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D'où Vient l'Eau Terrestre ?

L'Histoire Tumultueuse de l'Eau sur Terre

POUR LA SCIENCE N°454 > Août > 2015

L'Eau Terrestre est-elle Extraterrestre ?

L'eau de notre planète est-elle présente depuis sa formation ou bien a-t-elle été apportée de l'extérieur, par des astéroïdes ou des comètes ? Une nouvelle analyse relance le débat.

Les océans recouvrent 70 % de la surface de la Terre. Une grande partie de cette eau a pu provenir d'astéroïdes.
Selon l'étude de novembre 2015, l'eau provient essentiellement des entrailles de la Terre, d'où elle est remontée par l'activité volcanique.

Une mesure de l'hydrogène contenu dans des roches anciennes indiquerait que l'eau terrestre était présente dès la formation de notre planète, il y a un peu plus de 4,5 milliards d'années.
Même si l'échantillon analysé contient bien de l'eau primordiale, l'eau terrestre pourrait être d'origine multiple.
En 2020, la sonde japonaise Hayabusa 2 devrait revenir sur Terre avec des échantillons de météorites. Leur analyse permettra peut-être d'éclairer ce débat.

D'où vient l'eau qui a valu à notre Terre son surnom de "planète bleue" ? Alors qu'un consensus semble s'être établi au fil des découvertes sur un apport externe, lié aux astéroïdes et aux comètes, une équipe internationale basée à l'université d'Hawaï émet l'hypothèse que l'eau était déjà présente dans la matière qui a formé notre planète. Une analyse de l'hydrogène contenu dans des roches volcaniques anciennes pourrait révolutionner l'histoire de notre eau. Chaque échantillon d'eau possède sa propre signature, caractéristique de son origine et des mécanismes physico-chimiques qu'il a pu subir : les chercheurs mesurent ainsi le rapport entre la quantité d'hydrogène lourd - le deutérium (D) - et celle d'hydrogène "ordinaire" (H), baptisé le ratio D/H. Car le noyau d'hydrogène possède deux formes stables : l'hydrogène léger, dont le noyau contient un proton, et le deutérium, dont le noyau contient 1 proton et 1 neutron. Un autre isotope naturel de l'hydrogène existe à l'état de trace, le tritium - 1 proton et 2 neutrons - mais il est instable et se désintègre rapidement, avec une demi-vie de moins de 13 ans, très courte à l'échelle de l'histoire du système solaire.
La proportion de deutérium varie selon les transformations subies par l'eau. Ainsi, quand elle s'évapore, les molécules contenant l'hydrogène léger le font plus vite que les autres. C'est pour cette raison que les nuages ont un ratio D/H plus faible que l'eau des océans qui leur a donné naissance. Un processus d'autant plus marqué que la température est faible, ce qui explique qu'on trouve plus de deutérium dans les nuages et les précipitations à l'équateur que près des pôles. Pour ses études comparatives, la communauté scientifique a défini une valeur de référence pour l'eau terrestre, que l'on appelle "Eau océanique moyenne normalisée de Vienne", à partir d'un mélange d'eaux distillées provenant de plusieurs océans. Cette eau moyenne présente un ratio D/H de 0,015576 %. À l'échelle des temps géologiques, les physiciens considèrent que le ratio D/H terrestre n'a pu qu'augmenter à mesure que des molécules ou atomes d'hydrogène, trop légers pour être retenus par la gravité, se sont échappés. Lors de cette fuite, l'hydrogène s'échappe plus aisément que le deutérium. De même, tout objet de l'espace contenant de l'eau va s'enrichir en deutérium au fil du temps en raison de réactions avec les vents et le rayonnement des étoiles qui provoquent un échappement plus marqué de l'hydrogène léger.

