Du Néandertal en Nous

200.000 Ans : la Rencontre Oubliée

T.C.-F. - SCIENCE & VIE N°1240 > Janvier > 2021

Un Chromosome Y très Sapiens

F.S. - POUR LA SCIENCE N°518 > Décembre > 2020

Les Africains aussi ont des Ancêtres Néandertaliens

F.S. - POUR LA SCIENCE N°510 > Avril > 2020

Peut-on Ressusciter Néandertal ?

F.T. - ÇA M'INTÉRESSE Questions N°26 > Mai-Juillet > 2019

Quel Homme de Neandertal Sommeille en Nous ?

Y.C. - ÇA M'INTÉRESSE HS N°9 > Avril-Mai > 2018

Neandertal nous a aussi légué une MST

T.C.-F. - SCIENCE & VIE N°1192 > Janvier > 2017

765 000 ans

L'âge de la séparation entre la lignée de l'homme moderne et celle de Neandertal.

Quelques centaines de milliers d'années plus tard, nouveau divorce chez les prénéandertaliens : il y a 430 000 ans, les Homo heidelbergensis et les hommes de Denisova divergeaient, a en effet montré l'analyse du plus vieil ADN humain jamais analysé provenant d'hominidés de la Sima de Los Huesos (Espagne).
Source : Mathias Meyer, MAX PLANCK Institut, Leipzig, Allemagne.

R.M. - SCIENCES ET AVENIR N°830 > Avril > 2016

6 à 9 %

C'est le taux d'ADN néandertalien le plus élevé trouvé chez un Homo sapiens de 40.000 ans, l'un des plus anciens d'Europe.

L'Institut Max-Planck a calculé que son arrière-arrière-grand-père était néandertalien et que sa descendance n'a pas survécu jusqu'à nous.

E.R. - SCIENCE & VIE N°1176 > Septembre > 2015

Voici ce que Neandertal nous a vraiment Légué

Si notre génome a conservé la trace de notre cousin, comment s'incarne cet héritage au niveau de nos gènes ? Deux études américaines viennent de répondre. Avec quelques surprises à la clé...

En 2010, les rumeurs de leur union avaient défrayé la chronique scientifique... Le scandale était venu des laboratoires de paléogénétique du Max-Planck Institut (Allemagne), qui avaient fait d'une pierre deux coups : ils lisaient pour la première fois l'ADN de notre cousin perdu, Neandertal, et, par ricochet, en découvraient des traces dans notre propre génome, pourtant estampillé sapiens. La conséquence d'une relation forcément sexuelle. D'autres travaux avaient suivi, pour approfondir le sujet : il y avait eu relations, certes, mais il y a 47.000 à 65.000 ans, à notre sortie d'Afrique, et l'hypothèse d'une orgie généralisée était écartée puisque seul un faible pourcentage d'ADN néandertalien survit en nous. Assez toutefois pour aiguiser la curiosité des biologistes : de lui à nous, qu'est-ce qui était passé ? "Jusqu'ici, nous cherchions à confirmer qu'il y avait bien eu échange... Maintenant, nous traquons ces fragments à travers tout notre génome", s'enthousiasme Joshua Akey, généticien à l'université de Waghington.

CHRONOLOGIE : Le dernier ancêtre commun à Neandertal et Homo sapiens est vieux de 500.000 ans. Puis, ces deux groupes ont évolué chacun de leur côté : en Europe et en Asie pour le premier, en Afrique pour le second. Si bien que quand ils se sont "retrouvés" il y a 40.000 ans au Moyen-Orient, ils avaient accumulé de nombreuses différences.

