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Les Sons de la Nature

La Nature mise sur Écoute




C.A. - GEO N°449 > Juillet > 2016

Dunes : sont-elles des Ondes ou des Particules ?

C'est un "chant" qui monte parfois des dunes et qui fascine quiconque l'entend. D'où vient-il ? Deux théories avancent aujourd'hui une explication. Problème : l'une parle de vibrations, l'autre de frottements. Or, la nature des dunes ne peut pas être double...

Certaines dunes "chantent" : dans le désert, des avalanches de sable provoquent l'émission d'une note grave, si puissante qu'elle fait vibrer le sol (->).

S'agit-il d'une vibration, un champ d'énergie qui se propage... ou bien de frottements de particules, de petites boules qui avancent, reculent et rebondissent ? La question de la nature de la lumière a enflammé les physiciens dès le XVIIè siècle. Onde ou flot de particules : deux positions a priori irréconciliables, jusqu'à ce que le problème soit magistralement dépassé dans les années 1920, lorsque la mécanique quantique dévoila que la lumière joue en fait un double jeu, les photons étant à la fois des ondes et des particules. Affaire réglée... en ce qui concerne la lumière. Car voici que la question ressurgit d'une manière inattendue. Cette fois, il n'est plus question de clair-obscur, mais de grandes étendues venteuses et arides : les dunes. Ou de leur "chant", cet étrange son, grave et puissant, qui évoque celui d'un violon dans un lieu où il n'y a ni cordes ni caisse de résonance... mais seulement du sable, à perte de vue. Après un siècle d'expéditions dans le désert et d'expériences en laboratoire, deux théories prétendent avoir résolu l'origine de cette "musique", qui dépend de la nature même des dunes.
La première, défendue par Bruno Andreotti, physicien à l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris, décrit la naissance d'une onde. La seconde, dont la dernière mouture a été publiée il y a quelques mois par Simon Dagois-Bohy, de l'université, de Leiden, aux Pays-Bas, se fonde sur les chocs entre les particules que sont les grains de sable. Deux modèles posés pour décrire un même phénomène. Voilà donc que la célèbre question revient dans l'arène. Et cette fois, les physiciens n'entrevoient nulle piste d'une possible réconciliation dans leurs équations...

UN SON PUR ET SPONTANÉ : Ce phénomène sableux, qui a d'abord fasciné par sa mystique, a maintes fois été détaillé. D'abord par les arpenteurs de la route de la soie, tel Marco Polo qui évoquait des "voix d'esprit ou "maints instruments de musique, notamment des tambours, et le choc des armes" semblant "résonner dans l'air". Puis, au XIXè siècle, par les physiciens, surpris qu'une note d'une telle puissance puisse naître spontanément. "Il faut l'entendre pour se rendre compte à quel point c'est étonnant. La puissance est telle que l'on sent le sol vibrer sous ses pieds", insiste Simon Dagois-Bohy. Rapidement, on remarque que le son est provoqué par des avalanches et que sa fréquence est pure, quoique variable selon les dunes - celles du Maroc jouent par exemple un sol dièse à 103 hertz, quand celles du sultanat d'Oman jouent un do à 66 hertz... Ce qui veut dire que des glissements de sable seraient capables de mettre en mouvement la dune, en profondeur et de manière synchronisée. Car pour que la vibration de l'air dessine une seule courbe, et non une multitude de courbes superposées, elle doit avoir été impulsée par une ondulation du sable au rythme bien précis.
Mais comment les grains parviennent-ils à se synchroniser ? Comment, d'un mouvement désorganisé de la matière, un son cohérent peut-il naître ? Plus de cent ans après, la question reste ouverte. La physique des milieux granulaires a eu beau s'imposer comme une discipline à part entière, sur laquelle repose une multitude d'enjeux industriels, du traitement des poudres de médicaments à la manipulation des céréales ou au mélange des ciments et des verres... elle échoue toujours à résoudre le mystère.
"Tout le monde s'accorde à dire que le son est émis par une avalanche, et que sa fréquence est bien définie : la vibration du sable fait qu'il se comporte comme un haut-parleur. Voilà la base commune. Mais ensuite, personne n'est plus d'accord", résume ainsi Bruno Andreotti. Aujourd'hui, deux théories, donc, prétendent chacune apporter la seule et unique réponse. Selon Bruno Andreotti, le secret du chant des dunes se loge dans les ondes acoustiques qui naissent du frottement de deux couches de sable ; tandis que pour Simon Dagois-Bohy, il se cache en plus près du mouvement des grains de sable. "Notre mécanisme est dominé par leur frottement", assure ce dernier. Le physicien décrit ainsi comment, au fur et à mesure qu'une couche superficielle de sable glisse sous l'effet de la gravité, les piliers de grains de sable qui soutenaient la couche du dessous s'inclinent jusqu'à se déséquilibrer et s'effondrer. La couche de sable s'affaisse alors, avant que de nouveaux piliers se constituent et la redressent. "Cela crée un mouvement périodique du sable de haut en bas, conclut-il. Une oscillation dont la période est liée à la taille des grains et qui met l'air en mouvement, donnant naissance à un son à la fréquence pure. Nos expériences en laboratoire mettent parfaitement en évidence cette relation".