DE L'EAU DANS LA LAVE : Les scientifiques estiment ainsi que l'eau terrestre n'a pu provenir que d'une source plus pauvre - ou de teneur identique - en deutérium que la valeur moyenne terrestre. De nombreuses météorites retrouvées sur terre, des chondrites carbonées, contiennent parfois jusqu'à 15 % d'une eau dont les valeurs de D/H recoupent celles des océans. Cela suggère l'idée que les astéroïdes ont pu apporter une grande partie de l'eau terrestre. Les études de comètes provenant du nuage d'Oort, aux confins du système solaire, indiquent des ratios trop élevés pour expliquer la présence d'eau terrestre. Cependant, en 2011 et 2013, l'analyse de deux comètes de la région de Jupiter a établi qu'elles présentaient un D/H très proche de la référence terrestre, rangeant ces comètes jupitériennes parmi les sources possibles d'eau. Mais en 2014, la sonde européenne Rosetta a montré que la réalité est plus complexe : la comète jupitérienne 67P/ Churyumov-Gerasimenko (surnommée Tchouri) affiche en effet un D/H de 0,053 %, 3 fois supérieur à ce qui est mesuré sur Terre : toutes les comètes de cette région du système solaire n'ont pas pu contribuer de manière substantielle à la formation de nos océans. Le 13 novembre 2015, la publication dans Science de travaux d'un groupe basé à Hawaï vient une nouvelle fois semer le trouble : dans des échantillons de lave provenant de l'île de Baffin, dans l'Arctique canadien, les chercheurs ont découvert de l'eau - dans des inclusions vitreuses emprisonnées dans de l'olivine - dont le D/H est nettement inférieur à celui de l'eau terrestre : le deutérium est appauvri d'environ 20 % par rapport à l'eau de nos océans (Fig.1). Et comme ces roches proviennent du manteau terrestre profond, le groupe estime qu'il a découvert une eau primordiale, qui était présente dans le nuage de poussières et de gaz issu de la nébuleuse protosolaire, dont l'accrétion a formé la Terre, il y a un peu plus de 4,5 milliards d'années. "Ces roches que nous avons étudiées ont été exhumées par les glaciations récentes qui ont raboté la surface du sol, raconte Lydia Hallis, aujourd'hui à l'université de Glasgow, l'auteure principale de l'étude publiée dans Science. Elles n'ont pas eu le temps d'être altérées par les conditions climatiques, ni par un contact avec des roches sédimentaires". Les échantillons de l'île de Baffin ont été collectés en 1985 ; ils ont fait depuis l'objet de nombreuses publications qui attestent de leur origine profonde. "L'eau qu'ils contiennent était piégée dans les entrailles de la Terre depuis sa formation". Pour la jeune scientifique comme pour ses coauteurs, il n'y a donc aucun doute. "Les poussières de la nébuleuse protosolaire étaient riches en eau. La Terre a donc eu des apports d'eau considérables au moment même de sa formation, et en a perdu ensuite. De l'eau contenue dans ses entrailles est ensuite remontée vers la surface en raison de l'activité volcanique, et c'est cela qui a formé les océans. Notre découverte montre que l'eau n'est pas venue des comètes ou d'astéroïdes, ou en tout cas en infime proportion", affirme Lydia Hallis, qui souligne que tout a été fait pour que les échantillons ne soient pas contaminés. Cette interprétation tranchée n'est pas partagée par l'ensemble de la communauté scientifique, à l'image de Bernard Marty, du Centre de recherches pétrographiques et géochimiques (université de Lorraine) à Nancy, qui a notamment participé à l'étude de l'eau de la comète 67P/Churyumov-Gerasimenko : "Il s'agit de données très intéressantes. Cependant, je ne suis pas convaincu à 100 % par les résultats de ces analyses, explique le géochimiste. Il faudra que d'autres études les confirment. De plus, mes collègues font des extrapolations de leurs mesures qui ne me paraissent pas pertinentes". Pour lui, rien ne prouve que l'eau contenue dans les échantillons de roche n'a pas subi de transformation au fil du temps, y compris quand ceux-ci se trouvaient dans les entrailles de la Terre, au point de donner l'illusion que l'essentiel de notre eau était là dès l'origine. "On sait que l'hydrogène peut diffuser à travers le verre les noyaux légers plus rapidement que les lourds, pourtant mes collègues ne disent rien de ce processus".