En ce début d'année 2014, son équipe et celle de Sriram Sankararaman, de la Harvard Medical School (Massachusetts), ont apporté les premières réponses. Leurs deux études ont disséqué les génomes de centaines d'Européens et d'Asiatiques de l'Est, les populations qui ont le plus d'ADN issu de Neandertal - puisque c'est dans ces régions que les métissages se sont produits. Joshua Akey a utilisé des méthodes statistiques qui ont fait ressortir de ces génomes des "anomalies" locales dans le texte génétique. Sriram Sankararaman, lui, a superposé ces génomes avec des ADN néandertalien et africain (exempt de tout apport néandertalien). Une séquence présente chez Neandertal et un Eropéen, absente chez l'Africain, provient du premier.
Par ces méthodes complémentaires, les chercheurs ont, pour la première fois analysé dans leur ensemble les 6 milliards de bases (lettres) qui composent notre ADN - sans se limiter aux 2 % correspondant aux gènes. Résultat : ils ont découvert où, dans notre génome, se cachaient des milliers de petits passages de moins de 100 lettres d'origine néandertalienne... Première surprise, entre un Européen et un Asiatique, ou deux Européens, les séquences héritées ne sont pas identiques. Ainsi, même si chacun de nous n'a que 1 à 3 % d'ADN d'origine néandertalienne, en cumulant ces petits pourcentages sauvegardés chez les uns et les autres, on arrive à reconstituer près de 40 % de cet autre génome ! De plus, les différences de séquences conservées laissent à penser que chaque groupe a gardé ce qui lui était utile... Neandertal l'Européen était en effet adapté à ce continent si différent de celui que connaissait le Sapiens originel africain : une copulation ici et là avec l'humain local était le meilleur moyen de récupérer ses avantages évolutifs.

LA SURPRISE DES "DÉSERTS" : Seconde découverte, les touches néandertaliennes sont disséminées en "mosaïque". Dans certaines courtes portions de notre ADN, elles peuvent atteindre 62 % chez les Asiatiques et 64 % chez les Européens ! "Ces séquences conservées ont dû être avantageuses pour notre espèce, indique Joshua Akey. La plupart concernent nos cheveux et notre peau" (voir infographie). Près du quart de nos gènes pourraient être retouchés dans leur séquence où leurs régions régulatrices.
Revers de la médaille, ces apports ne sont pas toujours bénéfiques. "Certains semblent influer sur des infections comme le lupus érythémateux, la cirrhose biliaire, la maladie de Crohn, les addictions au tabac ou le diabéte de type 2", note Sriram Sankararaman. Mais la plus grande surprise pour les deux équipes vient des "déserts néanderlaliens" : "De vastes zones dépourvues de toute ascendance néandertalienne, s'étonne encore Sriram Sankararaman. Le chromosome X est concerné, comme les zones abritant des gènes actifs dans les testicules. Contre-productifs, les apports étrangers ont dû en être évacués par sélection naturelle. Les hybrides avaient peut-être un problème de stérilité, prouvant que Neandertal et nous étions presque devenus incompatibles... ou que ces régions sont spécifiques à notre humanité".
Alors qu'enfin les techniques permettent de découvrir l'héritage génétique de notre cousin, les 2 chercheurs fouillent nos chromosomes, y pistent les ajouts et les déserts... Joshua Akey en est certain, "mieux cerner ces régions qui nous sont spécifiques pourrait nous aider à comprendre ce que c'est qu'être 'humain', du moins génétiquement"...

DE NOUVELLES BRINDILLES À NOTRE ARBRE FAMILIAL
"Découvrir les séquences d'ADN que Neandertal nous a léguées n'est que la première étape, et la plus simple", explique Joshua Akey, de l'université de Washington. La méthode statistique qu'il a mise au point permet en effet de pister dans notre ADN les séquences pouvant provenir de métissages anciens, sans avoir besoin de comparer avec un génome de référence - dont on dispose pour Neandertal ou Denisova, mais pas pour Erectus, par exemple. "Nous nous intéressons en ce moment aux génomes africains, et nos premiers résultats semblent ajouter quelques brindilles inattendues à notre arbre familial"...

