Ce que la Science sait de la Mort

S'il est un phénomène qui défie la science, c'est bien la mort : pour en percer l'insondable mystère, les chercheurs n'ont d'autre choix que de l'étudier sous l'angle de... la vie. Celle de l'individu confronté au "dernier instant", celle des cellules lorsqu'elles se détruisent ou encore celle des espèces, puisqu'elles se perpétuent. Alors se dessinent d'étonnantes réponses aux questions les plus essentielles que chacun peut se poser.

Quand ? Un Instant plus Insaisissable

Réanimation, mort cérébrale... Les avancées médicales ont bouleversé la frontière du vivant en permettant de suspendre l'instant de la mort. Ce qui change notre rapport à la "fin".

Le dernier battement du cour, le dernier souffle, la dernière pensée, la dernière parole... L'instant où la vie cède sa place à la mort n'a jamais cessé d'inquiéter et de fasciner l'homme. Parce que c'est son propre sort qui est en jeu et que de vertigineuses interrogations l'assaillent alors. À commencer par savoir ce qui distingue les vivants des morts ? Il ya deux siècles, le génial chirurgien Xavier Bichat définissait la vie comme "l'ensemble des fonctions qui résistent à la mort". À l'inverse, il n'existe pas vraiment d'autres moyens de définir la mort... qu'en énumérant l'absence de critères vitaux.

TROIS FONCTIONS "VITALES"

Comme si de la mort nous ne pouvions rien savoir, mais seulement interroger la vie. Et de fait, c'est dans ce cadre que la science a identifié trois fonctions, parmi toutes celles qu'assure l'organisme, comme "vitales" : la respiration, la circulation sanguine et le fonctionnement cérébral. Il suffit que l'une d'entre elles vienne à manquer à l'appel pour que les deux autres déclinent immédiatement, entraînant à terme l'anéantissement de toutes les "fonctions qui résistent à la mort". Ainsi, lors de l'arrêt total du cour, il faut moins de trois minutes pour que le cerveau subisse une destruction complète et irréversible par interruption de la circulation sanguine et, donc, de l'alimentation en oxygène des neurones, entraînant du même coup l'arrêt du réflexe de la respiration contrôlée par le tronc cérébral, la partie inférieure du cerveau.
Du point de vue du médecin ou du physiologiste, la mort n'est donc pas un événement ponctuel, mais plutôt un processus inéluctable qui voit décliner une à une les fonctions vitales. Quels que soient le rythme et l'ordre de ce déclin, les rouages de la mécanique s'enchaînent sans que rien ne semble pouvoir les interrompre. Rien ? Plus si sûr. En effet, depuis le début des années 50, l'homme possède les moyens techniques de suspendre "en vol" le processus de la mort ! À l'origine de cette révolution, un médecin danois, Bjorn Ibsen, inventeur du respirateur artificiel. En assurant artificiellement deux des trois fonctions vitales -la respiration et la circulation sanguine-, cette machine et ses descendantes ont permis pour la première fois à l'homme d'ouvrir une parenthèse sur le chemin biologique qui le conduit naturellement de vie à trépas. Conséquence : depuis un demi-siècle, le rapport de l'homme à sa propre mort a été totalement bouleversé. Le moment de son décès n'est plus aussi certain ni radical qu'auparavant : il est devenu un espace de transition au sein duquel la frontière du vivant fluctue à mesure que les techniques de la réanimation s'améliorent, permettant ainsi de récupérer des patients toujours plus avancés dans le processus de mort. Longtemps, s'assurer du décès d'une personne s'est résumé à un acte rudimentaire. Au Moyen Age, les croque-morts se contentaient de mordre le gros orteil du défunt pour vérifier son état. Faute de réaction de sa part, il était alors considéré comme définitivement perdu !
Jusqu'aux années 50-60, les médecins mesuraient le pouls et vérifiaient qu'aucune condensation n'apparaissait sur un miroir placé près de la bouche et du nez. L'arrêt définitif du cour constituait le seul critère de la mort. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. Car cette caractérisation exclusivement cardio-vasculaire de la mort a cédé la place au concept de "mort cérébrale". Soit "la perte irréversible de toutes les fonctions de l'ensemble du cerveau, du tronc cérébral et des deux hémisphères", comme le comité ad hoc de l'Ecole médicale de Harvard en 1968 en donna pour la première fois internationalement la définition. Et depuis cette date, c'est l'état du cerveau qui fait pencher la balance. C'est lui qui préside au classement final du patient du côté des morts ou du côté des vivants. Plus besoin obligatoirement d'être réduit à l'état de cadavre pour être déclaré mort.
Le corps peut être chaud, avoir un cour battant grâce à une machine et, pourtant, être considéré comme celui d'un mort. Il faut désormais que l'électroencéphalogramme, chargé de détecter les ondes émises par le cerveau en activité, soit nul et aréactif, que l'artériographie ou le scanner, qui détecte la circulation sanguine dans le cerveau, soit négatif, avant que la mort de l'individu puisse être prononcée.
En soi, la mort cérébrale est donc un état bien délimité. Et il suffit de suivre le protocole à la lettre, en reproduisant les tests cliniques et d'imagerie à plusieurs heures d'intervalle, pour s'assurer de la destruction totale et irréversible du cerveau. Du coup, toute la difficulté porte maintenant sur les patients maintenus artificiellement dans des états transitoires, récupérés avant que leur cerveau ne soit entièrement détruit. Lors d'un arrêt cardiaque ou respiratoire, par exemple, toutes les zones du cerveau n'offrent pas la même résistance à la diminution d'apport en oxygène. Les premiers dégâts se manifestent dans la sphère supérieure du cerveau, celle des deux hémisphères, qui sont les plus sensibles à la privation d'oxygène. Puis, ils se propagent petit à petit vers le bas du cerveau, jusqu'au tronc cérébral. L'étendue des dégâts dépend donc du moment où intervient la réanimation. Or, si le tronc cérébral est considéré comme le cerveau primitif, celui qui organise les fonctions réflexes telles que la respiration, les hémisphères, eux, sont le siège des plus hautes fonctions cérébrales, comme la mémoire, l'apprentissage, le langage... Bref, ce sont eux qui président à l'établissement de la conscience humaine. Comment savoir alors si un patient a des chances de s'éveiller un jour et, surtout, quelles seront ses séquelles ?
Particulièrement difficiles à diagnostiquer, ces états exposent le monde médical à deux terribles écueils : limiter les soins chez des patients qui pourraient retrouver leur conscience ou, au contraire, s'acharner à soigner des patients qui, eux, n'ont aucune chance de se réveiller et sont en quelque sorte déjà morts. Autrement dit, le problème n'est plus tant de savoir quand la mort survient, mais quand la déclarer. "Personnellement, j'évite de discuter de l'avenir d'un patient en sa présence. Cela permet d'échapper à certaines mésaven tures, comme cette fois où un patient, sorti contre toute attente d'un état de coma profond, m'a rapporté des paroles peu amènes sur ses chances de survie, qu'il avait entendues lorsqu'il était en salle de réanimation." Celui qui parle ainsi est l'un des meilleurs spécialistes mondiaux de la conscience. Neurologue à l'hôpital universitaire de Liège (Belgique), Steven Laureys tente de décrypter les rouages du cerveau de patients ayant subi des lésions cérébrales importantes.

