L'Espérance de Vie en Baisse

Covid-19 : Chute Historique de l'Espérance de Vie (Europe et USA)

D.RO. - LE MONDE > 23-24 Octobre > 2022

L'Espérance de Vie des Américains n'augmente Plus

P.K. - SCIENCES ET AVENIR N°879 > Mai > 2020

L'Espérance de Vie par Pays
L'Espérance de Vie des Femmes ne progresse presque Plus

ÇA M'INTÉRESSE N°420 > Février > 2016
SCIENCE & VIE N°1185 > Juin > 2016

L'Espérance de Vie en Bonne Santé a dépassé les 60 ans

E.H. - SCIENCE & VIE N°1180 > Janvier > 2016

La Chine perd 5,5 ans d'Espérence de vie

C'est ce qu'ont perdu en espérance de vie les habitants du nord de la Chine du fait de l'utilisation massive de charbon.

Selon Yuyu Chen, de l'université de Pékin, c'est le résultat de livraisons gratuites de ce combustible pour le chauffage de 1950 à 1980. La concentration en particules fines dans l'air y aurait ainsi été 55 % plus élevée qu'au Sud, provoquant des maladies cardio-respiratoires.

S.F. - SCIENCE & VIE > Septembre > 2013

Espérance de Vie en bonne Santé : elle Baisse

Jusqu'ici, l'histoire était belle : les progrès sanitaires ne cessaient de garantir une vie toujours plus longue et en bonne santé. Ce n'est désormais plus le cas ! En France, la génération des "baby boomers" est la première pour qui l'espérance de vie en bonne santé marque un coup d'arrêt. Et il ne s'agit pas là d'une exception hexagonale quand la crise semble mondiale. Pourquoi ? Comment enrayer ce phénomène ? Notre dossier spécial...

Une grande championne... qui se découvre des pieds d'argile. L'espérance de vie en France a connu, entre 2004 et 2011, une augmentation de près de deux ans pour les hommes comme pour les femmes. Désormais, elle atteint une moyenne cumulée de 81,4 années. Plus remarquable encore, les Françaises qui ont aujourd'hui 65 ans détiennent un record mondial de longévité, juste derrière les Japonaises, avec plus de 23 années d'existence devant elles. Le sort de notre pays est enviable. Indéniablement, la France est une nation qui sait mener ses citoyens jusqu'à un âge très avancé. Mais dans quel état ? C'est précisément là que la situation semble se gâter. Car l'espérance de vie en "bonne santé" amorcerait en France un déclin à la fois inédit et inattendu... Plus précisément, certains des voyants chargés de refléter la future "bonne santé" des populations au murs de leur vieillissement passent progressivement du vert à l'orange ; quand d'autres tirent carrément vers le rouge ! Un exemple ? On estime désormais qu'à la naissance, l'espérance de vie "en bonne santé" représenterait pour les femmes françaises 74 % de leur vie, alors qu'elle était de 77 % en 2004. Autrement dit, si les filles qui naissent aujourd'hui voient leur vie s'allonger de deux ans, le temps de vie où elles souffriront d'incapacités a, lui, augmenté de deux ans et demi. De quoi s'interroger brutalement sur la valeur des années gagnées... Dans tous les cas, c'est un choc. L'espérance de vie a longtemps été le seul indice déterminant de ce que l'on appelle le progrés (et qui englobe les progrés techniques, sanitaires, etc.) et a toujours témoigné en sa faveur. Et voici que, pour la première fois, ce n'est plus le cas - à tout le moins pour ce qui concerne l'espérance de vie en bonne santé.