E.R. - SCIENCE & VIE N°1160 > Mai > 2014

Neandertal-Sapiens : le Face à Face

SCIENCES ET AVENIR N°796 > Juin > 2013

Un Peu de Lui en Nous

C'est une prouesse historique : en parvenant à séquencer le génome de Neandertal, les chercheurs d'une vingtaine d'équipes ont prouvé que notre lointain cousin croisa bel et bien ces gènes avec Sapiens... C'est-à-dire nous.

Les anthropologues le savaient : Neandertal et les premiers hommes modernes ont cohabité près de 50.000 ans, avant l'extinction mystérieuse de Neandertal il y a 28.000 ans. Mais ce que les fouilles archéologiques n'avaient pas pu déterminer, des analyses génétiques viennent de l'affirmer sans détour : Sapiens et Neandertal n'ont pas fait que se croiser, ils se sont reproduits et ont donné naissance à des hybrides fertiles. Si bien qu'aujourd'hui, nous possédons tous, ou presque, un peu d'ADN néandertalien dans nos cellules. Si cette découverte tranche une controverse qui l'anime la paléontologie depuis plusieurs années, c'est, plus encore que les résultats, la prouesse technique qui a été saluée. Le séquençage du génome de Neandertal apparaît aux yeux des spécialistes comme un exploit historique, le début d'une nouvelle ère pour la paléontologie. "Il y a six ou sept ans, je pensais qu'il serait impossible d'obtenir le génome complet de Neandertal", expliquait en mai Svante Paabo (photo), le généticien qui a coordonné l'étude à l'Institut Max-Planck d'anthropologie évolutive de Leipzig, lors d'une conférence de presse. Car reconstituer et "lire" un génome vieux de 40.000 ans n'est pas une mince affaire. Il a fallu l'ingéniosité d'une vingtaine d'équipes internationales mobilisées pendant quatre ans pour venir à bout de tous les obstacles liés à l'ancienneté de cet ADN.

DES ÉCHANTILLONS DANS UN ÉTAT DÉPLORABLE : La première difficulté étant de le récupérer en bon état - en l'occurrence à partir d'os néandertaliens vieux de 28.000 à 44.000 ans, découverts vers 1980 dans la grotte de Vindja, en Croatie (->). Or, malgré d'immenses précautions et des manipulations en chambre stérile, l'ADN extrait chimiquement était dans un état déplorable : dégradé en minuscules fragments, abîmé par le temps, l'environnement et les manipulations des archéologues... Et, surtout, contaminé par des bactéries (près de 99 % de l'ADN récolté par les chercheurs provenait de bactéries ou de champignons ayant colonisé les os au fil du temps). Pour "repêcher" l'infime proportion d'ADN néandertalien, les chercheurs ont dégradé l'ADN bactérien à l'aide d'enzymes de restriction qui attaquent spécifiquement ce matériel génétique. Restait le défi majeur : s'affranchir des contaminations humaines (des cellules de la peau détachées lors de la manipulation des os) qui auraient conduit à analyser l'ADN de l'homme moderne à la place de celui de Neandertal. "Contrairement aux bactéries, l'homme de Neandertal est si proche de nous qu'il est impossible de différencier facilement nos ADN", explique Svante Paabo. Entre autres astuces, les équipes ont choisi des os de femmes néandertaliennes, sur lesquels ils ont recherché la présence du chromosome Y (le chromosome masculin). En toute logique, un nombre élevé de chromosomes Y était le signe d'une contamination importante. Finalement, sur vingt et un os analysés, trois ont été sélectionnés, appartenant à trois femmes Neandertal. Ils en ont extrait 500 mg de poudre d'os, contaminée à moins de 1 % par de l'ADN actuel avec une roulette de dentiste (->).
Restait ensuite à lire l'enchaînement des éléments chimiques (les bases) qui constituent le génome de Neandertal. Pour ce séquençage, l'équipe a bénéficié d'une merveille de technologie, une machine 100 fois plus rapide que les séquenceurs classiques et capable de déchiffrer jusqu'à 400.000 fragments d'ADN en parallèle. Indispensable, compte tenu de l'ampleur de la tâche. En effet, l'ADN de Neandertal, comme le nôtre, contient environ 3 milliards de bases. Or, l'ADN néandertalien était fragmenté en minuscules tronçons d'à peine 200 bases de long, que des algorithmes informatiques ont remis bout à bout. Pour l'instant, 60 % du génome est reconstitué et doit encore être séquencé plusieurs fois afin d'éliminer les erreurs de lecture. Mais, même incomplète, la première ébauche du génome de Neandertal offre une montagne de données et lève enfin le voile sur nos relations intimes avec notre cousin...
Les chercheurs ont ensuite séquencé les génomes d'hommes vivants, venant de régions distinctes du globe : un Français, un Han de Chine, un Papou de Nouvelle-Guinée, un Yoruba d'Afrique de l'Ouest et un San d'Afrique du Sud. Leur hypothèse ? S'il y a eu métissage avec Neandertal, cela devrait surtout se voir chez le Français, car Neandertal a vécu en Europe, mais jamais en Asie orientale, ni en Afrique. En comparant le génome de ces cinq hommes à celui de Neandertal, l'équipe a d'abord été frappée par la similitude : ils sont identiques à 99,7 %. Mais, sur les cinq génomes actuels étudiés, l'africain est légèrement plus éloigné de celui de Neandertal que les autres. Autrement dit, les ancêtres des Français, des Papous et des Chinois se sont "rapprochés" des néandertaliens après avoir migré hors d'Afrique il y a quelque 100.000 ans. "Cette proximité des génomes apporte la preuve qu'il y a eu des croisements entre Neandertal et Homo sapiens, explique Svante Paabo. Et la trace étant la même chez tous les non-Africains, les croisements ont dû survenir hors d'Afrique juste avant que les différents groupes ne se scindent pour coloniser l'Europe et l'Asie."