JEU DE PISTE : Pour le géochimiste français, qui a publié un travail de référence sur les apports d'éléments par les astéroïdes et qui en prépare un autre sur les apports cométaires, il faudrait conduire d'autres analyses isotopiques portant sur l'azote et sur des gaz rares pour pouvoir renforcer l'hypothèse faite par le groupe de Lydia Hallis. "Ils n'expliquent pas comment l'hydrogène a pu arriver de la nébuleuse. Car à l'époque, celle-ci était très chaude, et l'hydrogène est très volatil". Comment de l'eau, présente à l'état de vapeur ou plus vraisemblablement dissociée, a-t-elle pu rester emprisonnée dans les grains de poussière de la nébuleuse ? "Nous pensons que la structure des grains de poussière a pu jouer le rôle de cage piégeant de l'hydrogène et de l'oxygène, souligne Lydia Hallis. Ensuite ces gaz se sont combinés pour former de l'eau, quand la température a diminué". Une hypothèse trop récente pour avoir pu être démontrée ou infirmée.
"À supposer que les données soient exactes, cela ne prouve pas pour autant que l'eau terrestre provient uniquement de la nébuleuse protosolaire, répond Bernard Marty. On peut tout à fait imaginer un scénario multiple. Notre Terre s'est construite à partir de grandes quantités de matériaux de type - et peut-être d'origine - très varié". Pour lui, si l'origine cométaire de l'eau et de l'azote terrestre n'est peut-être pas dominante, comme le laissent penser les observations de Tchouri, les comètes ont pu apporter d'autres éléments tels que les gaz rares, dont elles sont richement dotées. "Nous sommes confrontés à un véritable jeu de piste, et cette étude a le mérite de relancer le débat", conclut Bernard Marty. Tous les regards sont désormais tournés vers la sonde japonaise Hayabusa 2. Si tout va bien, elle devrait revenir sur Terre en décembre 2020, après avoir récolté quelques échantillons sur l'astéroïde 162173 Ryugu.

La précieuse signature des isotopes stables.
L'étude de la teneur des isotopes d'un élément chimique est un outil précieux. Ainsi, l'évolution de la quantité d'isotopes instables, radioactifs, permet de réaliser des datations, tel le carbone-14 (14C) qui date la mort des organismes vivants. La mesure des isotopes stables est elle aussi en plein essor, tant pour la recherche scientifique que dans la vie quotidienne. Pour faciliter les comparaisons, les physiciens ont pris l'habitude de mesurer les ratios isotopiques à l'aide de la "notation delta". Celle-ci définit l'écart relatif, exprimé en pourcentage, entre le ratio isotopique de l'échantillon étudié et celui d'un échantillon de référence, par exemple l'Eau océanique moyenne normalisée de Vienne qui sert pour l'hydrogène et l'oxygène. Ainsi, le rapport entre la quantité de 18O et celle de 16O, l'isotope d'oxygène le plus abondant, sera décrit par le d18O. Un d18O de -2,2 % mesuré dans l'eau signifie que l'échantillon contient 2,2 % de moins de 18O que l'échantillon de référence, constitué à partir d'un mélange d'eaux océaniques.
Ces techniques isotopiques fournissent une signature de l'histoire des échantillons, puisque la proportion des isotopes lourds dans une substance trahit les phénomènes physico-chimiques qu'elle a subis. Ainsi, quand l'eau s'évapore, ses molécules les plus légères s'échappent plus facilement. La vapeur contiendra donc moins de deutérium et de 18O que l'eau de départ. Ce fractionnement étant d'autant plus important que la température est basse, les nuages et la pluie seront plus proches de la composition de l'eau de mer sous les tropiques que dans les régions tempérées et bien sûr polaires. Ces différences se retrouvent tout naturellement dans les végétaux, les animaux et les humains, qui s'abreuvent de cette eau. Ainsi, un sucre issu de betterave cultivée en Pologne affichera un d13C nettement plus négatif que celui d'un sucre de canne cultivée au Brésil. L'analyse isotopique a gagné toutes sortes de domaines la lutte contre le braconnage, la médecine légale ou la détermination d'une source de pollution. Pour être plus précis encore, certains outils évaluent simultanément les "deltas" de plusieurs éléments, comme le carbone-13 et l'azote-15 qui permettent de déterminer l'origine de produits agricoles ou de substances illicites comme la marijuana.

D.D. - LA RECHERCHE N°507 > Janvier > 2016

 

   
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