UN PHÉNOMÈNE TOTALEMENT INÉDIT

Comment expliquer ce phénomène ? Une première hypothèse vient naturallement à l'esprit : celle résultant d'un simple effet du vieillissement de la population. De fait, plus on vieillit, plus il paraît logique que la vie au quotidien s'en ressente. Visiblement non. Car ce ne sont pas les aînés qui pèsent le plus lourd dans ce phénomène... Au contraire, ce sont les générations suivantes, donc plus jeunes, qui semblent en payer le prix. Et plus particulièrement les baby-boomers, celles et ceux qui sont nés entre 1945 et 1964 : considérés comme les plus choyés par les progrés sociaux et médicaux, ils pourraient paradoxalement être devenus le moteur du déclin.
Pourtant, i1 faut reconnaître que le sujet reste très polémique. De fait, la question légitime de l'espérance de vie en "bonne santé" est un véritable casse-tête pour les démographes, habitués à baliser nos vies avec deux grands rendez-vous - la naissance et la mort - mais bien moins habiles lorsqu'il s'agit d'estimer la qualité de toutes ces vies. Depuis des décennies, pour tenter de la mesurer, des chercheurs ont mis au point différents outils... qui de leur aveu même restent imparfaits. Ils se heurtent en effet à la subjectivité des individus lorsqu'on leur demande de définir leur propre état de santé, mais aussi à la disparité des recours au dépistage ou aux soins pour connaître les maladies dont ils sont réellement atteints.
Pourtant, récemment, un de ces outils a fini par se détacher du lot, jugé suffisamment robuste et simple pour devenir la référence dans toute l'Europe. Il s'agit de "l'espérance de vie sans incapacité" (EVSI), c'est-à-dire le solde des années que l'on est censé pouvoir passer sans être limité dans la pratique de ses activités quotidiennes (se déplacer, se nourrir, se vétir...). "Cet indicateur présente l'avantage de prendre en compte à la fois les maladies, qu'elles soient identifiées ou non par la personne, et leurs retentissements sur la vie de tous les jours", explique Jean-Marie Robine, chercheur à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et coordinateur du projet EVSI pour l'Europe. Simple. On demande aux panicipants à ces études (voir encadré sur la méthodologie ci-dessous) de répondre à une seule question : "Etes-vous limité à cause d'un problème de santé depuis au moins six mois dans les activités que les gens font habituellement ?" Trois niveaux de réponses sont proposés : "Oui fortement limité", "Oui, mais pas fortement limité", "Non, pas limité du tout". Efficace, l'analyse des dossiers médicaux et des habitudes de vie d'une partie des participants a permis de valider la pertinence de cette simple question.

D'OU VIENNENT LES CHIFFRES ?
En Europe, l'espérance de vie sans incapacité est devenue synonyme d'espérance de vie en bonne santé. Sur cette base, les démographes des 27 pays de l'Union posent, chaque année depuis 2004, la même question à leurs ressortissants : dans quelle mesure avez-vous été limité(é) depuis au moins six mois, à cause d'un problème de santé, dans les activités que les gens font actuellement ? Les réponses de plus de 400.000 Européens sont analysées par groupes d'âges (16-50 ans, 50-65 ans et plus de 65 ans). Pour en déduire l'espérance de vie en bonne santé à la naissance, les démographes utilisent des modélisations mathématiques qui permettent de projeter les données des générations passées sur l'avenir de leurs enfants.

Et que disent les dernières tendances de l'EVSI sur la situation française ? Tout simplement que "le nombre d'années vécues avec des incapacités tend à augmenter et que l'espérance de vie sans incapacité, elle, semble perdre peu à peu du terrain", résume Jean-Marie Robine. Même si tout le monde n'est pas concerné, on peut avancer que les années 2000 ont plongé notre pays dans ce que les théoriciens de la démographie appellant le "scénario de l'expansion des incapacités", explique le chercheur. Soit une augmentation du nombre d'années vécues avec des incapacités au sein de l'espérance de vie. Ainsi, un homme qui nait aujourd'hui vivra désormais plus de 16 ans avec des incapacités, contre 15 pour un homme né en 2004. Si le nombre des années qu'il devra passer avec une incapacité a augmenté par rapport à ses aînés, ces dernières continuent de représenter 20 % du solde de sa vie compte tenu de l'augmentation de son espérance de vie brute. Du côté des femmes en revanche, c'est beaucoup plus inquiétant : les incapacités entacheront 22 ans de leur vie, contre 15,5 en 2004 ! Et ces années représenteront désormais 26 % de leur vie contre 23 % six ans plus tôt.
Ce "scénario de l'expansion" marque ce que l'on considère comme la troisième phase de notre passé récent. Dans les années 1980 en effet, alors que la population vieillissait déjà, l'Hexagone affichait une forme insolente en comparaison d'autres pays occidentaux. Il traversait une sorte de lune de miel avec une augmentation nette de l'espérance de vie où "toutes les années gagnées l'étaient alors pratiquement sans incapacité", précise Jean-Marie Robine. Sont venus ensuite les années 1990 et le scénario dit de "l'équilibre dynamique" : on a alors certes constaté une augmentation du nombre des incapacités, mais aussi une diminution de leur sévérité et de leur impact sur la santé. Si l'on a pu à cette époque comparer les grandes tendances d'une décennie à l'autre, il est resté difficile d'effectuer un suivi de ces espérances de vie sans incapacité, tant les méthodologies ont été, chaque fois, sensiblement modifiées.
Arrivent aujourd'hui les années 2000. Et le point de bascule vers une expansion des années de vie avec des incapacités ! Même si toutes les générations ne sont pas cnncernées par cette tendance. Comment le sait-on ? Grâce à la nouvelle méthodologie de l'EVSI, qui estime l'espérance de vie à 4 stades de l'existence : à la naissance, à 16 ans, 50 ans et 65 ans. "Si le déclin de l'EVSI en France se confirme dans les prochaines années, il proviendra des générations qui n'ont pas encore 65 ans aujourd'hui", précise Jean-Marie Robine. C'est en effet la vie future des baby-boomers qui s'assombrit le plus. Depuis 2004, les cinquantenaires ont presque gagné une année et demie de vie mais, dans le même temps, leur espérance de vie en mauvaise santé s'est, elle, allongée de deux ans ! Faut-il voir là la rupture d'un contrat passé avec le progrès ?

