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L'Onde et l'Eau

Des Ondes de Surfaces en Formes d'Étoile

S.B. - POUR LA SCIENCE N°426 > Avril > 2013

Devenir Indétectable Sous l'Eau

Des chercheurs de l'université de l'Illinois (États-Unis), menés par Nicholas Fang, ont réussi à prouver qu'on pouvait se cacher des sonars. Une première en acoustique, l'invisibilité aux ultrasons ayant jusqu'à présent été montrée uniquement de manière théorique...

Leur expérience ? Après avoir placé un objet au centre d'un disque, ils l'ont plongé dans une cuve remplie d'eau dans laquelle ils ont émis des ultrasons (de fréquence 52 à 64 kHz). Des récepteurs placés dans la cuve n'ont pas pu détecter les ondes réfléchies par l'objet, comme si celui-ci était devenu invisible ! Pour réaliser cette prouesse, les chercheurs ont construit le disque "camoufleur" à partir de métamatériaux (des matériaux artificiels possédant des propriétés électromagnétiques introuvables dans la nature).
À sa surface, 16 anneaux concentriques, avec un indice de réfraction différent pour chacun, modifient la vitesse des ondes qui l'atteignent. Quand des ultrasons s'approchent du disque, les ondes sont détournées par les parties les plus extérieures du cylindre et la surface interne devient complètement invisible. En dehors de probables applications militaires, les chercheurs imaginent que ces travaux pourraient aussi servir aux techniques d'imagerie médicale.

C.M. - SCIENCE & VIE > Mars > 2011

L'Homme qui Magnétise l'Eau

Philippe Vallée restera comme le premier à l'avoir prouvé : les champs électromagnétiques ont bien un effet sur l'eau... qui pourrait même s'étendre aux êtres vivants. Mais que d'efforts cet apprenti physicien n'a-t-il dû déployer pour rallier ses pairs à ses recherches ! Retour sur l'épopée d'un Don Quichotte de la science.

Que se passe-t-il lorsqu'un parfait inconnu décide de s'attaquer à une question ne figurant dans aucun projet de recherche officiel, et pour laquelle aucun chercheur sensé ne serait prêt à dépenser le moindre centime ni la moindre once de matière grise ? Personne ne l'écoute, bien sûr. Mais si le type est tenace ? Peut-on imaginer qu'un laboratoire finisse par lui prêter une paillasse pour plancher sur son drôle de sujet ? Voire que l'apprenti chercheur, après avoir convaincu un groupe de scientifiques reconnus d'encadrer son travail, décroche un financement Et que, quelques années plus tard, au bout d'une aventure où l'intuition et la persévérance, mais aussi une pincée de chance, tiennent la corde à la raison et au respect des canons de l'investigation scientifique, il obtienne un doctorat, tout en publiant le fruit de ses efforts dans des revues prestigieuses ? Oui. Et l'histoire de Philippe Vallée en est la preuve.