DE 1 A 4 % DE NOTRE ADN VIENT DE NEANDERTAL : Ce métissage pourrait avoir eu lieu au Proche-Orient, il y a 80.000 à 60.000 ans. Impossible, pour l'instant, de savoir en quelle proportion et à quelle fréquence les deux populations d'hominidés se sont mélangées. "Cependant, estime Ed Green, chercheur à l'Institut Max-Planck et coauteur principal de l'étude, les modélisations suggèrent que quand une population colonise un territoire et se reproduit avec certains 'locaux', ici Neandertal, un faible taux de croisement suffit à laisser des traces dans le génome des envahisseurs". La découverte d'un tel métissage est d'autant plus surprenante que Svante Paabo avait conclu à l'absence de croisements en 1997, lorsqu'il avait comparé l'ADN mitochondrial de Neandertal avec celui de Sapiens, un ADN qui se trouve dans les "usines énergétiques" des cellules, les mitochondries. "Ce n'est pas surprenant, explique toutefois Ed Green. Le génome mitochondrial est petit et, comme l'immense majorité de notre génome, il ne porte aucune trace de Neandertal, ce qui n'empêche pas que d'autres parties en contiennent".
Au total, les chercheurs ont estimé que de 1 à 4 % de l'ADN des non-Africains actuels provient des hommes de Neandertal. Un peu comme des membres d'une famille possèdent des portions communes de génome. "On peut faire le parallèle suivant : vous partagez environ 1/8 (12,5 %) de votre génome avec votre cousin, car vous avez un ancêtre commun. Cela ne veutpas dire que vous avez 87,5 % de différence génétique avec lui. Les êtres humains ne diffèrent que de 0,1 % sur le plan génétique. Cela signifie que pour 12,5 %, votre génome est exactement identique à celu de votre cousin. Pour le reste, vous êtes très proche, mais présentez quelques différences. De même, les non-Africains partagent un ancêtre relativement récent avec Neandertal, ayant contribué à 1 à 4 % de leur génome", explique Ed Green. Ouels sont donc les gènes que Neandertal nous a légués ? Impossible de le savoir. "Ces bribes de génome néandertalien sont réparties sur l'ensemble de notre ADN, au hasard", ajoute le chercheur. "Pour l'instant, le but n'est donc pas d'étudier Neandertal, mais plutôt d'en apprendre plus sur nous-mêmes", souligne de son côté Svante Paabo. L'équipe s'est donc focalisée sur les séquences d'ADN uniques à l'homme moderne, ces 0,3 % de génome que l'on ne retrouve pas chez Neandertal et qui définissent ce qui nous rend Sapiens.