4 MALADIES MINENT L'ESPÉRANCE DE VIE EN BONNE SANTÉ
Pour les hommes comme pour les femmes, les troubles musculo-squelettiques (arthrose...) arrivent en haut de la liste des maladies qui provoquent des incapacités. Viennent ensuite les maladies cardio-vasculaires (hypertension, insuffisance cardiaque, accident vasculaire cérébral...). À la troisième place, des différences apparaissent entre les sexes. Les hommes souffrent davantage de troubles respiratoires (cancer du poumon, asthme, BPCO, insuffisance respiratoire...) que les femmes. Qui sont, elles, plus souvent victimes de dépression et d'anxiété. Les cas de maladies neuro-dégénératives (maladie d'Alzheimer) sont également de plus en plus nombreux.

ESPÉRANCE DE VIE : LA NOUVELLE DONNE DE LA FAMILLE FRANÇAISE...
Entre 2004 et 2010, toutes générations confondues, la somme des années passées en mauvaise santé a augmenté. Leur nombre a parfois même dépassé celui des années gagnées en espérance de vie. D'une manière générale ce sont les femmes qui sont les plus touchées par ce phénomène.

C.T. - SCIENCE & VIE > Juin > 2013

Vers une Crise Mondiale de l'Espérance de Vie

De plus en plus de malades : voilà ce que signifie globalement le gain d'espérance de vie. De quoi bouleversé l'état sanitaire du monde...

Une vie toujours plus longue... mais pas forcément en meilleure santé. Le constat en demi-teinte récemment dévoilé sur les conditions de vie de la populafion dans l'Hexagone représente-t-il une nouvelle exception frangaise ? Ou bien s'agit-il du lot commun de tous les pays à l'espérance de vie élevée ? Voire de l'inévitable destin des pays où l'on meurt encore jeune ?
Une chose est sûre : les conséquences de l'allongement de l'espérance de vie sur la santé divisent démographes, épidémiologistes et gérontologues depuis plus de trois décennies. Pour les uns, puisque les progrès médicaux repoussent l'apparition des maladies, les années gagnées sur la mort le sont majoritairement en bonne santé. De sorte qu'avec l'accroissement de l'espérance de vie, on devrait assister à une reduction du temps passé malade au cours de son existence - c'est la théorie de la "compression de la morbidité". Les autres estiment, au contraire, que ces progrès médicaux maintiennent surtout plus longtemps en vie les personnes en mauvaise santé. "L'échec du succès" comme le formulait en 1977 l'Américain Ernest Gruenberg, auteur de la théorie de "l'expansion de la morbidité", selon laquelle l'allongement de la vie va de pair avec la maladie. Or, depuis quelques mois, les contours de la réponse qui permettrait de trancher ce débat commencent à se dessiner. Au-delà du cas de la France, une vaste étude portant sur les 27 pays de l'Union européenne, publiée en avril dernier, semble nettement faire pencher la balance du côté du second scénario : celui de l'expansion des années en mauvaise santé. Alors que l'espérance de vie des Européens de 65 ans à augmenté de plus d'un an entre 2005 et 2011, leur espérance de vie en bonne santé (définie ici comme "sans limitations dans les activités quotidiennes") ne progressait quasiment pas. "En Europe, en moyenne, toutes les années de vie gagnées depuis 2005 ont été des années avec des incapacités", résume Jean-Marie Robine, chercheur à l'Inserm, cheville ouvrière du projet. Même s'il existe une diversité de situations en Europe, la condition des Français, tout en étant particulièrement marquée, est donc loin d'être une exception.
Mais qu'en est-il au-delà de ce cercle assez fermé, et économiquement privilégié, des pays européens ? Une étude, publiée en décembre 2012 dans le cadre d'un imposant projet de recherche sur le poids des maladies dans le monde, en donne pour la première fois une idée. Baptisée "Global burden of disease study 2010" ("Etude du fardeau global des maladies"), ou GBD, cette étude est présentée par certains comme la plus vaste jamais lancée sur la santé humaine. Elle a mobilisé 486 chercheurs de 50 pays pendant cinq ans ! Leur ambition ? Dresser le portrait le plus exhaustif possible de la santé de la population mondiale. En compilant toutes les données disponibles, et à grand renfort de modélisations statistiques, les scientifiques ont estimé pour chaque âge, chaque sexe et chaque pays, la prévalence de près de 300 maladies ou accidents, ainsi que la sévérité des incapacités qu'ils engendrent. De quoi calculer l'espérance de vie en bonne santé des hommes et femmes de 187 pays, ainsi que l'évolution de cet indicateur entre les années 1990 et 2010.