Le parcours de ce drôle de scientifique français, aujourd'hui âgé de 39 ans, est en effet atypique. Ce Don Quichotte raisonnable ne peut s'empêcher de transformer en passion brûlante le moindre de ses centres d'intérêt. Ainsi n'a-t-il jamais hésité à changer de profession au gré de ses envies et de ses objectifs. Après des études de "biophysicien de laboratoire" et un DESS de "Structure et analyse des matériaux plastiques à usage pharmaceutique", il a tour à tour donné dans la biotechnologie, la formulation de produits cosmétiques et pharmaceutiques, l'enseignement, ou encore l'assurance qualité physicochimique et microbiologique de l'eau en environnement hospitalier. Un parcours dont l'intéressé dégage tranquillement la cohérence : "Mes centres d'intérêt s'articulent autour des trois axes que sont la santé, l'environnement et l'eau. Cela m'a toujours passionné." Toujours est-il qu'à la fin des années 90, il décide de tout plaquer pour se consacrer à une unique question, délicate et controversée : l'étude des effets des champs électromagnétiques sur les êtres vivants. Car, après lectures et conférences, cet iconoclaste en est convaincu : les champs électromagnétiques, mêmes minuscules, agissent sur des êtres vivants et ces effets perdurent longtemps après l'arrêt de ce champ.
Est-ce par naïveté, par défi ou parce qu'il a une confiance démesurée en son intuition ? Difficile à dire. Mais il est, dès le départ, persuadé que "presque rien" peut modifier les propriétés d'un verre d'eau et qu'il peut parvenir à le démontrer par expérimentation. Peu importent les sourires de compassion que ses frasques expérimentales susciteront à la cafétéria du labo qui lui a accordé une petite salle dans un sous-sol. Il ne lâchera pas le morceau. Et le plus surprenant, c'est que les idées originales de cet étudiant sur le tard, n'ayant reçu aucune formation de physicien, vont finalement métamorphoser une marotte d'alchimiste en une nouvelle piste pour étudier, par exemple, l'influence des champs magnétiques sur notre santé !
Il n'est toutefois pas le premier à poser la question des effets électromagnétiques en biologie, loin s'en faut. Entre les questions les plus sérieuses (comme l'effet des lignes à haute tension sur le corps) et les plus controversées (comme la "machine de Priore", censée guérir du cancer, ou encore la "mémoire de l'eau", censée conférer à ce liquide la capacité à garder la trace physique de molécules disparues), il existe sur le sujet une abondante littérature. Le hic, c'est qlle les effets soi-disant observés sont rarement expliqués et la plupart du temps non reproductibles. "La simple association des mots 'eau' et 'magnétisme' alimente tous les fantasmes !", résume Bernard Cabane, spécialiste de l'eau au Laboratoire physique et mécanique des milieux hétérogènes. Bref : le sujet est complexe.
Philippe Vallée n'en a cure. Il est déterminé à se mettre au travail avec toute la rigueur nécessaire et loin des polémiques. Il n'a d'ailleurs ni l'âme d'un sorcier ni celle d'un illuminé. Il y a juste que le milieu de la recherche lui est quasi inconnu. En même temps qu'il compulse une abondante littérature, l'ancien galéniste contacte près de 300 chercheurs susceptibles de le diriger lors de sa thèse. Les 300 réponses négatives lui donnent une idée de là où il a mis le pied : "Pour certains, ce n'était pas un sujet pour un thésard mais plutôt pour un chercheur confirmé, se souvient-il. Pour d'autres, il n'y avait rien à trouver en suivant cette voie."
Mais notre franc-tireur est obstiné et se constitue en peu de temps un carnet d'adresses de ministre. Comme l'explique Bertrand Guillot, directeur du Laboratoire de physique théorique des liquides, à Paris, qui a fait partie du jury de thèse de l'impétrant, "Philippe Vallée est sans doute devenu l'une des personnes en France qui connaît le mieux le milieu de la recherche sur l'eau." Ainsi, courant 1999, à force de contacts, de lobbying et de coups de téléphone tous azimuts, Philippe Vallée réussit à convaincre cinq chercheurs de différentes disciplines d'encadrer ses recherches pluridisciplinaires, dont deux acceptent de diriger sa thèse de doctorat. Le premier est un biologiste suisse. Le second, Jacques Lafait, est aujourd'hui responsable de l'équipe "Propagation électromagnétique en milieu hétérogène" de l'Institut des nanosciences, à Paris. Il se souvient : "Philippe Vallée avait réuni une bibliographie très complète montrant que des champs électromagnétiques semblaient avoir un effet sur le vivant. J'avoue néanmoins que je ne me suis pas lancé sans hésitation. Et j'ai été très clair sur le fait qu'il n'était pas question de publier quoi que ce soit qui n'aurait pas été avéré, vérifié et interprété." Reste toutefois l'épineuse question du financement. C'est finalement la fondation Odier, habituée des recherches scientifiques "border line", qui permet à Philippe Vallée, en novembre 1999, de mettre ses idées à l'épreuve en finançant tout son matériel et ses années de thèse. Le travail de recherche peut donc commencer, au Laboratoire d'optique des solides, à Paris ; mais l'ampleur de la tâche est colossale. Car si l'ambition affichée est de caractériser l'effet de champs électromagnétiques sur des organismes biologiques, bien des zones demeurent obscures. Faut-il utiliser des champs continus ou alternatifs ? À hautes ou basses fréquences ? Faut-il travailler sur des bactéries, des cellules ou des solutions diverses ? Et quels effets rechercher ? Des variations de température ? Des modifications de l'organisation moléculaire ? Des changements de structure électronique ? L'énorme travail bibliographique ne permet pas de dégager de direction précise. Or, il est difficile de se lancer dans un projet scientifique sans avoir au préalable une idée à peu près claire de ce que l'on est censé trouver. Il faut donc faire des choix. Philippe Vallée et son encadrement décident de concentrer leurs expériences sur les systèmes les plus simples possibles, où d'éventuels mécanismes seront plus faciles à élucider.