UN NOUVEAU REGARD SUR NOS ORIGINES : "Les régions du génome spécifiques à Sapiens sont surtout impliquées dans la régulation de l'expression des gènes. Des différences qui jouent sûrement un rôle important", analyse Ed Green. L'explication de notre "modemité" ? Non, répondent les chercheurs, pas plus que celle de notre supposée supériorité intellectuelle. En fait, ce qui les étonne le plus, c'est le peu de différences entre les deux génomes. Reste une certitude : que les deux "espèces" se soient reproduites change radicalement notre regard sur l'homme de Neandertal. Et donne une nouvelle tournure à l'histoire de nos origines et de notre évolution.

M.C. - SCIENCE & VIE > Juillet > 2010

Ce que Cela Change pour Notre Espèce

Ainsi donc, l'homme de Neandertal et Homo sapiens sapiens se sont non seulement croisés, mais ils ont croisé leurs gènes ! En dévoilant que de 1 à 4 % de notre ADN est directement hérité de Neandertal, les chercheurs de Leipzig bouleversent l'idée que nous nous faisions jusqu'à présent de nos origines.

Car leur découverte pose une question cruciale : puisqu'il y a eu descendance hybride fertile, faut-il en déduire que ces deux branches de l'humanité forment une seule et même espèce ? Certes, la communauté scientifique n'avait pas attendu de faire parler l'ADN de Neandertal pour supposer un métissage. Mais, avant cette preuve génétique, elle devait se contenter d'hypothèses, basées notamment sur l'estimation du temps de cohabitation de Neandertal et Sapiens sur la planète (50.000 ans dans la même région, le Moyen-Orient). Qui plus est, la découverte d'objets trop semblables pour les attribuer à l'une ou l'autre des populations alimentait aussi cette idée. "Soit les deux populations s'étaient rencontrées, explique Marie-Hélène Moncel, préhistorienne au Muséum national d'histoire naturelle de Paris, spécialiste des comportements et outillages, soit on avait affaire à une convergence : sans se concerter, des populations différentes produisent des choses similaires. On ne pouvait trancher. "également troublante, la découverte au Portugal en 1998 du squelette métissé de l'enfant de Lagar Velho, daté de moins 25.000 ans. A la fois néandertalien (robustesse des jambes, mandibules, longueur de ses tibias) et Sapiens (anatomie du crâne, dents, radius et pubis), était-il issu d'un couple mixte ou s'agissait-il d'un juvénile aux caractères encore mal définis ?

IL Y A BIEN EU DESCENDANCE FERTILE : Cette fois, le verdict de l'ADN ne laisse pas de place au doute : il y a bien eu croisement et descendance fertile. "Qu'en sortant d'Afrique, quelques sapiens et Neandertal aient eu une progéniture il y a 80.000 ans ou plus, peut avoir suffi pour laisser des traces dans le génome", explique Jean-Jacques Hublin, directeur du département d'évolution humaine de l'Institut Max-Planck de Leipzig. Désormais, ce n'est rien moins que notre qualité d'espèce distincte qui est en jeu. La mise en évidence d'un héritage néandertalien va-t-elle faire sauter la cloison séparant les deux tiroirs dans lesquels étaient rangés jusqu'alors Neandertal et Sapiens ? Si l'on s'en tient à la définition empirique du concept d'espèce, il faut revenir à celle établie par Buffon au XVIIIe siècle : "On doit regarder comme une même espèce celle qui, au moyen de la copulation, se perpétue et conserve la similitude de cette espèce". A l'inverse, par exemple, des métissages de l'âne et de la jument ou de l'ânesse et du cheval qui donnent des mulets et des bardots, rejetons stériles interdisant le regroupement de leurs parents dans une seule et même espèce. Des chercheurs comme Bruno Maureille, paléoanthropologue à l'université de Bordeaux, spécialiste de Neandertal, n'avaient pas attendu les résultats de Leipzig pour parler d'une seule et même espèce : "Comme beaucoup de mes confrères, j'ai toujours parlé d'Homo sapiens neanderthalensis, et d'Homo sapiens sapiens comme appartenant à la même espèce. Pour moi, en prouvant que les deux populations ont eu des descendants féconds, cette publication le confirme". A condition que le critère biologique établi par Buffon soit toujours valable...

