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L'Androïde parfait... en élaborant des cyber-programmes

Déjà les Grecs en rêvaient lorsqu'ils inventèrent le mythe de Pygmalion et de sa sculpture Galatée devenant vivante : pour la première fois, l'homme concevait un être artificiel à son image et, in fine, doué d'autonomie.

Mais n'est pas Pygmalion qui veut quand la complexité de la machine humaine surgit à tous les niveaux : neurologique, physiologique, mécanique, sensoriel, etc. Sans compter que tous ces niveaux de complexité doivent s'accorder et interagir non seulement entre eux, mais avec l'environnement. Une incroyable gageure pour la science. Et pourtant, au Japon, le professeur Ishiguro, de l'université d'Osaka, vient bel et bien de mettre au point son sosie androïde d'un réalisme si achevé (au moins en apparence) qu'il occupe parfois le fauteuil de son créateur. De même, une expérimentation récente a vu l'androïde Saya occuper pendant quelques instants le pupitre d'une classe de petits Japonais.

Intelligence artificielle

Deux réussites, parmi d'autres, qui montrent que, désormais, la frontière qui sépare les humains des androïdes a cessé d'être totalement étanche. Au vrai, il a fallu attendre le milieu du XXè siècle, et particulièrement l'essor de l'informatique, pour que s'ouvrent d'inédites perspectives aux chercheurs-pygmalion. Côté intelligence, c'est d'abord le mathématicien Alan Turing qui voit dans l'ordinateur une machine pas si différente d'un cerveau. À la clé ? L'émergence d'une nouvelle discipline : l'intelligence artificielle. Laquelle réalise, en 1997, un retentissant exploit lorsque l'ordinateur d'IBM Deep Blue triomphe du champion du monde d'échecs Garry Kasparov. Pour la première fois, une machine battait l'homme à son propre jeu. Certes, rappelle Frédéric Kaplan, de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, "la première réaction fut de dire que Deep Blue avait battu Kasparov bêtement !" De fait, l'ordinateur d'IBM ne "savait" même pas qu'il jouait aux échecs...
Il n'empêche, ce qui semblait jusqu'alors impossible cessait tout à coup de l'être. Sur le front du mouvement, les progrès en mécanique et en électronique (capteurs miniaturisés...) ont, là aussi, fait reculer l'impossible. En 1993, la firme japonaise Honda présentait P1, le premier robot capable de marcher seul sur deux jambes. Puis, en 1997, P3, qui se déplace à la vitesse d'un humain, monte et descend des escaliers, s'agenouille et se relève. "Un véritable choc", confie aujourd'hui Raja Chatila, du Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes (Laas) du CNRS.

Programme mental

Intelligence, mouvement... Pour qu'une Galatée prenne définitivement place parmi nous, il ne lui manque que la faculté d'interagir physiquement et intellectuellement avec les hommes. Ici, l'idéal serait de pouvoir définir le programme mental qui fait que les hommes se reconnaissent les uns les autres à travers leurs gestes et leurs paroles... et d'installer un tel programme dans un cerveau électronique. Les chercheurs en sont encore loin, même s'ils ont des pistes. En particulier, ils travaillent sur des machines qui "s'entraînent" à ressembler aux hommes. L'idée étant que les androïdes seront d'autant plus proches de leur créateur qu'ils pourront apprendre de lui, via des algorithmes évoluant en fonction des situations. Et les résultats sont là.
Le dernier-né de la société Honda, Asimo, reconnaît des visages, comprend le sens d'un mouvement qu'on lui indique, et peut accompagner un humain en le tenant par la main et en adaptant ses mouvements en conséquence. Pour sa part, le robot Kismet, avec sa tête androïde, adopte des expressions humaines (curiosité, plaisir, agacement...) selon le degré d'intérêt qu'il a pour une sollicitation dont il est l'objet de la part d'un humain. "Un système qui s'apparente sans conteste aux circuits des émotions, assure Pierre-Yves Oudeyer, à l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria) de Bordeaux. La forme humaine de ces androïdes n'a rien d'accessoire. Elle est essentielle pour que nous leur prêtions des intentions de type humain. Et, par conséquent, que les androïdes apprennent de nos réactions à leur endroit. Comme le fait remarquer Raja Chatila, "si un cube agite une tige, ça ne veut probablement rien dire. Mais si un androïde agite son bras, je vais comprendre qu'il me salue".

Conscience de soi

Mieux encore, le concept de curiosité artificielle permet d'aller plus loin : en codant dans le cerveau électronique de leurs créatures les mécanismes cognitifs à l'ouvre chez les jeunes enfants découvrant leur environnement, les chercheurs font en sorte que les androïdes trouvent eux-mêmes les motivations pour apprendre des tâches nouvelles. "On en est encore au stade de savoir-faire très simple, comme attraper un objet, admet Pierre-Yves Oudeyer. Mais de cette manière, on obtient des robots dont les compétences acquises sont déjà robustes." Au point que deviennent envisageables, d'ici dix à vingt ans, des androïdes capables, par exemple, d'aider des ouvriers sur un chantier pour des tâches de manutention, d'accompagner des personnes âgées, de distraire des enfants malades... De tels androïdes n'ont pas encore rejoint usines, maisons de retraite et hôpitaux, mais leur développement est déjà au cour de nombreux laboratoires de robotique. Réaliseront-ils pour autant le rêve d'un homme artificiel ? Si cela passe par l'écriture d'un programme faisant émerger la conscience de soi, l'échéance de vingt ans apparaît un peu courte. "Tout simplement parce que l'on ne sait même pas ce qu'est la conscience chez les humains", rappelle Pierre-Yves Oudeyer. Un constat qu'émet également Frédéric Kaplan. Selon lui, "chaque génération d'androïdes oblige à repenser ce que nous sommes. Et nous avons toujours admis qu'un humain était un androïde plus 'quelque chose'. Du reste, un androïde qui aurait toutes les qualités d'un humain ne serait plus un robot, mais un humain !"

La création d'androïdes intelligents

M.G. - SCIENCE & VIE > Août > 2009
 

   
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