Partant de l'idée que le point commun à l'ensemble du vivant est le milieu aqueux, ils décident donc de travailler tout simplement sur de l'eau. Leur idée : soumettre à des expériences magnétiques des échantillons d'eau purifiée stérile telle qu'on en trouve dans le commerce pour voir ce qu'il s'y passe. Un projet qui peut sembler bizarre. Comme l'explique Bernard Cabane, "les champs électromagnétiques de laboratoire, ainsi que ceux qui baignent notre environnement, sont d'une intensité beaucoup trop faible pour avoir le moindre effet sur de l'eau pure. Croire le contraire ne serait que pure superstition."
Sauf que l'eau pure n'existe que sur le papier. En pratique, on aura beau dessaler, distiller, filtrer, centrifuger, désioniser... l'eau contiendra toujours des impuretés résiduelles (molécules organiques, sels divers, gaz dissous) qui en feront un milieu beaucoup plus complexe qu'un liquide constitué exclu-sivement de molécules H20. Et, par là même, subsiste dans ce milieu la possibilité de modifications liées à l'action d'un champ électromagnétique. Philippe Vallée met ainsi au point différents échantillons d'eau "organisée" par adjonction de différents sels ou de composés organiques. En plus de cette collection d'échantillons, Philippe Vallée imagine 45 protocoles d'exposition à des champs électromagnétiques variés. Quant aux mesures, il les effectuera dans plusieurs laboratoires, selon les besoins. Et puisqu'une littérahtre controversée ne lui pemet pas de préciser ce qu'il doit chercher, il ratisse large : des mesures de vitesses de chauffe et de flux thermiques en fonction de la température pour renseigner sur d'éventuelles modifications des caractéristiques thermodynamiques (point de fusion, de cristallisation, etc.), des mesures d'indice optique pour voir si les champs électromagnétiques agissent sur la fonction diélectrique des eaux testées, des mesures de spectroscopie infrarouge et de diffusion Raman par rayonnement laser pour tester des modifications de l'organisation moléculaire. Armés de ces échantillons, de ces protocoles d'exposition et de ces tests de mesures, Philippe Vallée est prêt à traquer l'effet tant recherché des champs électromagnétiques sur l'eau. Et vogue la galère !
De fait, les débuts ne sont guère encourageants. Pendant les deux premières années de travail, Philippe Vallée ne cesse de contrôler les paramètres, de changer la composition des échantillons, d'essayer des protocoles expérimentaux en tout genre. Il y a bien quelques tressaillements d'un appareil de mesure ici et là, une ou deux mesures étonnantes, un paramètre qui évolue au cours du temps sans que l'on comprenne très bien pourquoi. Mais rien de tangible. En tout cas, rien de reproductible, donc de publiable. "Tout semblait bien plus compliqué que je ne l'avais imaginé, reconnaît Philippe Vallée. Sans parler du fait que je ne me sentais pas accepté par la majorité des chercheurs du laboratoire." L'apprenti physicien commence à douter. Son problème tient en un mot : sensibilité. Les effets recherchés, s'ils existent, ne peuvent en effet qu'être incroyablement particulier, la composition des récipients dans lesquels les échantillons sont conservés car leurs parois échangent des molécules avec le liquide qu'elles retiennent. Même la nature de l'atmosphère perturbe le bon déroulement des opérations. "J'ai remarqué que mes résultats dépendaient du taux de pollution de l'air donnée par la ville de Paris !", s'exclame Philippe Vallée. Dans de telles conditions, tout changement observé sur l'un des échantillons peut aussi bien résulter de l'application d'un champ électromagnétique que de l'arrivée inopinée d'un grain de poussière. "C'est comme si Philippe Vallée avait voulu mesurer l'effet d'une porte qui se ferme au cinquième étage, sur une expérience conduite au sous-sol d'un laboratoire !", résume Bernard Cabane. Cette première série d'expériences se traduit tout de même par une publication dans une revue scientifique... sur les effets parasites dont il faut tenir compte pour mener à bien une telle étude.