DEUX MODÈLES QUI SE VALENT : Autre son de sable : Bruno Andreotti, lui, défend un mécanisme complètement acoustique. "Il n'est pas nécessaire de tenir compte des grains, avance-t-il. Il suffit de géométriser le milieu et d'y étudier la propagation d'ondes similaires à des ondes sismiques". Et le chercheur d'expliquer comment, en modélisant le phénomène par deux blocs solides, l'un en mouvement représentant l'avalanche, l'autre immobile représentant la dune, on assiste à l'amplification spontanée d'une onde à l'interface des deux milieux. "Au départ, cette idée théorique, déduite de travaux sur les tremblements de terre, explique-t-il. Mais lors d'une mission en 2010, nous avons pu vérifier qu'on observe bien l'amplification d'une telle onde dans la dune".
Résolu deux fois, le mystère du chant des dunes reste donc entier. Car les deux modèles peinent à prédire des effets mesurables qui permettraient de les discriminer. Chacun pointe alors les insuffisances du concurrent. "Le modèle ondulatoire ne permet pas de déduire analytiquement la fréquence du son", relève Simon Dagois-Bohy. "J'ai testé le modèle particulaire avec des simulations numériques, et trouvé un écart de six ordres de grandeur avec les prédictions", martèle Bruno Andreotti... Argument aussitôt balayé par son adversaire, qui pointe les imperfections des simulations numériques. Faut-il imaginer que la controverse s'achéve de la méme maniére que pour la lumiére ?
Si tous les physiciens spécialistes de l'infiniment petit acceptent maintenant de choisir, selon les cas, l'un ou l'autre des deux modèles antinomiques, les physiciens de la matière granulaire ne pourraient-ils faire de même ? Ce serait oublier que la lumière n'est pas devenue une particule-onde par miracle. Ce sont les équations décrivant la propagation d'un champ d'énergie dans l'espace, inventées par James Maxwell à la fin du XIXè siècle puis généralisées par la physique quantique, qui ont rendu possible la métamorphose... "Or, dans les milieux granulaires, on est démuni car il n'y a pas d'expression du champ", regrette Bruno Andreotti. "Il n'y a même pas de corpus, renchérit Simon Dagois-Bohy. On doit donc adapter les lois de la mécanique du solide et de la dynamique des fluides sans être certain qu'elles correspondent aux phénomènes".
C'est tout le drame de la physique des milieux granulaires : coincée entre matière solide et circonvolutions liquides, elle n'a pas trouvé sa place... Et c'est aussi la raison d'être de l'une des principales thématiques de recherche en physique : "Comment le sable s'écoule-t-il ? Pourquoi se comporte-t-il tantôt comme un liquide, tantôt comme un solide ? Ces questions font l'objet de recherches actives, et pas seulement pour déboucher les tuyaux de l'industrie agroalimentaire, détaille Bruno Andreotti. Nous pensons qu'en comprenant la dynamique du sable, nous pourrons aussi comprendre comment se développent les cellules cancéreuses". Le sable est-il ondulatoire ou particulaire ? La question est toute petite... mais fondamentale. Et de sa réponse découlera peut-être un flot - ou une grappe - de nouvelles découvertes.

M.F. - SCIENCE & VIE > Juin > 2013

Les Dunes Chantent par Ricochet
ACOUSTIQUE

Le mystère du son émis par le sable dans le désert est-il enfin levé ? Une équipe française l'affirme et espère appliquer ses recherches à la prévention des avalanches (Dunes et lacs de Badain Jaran, Chine ->).

Une nouvelle hypothèse, portant sur le "chant" que produit le sable en dévalant les pentes des dunes dans le désert, pourrait réconcilier les chercheurs qui se passionnent et se déchirent sur ce sujet depuis des décennies. Jusqu'alors trois hypothèses, émanant de trois équipes différentes, ont été proposées. Mais l'une de ces équipes, appartenant à l'ESPCI (Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris) et à l'université Diderot-Paris-VII, vient de lancer une quatrième piste dont l'intérêt est de contredire toutes les précédentes (y compris la leur), ouvrant ainsi une nouvelle voie.

Et les chercheurs s'appuient sur des mesures effectuées sur le terrain. Selon eux, lors d'une avalanche de sable, la couche supérieure est en déplacement et frotte sur la dune, dont le sable est immobile. Depuis le front à l'avant, le son remonte en se propageant dans la couche de sable en mouvement. Son parcours est pris en sandwich entre l'air au-dessus et le sable immobile, en dessous. Il ricoche alors sur ces parois et s'amplifie en récupérant par frottement une partie de l'énergie de l'avalanche. C'est en tout cas ce que les équations et les mesures acoustiques au cour même de la dune confirment. En outre, comme l'ont observé les chercheurs en laboratoire, le même phénomène donnerait naissance au son émis lors de la vidange d'un silo à grain. Exit les explications faisant appel à la taille des dunes. Les chercheurs songent à appliquer leur modèle aux avalanches de montagne afin de déceler des signaux acoustiques précurseurs de la catastrophe.

D.L. - SCIENCES ET AVENIR > Février > 2010
 

   
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