Les zombies existent-ils ?
Les zombies, ou plutôt les morts-vivants, existent
, oui, mais ils n'ont rien à voir avec l'imagerie véhiculée par les films d'horreur. Il s'agit en fait d'individus victimes d'un rite vaudou, originaire d'Haïti. Condamnés par la communauté, ils sont enduits d'une mixture toxique qui bloque leur influx nerveux et les paralyse. À tel point qu'un oil non exercé peut les considérer comme morts, alors qu'ils sont bel et bien vivants. Enfermés dans de petites caches souterraines, ils sont déterrés dès la nuit venue par le sorcier, qui leur administre une décoction de plantes. Puis ils sont exilés vers des villages éloignés, où ils demeureront à jamais des esclaves. Il a fallu attendre le milieu des années 80 pour que le toxicologue japonais Takeshi Yasumoto identifie la toxine responsable de ces terribles effets. Il s'agit de la tétrodotoxine, extraite des poissons de l'espèce des tétrodons. La décoction de plantes, elle, serait à base de solanacées (mandragore, belladone) contenant de l'atropine, capable de relancer le rythme cardiaque.

Pouvons-nous revenir de la mort ?

Source lumineuse au bout d'un tunnel, sensation de sortie du corps, dialogue avec des proches décédés... Puis impression de réintégrer son enveloppe corporelle et de revenir à la vie. Les nombreux récits de ceux qui disent être parvenus aux portes de la mort sont troublants. Ces témoignages, parfois qualifiés d'expériences de mort imminente", sont plus connus sous le nom de NDE (Near Death Experience, en anglais). La plupart surviennent après un arrêt cardiaque ou un coma transitoire, et sont étonnamment stéréotypés d'une culture et d'un continent à l'autre. Ou pain béni pour les croyants en l'au-delà', qui estiment tenir là une preuve de son existence.