Loin de se décourager, notre aventurier solitaire propose un recentrage drastique de son programme de recherche. C'est d'ailleurs la seule solution s'il veut convaincre la fondation de maintenir son financement : restreindre au maximum la variété de ses échantillons et de l'environnement afin de pouvoir enfin dégager un effet pertinent. Et comme le constate Bertrand Guillot, "Philippe Vallée s'entoure alors de toutes les précautions possibles". Il se concentre ainsi sur un seul type d'eau purifiée, en l'occurrence une eau dont toutes les impuretés d'une taille supérieure à 10 nanomètres auront été éliminées. Ne reste alors qu'une faible quantité de molécules carbonées et de gaz dissous, ces derniers étant par ailleurs quantifiés afin de mettre en évidence leur rôle éventuel. Côté récipient, il ne travaille plus qu'avec des cuves spécifiques en silice pure de qualité optique, hermétiquement fermées. Le moindre exemplaire coûte plus de 1000 euros, mais c'est une garantie contre les contaminations perturbatrices. Pour palier la pollution de l'air parisien, il ne réalise plus ses expériences que sous une atmosphère reconstituée dans une boîte à gants hermétiquement scellée. Pour contrôler l'environnement physique de son dispositif, il isole ses échantillons d'eau de toutes les perturbations possibles : celles acoustiques et thermiques avec des mousses polymériques, celles électriques via une cage de Faraday, et, enfin, celles magnétiques grâce à une double enceinte de mu-métal. Cela fait, il peut alors soumettre ses échantillons d'eau pendant des cycles de trois heures à des champs d'environ 1 millitesla (environ cent fois plus puisant que le champ magnétique terrestre), dont la fréquence variera entre 10 et 1000 hertz (c'est-à-dire des champs électromagnétiques de très basses fréquences). Reste à voir s'il se passe quelque chose...
Une tâche qui reste très difficile. Car Philippe Vallée ne sait toujours pas ce qu'il doit vraiment chercher. Alors il mesure en permanence plus d'une vingtaine de paramètres. Conductivité électrique, température, teneur en oxygène, pH, potentiel d'oxydoréduction... tout y passe. Non qu'il puisse tous les contrôler, mais au moins peut-il suivre en temps réel l'évolution des conditions de ses expériences. Avec l'espoir de pouvoir mieux appréhender le rôle de chaque paramètre. Mais comment mettre en valeur un phénomène à travers autant de facteurs ? Un tel protocole ne rentre pas dans les canons de l'expérience scientifique, généralement guidée par un présupposé théorique, qui permet de distinguer les paramètres pertinents de ceux qui ne devraient pas aucun effet sur les résultats de l'expérience. Comme le constate Jacques Lafait, son directeur de thèse français : "ça a été extrêmement difficile d'obtenir des résultats reproductibles. Il y a eu des moments très durs." Et pourtant ! Dans le courant de l'année 2002, Philippe Vallée commence à récolter les fruits de son investissement : ses expériences montrent que les intensités de diffusion élastique de la lumière de ses échantillons ne sont pas les mêmes selon que ces derniers ont été ou pas exposés au traitement électromagnétique. Autrement dit, la lumière rencontre moins d'obstacles lorsqu'elle traverse de l'eau électromagnétisée... Plus intrigant encore, ces différences persistent douze jours après que les champs électromagnétiques ont été arrêtés ! Mine de rien, l'observation fait date : pour la première fois, une expérience montre clairement que les champs électromagnétiques de basses fréquences et intensités ont un effet mesurable, durable et reproductible sur ses petits échantillons d'eau purifiée. L'odeur de soufre qui enveloppait eau et magnétisme semble pouvoir se dissiper. Mais n'est-il pas trop tard ? Car le navire de Philippe Vallée prend l'eau de toutes parts : le temps passant, il lui est devenu de plus en plus difficile de convaincre son comité scientifique. Illustration de l'impatience qui guette l'entourage de l'impétrant : en février 2003, estimant que son étudiant n'est pas prêt à tester l'effet de champs électromagnétiques sur des systèmes biologiques, le directeur de thèse pour la partie biologique se retire de l'aventure. "Accompagné de reproche, ce retrait a été un moment difficile à vivre, confesse Philippe Vallée. Mais je n'allais pas renoncer alors que mon travail commençait à porter ses fruits." Il n'a en tout cas plus une minute à perdre, même si une rallonge budgétaire lui est accordée jusqu'en janvier 2004.