UNE MORBIDITÉ GLOBALE EN HAUSSE

Les résultats ? "La bonne nouvelle, résume Joshua Salomon, de l'école de santé publique de Harvard (États-Unis), c'est que l'espérance de vie en bonne santé à la naissance a progressé pratiquement partout dans le monde ces vingt dernières années, d'un peu plus de quatre ans en moyenne. La mauvaise, c'est qu'elle a augmenté moins vite que l'espérance de vie à la naissance, qui a bondi de près de cinq ans. La population mondiale a donc gagné des années de vie en bonne santé, mais d'autres en mauvaise. Ce constat mondial recouvre une multitude de situations particulières. L'espérance de vie en bonne santé peut ainsi varier du simple au double entre les pays, voire davantage : plus de 70 ans au Japon, contre 27 ans à Haïti... De même, les femmes vivent partout, à de rares exceptions près, plus longtemps en bonne santé que les hommes.
Il n'empêche, une tendance générale se dessine : entre 1990 et 2010, le temps passé en mauvaise santé a augmenté dans la majorité des pays (voir carte). Globalement, pour chaque année d'espérance de vie à la naissance en plus, se sont 10 mois en bonne santé qui ont été gagnés, et deux mois de mauvaise santé additionnels. Pour les personnes de 50 ans, le gain est réduit à 9 mois de bonne santé. "Si on la définit comme une augmentation du temps passé avec des incapacités au fur et a mesure que l'espérance de vie augmente, alors nos résultats suggèrent une expansion de la morbidité dans le monde", conclut Joshua Salomon.
Le débat vieux de 30 ans sur la relation entre longévité et santé serait-il tranché ? Pouvons-nous affirmer que l'humanité, à l'instar des Français, prend le chemin d'une morbidité galopante ? Difficile d'être catégorique, car cette colossale étude a soulevé certaines réserves. "je ne suis pas très à l'aise avec le GBD, car il s'agit essentiellement d'une 'boîte noire' en termes de données et d'analyses, explique Carol Jagger, professeur d'épidémiologie du vieillissement à l'université de Newcastle (Royaume-Uni), qui a participé à l'enquête sur l'état de santé des Européens. Dans notre étude, au contraire, nous n'avons utilisé que des données réelles, obtenues à partir de questionnaires conçus pour que les réponses soient comparables entre les différents pays européens".

