour l'humanité ? Pas si les scientifiques parviennent à tirer profit du principe d'équivalence entre matière et énergie édicté par Einstein. Sa célèbre formule E=mc² implique en effet que la rencontre d'un gramme d'antimatière avec un gramme de matière libérerait 90.000 milliards de joules, là où la combustion d'un gramme de bois par Cro-Magnon produisait à peine 18.000 joules. Autant dire de l'énergie illimitée. Hélas, si de l'antimatière est bien créée de nos jours dans les accélérateurs de particules, il ne s'agit que de quelques nanogrammes, tandis que le rendement de la réaction n'est que de 1 pour 1 milliard. Fin du rêve ? Non ! Car de la matière bien plus ordinaire se révèle capable de fournir des quantités d'énergie tout aussi faramineuses... à condition de reproduire sur Terre ce que fait le Soleil : la fusion des atomes d'hydrogène. Particularité de cette réaction nucléaire, le produit final pèse moins lourd que les ingrédients de départ. La différence de masse étant libérée sous forme d'énergie : 340 milliards de joules pour la fusion d'un gramme d'un mélange de deutérium et de tritium, deux isotopes de l'hydrogène. Un Soleil Miniature Or, ces "combustibles" sont abondants sur Terre, le premier dans l'eau de mer, le second pouvant être produit à partir de lithium. Mais encore faut-il domestiquer un soleil miniature dans un réacteur nucléaire... Une quête a priori hors d'atteinte, car forcer ces noyaux chargés positivement à s'unir requiert des températures supérieures à 100 millions de degrés pour passer outre la répulsion électromagnétique ! Ardu, certes, mais plus impensable, répondent les physiciens, après cinquante ans d'efforts et d'ingéniosité, visant à confiner un plasma d'hydrogène de basse densité à très haute température dans un champ magnétique. Une tentative couronnée par plusieurs succès d'étapes au cours de la décennie passée : obtention de la réaction de fusion, et production de plusieurs mégawatts d'énergie.
Faisons un pas de 30 ans dans le futur. Alors que le souvenir de ces doctes célébrations n'en finit plus de s'évaporer, la physique de 2005 n'a pas quitté l'affiche, Iter est là. La construction du réacteur thermonucléaire expérimental international s'est étalée sur une dizaine d'années, depuis la décision prise le 28 juin 2005 de le construire sur le sol français, à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône. Elle a coûté 4,6 milliards d'euros, et vécu sur le rêve d'offrir à l'humanité des centaines d'années d'abondance énergétique sans nuisance pour l'environnement. Le chantier achevé, les équipes de recherche internationales ont appris à régler la machine, à comprendre son fonctionnement comment allumer un plasma thermonucléaire, comment l'alimenter en deutérium et tritium - deux isotopes de l'hydrogène -, comment chauffer ce mélange, stabiliser sa géométrie dans une enceinte magnétique, et comment protéger cette enceinte des particules émises lors de la réaction de fusion. Chercheurs et ingénieurs ont même réussi à entretenir la fusion nucléaire pendant plusieurs centaines de secondes. Les physiciens ont fait de grandes avancées théoriques. Coût des expériences nécessaires : 4,8 milliards d'euros. À présent, il s'agit de construire un démonstrateur industriel une machine plus fiable, capable de produire, en continu, autant de chaleur qu'une tranche de centrale nucléaire actuelle, de régénérer son combustible et de ne dégager qu'un gaz inoffensif, l'hélium.
Tore Supra est le seul tokamak français en activité après l'arrêt du TFR (Tokamak de Fontenay-aux-Roses) et de Petula (à Grenoble). Son nom est dérivé de Tore et supraconducteur, car Tore Supra est le seul parmi les grands tokamaks à disposer de bobines (aimants) supraconductrices, permettant de générer un champ magnétique important et sur une longue durée. Il est également le seul tokamak à pouvoir extraire en continu la puissance injectée dans le plasma grâce à des composants face au plasma refroidis par une boucle d' eau pressurisée. Tore Supra est situé à Cadarache, l'un des sites du CEA. Il a commencé son activité en 1988 et a pour objectif de produire des plasmas de longue durée ; il détient à ce jour le record de durée de fonctionnement pour un tokamak (6 minutes 30 secondes et plus de 1000 MJ d'énergie injectés puis extraits en 2003), et a permis de tester de nombreux équipements (paroi intérieure refroidie activement, bobines supraconductrices) qui seront utilisés dans son successeur : ITER.
Un accord international a été signé le 21 novembre en vue de la réalisation du réacteur expérimental ITER. Il a été ratifié par les 7 partenaires internationaux : l'Union Européenne (qui est le principal contributeur financier et qui accueillera le réacteur sur son sol), les États-Unis, la Russie, le Japon (qui assurera la direction du projet), la Chine, l'Inde et la Corée du sud. Les populations de ces pays représentent à elles seules la moitié de la population mondiale.
Le site de Cadarache(->) (Bouches-du-Rhône, France) a été choisi pour héberger le réacteur. La construction doit durer 10 ans (entre 2008 et 2018). Ce réacteur expérimental devrait être suivi, à l'horizon 2030, d'un réacteur indutriel qui devrait confirmer ou infirmer la viabilité économique de ce système. L'agence Iter International, dont la présidence est assurée par le japonais Kaname Ikeda, est déjà installée sur le site. Une soixantaine de scientifiques sont également déjà présents sur place. À terme, ce projet devrait mettre à contribution un millier de scientifiques.
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