Il tient enfin une piste solide, mais il doit en savoir plus : quel est le phénomène physique responsable de cette variation de la diffusion de la lumière ? Qu'y a-t-il dans les échantillons qui n'y était pas avant le traitement électromagnétique ? Ou, inversement, qu'est-ce qui a disparu ? Une série de nouvelles d'expériences, rapidement lancée, permet de lever un coin du voile : les différences observées sont liées à la présence ou à l'absence dans le liquide "d'objets" d'environ 300 nanomètres de diamètre. En raison de la manière dont les échantillons d'eau ont été préparés, il est évidemment exclu qu'il s'agisse de molécules géantes. De quoi s'agit-il alors ? Une observation met Philippe Vallée sur une piste : les échantillons dégazés sont moins sensibles aux effets des champs électromagnétiques que les autres. La présence de gaz dans l'eau n'est pas une surprise : elle est liée à l'échange permanent de composés entre le liquide et l'atmosphère, qui fait notamment se dissoudre dans la solution de l'oxygène, de l'azote et du dioxyde de carbone. Une idée germe alors : pourquoi ne pas imaginer que les objets non identifiés qui perturbent la diffusion de la lumière soient des nanobulles de gaz induits par la présence d'impuretés résiduelles ? Stables dans le liquide, elles seraient perturbées et détruites par le champ électromagnétique. D'où la différence d'intensité de diffusion élastique de la lumière avant et après le traitement.
L'hypothèse tient la route. Mais encore faut-il imaginer un scénario théorique susceptible d'expliquer comment le champ électromagnétique perturbe ces nanobulles et modifie les propriétés physico-chimiques de l'eau. En fait, c'est l'apparente stabilité de ces nanobulles avant le traitement électromagnétique qui est difficile à comprendre. Pourquoi sont-elles stables ? Si elles le sont, comme l'expérience semble le montrer, c'est qu'un ingrédient supplémentaire manque encore à l'appel. Qu'y a-t-il donc, en plus du gaz, dans ces damnés échantillons ? Pas grand-chose, si ce n'est des molécules chargées électriquement, comme des ions (HCO3) issus de la dissociation des molécules d'eau et de la solubilisation des molécules de dioxyde de carbone. Ces ions sont-ils susceptibles d'expliquer l'étonnante stabilité des bulles de gaz ? Peut-être bien, finalement. Car, comme le note Philippe Vallée, "selon la littérature, des bulles de gaz peuvent être entourées d'une double couche ionique qui les stabilise dans l'eau." De quoi enfin présenter un scénario de l'effet sur l'eau d'un champ électromagnétique cohérent et compatible avec ses dernières expériences : "Je pense que le champ électromagnétique est susceptible de déstabiliser la double couche ionique présente autour d'une nanobulle, ce qui lui fait perdre sa protection et la fait disparaître." Une explication qui convainc Bernard Cabane : "Un phénomène analogue a déjà été observé avec des nanoparticules de tartre dans de l'eau. En présence d'un champ électromagnétique, la double couche ionique dont elles sont entourées est détruite. Les particules de tartre s'agrègent les unes aux autres et précipitent."
Sa ténacité a payé : Philippe Vallée est parvenu à montrer de façon convaincante que des champs électromagnétiques de faible intensité ont un effet mesurable sur des solutions aqueuses et il dispose d'un mécanisme acceptable qui permet d'interpréter ce qu'il observe. Même si tous les protagonistes de l'affaire reconnaissent que le mécanisme d'action des champs électromagnétiques sur les échantillons d'eau proposé par Philippe Vallée devra encore être confirmé expérimentalement, plus rien ne s'oppose à ce qu'il soutienne sa thèse. Chose faite fin 2004 ; dans la foulée, il publie en collaboration avec plusieurs signataires deux articles décrivant ses résultats, dans des revues avec comité de lecture, après cinq ans de travail acharné, solitaire et à contre-courant.