UN ÉNORME DÉFICIT DE DONNÉES

Mais cette approche n'est pas applicable à l'échelle planétaire car, de l'aveu même des démographes qui se sont arraché les cheveux pour formuler une question faisant sens de la Bulgarie à la Suède, il est impossible de mettre au point un questionnaire "universel". Les différences culturelles sont telles qu'une question sur la santé n'est pas comprise de la même façon en Afrique, en Chine ou en Amérique du Sud... Par ailleurs, comme le déplore Jean-Marie Robine, il y a un énorme déficit de données vitales sur les populations dans le monde, car dans de nombneux pays, les registres de décés sont incomplets. "Seuls 70 pays sur 200 peuvent renseigner sur les causes de mortalité de leurs habitants, détaille le démographe. Le GBD comble ces lacunes en s'appuyant fortement, trop sans doute, sur de la modélisation, des projections, des estimations. Peut-être ont-il raison dans leurs conclusions, mais on ne peut pas répliquer cette étude par une enquête de terrain dans 200 pays".
Pressentant que les critiques me manqueraient pas, les auteurs du GBD avaient reconnu dès la publication des résultats "qu'une étude de cette ampleur a inévitablement de nombreuses limitations. Mais la philosophie du GBD est qu'il vaut mieux faire des estimations basées sur les meilleures données possibles que ne pas faire d'estimation". Et d'insister sur le fait que, pour la première fois, la même méthodologie a été appliquée pour les données des années 1990 et celles de 2010, ce qui donne une réelle pertinance aux évolutions mesurées entre ces deux dates. Il s'agit bien là d'une entreprise sans précédent, dont les enseignements sont innombrables et finalement crédibles. En particulier, ces données éclairent sur les ressorts cachés de l'état de santé des populations, permettant de faire plus finement que jamais la part entre les deux théories, compression ou expansion de la morbidité. Car les informations offrent la possibilité unique de distinguer ce que l'on doit aux succès remportés contre la mort, de ce que l'on doit aux succès remportés contre les maladies. Les premiers favorisant une vie plus longue, mais en mauvaise santé ; les seconds une vie en meilleure santé, pas forcément plus longue. Qu'affiche le tableau de chasse de l'humanité an 2010 ? "Les progrès fantastiques concernant l'espérance de vie en bonne santé sont essentiellement imputables à la baisse de la mortalité au cours des deux dernières décennies, que ce soit pour les enfants de moins de 5 ans ou les adultes, répond Theo Vos, chercheur à l'Institut de mesure et d'évaluation de la santé (IHME) de Seattle (États-Unis) et signataire de l'étude GBD. Comparativement, quelle que soit la région du monde observée, même dans les plus développées, très peu de progrès ont été effectués dans la réduction de l'impact des maladies et des accidents sur la santé.
Si l'espérance de vie en bonne santé a tellement augmenté en 20 ans, cela traduit donc surtout la victoire de la vie sur la mort, que celle de la santé sur la maladie. De ce côté-là, il apparait que la proportion de personnes d'une classe d'âge vivant avec un handicap lié à une maladie ou un accident n'a que légèrement baissé entre 1990 et 2010. "Or, plus on avance en âge, plus on est susceptible de vivre avec une incapacité, poursuit Theo Vos. Et comme nous assistons à un vieillissement général de la population mondiale, le temps passé avec un handicap est au final plus grand aujourd'hui qu'il y a 20 ans". Le constat semble sans appel : le gain en espérance de vie ajoute inévitablement des années en fin de vie, pour lesquelles les taux d'incapacité sont les plus élevés. Vivre plus vieux est donc synonyme aujourd'hui de vivre plus longtemps avec la maladie.

DE NOUVELLES INVALIDITÉS

La deuxième révélation du GBD, c'est que les maladies qui causent l'essentiel de la mortalité dans le monde (maladies cardio-vasculaires, cancers, sida, tuberculose...) ne sont pas les premières responsables des années de vie passées en mauvaise santé. Le fardeau du handicap est plutôt à mettre sur le compte des désordres mentaux (dépression, schizophrénie, démence...), des troubles musculo-squelettiques (lombalgie, cervicalgie...), des maladies neurodégénératives (Parkinson, Alzheimer...) et du diabète. Or, "si nous avons été très bons pour réduire la mortalité liée aux maladies infectieuses ou cardiovasculaires, nous l'avons été beaucoup moins pour enrayer la progression de ces maladies plus invalidantes que mortelles", constate Theo Vos. Pris ensemble, ces deux résultats expliquent pourquoi c'est la théorie prévoyant un accroissement du poids de la maladie qui semble se vérifier. "Le recul des niveaux d'incapacités dans la population a été bien trop modeste pour que l'espérance de vie en bonne santé augmente plus vite que l'espérance de vie", analyse Joshua Salomon.
Au-delà du débat sur la compression ou l'expansion de la maladie, cette auscultation planétaire met en lumière une profonde mutation de l'état sanitaire de la population mondiale. "Nous assistons à une triple transition, déclare Christopher Murray, directeur de l'IHME et coordinateur du projet GBD. Une transition démographique, une autre en termes de maladies, et une dernière en termes d'incapacité". Une transition démographique d'abord, car en 20 ans, il y a eu un transfert d'une partie du fardeau de la mortalité, qui pesait majoritairement sur les enfants de moins de 5 ans, vers les jeunes adultes. Alors que 12 millions d'enfants en bas âge mouraient prématurément en 1990, ce chiffre est tombé à 7 millions en 2010.