LE DÉBAT SUR LA NOTION D'ESPÈCE EST RELANCÉ : "Le concept d'espèce défini par une barrière de non-interfécondité a été mis en pièces par les faits depuis un moment déjà, rétorque Jean-Jacques Hublin. Ne serait-ce que ces quinze dernières années, nous avons des centaines d'exemples, dans la nature, d'espèces qui se sont hybridées en donnant des populations viables et fécondes, ce qui ne fait pas d'elles une seule espèce, comme des coyotes et des loups du nord des Etats-Unis qui donnent naissance à des individus fertiles et restent deux espèces bien distinctes". Les chercheurs de Leipzig sont bien conscients que leurs conclusions viennent de relancer le débat sur la notion d'espèce et sur les origines de l'homme. Plutôt que d'y répondre, ils choisissent de remettre en question l'énoncé même du problème, comme Ed Green, premier signataire de l'article : "Avant même de disposer d'une séquence du génome de Neandertal, ce n'était pas évident de tracer la frontière entre les espèces. Maintenant, c'est encore plus dur. En fait, c'est le terme 'espèce' qui doit être redéfini"... L'affaire touche aux fondements même de la biologie et de ces efforts de classification. Reste que, si ce débat prend soudain un aspect si délicat, c'est probablement qu'il touche à Neandertal, vu comme un primitif frustre, simiesque et décervelé dont il faut admettre qu'il est notre ancêtre. Ce serait ignorer que son image s'est aujourd'hui considérablement améliorée au fil des découvertes de ces vingt dernières années. Les conclusions de Leipzig tombent à point en cette période de réconciliation avec celui qu'il faut bien voir comme un membre de notre petite famille...

Christelle et Laurent Orluc - SCIENCE & VIE > Juillet > 2010


Neandertal n'était pas une Brute Épaisse

Les premiers paléoanthropologues, au XIXè siècle, en avaient fait une brute sauvage et stupide.

Puis les scientifiques lui ont accordé quelques réalisations - parures, etc. - mais en tant qu'imitateur d'Homo sapiens ! Aujourd'hui, on sait que "Neandertal n'était ni inférieur ni supérieur, il était juste différent", indique Marylène Patou-Mathis, directrice de recherche au CNRS et responsable du laboratoire d'archéo-zoologie au département Préhistoire du muséum national d'histoire naturelle de Paris. Effectivement, notre cousin était plus petit, plus puissant que nous, et son faciès caractéristique (menton et front fuyant, etc.) le distinguait immédiatement de nous. Mais cet autre homme, apparue il y a plus de 500.000 ans et qui fut le maître de l'Europe jusqu'il y a 30.000 ans, était aussi un excellent chasseur de gros gibier, capable d'utiliser des pigments (tels que l'ocre), qui créait ses propres parures et qui enterrait ses morts. Chaque année apporte son lot de surprises. Et à l'heure où son génome vient d'être publié et où l'on découvre que près de 4 % de notre propre ADN vient du sien, les révélations ne font que commencer.

E.R. - SCIENCE & VIE > Août > 2010
 

   
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