Les choses s'arrêtent-elles là ? Non, car Philippe Vallée n'a pas oublié que son ambition initiale était d'étudier l'effet du magnétisme sur les êtres vivants. Et comme il l'explique plein d'enthousiasme, "les organismes biologiques étant composés de solutions aqueuses et d'une multitude d'interfaces, mes résultats invitent sérieusement à se poser la question de l'interaction de champs électromagnétiques, même faibles, avec le vivant". Un enthousiasme légitimé par Bertrand Guillot, pour qui, le coup des interfaces n'est pas bête du tout. Car on sait que l'eau interfaciale joue un rôle fondamental en biologie". Marie-Claire Bellissent-Funel, du Laboratoire Léon-Brillouin, à Saclay, qui a aussi fait partie du jury de thèse, confirme : "Ce travail pourrait avoir une portée beaucoup plus vaste s'il abordait aussi sérieusement la question des effets électromagnétiques en biologie. Une question particulièrement intéressante dans la mesure où ni les lignes à haute tension ni les téléphones portables ne doivent être a priori considérés comme inoffensifs." L'extraordinaire méticulosité des travaux de Philippe Vallée débouchera-t-elle sur une compréhension fine de ce phénomène aujourd'hui si confus ? Pourraient-ils mener à une interprétation enfin acceptable par la communauté scientifique de la si sulfureuse mémoire de l'eau ? Permettront-ils de jeter enfin un peu de lumière sur la sombre machine de Priore ? Il est trop tôt pour le dire, même si ces travaux pennettent déjà de jeter un nouveau regard sur ces questions que les scientifiques peinent depuis longtemps à éclaircir.
En parallèle, Philippe Vallée réfléchit à des applications concrètes de sa découverte sur le rôle clé joué par les interfaces entre l'eau et les nanobulles : amélioration de la biodisponibilité des principes actifs des médicaments, du pouvoir d'hydratation de crèmes... Avec l'espoir que l'industrie pharmaceutique, cosmétique, nutraceutique ou agrochimique voit dans ses travaux de nouvelles pistes de recherches. En attendant, il peut déjà se targuer d'avoir réussi l'impossible. Même si sa méthodologie expérimentale a été peu orthodoxe, même s'il s'est lancé bille en tête dans une direction où peu de scientifiques n'auraient ne serait-ce que pointé une lampe torche, Philippe Vallée a finalement produit son résultat scientifique : les champs électromagnétiques de basses fréquences ont un effct sur l'eau. Un effet durable, mesurable et reproductible.