DES BESOINS DE SANTÉ EN MUTATION

Une transition concernant les maladies, ensuite, dans la mesure où une part toujours plus grande des décés est attribuable aux maladies non transmissibles (cardio-vasculaires, respiratoires, cancers...). En 2010, elles étaient responsables de deux tiers des décés dans le monde. Enfin, une transition concernant les incapacités, puisque les maladies incapacitantes mais non mortelles pèsent de plus en plus sur la santé globale. "Au cours des 20 ans à venir, il y aura des changements majeurs dans les besoins de santé dans le monde, anticipe-t-on à l'Organisation mondiale de la santé. Dans les régions en développement, où vivent 4 habitants sur 5, les maladies non transmissibles et les accidents de la route sont en train de remplacer rapidement les ennemis traditionnels - maladies infectieuses et malnutrition - comme principales causes d'incapacités et de décés prématurés.
À l'heure où les objectifs du millénaire pour le développement mis en place par les Nations unies vont être rediscutés, des voix s'élèvent pour une prise en compte de cette transition sanitaire. Ce qui impliquerait d'accorder une plus grande importance à toutes ces maladies qui causent majoritairement un handicap, mais pas la mort. Et voici bien l'enjeu de cette crise de l'espérance de vie en mauvaise santé : elle promet d'avoir un lourd impact économique, puisque les systèmes de santé vont être confrontés à un nombre croissant de personnes souffrant pendant de longues périodes d'un large éventail de maladies invalidantes. "Nous n'avons pas encore trouvé la parade contre ces maladies, comme ce fut le cas avec les vaccins dans la lutte contre les maladies infectieuses", déplore Theo Vos. Après avoir vaincu les fléaux qui ont maintenu son espérance de vie sous la barre des 25 ans pendant des millénaires, l'humanité est entrée dans une nouvelle phase de son histoire. Une phase au cours de laquelle elle va devoir lutter contre de nouveaux ennemis afin de vivre non seulement plus vieux, mais surtout en bonne santé.

Y A-T-IL UNE LIMITE A LA DURÉE DE VIE EN BONNE SANTÉ ?
Nul ne le sait, car cela revient à poser la question plus fondamentale de savoir quelle est la durée de vie maximale que pourrait atteindre l'espèce humaine
. Or, les valeurs les plus diverses sont avancées : 126 ans ? 150 ans ? Est-elle fixe ou les progrès réalisés depuis un siècle ont-ils permis de la repousser ? Faute d'avoir percé les secrets du vieillissement à toutes les échelles (cellule, organe...), la question reste en suspens. Du coup, les scientifiques se tournent vers une autre mesure, l'âge maximal auquel on a constaté un décès, une donnée qu'ils recherchent en se plongeant dans les registres d'état civil. En analysant les registres de la Suède, tenus pour excellents, on constate par exemple qu'en 1850, l'âge maximum au moment du décès était déjà élevé - 105 ans. Tandis qu'au tournant des années 2000, il était de 112 ans. "Mais cela ne veut pas forcément dire que la longévité humaine s'est accrue entre-temps, précise France Meslé, de l'Institut national d'études démographiques. Les probabilités de survivre à des âges avancés étant beaucoup plus grandes aujourd'hui, il y a plus de chances de voir des hommes battre les records établis". L'explosion du nombre de centenaires dans le monde suffit pour s'en convaincre. À ce jour, le record est toujours détenu par la Française Jeanne Calment, doyenne de l'humanité, décédée en 1997 à 122 ans et 5 mois.

B.B. - SCIENCE & VIE > Juin > 2013
 

   
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