Circonspecte, la communauté scientifique tente aujourd'hui de démêler les processus neuronaux qui sous-tendent ces états vécus comme des allers-retours vers la mort. Et plusieurs résultats récents semblent confirmer que les NDE ne seraient en fait qu'un "tour de passe-passe" que le cerveau se jouerait à lui-même. En 2001, Pin Van Lommel, médecin néerlandais, publiait une étude retentissante dans The Lancet, revue médicale de référence, où il relatait que sur 344 patients victimes d'un arrêt cardiaque dans 10 hôpitaux du pays, 12 % affirmaient avoir vécu une NDE. Ce phénomène -marquant, puisque la majorité des personnes concernées estiment que leur vie personnelle en a été bouleversée- est donc loin d'être systématique et sa rareté pose une question : si les NDE sont la conséquence physiologique d'un manque d'oxygène dans le cerveau, automatique lorsqu'un arrêt cardiaque se produit, pourquoi n'y a-t-il pas plus de patients pour en témoigner ? En 2001, toujours, Olaf Blanke, neurobiologiste de l'université de Lausanne (Suisse), a réalisé l'observation la plus précise dans ce domaine. "Alors que nous stimulions par de faibles décharges électriques différentes aires du cerveau d'une patiente épileptique pour préparer son opération, elle s'est écriée, "Je me vois d'en haut !" à l'instant où nous atteignions la région séparant le lobe temporal du lobe pariétal, se rappelle-t-il. La patiente s'élevait horizontalement et observait son propre corps." Si cette expérience ne reproduit pas l'intégralité d'une NDE, elle donne une explication sur la phase de "décorporation". "Soumis à un choc électrique, un grand stress ou un manque d'oxygène, le cerveau ne parviendrait plus à distinguer les informations provenant de l'intérieur et de l'extérieur du corps. L'individu serait incapable de se situer correctement dans l'espace. "Mais comment expliquer la lumière grandissante au bout d'un long tunnel, typique des NDE ? Il s'agirait ici d'un trouble du cortex visuel, normalement chargé de former des images à partir d'informations perçues par la rétine. Dans un contexte de perturbation neurologique et alors que la rétine ne transmet plus d'information, le cortex visuel fonctionne en "roue libre". La moitié des neurones du cortex étant consacrée à la vision centrale (d'où sa netteté), lors d'une NDE, l'activité anarchique de ces neurones se manifesterait d'abord par un point lumineux centré sur un fond sombre. L'activité de plus en plus intense du reste du cortex visuel générerait alors d'autres points lumineux en périphérie, donnant l'impression d'avancer vers le bout d'un tunnel. La confusion mentale et sensorielle favoriserait également l'évocation de souvenirs ancrés dans l'imagerie spirituelle, notamment cette croyance largement répandue qu'une "forme d'esprit" quitte le corps après la mort. De plus, comme le précise Mario Beauregard, neuropsychologue de l'université de Montréal, "pas besoin de frôler la mort pour ressentir les 'symptômes' d'une NDE ; l'usage de certaines drogues ou des états de transe peuvent produire les mêmes effets". selon Kevin Nelson, neurologue américain, 60 % des patients ayant subi une NDE connaissent durant l'éveil des épisodes de mouvements oculaires rapides, caractéristiques de l'état de rêve pendant le sommeil. Et ce phénomène ne touche que 24 % de la population générale. Les NDE surviendraient donc chez des personnes prédisposées à confondre rêve et réalité. Une hypothèse rationnelle dont Sam Parnia, un chercheur iconoclaste de l'hôpital de Southampton (Royaume-Uni), ne veut pas se contenter. Pour vérifier si les NDE sont ou non une illusion, il a disposé des chiffres dans des salles de réanimations de plusieurs hôpitaux de manière à ce qu'ils ne soient visibles qu'en position élevée. "Nous interrogeons ensuite les patients sujets à une NDE pour savoir s'ils les ont aperçus", explique le chercheur. Les patients interrogés auraient tous répondu qu'ils étaient "trop émus ou occupés pour regarder les chiffres". L'investigation scientifique ne résoudra sans doute jamais complètement le mystère des NDE. Est-ce une raison pour y voir un phénomène surnaturel ?
Les clichés sur le passage à la mort sont ancrés dans nos cultures (tableau de J. Bosch). ->


Caroline Tourbe - SCIENCE & VIE > Aout > 2006
 

   
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