DANGERS DES TÉLÉPHONES PORTABLES, MACHINE DE PRIORE, MÉMOIRE DE L'EAU : BIENTÔT DES RÉPONSES ?

Des champs magnétiques d'une intensité ridicule qui engendrent des effets mesurables sur une solution aqueuse ? Difficile de ne pas entrevoir derrière les travaux de Philippe vallée quelques thèmes scientifiques plus ou moins controversés que les chercheurs peinent depuis longtemps à éclaircir. À commencer par le spectre des dangers des téléphones portables ou des lignes à haute tension. certes, aucune étude épidémiologique sérieuse n'a, à ce jour, pu établir un lien de causalité entre téléphone portable et problème de santé. Idem pour les lignes électriques. De plus, rappelle Bernard Veyret, du Laboratoire de physique des interactions ondes-matiére, à Bordeaux, "les téléphones portables fonctionnent avec des micro-ondes, dont la fréquence est autour de 900 mégahertz, ce qui n'a rien à voir avec les champs à très basses fréquences étudiés par Philippe vallée". Cela dit, dès la fin des années 90, il a été montré qu'une exposition de plus de dix minutes à des micro-ondes GSM entraînait, chez des rats, une perméabilisation des micro-vaisseaux sanguins cérébraux et méningés. Le sujet reste donc confus. Et c'est justement cette complexité des interactions ondes-matière que le travail de Philippe vallée met en valeur. Car s'il est loin d'avoir montré un effet des ondes électromagnétiques sur le vivant, il a permis pour la première fois de montrer comment les champs électromagnétiques perturbent les milieux aqueux au niveau moléculaire. Et cette nouvelle approche physico-chimique pourrait permettre de trancher la question, si un laboratoire daignait développer ses travaux dans cette direction...
D'autres thèmes, encore plus controversés, mériteraient aussi d'être réétudiés. La machine de Priore, par exemple. Développée dans son pavillon bordelais par Antoine Priore entre les années 40 et 70, et réexaminée depuis peu par quelques chercheurs français, cette machine serait capable, selon son inventeur, de traiter les souris cancéreuses, d'accélérer la germination des plantes ou de stimuler le développement de poussins. Son secret ? Antoine Priore l'a emporté dans sa tombe... Mais on sait que sa machine exploite des champs magnétiques à des fréquences savamment dosées. Les êtres vivants étant des milieux essentiellement aqueux, serait-il possible que l'effet de l'électromagnétisme sur les nanobulles mis en évidence par Philippe Vallée soit transposable aux cellules de souris, de poussins ou de plantes et ait des conséquences bénéfiques ? La question se pose désormais... Autre exemple : la sulfureuse "mémoire de l'eau". En 1988, dans un article "choc" publié dans la revue Nature, Jacques Benveniste, biologiste français réputé, annonce avoir démontré que des échantillons d'eau "pure" conservent les propriétés physico-chimiques de substances qui y ont séjourné par le passé. Au terme d'un feuilleton scientifico-médiatique qui durera des années, il apparaît finalement que les conclusions de Benveniste sont intenables, notamment faute de pouvoir reproduire ses résultats expérimentaux. Science & Vie fut d'ailleurs l'un des premiers journaux à remettre en cause la validité de ces travaux (voir n°851). Or, Philippe Vallée a peut-être mis le doigt sur l'erreur de départ du biologiste français : "Jacques Benveniste affirmait que ses échantillons ne contenaient que de l'eau. Mais tout mon travail est fondé sur l'idée qu'une eau contient toujours des impuretés résiduelles qui peuvent être des sites de nucléation de bulles de gaz. "Certaines mesures effectuées par Benveniste ne pourraient-elles pas être liées à la présence de nanobulles dans les échantillons, jusqu'ici négligée ? La méticulosité des expériences de Philippe Vallée montre en tout cas combien il est difficile d'affirmer travailler sur de l'eau "pure". L'eau, même filtrée, restera toujours un milieu extraordinairement complexe. Et les physiciens devront accepter de plonger dans cette complexité. M.G. & H.P.

M.G. - SCIENCE & VIE > Août > 2006
 

   
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